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II2 - Enjeux autour du numérique et la question de la fracture numérique

Jusqu’en 1980, les pays africains vont chercher à promouvoir le développement industriel et à accroître les compétences et la santé de leurs populations. Selon les données de la Banque mondiale, en 1982, le taux brut de scolarisation pour l'éducation primaire dans toute l'Afrique subsaharienne avait progressivement atteint 85 %. Certains pays, notamment l'Angola, le Botswana, le Cap-Vert, le Kenya, le Mozambique, le Nigéria et la Tanzanie, étaient même presque parvenus à l'éducation primaire pour tous au début des années 1980.

Au cours de la décennie 1980-1990, l’on enregistre de profonds retours en arrière. La plus grande partie des pays d’Afrique est touchée par la crise économique, L'augmentation des coûts d'importation du pétrole, le fardeau élevé de la dette et les mesures d'austérité rigoureuses vont conduire à de grandes coupes budgétaires et à la réduction substantielle des dépenses gouvernementales, notamment des dépenses pour l'éducation. Les dépenses publiques pour l'éducation en Afrique subsaharienne vont baisser de 3,8 % en 1980 à 3,1 % en 1988 en rapport avec le PNB.

Mais comme le PNB des économies africaines stagnait ou régressait, la baisse des dépenses réelles était encore plus importante. Les programmes d'ajustement structurel introduits dans plusieurs pays africains dans les années 80 et au début des années 90 vont notamment limiter le financement de l'éducation. Harsch E. écrit :

Promus par la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI), ces programmes, surtout au cours des premières années, ont souvent obligé les gouvernements africains à réduire par tous les moyens les dépenses publiques "non-essentielles". Résultat : les ministres africains de l'éducation n'avaient même plus de ressources suffisantes pour maintenir en place les systèmes éducatifs existants, encore moins pour les développer. Les gels d'embauche dans le secteur privé ont entravé le recrutement de nouveaux enseignants, tandis qu'une baisse draconienne du pouvoir d'achat des enseignants poussait nombre d'entre eux à compléter leur salaire par un deuxième emploi, réduisant le temps qu'ils passaient dans les salles de classe83.

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Harsch E., L’école en crise, les contraintes financières freinent l’éducation primaire en Afrique, article disponible sur le site http://www.un.org/french/ecosocdev/geninfo/afrec/vol14no2/educatfr.htm

Les années 1980-1990 vont inaugurer la période les plus instables pour l’éducation en Afrique : grèves des enseignants, grèves des élèves et étudiants, répressions violentes, non payement des bourses d’études, revendications d’amélioration des conditions de travail, etc.

Toutefois dans certains pays africains comme le Botsawana et la Tunisie, des efforts seront faits pour enrayer les déclins de la décennie précédente. Les dépenses publiques en matière d'éducation ont globalement augmenté de façon sensible. Ceci a été facilité par une relance de la croissance économique dans nombre de pays et par la volonté accrue des responsables économiques de protéger les budgets de l'éducation.

En Afrique subsaharienne, le taux net de scolarisation à l'école primaire (la proportion des enfants en âge d'aller à l'école qui sont inscrits, sans compter ceux qui sont trop jeunes ou trop âgés a augmenté, de 54 % en 1990 à 60 % en 1998. Le Bénin, la Gambie, la Guinée, le Mali, la Mauritanie, le Sénégal, le Swaziland, le Togo et l'Ouganda ont tous enregistré des améliorations notables du nombre d'inscriptions à l'école primaire, avec parfois des progrès frappants dans la scolarisation des filles.

De ce point de vue, le Malawi est présenté comme un "succès éclatant" en Afrique. En 1994, après l'élection d'un gouvernement démocratique et l'introduction d'une politique d'éducation primaire gratuite, la population des écoliers dans le primaire a grimpé en flèche, passant de 1,9 à 3,2 millions en un an. En 1997, la participation des filles avait doublé; leur taux net de scolarisation atteignait 100 %, tandis que le taux brut de scolarisation (y compris celle des fillettes plus jeunes ou plus âgées) avoisinait 125 %.

Tableau 11 : Données générales sur les pays couverts par l’étude (Source : données

Unesco 2005)

Pays Populations PIB/Habitant Dépenses Publiques l’éducation en % du PIB Taux brut de scolarisation sauf Pré primaire Ratio élèves/Maître Pour le Primaire Bénin 6,558 Millions 1 074 $ 3,3 55 62

Burkina Faso 12,624 Millions 1 110 $ Non disponible 24 45

Côte-d’Ivoire 16,365 Millions 1 543 $ 4,6 44 42

Ghana 20, 471 Millions 2.126 $ Non disponible 48 31

Mali 12,623 Millions 9 77 $ 3 32 57

Niger 11,544 Millions 806 $ 2,3 21 42

Sénégal 9,855 Millions 1.592 $ 3,6 40 49

L’ère du numérique dans l’enseignement commencera avec la télématique à partir de 1980 et plus tard avec l’informatique et ses accessoires que sont Internet et la téléphonie mobile appelées communément Technologies de l’information et de la communication (TIC).

Il faut souligner le fait les nouvelles technologies de l’information et de la communication n’avait pas à leur création des visées pacifistes et encore moins éducatives. Néanmoins la généralisation de leur utilisation dans bon nombre de secteurs d’activité continue de nourrir, ces vingt dernières années, des espoirs et parfois des fantasmes :

Les technologies de l’information et de la communication peuvent fournir un accès rapide et peu coûteux à l’information dans pratiquement tous les domaines de l’activité humaine. De l’apprentissage à distance en Turquie au télédiagnostic médical en Gambie en passant par la diffusion des cours des céréales en Inde, Internet fait tomber les barrières géographiques, accroît l’efficience des marchés, crée des opportunités de revenu et favorise la participation à l’échelon local84.

Plus emphatique est le commentaire de Laquey T. qui affirme, dans son avant propos du livre Sésame pour Internet, que Internet peut rétrécir le monde et ramener directement dans votre ordinateur du savoir, des expériences et des informations sur pratiquement tous les sujets imaginables85.

Avant de poursuivre la réflexion sur l’utilisation des NTIC dans l’enseignement en Afrique, il serait important de s’attarder un peu sur la manière dont l’Afrique aborde la question de l’utilisation de ces technologies.

En 1990, la conférence de Jomtien soulignait l’importance des l’utilisation des TIC dans l’enseignement et la formation. Dans un document, l’Unesco affirme que :

en dehors de leur utilisation directe dans le cadre des formations de base, les technologies modernes de l’information et de la communication peuvent être exploitées beaucoup plus efficacement qu’elles ne le sont aujourd’hui à l’appui d’objectifs d’éducation fondamentale. La radio, la télévision et la presse écrite, ainsi que différentes activités traditionnelles très appréciées telles que festivals et théâtre populaire, offrent d’immenses possibilités pour

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PNUD Rapport Mondial sur le développement humain 2001, Mettre les nouvelles technologies au service du développement humain, Paris, DeBoeck Université 2001 page 2

85

Laquey T. Sésame pour Internet, initiation au réseau planétaire, Paris, 1974, Editions Addison-Wesley France, Page IX

l’éducation fondamentale du grand public et de certains groupes difficiles à toucher autrement86

.

Comment envisager l’utilisation des NTIC en Afrique alors que les populations n’ont pas accès à l’électricité et au téléphone ? Il est établi qu’en Afrique sub-saharienne, le niveau de développement des télécommunications est le plus faible du monde. La pénurie de lignes téléphoniques même dans les zones urbaines est également la situation la plus fréquente. On ne manque pas de souligner qu’il y a plus de lignes téléphoniques dans l’agglomération de Manhattan que dans toute l’Afrique au sud du Sahara87 !

Il convient de s’interroger sur le fait des inégalités que peut engendrer Internet entre le Nord et le Sud ? Certains croient en une progression rapide des utilisations d’Internet au Sud. D’autres expliquent qu’Internet ne s’implantera pas durablement dans les pays en développement et construisent une attitude protectionniste. A l’opposé, on constate, un engouement pour l’utilisation d’Internet au près des jeunes générations du continent africain88.

S’appuyant sur des observations en éducation, Wallet J.distingue quatre types d’analyses autour de la diffusion d’Internet en Afrique : le pessimisme absolu, le pessimisme idéologique, l’optimiste béat, l’optimisme raisonné.

Le pessimisme absolu affirme qu’Internet ne « marchera » jamais en Afrique pour

des raisons de coûts et du fossé économique qui s’accroît entre les pays du Nord industrialisés et le continent africain en déshérence. Le risque de voir se creuser davantage le fossé entre le Nord riche et pourvoyeuse de technologie et le Sud pauvre consommateur des technologies est grand. En outre l’utilisation des technologies nouvelles dans l’enseignement et la formation entraîne des charges trop importantes pour les pays du Sud en matière d’éducation. On peut citer les travaux de Virilio P. et de Orivel F.89. Ce dernier affirme dans une interview que présenter Internet comme une panacée pour rapprocher les

86

UNESCO, Répondre aux besoins éducatifs fondamentaux : une vision pour les années 90, Conférence

mondiale sur l’éducation pour tous, 5-9 mars 1990, Page 96 87

Balle F., Médias et sociétés, Paris, réédition Montchrestien, 1999

88

Diawara M., Une réponse divine aux conflits de génération, dans la revue Africulture, décembre1999N°23, dossier Internet en Afrique, L’Harmattan, Paris

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pays riches des pays pauvres relève de l’escroquerie : tous les spécialistes savent au contraire que cela accentue les écarts90.

On peut citer également dans ce sens, Quéau, P. directeur de la division de l'information et de l'informatique de l'Unesco qui affirme que :

Une heure de connexion à Internet coûte un mois de salaire de professeur d'université dans certains pays africains. En France, une heure de Smic donne accès à un mois d'Internet! Pire: ce sont les africains qui supportent intégralement le coût des infrastructures91.

Si ces prises de position sont vraies dans l’absolu, elles sont contredites par es données de terrain qui permettent d’établir un accroissement de plus en plus important du nombres d’utilisateurs d’Internet en Afrique et une réduction de plus en plus notable des coûts des services Internet.

Le pessimisme idéologique est une variante du pessimisme absolu. Cette analyse

se nourrit du sentiment de voir l’Afrique de nouveau coloniser culturellement et économiquement. Pour les tenants de cette position il faut, à tout prix, la préserver de ce néocolonialisme. Cette position est défendue lors de réunions d’organisations internationales (de la Banque Mondiale en juin 2000 par exemple)92, mais n’apparaît pas dans les textes ou les comptes rendus. L’argent investi en coopération serait plus utile s’il était utilisé pour payer des équipements scolaires ou des arriérés de salaire des enseignants africains. Si Internet peut être l’occasion d’une nouvelle colonisation, il faut dire qu’en tant qu’instrument, il reste d’une grande utilité pour les pays africains soucieux de participer aux débats et enjeux internationaux par la possibilité qu’il offre de se connecter au monde.

L’optimisme béat défend la position qu’Internet se diffuse très rapidement intégrant l’Afrique à la toile mondiale, peut-être pour la première fois de son histoire. Avec comme référence le modèle brésilien où, administrations, entreprises et classes moyennes ont massivement adopté Internet pour résoudre une partie des difficultés

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Interview Monde de l’éducation décembre 2000, p.14

91

Conférence à l’Unesco, Paris, juillet 2000

92

Wallet J. La place des nouvelles technologies dans les systèmes éducatifs africains subsahariens, in

Enseignement à distance et apprentissage libre et perfectionnement des enseignants et formateurs pour des stratégies nationales globales et intégrées, disponible sur le site http://www.resafad.asso.fr/adea/

quotidiennes (déplacements, accès à l’information…). Cette position est défendue par les opérateurs de télécommunication qui mettent en avant le fait que l’Afrique a attiré des investissements importants ces dernières années. L’Afrique noire est un marché à prendre et les opérateurs de télécommunication l’ont compris. Ils lorgnent sur le pactole que les organisations internationales comptent mettre à leur disposition. A côté de ces opérateurs, on peut trouver une partie de l’élite africaine (universitaires et hommes politiques surtout) dopée souvent par la publicité et qui croit voir venir pour l’Afrique une occasion de réduire le fossé Nord-Sud. DAHMANI A. dans son article « Les TIC : une chance pour l’Afrique ? » cite Steinmueller E. en écrivant que les TIC, à la différence des autres technologies, industrielles notamment (sidérurgie, chimie, mécanique, etc.), devrait permettre aux PED (Pays en Développement) de procéder à un saut technologique, de brûler les étapes93.

Enfin, l’optimisme raisonné, prend en compte le fait que l’Afrique ne dispose pas d’infrastructures en matière de télécommunication. Néanmoins, elle ne peut se passer de faire, avec le monde, le saut technologique actuel au risque de manquer une opportunité.

L’Afrique n’a pas tout à perdre en faisant le saut technologique. Néanmoins, on peut tenter d’établir les handicaps et les atouts d’Internet en Afrique. :

- Comme handicaps ont peut citer : la faiblesse du débit, le caractère onéreux du matériel, le manque de savoir faire, le contrôle du marché par des compagnies internationales, les risques de développement des communautarismes, la concentration des services dans les métropoles, le manque d’une main d’œuvre qualifiée, la concurrence entre les bailleurs de fonds, l’hégémonie de la langue anglais, l’hégémonie des cultures et modèles occidentaux, l’imposition des contenus d’enseignement venant du Nord, …

- Comment atouts on peut citer : les opportunités technologiques, la privatisations des sociétés de télécommunication qui entraîne les offres plus intéressantes en matière des services Internet, renforcement des échanges entre pays du Sud et ouverture aux valeurs démocratiques,

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Dahmani A., « Les TIC : une chance pour l’Afrique ? », in Société numérique et développement en Afrique,

facilitation des politiques de décentralisation, faible coût de la main-d’œuvre, facilitation des échanges commerciaux94, renforcement de la coopération au sein de la francophonie et développement des langues locales, le contact peut être maintenu plus facilement avec les diasporas, Les arts, la musique, la peinture, la mode, peuvent s’exporter et se mondialiser, émergence de l’édition africaine « on line », Internet peut permettre une mutualisation des savoir faire éducatifs et l’accès des enseignants à des services en ligne, la qualité des formateurs et de leur enseignement pourra être améliorée.