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A partir des années 1980, les progrès enregistrés dans les domaines des technologies de l’information et surtout celui des télécommunications se sont accélérés et ont donné lieu à des recherches. Les notions de « technologie de l’éducation » et de « technologie éducative » empruntées à l’anglais75 et introduites en 1970 par Brunswic E. et de Dieuzeide H., vont donner lieu à des débats. Les tenants de la notion de « technologie de l’éducation vont mettre l’accent sur les instruments ou outils mis au service de l’offre de formation. Quant aux tenants de la notion de « technologie éducative », ils s’intéressent au savoir-faire pédagogique lié à l’utilisation des outils. Un troisième courant de pensée travaillera sur les apprentissages auxquels peuvent conduire les médias. Cette troisième voie aurait pu, selon Albero B. (2004), être féconde si elle avait pu être conceptualisée et développée, si elle était pleinement assumée.

Les possibilités qu’offrent les nouvelles technologies peuvent-elles permettre d’envisager des nouveautés au plan pédagogique dans l’enseignement et la formation ? Contribuent-elles à une meilleure atteinte des objectifs d’apprentissage ? Permettent-elles d’envisager de nouvelles stratégies d’enseignement et d’apprentissage dans l’éducation ? Ce sont là autant de questions qui interpellent les chercheurs en Sciences de l’éducation.

Les constats faits aux Etats-Unis en matière d’utilisation de l’informatique dans l’enseignement sont édifiants. Cuban L. (1999) affirme que dans les établissements scolaires les mieux équipés en informatique, deux enseignants sur dix seulement sont des utilisateurs réguliers de l’ordinateur en classe, trois ou quatre sont des utilisateurs occasionnels et quatre ou cinq ne l’utilisent jamais76. Pour l’auteur, c’est l’organisation pédagogique de l’enseignement organisé en cours collectifs et en séquences de 50 minutes qui empêche l’introduction réelle de l’ordinateur en classe.

La situation est la même en France. Ce qui a conduit Perriault J. (1994) à dire qu’il ne serait plus possible de garder le même type d’organisation parce que l’utilisation du multimédia en classe ou en autoformation suppose l’élasticité. La question est de savoir si l’école est prête à opérer cette révolution de type organisation.

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Le terme anglais correspondant est « instructional technology ».

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Wallet J., Du côté des sciences de l’éducation… , in les technologies en éducation, perspectives de recherche

Mais parallèlement les expérimentations vont évoluer vers d’autres types de supports (télématique, vidéodisques, satellites, télé/visioconférence, numérisation de l’image et multimédias) et d’autres types de pratiques (Enseignement Intelligent assisté par ordinateur (EIAO), la Formation à distance (FAD) ou la formation Multimédias. On peut aussi relever le fait que l’accent est davantage mis sur la « formation » plutôt que « l’enseignement » pour désigner les dispositifs pédagogiques afin de marquer l’amorce d’un changement de perspectives dans la conception ingénieriale des systèmes.

En éducation, la question de l’utilisation des médias à des fins d’enseignement et d’apprentissage continue de créer la polémique entre deux écoles. D’une part l’école des « technophobes de principes » qui affirment que les médias n’apportent aucun changement notable, aucune innovation dans la relation pédagogique et celle des « fanatiques du médium » qui voient dans les médias l’occasion de procéder à une transformation notable de la pratique pédagogique. Entre ces deux approches antagoniques il y a une troisième voie qui permet d’appréhender la question de l’utilisation des médias dans l’enseignement dans « sa juste mesure » car comme le souligne Jacquinot G. reprenant une formule de Moeglin P., l’école ne peut « continuer à vivre comme à l’époque de la machine à vapeur » et ignorer les nouveaux outils pour apprendre. La modernité technologique ne garantie rien, surtout pas l’innovation pédagogique77.

Au-delà de cette polémique initiale, il s’est opéré une rupture entre les tenants de la thèse continuiste et ceux de la thèse discontinuiste. Moeglin P. explique les caractéristiques de la thèse discontinuiste par son refus ou oubli de l’histoire. Cette thèse se situe du côté de la structure et de la synchronie. Les nouveautés ne sont précédés d’aucun signe avant-coureur, d’aucun préliminaire : tout démarre à zéro. C’est pourquoi les changements liés aux NTIC ne sont jugés que dans l’immanence de leur déploiement Du passé, le discontinuisme prétend donc faire table rase78.

La thèse continuiste affirme que l’utilisation des TIC dans l’enseignement n’a rien de révolutionnaire ou d’innovant. Elle s’inscrit dans la continuité de ce que l’on a entrepris avec la radio et la télévision qui ont été à une certaine époque considérée

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Jacquinot G., Les sciences de l’éducation et de la communication en dialogue : à propos des médias et des technologies éducatives op. cit. Page 391

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Moeglin P., Qu’y a-t-il de nouveau dans les nouveaux médias, in Les Technologies en éducation : perspectives

de recherche et questions vives, Sous la direction de Baron G-L. et Bruillard E., INRP, 2002, Actes du

comme des technologies nouvelles. Dans ce sens les expériences d’utilisation des TIC dans l’enseignement et la formation qui ont cours actuellement en Afrique s’inscrivent dans la continuité des actions d’enseignement télévisuel et de télé-enseignement menées antérieurement.

En effet lorsque l’on considère les pays qui ont servi de champ d’expérimentation de ces technologies dans l’enseignement et la formation, on voit que ces pays ont été le cadre où se sont développées par le passé des actions de télé-enseignement ou de radio-éducation. On peut citer le programme d’Université virtuelle africaine que .Loiret P-J. (2005) considère comme un « continuisme » qui semble loin d’une « révolution technologie ».

De la même manière que l’on considère que les TIC peuvent permettre de régler certains problèmes cruciaux de l’enseignement en Afrique aujourd’hui, Valérien J. dit qu’aux cours des décennies 1960 et 1970 la communauté internationale était persuadée que la diffusion des connaissances, grâce à la radio et la télévision, va permettre une généralisation rapide de l’enseignement79.

La discontinuité que les TIC introduisent dans l’enseignement est-elle réelle ? Les TIC apportent-elles des innovations dans l’enseignement ? A l’évidence, le système d’enseignement en gardant ses règles de fonctionnement (découpage horaire, organisation et occupation spatiale de la classe…) et ses modèles, ne semble pas intégrer l’innovation que cherche à apporter les TIC. Moeglin P. explique que :

les innovations sont introduites au coup par coup, le plus souvent d’en haut, sans réinvestissement des expériences et acquis antérieurs. A travers la grille de lecture à laquelle il est soumis, le système éducatif donne l’impression de ne rien avoir à apprendre de ses réussites et des ses échecs passés. Il se contente d’intégrer ou d’éliminer, selon l’ampleur des pressions qui, de l’extérieur, s’exercent sur lui80

Loiret P-J.(2005), prenant l’exemple du programme d’UVA de la Banque mondiale, affirme que l’innovation ne serait qu’un prétexte qui sert à camoufler un « discours politique » plutôt qu’à introduire une innovation. Il fait sienne l’idée de R. Débray qui dit qu’une nouvelle technique de communication de communication véhicule une nouvelle morale intellectuelle. Pour Loiret J-P., la nouvelle morale souhaitée par la Banque

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Valérien J. et al., Enseignement à distance et apprentissage libre en Afrique sub-saharienne, Paris, ADEA, 2001, disponible sur le site : http://www.adeanet.org/wgdeol/publications/enseign_distance_12092002.pdf

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Moeglin P., Qu’y a-t-il de nouveau dans les nouveaux médias, in Les Technologies en éducation : perspectives

mondiale à travers le programme d’UVA est celle de l’esprit d’entreprise et d’une prise de conscience que l’éducation est un investissement et pour y avoir droit, il faut payer81.

Cette position rejoint en partie celle exprimée par Wallet J. qui analyse le développement des TIC en Afrique à l’aune d’une double potentialité et donc d’une double lecture. D’une part le développement des TIC comme « cheval de Troie » cachant les intérêts particuliers des opérateurs de télécommunications, des grands groupes qui investissent dans les TIC, et d’autre part comme « bouée de sauvetage » d’un enseignement qui a besoin de se remettre en question et de se renouveler.

Il est important de s’interroger sur l’introduction des technologies nouvelles et coûteuses dans l’enseignement en Afrique alors que les expériences menées en matière de radio éducation et d’enseignement télévisuel n’ont pas donné les résultats escomptés. Pour Wallet J. (2004), la question ne se pose pas. Il écrit :

la question de la place des NTIC dans les systèmes éducatifs des pays développés est rarement l’objet de polémiques… A fortiori, est-il décent de proposer des technologies coûteuses à des pays où manquent, dans de nombreuses écoles et collèges les tables qui accueillent les écoliers ? Ma réponse est affirmative, mais il convient en préalable de lever une ambiguïté. Il ne s’agit pas, dans mon esprit, de proposer d’équiper les élèves, ni même, dans la plupart des cas, les enseignants. Il s’agit en revanche, de voir comment les NTIC peuvent jouer un rôle pour contribuer à la formation des cadres du système éducatif, particulièrement dans des dispositifs de formation à distance82.

L’auteur qui a travaillé sur les expériences d’utilisation des TIC dans la formation en Afrique francophone, soulève deux questions qu’il qualifie de préalables à savoir :

- quelle est la place d’Internet, de façon générale et sa place en tant que support de formation ?

- quelles formes d’enseignement à distance, à l’heure de l’usage des TIC ?

Il faut dire que l’Afrique semble suivre l’évolution planétaire en matière d’utilisation des TIC en dépit des questions que cela pose notamment la capacité des Africains à

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Loiret P-J., L’UVA, histoire d’une mise en scène, Master de Recherche en sciences de l’éducation, Université de Rouen, 2005, Page 111

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Wallet J., La place des nouvelles technologies dans les systèmes éducatifs africains subsahariens, in

Enseignement à distance et apprentissage libre et perfectionnement des enseignants et formateurs pour des stratégies nationales globales et intégrées, Paris, ADEA 2005, disponible sur le site

« consommer » ces nouvelles technologies, et de la « fracture économique » entre le Nord et le Sud et qui, de facto, entraîne une fracture numérique etc.

II2 - Enjeux autour du numérique et la question de la fracture