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Chapitre 5 : Présentation et discussion des résultats

5.5. Présentation et analyse des données concernant le récit personnel d’erreurs

5.5.2 Identification des erreurs

Dans ce volet, nous souhaitons présenter et discuter les types d’erreurs racontées par les enseignants interviewés. En effet, il est pertinent d’observer si des catégories émergent, se différencient ou au contraire se rapprochent. En outre, cette partie tente de répondre aux questions spécifiques de recherche suivantes : comment les enseignants identifient-ils leurs erreurs et comment les enseignants les ressentent-ils ? Existe-t-il des nuances ?

Tableau 33 : Les types et sources d’erreurs

FD FC HD HC Total

Type de problème

Problème avec un/des parent/s 1 5 0 2 8

Problème avec un élève 3 0 4 1 8

Problème avec un collègue 0 0 1 1 2

Source d’identification de l’erreur

Erreur : conséquences 2 2 1 2 7

Erreur : mauvaise réaction 2 3 2 2 9

Erreur : a été verbalisée par une tierce personne 0 0 2 0 2 Erreur : manque d’efficacité remarquée par

l’enseignant 0 1 0 0 1

Prise de conscience

Prise de conscience : seul, après l’erreur 3 2 1 2 8

Prise de conscience : à l’aide de la personne

intéressée 0 2 3 2 7

Prise de conscience : à l’aide d’autres personnes 1 1 1 0 3

Les sujets des erreurs racontées traitent de 8 problèmes avec les parents, 8 problèmes avec un élève et 2 problèmes avec un collègue. Il est important de signaler ici que l’échantillon débutant/chevronné est quelque peu biaisé. En effet, 5 enseignants dont 2 chevronnés, nous racontent une erreur survenue au début de leur carrière, lorsqu’ils étaient donc encore débutants.

Il semble judicieux de donner un bref aperçu des erreurs racontées. Quatre enseignants expliquent ne pas avoir su mettre de limites aux parents : durant des entretiens trop coûteux en temps, avec un parent n’acceptant pas les règles d’un camp ou encore avec des parents trop invasifs, et enfin avec un parent décrit comme harcelant. Trois enseignants racontent que leur erreur a été une mauvaise réaction à un certain moment. L’ens1 explique qu’une maman est venue émettre des accusations non fondées sur le déroulement d’un camp et qu’elle a entraîné avec elle d’autres

parents et qu’il n’a pas su réagir et gérer cette situation. L’ens5 explique qu’elle aurait dû chercher à plus et mieux dialoguer avec les parents plutôt que d’avoir une simple discussion sur le pas de la porte, au sujet de l’agissement d’un élève, qui a indirectement amené les parents à vouloir enlever l’enfant de la classe. L’ens13, lui, explique qu’il a émis un jugement sans savoir de quoi il parlait, ce qui l’a amené à avoir une « réaction violente » avec les parents. Enfin, l’ens4, explique qu’elle a fait une erreur lorsqu’elle a dit à un parent, en parlant de son enfant, sans aucune mauvaise intention :

« On n’est pas en Colombie ici, mais en Suisse » ce qui entraîna un fort changement d’attitude chez la maman.

Au sujet des erreurs commises avec des élèves, il est possible de distinguer les erreurs survenant de manière ponctuelle, de celles qui se sont installées peu à peu et celles qui ont perduré dans le temps. Entrant dans la première catégorie, les enseignants relatent des gros mots marmonnés devant les élèves par un enseignant mécontent de lui-même et de son organisation, une punition déchirée devant l’élève pour lui faire prendre conscience de l’inutilité et la perte de temps d’un tel exercice, mais qui a été mal vécu émotionnellement par l’élève, au point qu’il refuse, l’année suivante une autre punition, ou encore l’éclat de rire moqueur d’un enseignant face à un élève susceptible qui, ce jour là, porte une compresse de gaz dans le nez, après un saignement et enfin, la triche d’une élève remarquée par un enseignant qui ne dit rien de par le statut (privilégié) accordé à cet élève.

Les erreurs qui ont perduré dans le temps, sont plutôt de l’ordre d’une « impression de s’acharner » sur un même élève, de la répercussion des menaces d’un père ayant « le bras long », sur la relation entre l’enseignante et l’élève. L’enseignante assimilant l’élève au père, finit par se désinvestir de la relation avec l’enfant. Ou d’un statut de grand-frère adopté par un enseignant qui fait que la relation avec ses élèves a « dérapé » ou encore d’une relation et d’une attitude avec un élève qui finit par penser que l’enseignant ne se préoccupe pas de lui et ne l’apprécie pas.

Cette partie d’analyse permet donc de mettre en avant des situations vécues jugées comme des erreurs par les enseignants interviewés et de répondre à notre question spécifique soit de comment les enseignants identifient leurs erreurs. Comme mentionné, les erreurs identifiées traitent de situations relationnelles vécues majoritairement avec des parents et des élèves. Les erreurs ont pu être ponctuelles ou encore s’étendre sur une durée plus longue. Y aurait-il un lien entre ces erreurs et le cahier des charges des enseignants ? S’agit-il de principes édictés pour la profession enseignante ? Le fait de « s’acharner » sur un élève touche-t-il à l’intégrité de celui-ci ? Comment se traduit cet acharnement sur les élèves ? Le cahier des charges, rappelons-le, demande à ce que les enseignants protègent l’intégrité des élèves et soient bienveillants envers ceux-ci ainsi que leurs parents. Mais voyons-donc si ces erreurs racontées sont en lien avec les règles posées.

Les enseignants jugent le contenu de leur récit comme étant des erreurs, soit de par les conséquences qui ont suivies (7 enseignants), soit parce qu’ils ont estimé rapidement et spontanément avoir eu une mauvaise réaction (9 enseignants), soit encore parce qu’une tierce

personne les a aidés à réaliser leur erreur (2 enseignants). Ces différentes raisons pour juger un évènement comme étant une erreur, ne sont-elles pas dues, une fois encore, à la distinction entre des erreurs conscientes et inconscientes ? Les enseignants qui remarquent seuls leurs erreurs, qui expliquent avoir mal réagi, avoir senti sur le moment qu’ils perdaient le contrôle, etc. sont conscients soit immédiatement soit rapidement après leur acte, d’avoir commis une erreur. Les autres enseignants, qui eux n’étaient pas conscients de commettre une erreur, ont dû attendre les conséquences de celles-ci ou le dialogue avec des personnes tierces pour réaliser leur erreur.

Selon les données récoltées, la prise de conscience de l’erreur se fait soit seul (8 enseignants), soit à l’aide du discours ou des gestes (pleurs) de la personne concernée (7 enseignants), soit encore à l’aide d’une tierce personne comme un éducateur ou des collègues enseignants (2 enseignants). Il est intéressant de remarquer que la majorité des enseignants identifient leur erreur seul ou à l’aide de la personne ayant « subi » l’erreur. Cela ne peut qu’encourager à verbaliser, dire ce qui blesse, ce qui ne va pas, ce qui déplaît ou embête, afin d’aider l’enseignant ou toute autre personne à prendre conscience de son erreur. L’ens4 relate même le fait que si la maman de l’élève ne lui avait pas fait remarquer qu’elle était fâchée, elle n’aurait jamais pu prendre conscience de son erreur.

Pour approfondir cette prise de conscience au niveau plus affectif, le tableau n°34 exprime le ressenti ainsi que les émotions des enseignants lors de leur erreur. En effet, comment se sont-ils sentis ? Comment l’ont-ils vécu ? Ces données tentent de répondre à une question spécifique de recherche soit de comment les enseignants ressentent-ils leurs erreurs. Elles tentent également de voir les ressemblances ou différences entre enseignants. Y a-t-il des éléments communs ? Que se passe-t-il chez chacun d’entre eux, dans leur fort intérieur ?

Tableau 34 : Ressentis des enseignants

FD FC HD HC Total

Mal et/ou malheureux 1 1 1 1 4

Sentiment de malaise, gêne 1 3 1 0 5

Démuni, débordé 0 1 1 0 2

Triste 1 1 2 1 5

Fâché, énervé contre soi 1 0 0 0 1

Coupable 1 0 0 0 1

Déçu 1 1 0 1 3

Peur des conséquences 2 0 0 1 3

Pas d’émotions 0 0 2 1 3

Sentiment positif (processus qui va amener à s’améliorer) 0 1 1 1 3 Le ressenti des enseignants au moment même où ils ont commis l’erreur diffère énormément d’un enseignant à l’autre. Certains disent n’avoir ressenti rien de spécial, « ni mal ni bien », d’autres disent s’être sentis « débordé », « démuni », « incompris », « déçu », « fatigué », « triste », d’autres

encore, expliquent avoir ressenti une forte colère et être très fâché contre soi ou contre la personne.

Enfin, un enseignant explique avoir culpabilisé d’être « faible ».

Au sujet des ressentis des enseignants, une fois s’être rendu compte qu’ils avaient commis une erreur, il est possible de remarquer que les sentiments ou émotions exprimés, ressemblent fortement à ceux ressenti, pendant le vécu de l’erreur. Force est de constater pourtant quelques nuances. Avant d’entrer dans une analyse plus approfondie, il semble judicieux de remarquer que le tableau ci-dessus n’est pas exclusif. En effet, un enseignant peut très bien s’être senti triste, déçu et coupable en même temps. C’est pourquoi la somme des différents totaux dépasse le nombre de 18 enseignants interviewés.

Pour en revenir aux nuances, les enseignants, après avoir pris conscience de leur erreur, ne sont plus fâchés après les parents, les élèves ou les collègues, mais fâchés contre eux-mêmes. Quatre enseignants disent également ressentir un mal-être, se sentir malheureux pour la tierce personne ou pour eux-mêmes. Un sentiment de gêne ou de malaise est exprimé par 5 enseignants. L’ens4 dit même avoir ressenti « de la honte, avec un grand H ». Ce sentiment de gêne est sensiblement plus présent chez les femmes que chez les hommes, puisque le score monte à 4 contre 1. Cependant, une fois encore, le chiffre n’est pas assez élevé pour pouvoir énoncer une tendance.

Un seul enseignant, débutant, dit s’être senti coupable. Il est intéressant de remarquer que seuls 3 enseignants pensent aux conséquences que l’erreur aura sur eux, pendant que le reste des enseignants se focalisent sur la tierce personne, la personne blessée, humiliée et incomprise. Le faible score ne permet pas de remarquer une certaine corrélation dans l’échantillon. Cependant, nous pouvons imaginer qu’avec un échantillon agrandit, une quantité majoritaire d’enseignants femmes ou hommes, débutants, craindraient, peut-être, plus facilement les conséquences. En effet, en entrant dans un métier, toutes les erreurs nous paraîtraient graves et approximativement de même niveau, alors qu’après quelques années il serait possible d’en juger les conséquences avec une précision plus fine, grâce à une expérience plus soutenue. Un enseignant chevronné serait ainsi plus apte à prendre du recul face aux conséquences d’une petite erreur qu’un enseignant débutant ?

Sur un autre plan, 3 enseignants disent n’avoir ressenti aucune émotion particulière. L’une conçoit son erreur comme « un processus positif qui amène à autre chose ». Les deux autres (2 hommes) paraissent plus pragmatiques en mentionnant : «pas d’émotions, je me demandais ce que je pouvais faire pour rattraper mon erreur », « pas d’émotions mais une réflexion pour la prochaine fois : la prochaine fois je m’informerai ».

Une fois encore la taille de l’échantillon ne permet pas de remarquer un lien important, cependant sur les 3 enseignants mentionnant n’avoir ressenti aucune émotion, 3 sont des hommes.

Et comme mentionné, sur les 3 enseignants voyant leur erreur comme un processus pour faire mieux ensuite, 2 sont des hommes. Si l’échantillon était plus important, permettrait-il de confirmer que les hommes ont tendance à plus s’arrêter aux faits, à l’essentiel et à aller de l’avant, alors que les

femmes nécessitent un détour par une extériorisation d’émotions ? Peut-être. Cela rejoindrait les propos de Gray (2002, p.68) qui mentionne que « tout comme l’homme tire satisfaction de l’élaboration d’une solution parfaite jusque dans ses moindres détails, la femme s’épanouit en relatant ses soucis avec une précision quasi chirurgicale. ». Cet auteur explique également que l’homme se confie dans le but de recevoir des propositions de solutions alors que la femme, elle, le fait avant tout pour se soulager, pour extérioriser. Cela rejoindrait les données récoltées, cependant il est important de souligner le fait que les enseignantes femmes interviewées, se sont confiées à des collègues, non seulement pour se soulager, mais également et surtout pour recevoir des conseils.

Afin de répondre synthétiquement à notre question de quant au ressenti des enseignant, en voici les données les plus marquantes. La majorité des enseignants a eu des sentiments distincts mais pour la plupart « négatifs » tels qu’un sentiment de malaise ou de gêne. Trois enseignants ont toutefois ressenti des émotions positives en voyant leur erreur comme un processus positif les aidant à s’améliorer.

Au niveau toujours émotionnel, il a paru important de questionner les enseignants quant au degré de ces ressentis et plus particulièrement au sujet de leur sentiment de compétence. En effet, leur erreur a-t-elle été telle qu’ils se sentent incompétent ? Afin que les enseignants répondent à cela, une question directe à ce sujet leur a été posée. Le tableau n°35 résume les propos des enseignants et les résultats obtenus.

Tableau 35 : Sentiment de compétence

FD FC HD HC Total

Sentiment d’incompétence 1 1 1 0 3

Pas de sentiment d’incompétence 3 4 4 4 15

Remise en question (sans aller jusqu’au sentiment

d’incompétence) 2 1 0 0 3

Pas de remise en question 0 0 0 1 1

Dans ce tableau qui est lui aussi non exclusif, la grande majorité des enseignants (15 sur 18) dit ne pas s’être sentie incompétente. Seulement 3 d’entre eux, des femmes, mentionnent s’être remises en question mais pas au point de se sentir incompétentes et 1 seul dit clairement ne pas s’être remis en cause. Pour tous les autres, (14 enseignants), le fait qu’ils n’aient pas fait mention d’une remise en question ne sous-entend pas qu’il n’y en ait pas eu.

Au sujet des 4 enseignants mentionnant s’être sentis incompétents, ils relativisent ce sentiment d’incompétence en expliquant que celui-ci est dû à une grande sensibilité de l’enseignant, ou encore qu’il a été allégé grâce aux collègues ou à une discussion avec le directeur. Ces précisions, amenant à comprendre que le sentiment d’incompétence n’a pas perduré dans le temps, proviennent-elles d’un besoin de justification chez ces 3 enseignants ? Justifier que s’il y a eu sentiment d’incompétence, il n’est pas resté longtemps, puisque l’enseignant n’est pas incompétent ? Le fait de nommer une tierce personne, soit les collègues ou le directeur, ne permet-il

pas de se rassurer soi-même sur sa propre compétence, en effaçant progressivement ce sentiment d’incompétence ?

Toujours dans ce besoin d’approfondir ou de se justifier, les enseignants mentionnant n’avoir ressenti aucun sentiment d’incompétence, ne répondent pas uniquement « non » à la question

« Vous êtes-vous remis en question au point de vous sentir incompétent ? », mais développent leurs réponses et justifient leur position par des propos du type : « Non pas pour ça, mais c’est arrivé pour d’autres choses », « Non parce que je suis un être humain », « Tu penses toujours aux autres élèves et parents avec qui ça va bien, alors je ne me suis pas sentie incompétente », « Non parce que je n’ai pas commis de faute, mais plutôt une maladresse », « Non parce que reconnaître de suite son erreur c’est une compétence ». Un seul enseignant sur 18, l’ens16, a répondu à la question de manière très brève : « Absolument pas ». Ces réponses donnent au manque de sentiment d’incompétence un aspect négatif. Les enseignants ont-ils peur de paraître prétentieux ? Par ailleurs, la nuance entre remise en question et sentiment d’incompétence est très subtile étant donné que lorsque nous ne nous remettons en question professionnellement parlant, c’est souvent au sujet de compétences.

Dans un métier qui « prône » la remise en question, n’est-il pas mal vu de ne pas se sentir incompétent à un moment ou un autre ? En retournant la problématique, ne risque-t-il pas d’être mal vu de toujours se sentir compétent ? Cela expliquerait peut-être ces réponses d’enseignants, étoffées. Pourtant, comme nous l’avions mentionné dans le cadrage théorique, un enseignant construit ses compétences par un aller-retour entre essais et erreurs. Il devra donc « tâter » la situation plusieurs fois pour développer une solution, la bonne issue et dompter « l’incertitude » à laquelle il est en proie. Sous cet angle, le sentiment d’incompétence ne devrait-il donc pas être un levier à une réflexion et ainsi être vu de manière plus positive ? Au sujet des doutes de l’enseignant, Perréard Vité (2003) mentionne que l’incertitude fait partie inhérente de la profession et que c’est clairement ce qui peut déstabiliser un enseignant. Est-ce cela qui peut porter un enseignant à ne pas exprimer souvent ses sentiments tels que l’incompétence ? Est-ce se mettre trop à nu ?

Retenons toutefois, que pour la plupart des enseignants (15 enseignants), le sentiment d’incompétence n’a pas été un ressenti lors de l’erreur ou après. La prise de recul et la volonté de réguler sa pratique leur a permis de ne pas se remettre en question à l’échelle de leurs compétences Comme il avait été mentionné par 3 enseignants, l’erreur a été vue comme formatrice et comme un moyen supplémentaire pour développer de nouveaux gestes, de nouvelles compétences et ainsi s’améliorer professionnellement.