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Dans ce sous-chapitre, il sera question du rôle de la formation initiale dans la construction de l’identité professionnelle, notamment par le développement des compétences dont la pratique réflexive.

Selon Perrenoud (1994, p.12) la formation professionnelle des enseignants doit être pensée

« comme curriculum, comme source d’identité, de compétences et d’attitudes professionnelles plutôt que comme dispositif de sélection et de socialisation des futurs enseignants. ». Toujours selon le même auteur (1994, p.63) :

Certains pensent que la pédagogie n’existe pas, qu’il suffit pour enseigner de maîtriser les savoirs à transmettre. D’autres, sans dénier toute importance à la méthode, en font une affaire de don ou de personnalité. D’autres encore, qui admettent que la compétence didactique s’acquiert, pensent que la formation est de peu de poids en regard de l’expérience personnelle, de l’apprentissage « sur le tas ».

Sans professer le même scepticisme quant aux vertus supposées de la formation des maîtres, je me garderai des tentations de la pensée magique. La formation des enseignants ne peut influencer leurs pratiques qu’à certaines conditions et dans certaines limites.

Mais quelles sont ces conditions ? Quelles sont ces limites ? Qu’est-ce qui peut garantir que la formation soit acceptée, respectée puis intégrée ? Perrenoud (1994, p.71) mentionne :

Suffit-il d’avoir une bonne formation pour bien enseigner ? On sait bien que non. Il faut encore : 1) Que la formation prépare non seulement à suivre des idéaux, mais à les conserver face aux contraintes concrètes de la pratique ;

2) Que la formation, en tant que message prescriptif, ne soit pas constamment démentie par les autres messages que reçoivent les enseignants ;

3) Que le fonctionnement du système scolaire soit tel que les enseignants aient un intérêt personnel à mettre en œuvre la formation reçue.

Par ailleurs, il peut survenir qu’il y ait contradiction entre ce qui est enseigné et prescrit par l’université et ce qui est effectué dans la réalité du terrain. Comment réagir à cela ? Comment se positionner face à cette contradiction ? Perrenoud (1994, p.74) mentionne quelques propos à ce sujet qui est souvent source de questionnement et confusion :

Il faut bien constater que les attentes et les messages adressés aux enseignants sont souvent contradictoires. Ainsi, un enseignant qui, pour suivre les conseils de formateurs éclairés, ouvre largement sa classe aux parents, risque de se faire « taper sur les doigts » au premier incident ; comme s’il pouvait y avoir ouverture sans incident, comme si la participation des parents à la vie de l’école ou de la classe n’était admissible que si elle ne dérange rien ni personne.

Une formation moderne encourage les maîtres primaires à développer l’autonomie chez leurs élèves, à ne recourir aux mesures disciplinaires que dans des cas extrêmes, à faire confiance. Mais que dire aux parents qui vous accusent de laxisme ? Que dire aux collègues qui se plaignent du bruit provenant de votre classe ? (…) Une politique de la formation, pour être conséquente, doit prendre en compte l’ensemble des messages que reçoivent les enseignants.

Le même auteur fait remarquer que la formation perd de sa crédibilité, lorsque l’enseignant prend conscience que sa fidélité à celle-ci lui attire des ennuis, notamment en le plaçant dans des situations difficiles à gérer. L’enseignant serait ainsi constamment tiraillé entre une pratique au plus rapprochant de sa formation et une pratique répondant au mieux à la réalité du terrain, l’idéal se situant certainement dans un juste milieu entre ces deux axes.

Au sujet de la pratique réflexive comme participante à l’autoformation de l’enseignant, Perrenoud (1999, p.188) énonce que « si les enseignants ont intérêt à savoir analyser et expliciter leurs pratiques, ce n’est pas d’abord pour tenir leur rôle dans les dispositifs de formation continue.

Cette compétence est en réalité la base d’une autoformation ». Il ajoute qu’il ne suffit pas d’aller suivre des cours pour se former, mais qu’il faut être ouvert à « apprendre, changer à partir de diverses démarches personnelles et collectives d’autoformation». Il conclut en mettant en avant le mécanisme fondamental d’une pratique réflexive. Elle serait donc travaillée et exercée au cours de la formation. Cependant, il ne s’agit pas là d’un savoir qui s’acquiert une bonne fois en tout et pour tout. L’enseignant, dans son quotidien apprend à faire évoluer sa pratique réflexive, à l’affiner et l’approfondir. Mais étant donné la grande part d’identité personnelle (dont il a déjà été fait mention dans ce chapitre) présente dans le professionnalisme de chacun, comment s’assurer que tous les enseignants intègrent la pratique réflexive dans leur quotidien ? Perrenoud (1994, p.214) répond à cela en soulignant le fait que :

La formation initiale a dans ce domaine un rôle décisif. La réflexion sur la pratique ne peut devenir un mode permanent d’existence professionnelle que si elle est le mode dominant de construction des compétences en formation initiale.

Cet auteur fait donc partie de ceux qui voient en la présence d’une formation à la pratique réflexive, dès le début du cursus, une nécessité. Mais comment enseigner la pratique réflexive ? Par quelles portes entrer ? Comment inciter une personne à réfléchir avant, pendant et après l’action ? Comment guider une personne dans la réflexion sur sa pratique, sachant que celle-ci n’est pas encore placée dans la réalité du terrain ? Selon Perrenoud (1994, p.83) :

Il serait vain de munir les enseignants en formation d’une longue liste d’incidents ou d’événements possibles, assortis chacun d’une réaction conseillée. Aucune liste ne peut être exhaustive (…). La seule façon défendable de former les maîtres à agir efficacement dans de telles circonstances, c’est de les y placer régulièrement durant leurs études, puis d’analyser avec eux ce qui s’est passé, ce qu’ils ont pensé, ressenti, tenté. Non pas pour les juger, souligner l’écart avec « ce qu’il aurait fallu faire ». Mais pour les aider à analyser leur propre fonctionnement, à maîtriser peu à peu leurs impulsions, les émotions excessives, leurs allergies à certaines attitudes des élèves, leur indifférence à certains signes, leur cécité face à certains mécanismes.

Il précise donc que l’idée d’analyser des situations vécues avec les élèves, n’est pas pour leur montrer ce qu’ils ont fait faux, ou ce qui aurait été mieux de faire, mais plutôt pour les « aider à analyser leur propre fonctionnement ». La pratique réflexive confirme donc son rôle formateur, qu’elle s’effectue seule ou avec des pairs. Déjà à l’époque, Lapauw (1969, p.64), éducateur, se questionnait sur le rôle de la formation, et plus particulièrement sur l’efficacité de la démarche d’analyser à plusieurs, la pratique d’une personne. Le métier d’éducateur n’est certes pas identique à celui d’enseignant, seulement certaines similitudes existent, notamment l’exercice nécessaire et bénéfique de la pratique réflexive. Lapauw (1969, p.171) explique comment une séance de formation au sujet de la pratique réflexive, l’intéressait fortement mais qu’il ne voyait pas comment l’appliquer par la suite :

Là encore, notre participation active était très réduite. Elle pourrait se résumer, en cette sorte de complicité qui nous liait au professeur. Pendant que se déroulait le film des histoires vécues, chacun pour soi revivait le film de son année de stage, ses angoisses, ses difficultés, ses déceptions, mais notre participation s’arrêtait là. Nous avions trouvé quelques « trucs » face à certaines situations, nous pourrions désormais réagir de façon constante. Mais, hélas ! Devant les situations nouvelles, nous devions à nouveau nous trouver incertains et désemparés. Tout de même, un ensemble de faits avaient été étudiés, un bon nombre de conduites éducatives passées en revue.

Mais le point d’interrogation le plus important restait posé. Comment intégrer tout cela ? Comment le vivre ? Comment « être » ? Ce « savoir être », qui aujourd’hui me paraît un besoin essentiel.

Il est donc très enrichissant et formateur de réfléchir sur la pratique des pairs, mais cela n’est pas pour autant un gage de réussite pour être à la hauteur dans une situation similaire. Toujours dans une logique de formation, Rosenberg (2006, p.12) s’intéresse aux effets dévastateurs de l’absence ou le manque de pratique réflexive dans la manière dont les enseignants interagissent avec les élèves. Il s’intéresse plus particulièrement à la communication non violente (CNV). Voici un extrait de son livre et précisons d’ores et déjà (afin que l’extrait que nous présentons soit compréhensible) qu’il utilise une métaphore quelque peu originale. En effet, il distingue deux types de langages d’enseignants ; celui utilisé par des enseignants qui s’adressent à leurs élèves avec un souci de bienveillance, qui se situent au même niveau d’importance qu’eux et qui réfléchissent régulièrement

à leur actes, qu’il nomme : le langage girafe. Et celui utilisé par des enseignants qui se sentent jugés par les élèves et voient en eux des êtres susceptibles de les mettre en échecs, qu’il nomme : le langage chacal.

Permettez-moi de vous donner une idée de ce à quoi ressemble le langage chacal d’un enseignant.

Imaginons que vous êtes mes élèves et moi votre enseignant. J’observe l’un d’entre vous en train de faire quelque chose qui n’est pas en accord avec mes valeurs. Je vous vois assis sur votre chaise et, au lieu de travailler comme je l’ai demandé à la classe, vous êtes en train de me dessiner, avec un couteau planté dans le dos et du sang giclant partout.

Comment vais-je vous évaluer si je suis un enseignant parlant le langage chacal ? C’est évident : vous êtes perturbé sur le plan émotionnel. C’est ainsi qu’une personne parlant chacal est entraînée à penser.

Lorsqu’elle vit un conflit, son esprit cherche à déterminer ce qui ne va pas chez celui dont le comportement est en antagonisme avec ses valeurs. Ou encore, imaginons que vous ne comprenez pas ce que je viens de dire. « Vous êtes lent à apprendre ». Et si vous dites quelque chose que je ne comprends pas ? « Vous êtes grossier et asocial ».

Je parle tellement vite que vous n’arrivez pas à me suivre ? « Vous avez un problème d’ouïe ». Vous parlez tellement vite que je ne peux pas vous suivre ? « Vous avez un problème d’articulation ». Je vais illustrer par une analogie ce qui se passe dans les écoles chacal : vous êtes un vendeur de voitures et vous ne vendez pas de voiture ? Et bien, vous virez les clients.

Il semble difficile de savoir s’il existe des écoles de type « chacal » ou de type « girafe ». A vrai dire, cela peut même sembler un peu caricatural. Par contre, il est tout à fait imaginable qu’un manque de remise en question excessif puisse amener un enseignant à inculper ses élèves de tout ce qui ne fonctionne pas. Il s’agirait là d’une solution aussi facile que dangereuse qui pourrait être évitée par la démarche de la pratique réflexive.

Pour en revenir à la formation, Doudin et Martin (1992, p.36) vantent les mérites d’une formation de type clinique. Selon eux, cette dernière permettrait « aux enseignants de réfléchir sur ce qu’ils font ». Il semble nécessaire de développer plus en détail l’idée qu’une initiation à la recherche et plus généralement une formation clinique puissent être des moyens de formation des maîtres, particulièrement quant à la démarche de pratique réflexive. En effet, comme le dit Perrenoud (1994, p.2) :

Une initiation à la recherche en formation initiale peut se justifier de trois façons complémentaires ; 1. Comme mode d’appropriation active de connaissances de base en sciences humaines,

2. Comme préparation à utiliser les résultats de la recherche en éducation ou à participer à son développement, tout au long de la carrière,

3. Comme paradigme transposable dans le cadre d’une pratique réfléchie.

Tous les moyens évoqués ci-dessus ont un point commun qui est de stimuler la réflexion sur la pratique. En procédant ainsi, on privilégie « une formation de type clinique, autrement dit fondée sur l’articulation entre pratique et réflexion sur la pratique » (Huberman et Perrenoud, 1987, p.2). On retrouve ici une des facettes du modèle métacognitif : la réflexion sur son propre fonctionnement.

Plus spécifiquement, Perrenoud (1994, p.139) retient de l’approche clinique le fait qu’elle offre un modèle de fonctionnement intellectuel. « Le clinicien » est celui qui devant une situation

problématique complexe, a l’habitude et les moyens théoriques et pratiques : « a) de prendre la mesure de la situation ; b) d’imaginer une intervention supposée efficace ; c) de la mettre en œuvre ; d) d’évaluer son efficacité apparente ; e) de rectifier le tir ». Traduit en termes métacognitifs, l’enseignant-clinicien doit être capable d’analyser la situation, de planifier ses actions, de les appliquer, d’évaluer les stratégies mises en œuvre et, si nécessaire, de les corriger. On ne peut qu’être frappé par la convergence entre le point de vue d’Huberman et Perrenoud et les caractéristiques d’un fonctionnement métacognitif optimal.

La formation LME est également pourvue de démarches cliniques, notamment sur le plan des séminaires cliniques d’accompagnement. En effet, comme le mentionnent Perréard Vité et Leutenegger (2007, p. 123) ces séminaires :

offrent aux étudiants un lieu de formation complémentaire aux UF compactes. Proposés dans trois domaines (éthique, analyse de la pratique et de l’expérience, développement personnel, les SCA (Séminaires cliniques d’accompagnement) offrent l’occasion aux étudiants de regards particuliers sur la profession au travers de diverses démarches cliniques.

L’analyse de la pratique a en effet toute sa place dans la formation LME. Perréard Vité et Leutenegger (2007, p. 126) font référence à l’importance de la pratique réflexive soulevée par de nombreuses recherches :

Par référence à ces études, la formation des enseignants préconise, sous différentes formes, une analyse de la pratique professionnelle. C’est le cas des futurs enseignants genevois qui, grâce à des UF d’un semestre, analysent la pratique d’enseignants chevronnés et non leur pratique naissante. (…).

L’action est provisoirement suspendue au profit d’un travail d’observation et d’analyse.

L’importance de cette place réservée à la pratique réflexive, justifie l’aspect suivant de la formation LME, soulevé par Perréard Vité et Leutenneger (2007). Elles expliquent que les étudiants en LME sont toujours dans un rapport de formation que ce soit lors des cours/modules universitaires que lorsqu’ils se trouvent sur le terrain, dans les écoles. En effet, l’alternance de la théorie et de la pratique trouve son cœur notamment dans cette logique de progression et de formation par le biais par exemple des analyses que l’étudiant doit mener. En outre, ce dernier est actif tant au niveau de ses actes que de son esprit par le dispositif qui lui est proposé et rejoignant ainsi ce que Perrenoud (1994) expose quant à l’approche clinique.

Des lieux sont ainsi pensés, en termes de formation, pour inciter et habituer les futurs enseignants à réfléchir sur la pratique d’autres enseignants dans un premier temps, pour ensuite réfléchir à leur propre pratique.

« L’expérience est le nom que chacun donne à ses erreurs. » Par Oscar Wilde. Extrait de L’éventail de Lady Windermere