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Dans ce sous-chapitre, un point non moins essentiel que le précédent sera traité d’autant plus qu’il y est rattaché, il s’agit de l’identité et plus spécifiquement de l’identité professionnelle. Il est difficile de mentionner l’identité professionnelle, sans passer par l’identité personnelle. Ce sous-chapitre tentera d’effectuer une distinction, même si celle-ci se veut subtile, entre ces deux notions, ainsi que de comprendre dans quelle mesure l’une s’imbrique dans l’autre.

L’existence de ces deux identités est notamment confirmée par Cifali (2008). Selon elle, l’identité personnelle concentre tout ce qui est propre à notre personne comme nos noms, prénoms et tout ce qui a trait à nos appartenances. Il s’agit d’une identité propre mais où il peut y avoir de multiples origines. L’identité professionnelle, quant à elle, a trait au métier de la personne et lui apporte une crédibilité supplémentaire dans ses choix, décisions et gestes, puisqu’elle prend appui sur des règlements, des lois et/ou des cahiers des charges par exemple. Lipiansky (1990, p.34), lui, approfondit le terme générique « identité » et relève son caractère complexe:

Elle *l’identité+ apparaît à l’examen beaucoup plus complexe, voire contradictoire ; le champ sémantique du terme reflète déjà cette complexité en présentant deux significations pratiquement opposées. D’une part, il s’agit du caractère de ce qui est identique, c’est-à-dire des êtres ou objets parfaitement semblables tout en restant distincts ; dans ce cas, l’identité est donc le fait d’être semblable à d’autres.

D’autres part, elle est le caractère de ce qui est unique et donc qui se distingue et se différencie irréductiblement des autres.

Malgré la complexité de ce terme, certaines définitions de l’identité se regroupent et partent d’un même point de départ, soit de sa caractéristique polysémique. De Gaulejac (2002, p.78) ajoute que :

Selon les définitions par le Petit Robert, il (le terme « identité ») évoque la similitude, « caractère de ce qui est identique », l’unité « caractère de ce qui est UN », la permanence, « caractère de ce qui reste identique à soi-même », la reconnaissance et l’individualisation, « le fait pour une personne d’être tel individu et de pouvoir également être reconnu pour tel sans nulle confusion grâce aux éléments qui l’individualisent. »

Ainsi, chaque individu aurait sa propre identité ? Mais ne devrions-nous pas attendre que tous les enseignants aient la même identité professionnelle, afin d’éviter des inégalités face aux élèves ? La réponse est simple : impossible. Puisque l’identité professionnelle est aussi et forcément tributaire de l’identité propre. A ce sujet, Perrenoud (1999, p.15) relate l’impossibilité de neutralité totale dans ce métier : « il n’y a guère de façon neutre de faire ce travail (le métier d’enseignant), parce que l’identification même des compétences suppose des options théoriques et idéologiques, donc un certain arbitraire dans la représentation du métier et de ses facettes ». A cela, Auger et Boucharlat (2006, p.37) ajoutent «la relation d’un enseignant à ses élèves n’est pas neutre, elle est influencée par ses représentations ». Perrenoud (1999, p.27) mentionne également, en se référant à la manière dont les enseignants gèrent les conflits et les crises « chacun aborde un conflit avec sa propre identité, qui relève de son développement personnel, donc de son histoire de vie autant que de sa formation. » Il fait donc ainsi ressortir la notion d’identité et de passé de l’enseignant. Deux enseignants ne seront donc jamais identiques, de par leur passé différent, leurs représentations différentes du métier, des relations humaines, de la gestion des conflits, ainsi que de par leurs choix différents de lectures et théories avant, pendant et après leur formation. Cette réalité quant à la différence d’être des enseignants implique forcément une diversité dans l’« agir » de ces derniers. A ce sujet, Girardin (1979) confirme que l’identité personnelle fait partie intégrante de l’enseignement dispensé aux élèves. Bien sûr, l’enseignant a l’obligation de connaître les savoirs à « transmettre », mais il les enseigne avant tout avec sa personne et avec ce qu’il est. Les mots sortent de sa bouche, la tolérance au bruit fait partie intégrante de l’expérience qu’il a, tant de son vécu en tant qu’élève, que de ses bonnes et/ou mauvaises expériences en tant qu’enseignant, mais notamment de son éducation et de ses convictions. Tout cela fera que l’enseignant jugera ou non le bruit tolérable.

L’influence de l’identité personnelle de l’enseignant sur ses agissements professionnels, est sans aucun doute naturelle et logique. Un enseignant ne peut oublier qui il est et ce qu’il est, dès qu’il entre dans sa classe. Cependant, cette influence peut parfois être trop importante et nuire à l’objectivité de l’enseignant. En effet, comme l’expliquent Auger et Boucharlat (2006, p.98):

L’enseignant s’identifie le plus souvent aux élèves qui réussissent (puisqu’il a été lui-même en général un bon élève) et issus d’un milieu socioculturel voisin du sien. Quand l’écart est trop grand entre l’élève et lui, l’identification est difficile, et cela peut entraîner des réactions d’incompréhension, voire de rejet.

Si au contraire, un enseignant a vécu au cours de sa scolarité une période d’échec ou de refus scolaire, il comprendra mieux, par identification, les réactions des élèves en difficulté. Par ailleurs, la relation qu’un enseignant entretient avec un élève peut réactiver sa propre enfance et les conflits infantiles que

l’enseignant a connus avec ses parents ou éducateurs (…) : « Mme X professeur d’anglais (…) ne supporte pas l’attitude de Valérie. Elle l’exclut du cours car, dit-elle, « elle est avachie, tient des propos grossiers et a un comportement vulgaire ». Mme X (…) a pu prendre conscience du lien existant entre sa réaction violente face à cette élève et sa propre éducation très rigide où ses parents, qu’elle vouvoyait, ne toléraient pas le moindre écart.

Tout enseignant est amené à côtoyer des élèves avec lesquels une identification semblerait difficile voire impossible, de par des origines, des caractères, des attitudes et/ou des vécus profondément différents. Cette impossibilité d’identification, pourrait donc, comme le disent Auger et Boucharlat (2006) amener l’enseignant à avoir des attitudes néfastes, telles que de rejet. Par ailleurs, le passé de l’enseignant n’est pas le seul à influencer son identité professionnelle. En effet, tout ce qu’il vit au présent, ses réussites, ses échecs mais aussi ses bonheurs et ses tristesses, influencent sa pratique au quotidien. A ce sujet, Huberman (1989, p.255) a effectué une recherche comprenant le recueil de divers témoignages sur les débuts dans l’enseignement et explique :

Tous ces témoignages illustrent le malaise du jeune enseignant qui ne sait plus qui être. Il vit des conflits de rôles entre ses différents statuts de jeune, d’adulte, de grand frère, de copain, de père, d’adulte, d’ancien écolier, d’étudiant, de prof., la liste n’est pas exhaustive. Ces difficultés sont aggravées par d’autres facteurs : inexpérience dans la gestion des phénomènes de groupes, événements de la vie privée (mariage, divorce, maternité, déménagement), problèmes psychologiques (angoisse, timidité, etc.).

L’auteur aborde donc ici les évènements de la vie privée en expliquant notamment qu’un moment de vie plus fragile pourrait expliquer certains épisodes problématiques surgissant dans la vie professionnelle de l’enseignant. Boutin (1999, p.27) cite à ce sujet Philipps qui émet que l’identité professionnelle est intimement liée au « soi » par le fait que celui-ci est investi dans l’activité professionnelle. Une fois encore, un lien entre les gestes du professionnel et sa personne est présent.

Il existe donc une forme d’indissociabilité entre ce que l’enseignant est et ce qu’il mène au quotidien dans sa profession et inversement entre ce qu’il fait et ce qu’il devient par son évolution et son développement.

Pour en revenir aux situations complexes, propres aux pratiques et aux problèmes professionnels, Perrenoud (1999, p.126) évoque une collaboration entre professionnels pour affronter et analyser ensemble ces situations. Selon lui, les « équipiers » doivent coopérer et réfléchir sur leur pratique en prenant le temps de discuter entre eux de ce qu’ils prévoient, pensent, ressentent ou vivent et ne pas céder à la tentation d’une « fuite en avant dans l’activisme » pour préparer par exemple, fêtes, spectacles, ventes de pâtisseries ou autres évènements urgents mais bien moins importants. Suite à ces propos, Cifali (1994, p.255) ajoute concernant l’identité ou plutôt cette recherche d’identité que :

Le métier d’enseignant est traversé par des themata obsessionnels, c’est-à-dire par des conflits qui ne cessent de se répéter. Pour les repérer, rien de mieux que de considérer la succession des batailles théoriques, comprendre ce qui les unit ou différencie ; entendre les propos qui ne cessent de revenir à quelques années de distance. Nous frémissons parfois, c’est comme si tout était voué à un éternel

recommencement, certes en un langage différent, mais qui, dans le fond, atteste d’une identité obsédante.

Biémar (2009, p.31), quant à elle, revient sur cette construction identitaire par le biais des trois axes suivants:

- L’identité est une construction de sens d’un individu en fonction de son projet, de son contexte, des relations établies au cours de son histoire, etc. Il ‘agit d’un sens perçu, donné par chacun à propos de lui-même.

- L’identité est plurielle : elle implique différents acteurs dans différents contextes, qui apportent chacun leur lecture de l’identité (la leur ou celle des autres).

- L’identité se transforme au fur et à mesure des situations.

Il s’agit donc bien là d’un processus, d’une construction et non d’un état statique. En effet, identité privée influe sur l’identité professionnelle et inversement. Le développement constant amène à parfaire, à mouvoir, à transformer les représentations construites au fil du temps et par les expériences auxquelles l’être humain fait face. Gohier et al., (2001, p.9) amènent d’ailleurs la définition suivante : « on peut caractériser le processus de constitution et de transformation de l’identité professionnelle de l’enseignant, comme un processus dynamique et interactif de construction d’une représentation de soi en tant qu’enseignant. »