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De l’idéologie communautaire à la bureaucratie fédérale Ce deuxième état qui, pour Callède correspond à l’âge d’or du sport

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Chapitre 3. Essai de détermination d’un modèle de cycle de vie des organisations sportives fédérales

3. De l’idéologie communautaire à la bureaucratie fédérale Ce deuxième état qui, pour Callède correspond à l’âge d’or du sport

moderne137, est une période où la pratique sportive connaît un succès grandissant à Paris et dans les autres grandes villes de province (Bordeaux, Lyon, Le Havre, Rouen, etc.). La période qui s’ouvre est marquée par l’apparition des premiers groupements d’associations.

Ceux-ci correspondent à un besoin pour le mouvement sportif naissant de se fédérer. Les grandes unions et fédérations apparaissent, qu’elles soient civiles, scolaires, religieuses ou encore travaillistes. Dans cette phase de construction nationale des sports, Clément138 y voit surtout une opposition idéologique entre trois courants dominants, celui religieux porté par la FGSPF (Fédération Gymnastique et sportive des Patronages de France créée en 1898), celui laïc et républicain représenté notamment par l’USGF (Union des Sociétés de Gymnastiques Françaises créée en 1873) et le courant plus aristocratique anglais incarné par l’USFSA (Union des Sociétés Françaises de Sports Athlétiques fondée en 1887). Cette dernière notamment, dont le rôle dans le développement institutionnel du sport sera important, se donne pour but « d’encourager et soutenir les efforts de toutes les sociétés de sports athlétiques (…) et de pourvoir à l’organisation des concours nationaux »139. Elle définit les règlements généraux relatifs aux compétitions qu’elle organise ou patronne140. Defrance note que cette institutionnalisation va conduire peu à peu à

« une monopolisation durable du pouvoir d’organiser des rencontres sportives »141. Cette monopolisation du pouvoir au sommet stratégique des organisations confédérales puis fédérales traduit la très forte centralisation des processus de décision. C’est pour Defrance, le début de la bureaucratisation142. Si en 1890, rapporte Léziart143, l’USFSA

137 Callède, 1988, p. 214.

138 Clément, 1994, p. 64.

139 Article premier des statuts de l’USFSA, annuaire de 1913, p. 149.

140 Article 101 partie sportive des règlements généraux de l’USFSA, annuaire de 1913, p. 161.

141 Defrance, op. cit., p. 82.

142 Defrance, op. cit., p. 82-83.

143 Léziart, op. cit., p. 89.

compte 3 sociétés adhérentes, elle en compte 50 en 1892, 350 en 1903. L’auteur rapporte que durant la saison sportive de 1904, une à deux sociétés se créent par jour. A l’aube du premier conflit mondial, le sport français est solidement implanté, l’Union rassemble alors 1 700 sociétés et 300 000 membres. Face aux sports dont le succès se confirme, l’Union va créer des commissions sportives chargées de les gérer. Ces commissions, à qui elle « délègue une partie de ses pouvoirs »144 ont pour mission d’établir des Codes sportifs pour chaque sport145. Les fonctions et les missions de ses membres se spécialisent. Au développement et à la spécialisation progressive des pratiques sportives correspond une spécialisation des commissions sportives. Ces dernières peu à peu vont revendiquer leur autonomie par rapport à l’USFSA qui va être confrontée à de très fortes tensions en son sein. Cette situation va conduire, note Chifflet, à « la création d’un système fédéral, caractérisé par l’autonomie de chaque fédération »146. Ce mouvement provoquera l’éclatement de l’USFSA en 1920147 qui, entrée dans sa phase de déclin, disparaîtra peu après, permettant le libre développement des fédérations sportives unisports.

Les années 1930 vont connaître une forte massification du sport au sens où il va se diffuser dans toutes les couches sociales de la population148. Les fédérations unisports vont se multiplier et répondre à « un souci naissant de performance »149. La fédération de football amorce ce processus en 1919, suivie par celle de rugby, d’athlétisme, des sports de glace et du tennis en 1920, de l’équitation et de la pelote basque l’année suivante150. La création de ces fédérations accentue la spécialisation des sports. Cette période est marquée aussi par la

144 Article 7 du règlement intérieur de l’USFSA.

145 L’USFSA va ainsi créer la Commission centrale de Lawn-Tennis instituée en 1888 qui sera présidée par Henry Wallet. Elle créera aussi celle de football ou encore de rugby.

146 Chifflet, 1990 p. 4 (non publié).

147 Elle prendra temporairement la forme d’une Union des Fédérations Françaises de Sports Athlétiques (UFFSA).

148 Ce qui n’empêche pas que certains sports soient surreprésentés par certaines classes sociales notamment les plus aisées, limitant l’ampleur de leur démocratisation.

149 Gasparini, op. cit., p. 14.

150 L’augmentation du nombre de fédérations aboutira à la création du Comité national des sports (CNS) en 1908, chargé de les représenter et de défendre leurs intérêts. La nécessité d’une reconnaissance olympique (le CIO fut créé en 1894) va conduire par ailleurs à la création du Comité olympique français (COF) en 1911 rassemblant l’ensemble des fédérations olympiques (leur fusion en 1972 fondera le Comité national olympique du sport français).

montée du professionnalisme et le développement d’un sport commercial151. Progressivement, les fédérations vont développer leur propre stratégie et parvenir, comme l’écrit Haumont, à faire de la forme associative des clubs sportifs, la « principale forme d’organisation du sport français »152. La structure interne des fédérations mais aussi des clubs connaît en même temps une évolution vers une spécialisation des rôles. Cette bureaucratisation naissante, au sens de Weber, traduit la prédominance des fonctions sur les individus, c’est le début de la hiérarchisation et de la reconnaissance de qualification (notamment pour enseigner) et cela annonce déjà les prémices de la professionnalisation des acteurs fédéraux.

Progressivement, les fédérations vont contenir les clubs dans un cadre réglementaire de plus en plus précis. Les dirigeants vont multiplier les dispositions contenues dans le règlement intérieur devenant de plus en plus rigide afin de limiter, comme l’explique Parlebas, les risques de désordre intérieur « par l’adoption d’un code unique»153. Les dirigeants ne sont plus nécessairement les grands leaders charismatiques des origines. Ils trouvent une légitimité certes basée sur l’acceptation de leur autorité traditionnelle (celle du bénévole dévoué et désintéressé) et charismatique (à travers l’élection d’anciens sportifs de haut niveau ou de personnalités emblématiques) mais aussi de type rationnel/légal à travers le cadre législatif mis en place par l’Etat au début du 20ème siècle (la loi 1901 relative au contrat d’association favorisera considérablement l’initiative associative et fédérale). Les dirigeants sont investis du pouvoir par le biais démocratique.

Les fédérations montent en puissance et prennent du volume, d’autant que les pouvoirs publics vont intervenir de plus en plus fortement dans le domaine sportif et donner au mouvement fédéral une prérogative de puissance publique. C’est en effet durant cette période que l’Etat

151 Notons que le caractère commercial de la pratique du sport est ancien puisqu’il remonte au siècle dernier (sociétés de thermalisme, de natation ou de gymnastique). Le sport professionnel est déjà connu depuis longtemps puisque les clubs anglais se professionnalisent dès 1888 en devenant des sociétés par action (il s’agit d’ailleurs du troisième temps fort relevé par Haumont (1987, p. 72) et alimentent dès le début du siècle le débat entre amateurisme et professionnalisme. Le développement des rémunérations des sportifs professionnels et des coûts de transfert des joueurs conduit la Fédération Française de Football à voter le principe du professionnalisme dès 1931. Le jeu à XIII suivra en 1931, le basket en 1980, le hockey sur glace, le handball et le volley-ball dans les années 1990.

152 Haumont, op. cit., p. 78.

153 Parlebas, 1993, p. 42.

intervient réellement dans l’organisation et la gestion du sport. Avec lui, l’institution fédérale entre dans une phase nouvelle, « indirect et lointain lors des débuts, ce contrôle des pouvoirs publics est devenu explicite depuis la loi de 1940 »154. Le sport devient peu à peu une affaire nationale. Les pouvoirs publics délèguent aux fédérations une mission de service public et leur confèrent une position monopolistique (ce qui justifie par la même un renforcement du contrôle de l’Etat et légitime son droit de regard). C’est la période des

« trente glorieuses » (1945 – 1975) et la phase des grandes nationalisations. Cette période d’expansion, écrit Laville, « apparaît au total comme une période faste pour les associations dans un système qui pousse au regroupement de celles-ci dans des fédérations nationales pour qu’elles puissent mieux faire valoir leurs positions dans une négociation centralisée »155. Peu à peu, la taille croissante des fédérations sportives156 va les faire entrer dans une logique bureaucratique dans la mesure où, comme le définit Slack157, cette bureaucratisation traduit la rationalisation de la vie sociale de l’organisation qui se rapproche du modèle administratif français. Pour Chelladurai, le sport en tant que microcosme de la société reflète et prend la forme organisationnelle dominante de la bureaucratie sociale158. Brohm décrit lui-aussi le système sportif comme un système bureaucratique dans la mesure où la bureaucratie sportive se caractérise par une répartition rationnelle du travail des individus dans le but d’organiser des compétitions et du spectacle. Le sport, écrit-il, est une bureaucratie organisée selon « une juxtaposition hiérarchique de juridictions et de responsabilités »159, de règles et de normes (au point que pour l’auteur, il se forme une homologie structurelle entre l’évolution du sport et celui du Droit). Il reprend les propos de Tröger pour qui le sport « recourt à des principes qui ont été adoptés depuis longtemps par d’autres groupements sociaux et cela jusqu’au développement de principes d’administration bureaucratique »160. C’est le passage du sport associatif fédéral de l’espace privé et fermé à celui d’un espace intermédiaire mi-privé mi-public. Selon les souhaits

154 Parlebas, 1999, p. 359.

155 Laville et Sainsaulieu, 1997, p. 276.

156 De 1949 à 1970, le nombre de licences délivrées par les fédérations sportives olympiques est multiplié par trois passant de 860 000 à plus de 2 250 000 licences. Et ce rythme va s’accélérer jusqu’aux années 85.

157 Slack, 2001, p. 302.

158 Chelladurai, 2001, p. 116.

159 Brohm, 1976, p. 52.

160 Tröger, 1965, p. 45-46.

du législateur de 1945, l’organisation sportive va créer ses propres administrations déconcentrées chargées de la représenter auprès des acteurs associatifs locaux. L’Etat se positionne peu à peu comme régulateur de son développement au nom de l’intérêt général. Alors que la fédération connaît un développement très important, elle a besoin d’étendre son appareil administratif. La forte centralisation des pouvoirs des fédérations et l’augmentation importante de leur taille vont conduire ces organisations à mettre en place des organes intermédiaires déconcentrés chargés de maintenir le lien entre le sommet et la base. Les ligues et les comités vont être ces relais indispensables chargés de représenter la fédération localement pour garantir l’application des règles définies par les dirigeants fédéraux.

En définitive, dans cet état 2 de l’évolution fédérale, la configuration fédérale prend la forme d’une configuration bureaucratique centralisée, où les tâches remplies par les membres se multiplient, où les fonctions des acteurs se spécialisent, où le recrutement de salariés de plus en plus qualifiés devient nécessaire, où enfin le sommet pyramidal exerce une force de centralisation en concentrant les prises de décisions et en se dotant d’un grand nombre d’unités ou divisions déconcentrées qui, chargées de le représenter, vont accentuer un peu plus la formalisation et la lourdeur de procédures administratives.

Comme le confirme Defrance, « le sport aurait été initialement auto-administré avant de donner naissance à des organisations formelles et permanentes dans lesquelles l’organe gestionnaire se différencie de l’ensemble des pratiquants ». Plus loin l’auteur rajoute : « la montée de l’organisation est ressentie comme une évolution inéluctable et regrettable vers la bureaucratie »161. Les rôles et les fonctions des membres se spécialisent et se distinguent fortement entre celles politiques, celles administratives et celles techniques : « Les fonctions de joueur, d’entraîneur et de dirigeant, précisent Haumont, qui pouvaient être exercées par un même individu dans les fondations initiales ont été dissociées par la technicité et par la bureaucratie »162. De ce fait, les distances entre les membres s’accroissent, leurs relations se formalisent et les procédures administratives s’intensifient163. Le contrôle de l’organisation par le sommet devient plus difficile. Les observations de Horch sur les clubs sportifs

161 Defrance, op. cit., p. 82.

162 Haumont, op. cit., p. 78.

163 Dans ses recherches sur la personnalité bureaucratique, Merton a montré que la multiplication des règles conduisait « à l’élimination complète des relations personnelles et des considérations irrationnelles » (Merton, 1953, p. 194).

allemands peuvent être les mêmes pour les fédérations sportives lorsqu’il constate que ces derniers connaissent une tendance à l’autonomisation qui se traduit par une distanciation entre le sommet de l’organisation et les membres de sa base, les dirigeants concentrant le pouvoir au sommet (c’est ce que l’auteur dénomme le processus d’oligarchisation) et les membres de la base tendant à agir comme des consommateurs. Les transformations dans les clubs allemands produisent également, rajoute l’auteur, un déplacement des buts. « On passe, explique-t-il, de la difficulté à mesurer concrètement les buts à une formalisation des objectifs telle que l’augmentation des adhérents ou la croissance du budget »164.

La gestion administrative et bureaucratique va conduire à la déconcentration des pouvoirs dans la mesure où les dirigeants du sommet stratégique ne peuvent tout gérer. Il s’ensuit un rôle de plus en plus important des instances intermédiaires chargées de répercuter à la base les décisions prises au sommet. Selon les théories de l’analyse stratégique, la principale force de ces corps intermédiaires est d’occuper une position clé de relais et de transmission des flux de communication. Leur pouvoir dit de l’aiguilleur165 devient particulièrement stratégique quand l’organisation se bureaucratise.

Dans le cas de l’organisation fédérale, il s’ensuit une augmentation considérable des pouvoirs des cadres intermédiaires, voire une tendance à leur autonomisation. Conforté par les statuts, c’est un fonctionnement de type bureaucratique oligarchique qui se met en place progressivement et qui peut conduire (comme nous le verrons) à pervertir le système démocratique dont se réclament pourtant ses dirigeants. Le pouvoir est peu à peu monopolisé par un nombre restreint de dirigeants. A l’origine très parisien, ce pouvoir va s’étendre à l’ensemble des dirigeants des régions qui vont assurer la pérennité de leur pouvoir, le procédé électoral facilitant au bout du compte ce « verrouillage du vote par l’exécutif »166 en privant le licencié de base d’un réel droit de parole. C’est en définitive un fonctionnement peu démocratique préférant la cooptation au suffrage universel qui permet d’asseoir autoritairement aux commandes de l’organisation fédérale une direction oligarchique. Dans sa définition

164 Horch, op. cit., p. 99. C’est d’ailleurs ce qu’explique Merton pour qui, la routinisation des tâches des agents tend à ce que ces derniers focalisent leur attention, non plus sur les buts de l’organisation, mais sur la conformité de leurs actions au regard de la règle : « l’adhésion aux règles, conçue à l’origine comme un moyen, devient une fin en soi » (Merton, 1953, p. 196).

165 Cf. Crozier et Friedberg, 1977.

166 La Lettre de l’Economie du Sport n° 513 du 9 février 2000.

de la loi d’airain de l’oligarchie, Michels écrit : « C’est une loi sociale inéluctable que dans tout organe de la collectivité, né de la division du travail, se crée dès qu’il est consolidé, un intérêt spécial, un intérêt qui existe en soi et pour soi »167. Le problème se pose dès lors que l’intérêt des dirigeants n’est plus convergent avec l’intérêt de ceux qui constituent la base de l’organisation. De déconcentrées, les composantes notamment régionales de la ligne hiérarchique vont devenir, à ce deuxième état avancé du cycle de vie fédéral, de plus en plus décentralisées et disposer de pouvoirs plus étendus non seulement dans la gestion des licences, des formations ou des examens mais aussi au niveau politique168. C’est, comme le relève Mintzberg, une

« décentralisation verticale limitée »169 au niveau régional qui peut conduire les cadres intermédiaires à vouloir limiter, par une force d’oligarchisation, leur dépendance du sommet stratégique (surtout si celui-ci subit un contrôle étatique trop pesant) tout en maintenant leur contrôle sur la base opérationnelle170. Il est possible de penser que, à l’occasion de crises graves, les cadres intermédiaires et notamment ceux des ligues régionales vont occuper une position de plus en plus stratégique. Comme le souligne Boulte, si on tend à opter pour une structure centralisée et hiérarchisée quand le « marché » est stable, « à l’inverse, une structure décentralisée réagira plus vite aux fluctuations d’un marché mouvant »171. L’instabilité croissante de l’environnement se mesurera notamment par la forte marchandisation du sport qui tendra de plus en plus à déstabiliser l’organisation fédérale bureaucratique et les pouvoirs en place.

4. De la bureaucratie associative à la bureaucratie professionnelle

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