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Amateurs et professionnels entre tradition et modernité : La bataille de l’Open

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Tableau n° 1 : Les cultures identitaires des dirigeants bénévoles de la FFE

Chapitre 1 : Histoire politique et institutionnelle de la fédération de tennis

2.2. Amateurs et professionnels entre tradition et modernité : La bataille de l’Open

Le débat amateur/professionnel déjà ancien trouve une nouvelle vitalité dans les années 60. A l’heure où quelques grands champions contribuent au rayonnement du tennis international, certains dirigeants du tennis vont engager une bataille difficile contre les défenseurs de l’amateurisme pour permettre aux sportifs de briller sur le devant de la scène. Leurs revendications vont conduire à une véritable révolution du tennis et marquer l’entrée de ce sport dans une ère nouvelle, celle du sport professionnel. Un homme, Philippe Chatrier va incarner cette révolution du tennis et devenir une figure déterminante qui marquera le monde du tennis. Sportif de haut niveau, journaliste, président de la fédération nationale puis internationale de tennis pendant plusieurs mandats consécutifs, il reste surtout l’homme qui a modernisé la structure fédérale française et l’a fait rentrer de plain-pied, avec les autres grandes nations sportives, dans l’ère de la professionnalisation.

Champion de France et champion de Paris en junior en 1945, il dispute de nombreuses fois des tournois nationaux et internationaux.

En 1951, il est même classé sixième français. C’est peu de temps après qu’il se détourne de sa brillante carrière sportive pour celle de journaliste. En 1953, il fonde une revue qui sera le fer de lance de sa campagne de rénovation du tennis fédéral. Cette revue s’appelle

« Tennis de France ». Pendant quinze années, ce mensuel sera son meilleur moyen pour contester la politique des fédérations nationale et internationale et notamment l’amateurisme dont ces deux fédérations se réclament. Entre amateurisme et professionnalisme, la bataille ne va pas tarder à s’engager.

Dès 1946, les Américains envisagent la mise en place des tournois

« open ». La Fédération Internationale de Lawn Tennis (FILT) classe sans suite le dossier, acceptant toutefois que les joueurs soient dédommagés pour leurs frais de participation aux tournois. De nouveau relancé en 1958, le principe de la professionnalisation des tournois est rejeté de justesse deux ans plus tard par la FILT par un petit écart de 5 voix. Consciente des compensations financières que touchent ses joueurs amateurs, ne pouvant nier ce système officieux, elle finit toutefois par prendre des mesures visant à enrayer le phénomène. Elle décide de plafonner le montant des frais de déplacements et des dépenses de séjours occasionnés par les joueurs à 5 000 francs. Elle demande à chaque fédération nationale de limiter strictement les remboursements accordés à ses joueurs pour qu’ils continuent à exercer une profession en dehors du tennis. Pour Philippe

Chatrier, ce n’est pas suffisant. Le problème reste posé et aucune avancée n’est faite. Il veut en finir avec cet amateurisme d’apparence en dénonçant « les dessous de table » et les « cachets »476 déguisés versés aux joueurs amateurs. Voulant « mettre un terme à la ridicule comédie amateurs-professionnels »477, il réclame l’ouverture des tournois et compétitions officiels à tous les joueurs qu’ils soient amateurs ou professionnels. Il continue à dénoncer un système qu’il juge obsolète à une époque où l’amateurisme, pour lui, ne signifie plus rien. Mais, malgré ses protestions relayées par les professionnels du tennis, rien ne peut changer la FILT qui s’obstine à refuser toute forme de professionnalisation qui nuirait à la tradition d’amateurisme sur laquelle s’est bâti le sport. Elle réagit avec plus de fermeté encore contre toute idée de tournois « open » qui ouvriraient leurs portes aux joueurs professionnels. Pour le journaliste de « Tennis de France », cette évolution est pourtant inévitable. Le sport se médiatise et les revenus s’accroissent. Le seul moyen de moderniser le tennis, c’est de remplacer les dirigeants actuels, en place depuis longtemps, par des hommes nouveaux. Il s’en prend à cette « génération de dirigeants aveugles, complètement dépassés et unis dans un entêtement tragique »478. Le débat s’engage et promet d’être long. Au début des années 60, les professionnels sont toujours interdits de participation dans les compétitions officielles de la fédération internationale.

Il faut attendre l’année 1967 pour que la situation se mette réellement à changer. L’homme qui va déclencher « une véritable révolution »479 s’appelle alors Herman David. Il est le président du célèbre « All England and Croquet Club » de Wimbledon. Ce lieu mythique, berceau du tennis de compétition, va être « à l’origine d’une révolution dans les mentalités du monde tennistique » notent Chombart et Thomas480. Déclarant vouloir en finir avec le débat amateur/professionnel qui nuit à son sport, David annonce au mois de mars 1967 son intention d’ouvrir le tournoi de Wimbledon aux joueurs professionnels dès l’année suivante. Pour lui, « le tennis amateur est devenu un mensonge vivant »481. Les amateurs gagnent de l’argent de

476 Chatrier P., « Editorial », Tennis de France, n° 8, décembre 1953, p. 1.

477 Chatrier P., «Tony Trabert professionnel : un pas vers les tournois Open », Tennis de France, n° 31, novembre 1955, p. 1.

478 Chatrier P., « Les irresponsables », Tennis de France, n° 88, août 1960, p. 1.

479 Titre du dossier publié dans Tennis de France, n° 168, avril 1967, p. 4.

480 Chombart et Thomas, 1990, p. 9.

481 Déclaration de Herman David, « Les amateurs sont des professionnels mais c’est la faute des dirigeants », Tennis de France, n° 168, avril 1967, p. 4.

leur sport de la même manière que les professionnels. Ce qui les différencie, dénonce le président de Wimbledon, c’est que les premiers le font de manière cachée et pas les seconds. Cette annonce va faire l’effet d’un électrochoc. « Il ne doit plus y avoir de professionnels ni d’amateurs à l’échelon de la compétition internationale », lance David, mais « des joueurs et c’est tout »482. Réclamant l’appui de sa fédération, il se dit prêt à aller jusqu’au bout et même jusqu’à l’exclusion de son tournoi par la fédération internationale. Il demande à toutes les nations organisant des compétitions de le rejoindre pour faire front contre la fédération internationale. L’Australie est la première à emboîter le pas et suivre le chemin tracé par le président de Wimbledon en optant le 21 mars 1967 pour le tennis « open » pendant une période d’essai de deux ans.

Réuni le 5 mars 1967, le conseil de la fédération anglaise apporte son soutien au président de Wimbledon et décide le 14 décembre 1967, avec l’approbation des 3000 clubs membres de son assemblée générale, de supprimer toute distinction entre amateurs et professionnels du tennis (bravant ainsi la décision de la fédération internationale qui, réunie le 12 juillet 1967, avait pourtant fermement condamné par 139 voix contre 83 l’attitude des anglais et menacé de les exclure des compétitions). C’est « le coup d’état »483 tant attendu, titre « Tennis de France » en couverture de son numéro de décembre.

Pourtant, la réaction de la fédération internationale ne se fait pas attendre. Refusant de céder à la pression anglaise, son président depuis peu, De Stefani, annonce le 8 janvier 1968 la suspension de la fédération anglaise, suite à la réunion de son comité de direction.

Cette suspension devient effective à compter du 22 avril. Pour Alain Bernard, ancien tennisman de renom, cette décision était prévisible, soit les dirigeants de la fédération internationale décidaient de se ranger du côté des anglais et de procéder à une modification historique de leurs statuts, soit ils votaient la suspension de la fédération anglaise au risque de provoquer « la scission qui serait déplorable pour le tennis »484. La FILT opte pour la deuxième solution, rendant le conflit inéluctable et l’avenir du tennis mondial incertain. De nombreuses voix vont s’élever contre ce coup dur porté à la patrie du tennis.

Philippe Chatrier va dénoncer cette décision prise par « le petit groupe

482 Interview de Herman David par Philippe Chatrier, Tennis de France, n° 176, décembre 1967, p. 8.

483 Chatrier P., «Le coup d’état de Wimbledon », Tennis de France, n° 176, décembre 1967.

484 Bernard A., « Et maintenant que va-t-il se passer ? », Tennis de France, n° 176, décembre 1967, p. 12.

de tartuffes (…) une poignée de gens pourtant responsables et complices depuis vingt ans de l’effroyable gabegie actuelle »485. Il fustige cet aveuglement de quelques dirigeants qui, au lieu d’essayer de construire le tennis de demain, écrit-il, s’accrochent surtout à leurs sièges. Comme le soulignent les auteurs du Tenniseum, « l’heure s’annonce décisive »486 car la réforme est bel et bien en marche. Le 3 février 1968, la fédération américaine décide d’emboîter le pas de son homologue anglais. Par une écrasante majorité (16 voix contre une), elle en appelle au « principe d’autodétermination »487 en lançant un ultimatum à la FILT : soit cette dernière laisse à chaque fédération nationale la liberté de choisir les modalités d’accès de ses joueurs à ses compétitions, soit elle perd les Américains et les Anglais qui feront cause commune. Les dirigeants américains se disent même prêts s’il le faut à créer une nouvelle fédération avec leurs alliés anglais. Quant à la fédération française, son attitude est plus réservée, préférant, de l’avis des commentateurs de l’époque, l’abstention à une prise de position. Cette retenue est critiquée par ceux qui veulent passer à l’action. Philippe Chatrier dit sa honte face à l’attitude qu’il juge complaisante des dirigeants de la fédération française qui, moins que des leaders, sont, fustige-t-il, « des suiveurs accrochés au vent qui tourne »488. Il s’indigne notamment de la « machination » qui va conduire au limogeage du capitaine de l’équipe de France, Marcel Bernard par la commission sportive de la fédération. Il dénonce la décision des dirigeants de vouloir se séparer d’un homme en prétextant les mauvais résultats sportifs de ses athlètes français alors que la véritable raison est, pense l’auteur, de sanctionner ses prises de position en faveur de la fédération anglaise. Exposée à toutes les critiques, la situation de la FILT devient de plus en plus inconfortable.

L’Angleterre et les Etats-Unis sont rejoints par l’Afrique du Sud, la Nouvelle-Zélande, la Suède, le Canada et la Suisse et même l’Australie (dont le vote reste encore incertain) se dit prête à se ranger du côté des dissidents. Il est de plus en plus difficile pour les dirigeants internationaux de maintenir une ligne de conduite qui risque de provoquer la fuite de ses plus grandes fédérations nationales. C’est lors de la réunion de son assemblée générale extraordinaire qu’elle tient le 30 mars 1968 à Paris, que tout doit se jouer. La décision va

485 Chatrier P., « Et vos consciences, messieurs ? », Tennis de France, n° 177, janvier 1968, p. 1.

486 « Philippe Chatrier », Tenniseum de Roland Garros, mai 2001, p. 18.

487 Déclaration de Herman David, « Les amateurs sont des professionnels mais c’est la faute des dirigeants », Tennis de France, n° 168, avril 1967, p. 4.

488 Chatrier P., « Et vos consciences, messieurs ? », Tennis de France, op. cit., p. 3.

être historique car elle marque le point de départ de l’ère moderne du tennis. En effet, le 30 mars 1968, place de la Concorde à Paris, l’assemblée générale de la FILT réunit ses membres pour une décision lourde de conséquences. Dans l’auditoire, 47 pays sont représentés sur les 65 ayant droit de vote. L’heure est à la négociation et aux concessions pour éviter la scission imminente. Au sein du comité de l’amateurisme, quatre hommes vont réfléchir au moyen de sortir d’un conflit qui dure depuis trop longtemps. Représentant tous les courants de l’amateurisme et du professionnalisme, Pierre Geelhand (Etats-Unis), Ben Barnett (Australie), Giorgio De Stefani (Italie) et Jean Borotra (France) vont tenter de trouver des solutions qui contentent toutes les parties. « Certains ont fait des sacrifices idéologiques pour concilier tout le monde »489, déclarera par la suite Jean Borotra. Ces solutions au nombre de trois sont approuvées par le comité de direction puis à l’unanimité par l’assemblée générale le lendemain.

Les points adoptés sont premièrement le maintien symbolique dans les statuts de la FILT de la notion d’amateurisme pour préserver l’idéal sportif sur lequel s’est construite la fédération, deuxièmement, la reconnaissance du principe d’autodétermination des fédérations nationales pour adapter leurs statuts aux réalités de la professionnalisation, enfin troisièmement, une limitation du nombre de tournois open restant sous l’autorité de la fédération internationale.

Autre nouveauté défendue par Jean Borotra, la reconnaissance à côté des joueurs amateurs et des joueurs professionnels de joueurs dits

« autorisés ». Ils ont un statut semi-professionnel, maintiennent une activité professionnelle autre que le tennis mais sont autorisés désormais à officiellement tirer des profits matériels et pécuniaires des tournois auxquels ils participent. Ainsi, la fédération internationale, dont le choix se résume à « s’incliner ou mourir »490, finit par fléchir sous les pressions de ses principales fédérations nationales. En ce début d’année 1968, le pas est définitivement franchi dans la professionnalisation du tennis (beaucoup de sports avant et surtout après suivront). La révolution engagée un an plus tôt voit le triomphe des réformateurs, partisans du professionnalisme sur les défenseurs de l’amateurisme et de la tradition sportive. L’année 1968 fait date dans le monde sportif en autorisant l’entrée du tennis dans l’ère du professionnalisme et l’accès « open » des tournois aux joueurs professionnels. Pour Chatrier, c’est enfin l’aboutissement de quinze

489 Rapporté par Bernard A., « Une assemblée historique renverse le mur de la honte » », Tennis de France, n° 180, avril 1968, p 13.

490 Chatrier P., « Révolution place de la Concorde », Tennis de France, n° 179, mars 1968, p. 7.

années de combats et de revendications : « L’ère moderne du jeu de tennis a pris son départ officiel le 30 mars à Paris. C’est une grande date, une victoire considérable… et un commencement »491, écrira-t-il dans son journal. Et ce commencement de la professionnalisation du tennis sur le plan international va être aussi celui du renouvellement des dirigeants de la fédération française. En effet, si une bataille se termine, une autre lui succède et aboutit au renouvellement total de l’équipe dirigeante de la fédération française. Les réformes engagées vont se poursuivre.

2.3. Oui à la professionnalisation mais sous contrôle renforcé des

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