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Les groupes d’intérêt économiques dans le tennis ou les revers de la professionnalisation

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Tableau n° 1 : Les cultures identitaires des dirigeants bénévoles de la FFE

Chapitre 1 : Histoire politique et institutionnelle de la fédération de tennis

2.4. Les groupes d’intérêt économiques dans le tennis ou les revers de la professionnalisation

L’accès des joueurs professionnels aux grandes compétitions de tennis va ouvrir une ère nouvelle. Inéluctablement, le tennis va alors générer de plus en plus d’argent et le risque d’une prise de pouvoir par quelques groupes économiques va devenir chaque jour plus prégnant.

Avec cette nouvelle période qui commence, souligne un journaliste du Monde, c’est un nouveau combat qui s’annonce, « un combat (qui va) s’engager pied à pied contre le dévoiement du jeu par le dollar »511, un combat aussi qui va conduire à une répartition nouvelle des pouvoirs entre les acteurs associatifs et les acteurs économiques pour le contrôle du tennis mondial.

Dans les années 70, la fédération prend conscience du risque que représentent les groupes d’intérêt économiques. Ils sont des associations de joueurs, des managers, des promoteurs privés. Quand en 1970, un homme d’affaire crée le World Championship Tennis (WCT), les dirigeants fédéraux, relève un journaliste du Monde, sont

« pris au piège »512 car la menace de voir les meilleurs joueurs se tourner vers ce circuit privé plus lucratif et de délaisser les circuits traditionnels se concrétise. Pourtant, l’entente entre la WCT et la FILT est bonne au début et les deux organisations cohabitent. Les joueurs professionnels, gagnant de mieux en mieux leur vie, créent alors l’Association of Tennis Professionals (ATP) en 1972 pour défendre leurs intérêts et établir leur classement mondial. Ce syndicat est présidé par Jack Kramer (le premier joueur classé numéro 1 sera Ilie Nastase). Mais très vite, les relations vont s’envenimer. En 1973, un joueur membre de l’équipe yougoslave va refuser de participer à la Coupe Davis préférant s’inscrire au tournoi de Las Vegas richement doté de 150 000 dollars. Il est aussitôt suspendu par sa fédération nationale suite à la défaite de ses joueurs en Coupe Davis. L’ATP menace de boycotter Wimbledon et de priver cette compétition de près de 80 de ses joueurs si la FILT n’annule pas la décision de la fédération yougoslave. Dans ce bras de fer qui opposent la FILT et

511 Giraudo A., « Tennis : succession à la présidence de la Fédération française de tennis. Le combat de Philippe Chatrier », Le monde, 6 février 1993.

512 Mathieu B., « Philippe Chatrier, le précurseur du tennis moderne », Le Monde, 25 juin 2000.

l’ATP, cette dernière va prendre conscience de sa force en obligeant les instances fédérales à composer avec elle. Dans une interview donnée beaucoup plus tard par l’ex-président de la FILT, ce dernier déclarera : « A partir de ce moment là, il a fallu compter avec eux »513. Un Conseil professionnel international regroupant les représentants des joueurs, ceux des grands tournois et la FILT est créé peu de temps après. Mais il ne peut empêcher une concurrence de plus en plus mal vécue par les fédérations nationales et la montée en puissance de nouveaux groupements économiques. La FILT, de plus en plus menacée, tente de réagir. En 1977, son assemblée générale se réunit à Hambourg afin d’élire son nouveau président. Chatrier, qui préside la fédération française, se porte candidat et l’emporte face à un américain avec 70 % des voix514. La FILT devient la FIT en votant le retrait du mot « lawn » dans son appellation. Pourtant, le changement de direction ne peut empêcher des échanges parfois houleux entre la FIT et l’ATP. Le tennis professionnel s’enrichit de plus en plus et conduit les joueurs à s’entourer d’agents et de managers chargés de gérer leur carrière515. Parmi ces agences de marketing, l’une des plus importantes est l’International Management Group McCormack. Elles vont peu à peu voir leur rôle s’accroître jusqu’à pouvoir influer sur le déroulement des grands tournois en négociant une garantie financière pour la participation de leurs stars du tennis516. La FIT est bien obligée de reconnaître son impuissance à enrayer le système et tente un rapprochement avec ces groupements économiques. Lorsque l’ATP annonce la création d’un nouveau circuit, l’ATP Tour, en 1990 et la mise en place d’un Conseil chargé de gérer le circuit professionnel, le président de la FIT, « enserré dans un étau »517, ne peut que constater sa perte de contrôle sur les compétitions de tennis et les joueurs qui en font leurs succès. Désormais, « ce sont eux, nous rapporte un de nos interlocuteurs, qui régissent le circuit masculin (…) l’ensemble des tournois, des soixante tournois actuels hors grand chelem est sous

513 Propos rapporté par Delessalle J.C., Navarro G., Rebière G. et Chami L., Profession Président, Les Ed. du sport, 1992, p. 137.

514 Suite à son élection en 1979 à la tête du Conseil Professionnel International, Philippe Chatrier devient dès lors le numéro un du tennis mondial.

515 Des sociétés vont se spécialiser comme agents des sportifs professionnels comme Proserv (Professionnel services) ou l’International Management Group (IMG) de McCormack.

516 Cette pratique occulte conduira à « l’affaire Vilas », du nom de ce joueur qui empochera avec son agent 60 000 dollars pour participer au tournoi de Rotterdam en mars 1983.

517 Cypel S., « Les surenchères de Roland Garros », Le Monde, 3 juin 1999.

l’ATP »518. Seuls les tournois du grand chelem restent contrôlés par la fédération internationale. Face à cette situation de plus en plus inconfortable, le président de la FIT tente alors de réagir. Affirmant vouloir se battre « pour les empêcher de prendre le contrôle du jeu »519, il annonce à son tour la mise en place de la Coupe du Grand Chelem. Ce tournoi « le plus richement doté de l’histoire »520 est doté de 13 millions de francs. Contre les lobbies financiers, la réaction du président de la FFT est de répondre avec les mêmes armes. En créant cette « caricature de tout ce contre quoi le président de la FFT avait lutté sa vie durant »521, il va s’attirer les critiques de nombreux dirigeants sportifs. Si les initiatives de la FIT « fissurent la coalition des joueurs » disposés à revenir dans le circuit fédéral, elles attirent aussi les plus vives oppositions contre son président accusé de faire le jeu des promoteurs « en utilisant l’arme la moins noble (…) mais qui fait toujours son effet dans le monde du tennis professionnel : le dollar »522. Finalement, si la Coupe du Grand Chelem disparaît en 1999, elle va laisser des traces. Beaucoup reprochent au président de la FIT de vouloir imposer son pouvoir unique sur la totalité du tennis mondial. Bien que la politique fédérale conduise à privilégier le jeu plus que l’argent, la difficile articulation « entre l’éthique et le fric »523 rend « le combat inégal »524 et le bilan prévisible : Les dirigeants fédéraux du tennis ne peuvent que constater l’emprise croissante de l’économie dans leur sport. Ceux qui les remplacent à partir de 1993 vont aussitôt adopter une logique plus managériale et concilier les impératifs associatifs et les impératifs économiques.

C’est lors du dernier mandat de Philippe Chatrier à la présidence française qu’un futur champion va se distinguer et donner au tennis français quelques-uns de ces plus beaux succès. En 1982, l’équipe de France conduite par un jeune joueur encore peu connu parvient en final de la coupe Davis. Un champion se découvre, il s’appelle Yannick Noah. En 1983, il gagne les Internationaux de France. Huit années plus tard, l’équipe de France remporte la Coupe Davis face aux

518 Entretien n° 13.

519 Tennis infos n° 46 du 15 octobre 1980.

520 L. R. « L’argent de la fédé sème le trouble chez les joueurs », Libération, 6 novembre 1989.

521 Giraudo A., « Tennis : succession à la présidence de la Fédération française de tennis. Le combat de Philippe Chatrier », Le monde, 6 février 1993.

522 Deflassieux A., « Jeu de massacre », Tennis de France, n° 440, décembre 1989.

523 Giraudo A., op. cit.

524 Ibid.

Américains et concrétise le rêve tant convoité par Philippe Chatrier, celui de rapporter le saladier d’argent en France. Henri Lecomte déclarera plus tard : « Le plus beau cadeau qu’on lui a jamais fait, c’est de gagner la Coupe Davis avant qu’il ne décide de se retirer »525. Le 6 novembre 1992, Philippe Chatrier annonce qu’il laisse sa place à la fédération nationale après vingt années d’engagement pour le développement du tennis mondial526. C’est alors toute une époque qui s’achève, nous dit un des nos interviewés avec nostalgie, celle des

« grands moments du tennis » 527, celle aussi d’une certaine vision fédérale. « Nous devions être entre 30 et 40 personnes, nous rapporte notre interlocuteur précédemment cité, c’est-à-dire que c’était vraiment une famille, une famille du sport, ce n’était ni une PME, ni une grande société au sens propre du terme, c’était vraiment la famille du tennis, on se connaissait tous »528. Philippe Chatrier s’éteint le 22 juin 2000 à Dinard à l’âge de 72 ans. Pour lui rendre hommage, la FFE décide de baptiser le court central de Roland Garros « le court Philippe Chatrier ». Le 7 février 1993, trois candidats se présentent en remplacement du président sortant. C’est le président de la ligue Midi-Pyrénées qui, avec 1 079 voix favorables sur 1 879 suffrages exprimés, est élu à la tête de la FFT. Ce pharmacien de Toulouse, membre du comité directeur de la fédération depuis 1976 et vice-président de 1984 à 1992, est aussi le directeur du troisième tournoi en France, celui de Toulouse. Lors des élections suivantes, il a, face à lui, un seul prétendant, un ex-numéro 4 français, ancien président du Tennis-club de Paris et ancien directeur général des Editions Amaury puis d’Air Inter Europe. Ce dernier propose d’aider davantage les clubs « souvent exsangues » et de conduire « une vraie régionalisation ; car la ligue, précise-t-il, c’est la fédération au niveau régional »529. Pour lui, il faut préparer les champions à devenir des modèles plutôt que des vedettes afin d’améliorer l’image de marque de la fédération et de son sport. Il a le soutien du capitaine de l’équipe de France de Coupe Davis, dont « le côté bousculeur de convention, volontariste (…), écrit un journaliste, se heurte de plein

525 Article de Delamarre G., « Philippe Chatrier : les années Central », Roland Garros Magazine n° 7, 1993, p. 112.

526 Au bout du compte, il aura présidé la FFT de 1972 à 1993, la FIT de 1977 à 1991 et le conseil professionnel masculin de 1979 à 1985.

527 Entretien n° 14.

528 Ibid.

529 Artigala M., « Tennis : élections fédérales. Un match au sommet », Le Figaro, 1er février 1997.

fouet au conservatisme show-biz du président »530. Il est vrai que le bilan du président, à l’issue de son premier mandat, ne fait pas l’unanimité et un certain nombre de dirigeants dénonce un tennis à deux vitesses, un tennis de salon et un tennis de rue. « On se plante parce qu’on ne veut que des mômes qui ont un beau coup droit, un beau revers. Mais le môme qui joue avec des pompes trouées, la rage au ventre, celui-là, on le regarde même pas »531. Les opposants au président actuel lui reprochent d’incarner « une présidence paillette »532 en invitant les tops models du show-biz plutôt que les vieilles gloires du tennis. Un ancien vice-président de la fédération lui reproche de confondre ses fonctions de dirigeant bénévole et celles d’actionnaire dans une société proche de monde du tennis533. Durant la campagne où pèse un « climat délétère (qui) ne contribue pas à la sérénité des débats »534, le président sortant va pourtant bénéficier de l’appui de la majorité des ligues régionales (22 ligues sur 36). Cet appui va être déterminant. Comme le rappelle le président sortant,

« j’ai la presse et les joueurs contre moi, mais ce ne sont pas eux qui votent. Et j’ai le président de ligue pour moi »535. A l’issue de la campagne électorale, il est réélu de justesse, le 2 février 1997, par les membres du comité directeur avec 24 voix pour lui et 21 pour son rival. Quant à l’assemblée générale, elle n’approuve la proposition du comité directeur que par 896 voix pour et 811 contre. Dans « ce combat des chefs ou plutôt ce match au sommet »536, la réélection du président, souligne le journaliste de Libération, fait « tousser l’équipe de France »537. Pourtant, lors de l’assemblée générale du 4 février 2001, le président en exercice est réélu pour la deuxième fois. Le comité directeur compte alors quelques grands champions comme Arnaud Clément, Cédric Pioline, Nathalie Tauziat, Amélie Mauresmo et Sarah Pitkowski. Dans son discours introductif très orienté sur la

530 Losson, « un fauteuil pour deux à Roland Garros. [ ], président de la FFT, est aussi favori que contesté. [ ] le tenant, [ ] le challenger », Libération, 1er février 1997.

531 Propos du capitaine de l’équipe de France de l’époque et rapportés par Losson, ibid.

532 Losson, ibid.

533 Le président de la FFT est le patron du tournoi ATP de Toulouse et l’actionnaire de la société chargée de sa régie publicitaire.

534 Van Kote G., « [ ] réélu président de la Fédération Française de Tennis », Le Monde, 4 février 1997.

535 Van Kote, op. cit.

536 Artigala M., « Tennis : élections fédérales. Un match au sommet », Le Figaro, 1er février 1997.

537 Losson C., « Nos faiblesses sont ressorties. La défaite met au jour les causes structurelles de tennis français » Libération, 10 février 1997.

politique sportive de haut niveau, tenu lors de l’assemblée générale de la fédération le 2 mars 2002, le président affirme vouloir « renforcer le triangle : joueur-club-fédération qui constitue l’une de nos forces »538. Louant le rôle essentiel des bénévoles dont la reconnaissance constitue une des priorités pour l’année 2002, le premier représentant fédéral veut rester vigilant et continuer à défendre avant tout « l’intérêt du sport et des pratiquants »539. Cette vigilance est aussi demandée par son secrétaire général pour qui les dirigeants de clubs sont les « seuls et vrais interlocuteurs » 540 pour une fédération qui est avant tout « une fédération de clubs » où

« seule la compétition fidélise »541. Pour lui, l’organisation fédérale doit « trouver le bon équilibre entre la recherche de nouvelles ressources financières et le respect d’une certaine éthique fédérale qu’il faut préserver »542. Affirmant enfin que « le bénévolat est le postulat de base »543, son discours n’est pas sans signification à une époque où la montée en puissance des professionnels dans le sport est indéniable et susceptible de nuire au pouvoir bénévole qui se maintient au commande d’une fédération devenue, au terme de son cycle de vie, une entreprise très prospère.

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