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Une hypothèse envisageable

Il n'y a a priori pas d'obstacles majeurs à une telle entreprise. La Cour de cassation s’agissant du notaire, n'a-t-elle pas considéré que celui-ci était tenu d'un devoir général de conseil et fondé ce devoir sur l’Article 1382 du Code civil Français visant la faute (laquelle faute est aussi visée par l’Article 124 du Code Civil Algérien actuel précité).

Pourquoi ne pas retenir la même solution s’agissant du banquier ? Cette question n'est ni vaine ni inutile et ce pour plusieurs raisons.

Si on tente de procéder à une comparaison avec le notaire, on s’aperçoit que ce professionnel est tenu à un véritable devoir de conseil et non à une obligation de conseil, la jurisprudence en sanctionnant les manquements sur le terrain de la responsabilité délictuelle de l'Article 1382 du Code civil. Le fondement de cette position Prétorienne est à rechercher, selon les auteurs, dans le statut même de la profession de notaire. Le notaire est un officier public, dont l'activité est strictement réglementée. Telles sont les raisons couramment avancées pour justifier le fondement du devoir de conseil du notaire. Or, on constate que le banquier est lui aussi soumis à un statut légal, que l'accès à cette profession est strictement contrôlé par l'autorité publique et que les établissements de crédit détiennent un monopole en ce qui concerne les activités bancaires.

Dès lors, la solution retenue quant au devoir de conseil du notaire n'est-elle pas transposable au devoir de conseil du banquier ? Pour répondre à cette question, il faut se poser plusieurs questions. Pour que le devoir de conseil soit rattaché à l'exercice même de la profession, il faut que l’activité de conseil apparaisse comme inhérente, nécessaire dans l'exercice de la profession de banquier.

La question qu’il convient de se poser est alors la suivante : quelles sont les caractéristiques de l'activité bancaire ?

L'établissement de crédit entretient avec son client un rapport particulier. La relation client/banquier n'est pas la même que celle qui unit l'acquéreur occasionnel au vendeur. En effet, Il existe entre eux une relation suivie, souvent « globale », dans le sens où le banquier va tenir, par exemple, le compte de l'époux, celui de l'épouse, le compte joint, accorder un crédit pour la maison et la voiture, etc... De plus, il existe entre le client et la banque un rapport de confiance. La preuve en est, par exemple, que la Convention de compte est un contrat conclu intuitu personae. Or, cette convention est à la base des relations entre le banquier et son client.

D'autre part, examinons attentivement la façon dont se passent les échanges entre le banquier et son client.

Le client qui vient voir son banquier le fait en général car il a un projet déterminé (acheter une maison, faire fructifier ses économies). Par contre, il n'a pas d'idée précise quant au contrat bancaire qui lui permettra de réaliser ses projets. C'est donc au banquier qu'il revient d'analyser les besoins de son client puis de lui indiquer les services adaptés. C'est la mission même du banquier. Or, il apparaît avec netteté, quand on la décrit de la façon suivante, qu'elle implique inévitablement un conseil. D'ailleurs, les publicités de ces mêmes banquiers en font foi. Ne sont pas rares les affiches du genre « un conseil personnalisé », « vous avez des projets : parlez en à votre banquier. » etc... La pratique montre aussi que les banques interrogent leurs clients sur leurs habitudes, projets, avenir, carrière (etc…) dans le but de mieux les connaître et ainsi mieux évaluer leurs besoins et mieux les .... conseiller. C’est donc dans la nature même de sa profession que le banquier est appelé à conseiller et c’est donc à cette profession que le devoir de conseil doit être rattaché. Dès lors, c’est à l’ensemble de ses clients qu'il doit son conseil, même hors contrat. Pour les autres sujets de droit, cela paraît plus difficile. Il n'y a pas de confiance tant qu'il n’y a pas de relation de clientèle.

Pourtant, Il n'est pas inconcevable, que celui qui entre dans une banque car Il a perdu sa carte de paiement attende qu’on lui indique et conseille l'attitude à adopter.

Il ne faut donc pas exclure cette hypothèse trop rapidement. Plusieurs indices tendent à nous le laisser croire. Il faut d'abord partir d'un double constat. Le banquier est soumis à un strict statut légal et jouit d'un monopole. D'autre part, il est investi d'une mission d'utilité sociale.

La profession bancaire, en effet, est d'abord soumise a un statut qui intéresse à la fois l’accès à la profession, l’exercice et la sortie. Notons d’abord qu'une personne physique ne peut exercer la profession de banquier.

L’accès est subordonné à un agrément bancaire accordé par décision du gouverneur de la Banque d’Algérie et publié au Journal Officiel de la République Algérienne Démocratique et Politique (Article 92 de l’Ordonnance n° 03-11 relative à la monnaie et au crédit précitée). L’agrément est accordé si la société a rempli toutes les conditions fixées à la banque ou à l’établissement financier par l’Ordonnance n° 03-11 relative à la monnaie et au crédit et les règlements pris en application ainsi que, éventuellement les conditions spéciales dont l’autorisation est assortie. Les succursales de banque et d’établissements financiers autorisées en vertu de l’Article n°88 de la même Ordonnance n° 03-11 sont agréées après avoir rempli les mêmes conditions. On peut donc aux vues des conditions nécessaires pour

exercer la profession de banquier, convenir d’un constat : cet accès est strictement réglementé.

L’Ordonnance n° 03-11 a pour effet de fournir un cadre commun à l’ensemble de la profession bancaire. L’exercice de cette profession se caractérise par le monopole reconnu aux banques. Ce monopole est principalement régi par l’Article 70 de cette Ordonnance qui dispose que : « Seules les banques sont habilitées à effectuer à titre de profession habituelle toutes les opérations décrites aux Articles 66 à 68, notamment, la réception de fonds du public et les opérations de crédit » et l’Article 76 qui énonce « qu’il est interdit à toute personne physique ou morale autre que banque ou établissement financier, selon le cas, d’effectuer les opérations que ceux-ci exercent d’une manière habituelle en vertu des Articles 72 à 74 à l’exception des opérations de change effectuées conformément au règlement du conseil ».

Il n’y a donc, on le voit, qu’un seul et unique professionnel de la banque : « le Banquier ». Mais nous constatons également que si le banquier est le seul professionnel de la banque, il est astreint à une mission d’utilité sociale, de service public entendu au sens large et non pas au seul sens du droit public.

En général, on considère que les banques pratiquent, essentiellement, des crédits d’exploitation, c’est-à-dire à court terme, les crédits à moyen et long terme étant plutôt accordés par d’autres catégories d’établissements de crédit, même si, en pratique, elles interviennent dans tout type d’opération, y compris dans les crédits à moyen et long terme.

La condition d’accès au statut d’établissement de crédit est donc réglementée par l’Article 92 de l’Ordonnance n° 03-11 de 2003 relative à la monnaie et au crédit qui impose, en effet, d’obtenir un agrément accordé par décision du gouverneur de la Banque d’Algérie.

Bien que la banque privée soit une entreprise de droit privé, l’idée qu’elle accomplit une mission analogue à une mission de service public n’est pas à discuter. En effet, on peut noter plusieurs indices qui vont en ce sens. D’abord, cela s’explique parce que le banquier fait le commerce de la monnaie. Or la monnaie, pour reprendre l’expression du Professeur Stoufflet (46) est « le sang de l’économie », elle confine sans aucun doute aux missions les plus régaliennes de l’Etat. Dès lors, « les actes et les abstentions du banquier ont de ce fait des conséquences sans commune mesure avec les comportements des autres agents économiques ». De plus, c’est aussi l’activité de crédit qui confine à une mission de service public. Certes, le crédit reste une activité lucrative mais son intérêt public est évident. Le crédit est nécessaire dans une société d’économie de marché : il permet les investissements

(46) – Stoufflet (J.), Devoirs et responsabilité du banquier à l’occasion de la distribution du crédit, Rapport aux journées de droit bancaire de l’Université Paris I, 10 et 11 Février 1977, in Rives-Langes (J.L.) et Contamine-Raynaud (M.), Droit Bancaire, Dalloz 6èmeEd., 1995, n° 650.

des entreprises comme des ménages et participe ainsi à la bonne santé de l’économie et à son développement. Enfin un certain nombre d’obligations (Article 526 bis (47) et 526 bis 1 (48) de la Loi Algérienne n° 05-02 du 6 Février 2005 modifiant et complétant l’Ordonnance n°75-59 du 26 Septembre 1975 portant code de commerce (J.O.R.A.D.P n° 11 du 09 Février 2005) pèsent sur les banquiers. Le banquier doit rester maître de refuser telle ou telle ouverture de compte, mais son refus éventuel doit être motivé et ce afin de permettre à la banque d’Algérie au cas où celle-ci serait saisie par la personne « éconduite » d’apprécier. Indépendamment du cas de l’interdiction bancaire (Article 526 bis 3 (49) de la loi n° 05-02 d 6 Février 2005) ou judiciaire, l’organisme national qu’est la banque d’Algérie (“Banque des Banques”) pourra, toujours, ordonner à une banque de contracter avec tel client, mais avec le seul devoir de lui offrir le service minimum de caisse, sans obligation de remise de chéquiers. Ainsi, la mise en place d’un dispositif adéquat, permet, en pratique, une relative sélection de la clientèle réalisée par le banquier assurant, conséquemment, une certaine prévention des impayés.

Le banquier se trouve donc être finalement celui qui permet l’exercice du droit au compte. Il a donc, on peut le constater, des missions d’intérêt général : le crédit, la lutte contre le blanchiment d’argent prévue par la loi n° 05-02 précitée, le droit au compte sont autant d’activités qui relèvent de l’intérêt général. On pourrait en citer d’autres, comme la mission de police dont il est investi en matière d’interdiction bancaire, prévue également par la même Loi n° 05-02 à l’Article 526 bis 3 précité.

Le banquier accomplit donc une activité qui remplit au moins une des conditions du service public, celle d’une activité d’intérêt général. D’autre part, il est soumis au contrôle de l’Etat, puisqu’il n’exerce son activité qu’après l’agrément accordé par décision du gouverneur de la Banque d’Algérie. Sans dire pour autant qu’il soit investi d’une mission de service public au sens strict, puisqu’en effet, il ne faut pas oublier que l’activité de banque est avant tout lucrative, il faut tout de même convenir que le banquier assume pour le moins une mission d’utilité sociale qui lui est imposée par le législateur. La jurisprudence, appuyée par

(47) – Article 526 bis (Loi n° 05-02 du 6 Février 2005) : « Avant toute délivrance de chéquiers à leurs clients, les banques et les institutions financières dûment habilitées doivent consulter immédiatement le fichier des incidents de paiement de la centrale des impayés de la Banque d’Algérie ».

(48) – Article 526 bis 1 (Loi n° 05-02 du 6 Février 2005) : « Le tiré est tenu de déclarer tout incident de paiement pour absence ou insuffisance de provision à la centrale des impayés dans les quatre (4) jours ouvrables suivant la date de présentation du chèque, dans l’une des formes prévues à l’Article 502 du présent code ».

(49) – Article 526 bis 3 (Loi n° 05-02 du 6 Février 2005) : « Lorsque la procédure de régularisation, prévue à l’Article 526 bis 2, s’avère infructueuse ou en cas de récidive dans les douze (12) mois suivant le premier incident de paiement, même si celui-ci est régularisé, le tiré prononce à l’encontre du tireur une interdiction d’émettre des chèques ».

la doctrine, n’a pas manqué de le relever puisqu’elle s’est basée sur cette notion plusieurs fois pour élargir le devoir de prudence du banquier. On peut citer par exemple, un arrêt de la Cour d’Appel d’Amiens (Chambres réunies) en date du 24 Février 1969 (50) et un arrêt de la Cour d’Appel de Paris en date du 26 Mai 1967 (51).

Si on prend acte des deux constatations, on voit que l’établissement de crédit, seul professionnel de la banque, doit exercer cette activité non seulement dans un but lucratif mais aussi dans le but d’être utile à la société. Dès lors, comment ne pas concevoir que les banquiers soient dans l’obligation de prodiguer tous les conseils nécessaires relatifs à l’activité qu’ils sont seuls à parfaitement maîtriser ? En effet, si on estime que les banquiers ne sont pas tenus à un devoir de conseil lié à I’exercice même de leur profession, cela revient à dire qu’ils seront les seuls détenteurs de ce savoir et qu'ils n’auront pas à le transmettre, hors les cas où un contrat le prévoira, mais alors, le conseil sera rémunéré. Dès lors, le consommateur ne pourra obtenir les renseignements utiles et les outils de ce savoir nulle part ailleurs. Or, le banquier n'exerce pas une activité purement lucrative mais est investi par la loi d'une véritable mission d'intérêt social, qui induit d'une part que le banquier doive transmettre ses connaissances du milieu bancaire mais aussi qu'il doive le faire au bénéfice de l'ensemble de la société. Dès lors, l'existence d'un devoir de conseil lié à la profession de banquier semble évidente. En effet, la transmission de cette connaissance de l’activité bancaire ne peut se résumer à informer puisque les opérations bancaires, techniques, ne pourraient en aucun cas être valablement transmises seulement par l'information. Il faut aussi fournir la grille de lecture de ces informations et cela passe nécessairement par le conseil.

Cependant, cette position, si elle peut-être retenue, limiterait aux activités sujettes au monopole le devoir de conseil des banques, c'est à dire au crédit, moyens de paiement et réception des fonds du public. Dès lors, en ce qui concerne les opérations annexes, le banquier ne serait tenu qu’envers son cocontractant à une obligation de conseil. Quelles sont les réponses de la jurisprudence sur cette hypothèse ?

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