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Les conséquences du principe quant au fondement de la responsabilité. Le banquier étant tenu de refuser un crédit inadapté à la situation de l'emprunteur, on

ne peut justifier sa responsabilité par le recours aux devoirs d'informer et / ou de conseiller.

En effet, nous avons expliqué qu'un devoir de conseil ou une obligation d'information n'existe que dans la mesure où le conseil ou l'information à transmettre est pertinent. Or, pour qu'une information soit pertinente, il faut que son destinataire ait une décision à prendre. Nous en avons déduit que le devoir de conseil comporte une obligation d'inciter le client à prendre une décision dans le sens préconisé par l'auteur du conseil mais n’impose pas au débiteur du devoir de conseil de prendre une décision à la place du client. Le devoir de conseil ne comporte pas d'obligation de refuser de contracter. Conseiller un client, ce n'est pas agir en son nom (334).

En matière d'octroi de crédit, il est inutile de dissuader un client de ne pas emprunter, puisque la décision d’accorder le concours n’appartient qu’à l’établissement de crédit.

En outre, faire reposer la responsabilité du banquier sur un devoir de conseil revient à présumer que si le conseil avait été donné, il aurait été suivi. Or, cette présomption nous paraît excessivement optimiste (335) : Pour qu'il y ait présomption, il faut que la coïncidence avec la vérité ne soit pas exclue (336), ce qui ne nous semble pas être le cas ici.

En effet, l'une des principales causes de défaillance des entreprises tient précisément au traitement tardif des difficultés financières (337). Les dirigeants ont des réticences aisément compréhensibles à admettre que la situation de l'entreprise dont ils assurent la gestion est irrémédiablement compromise. Pour eux, la tentation est grande de croire qu’un

(333) – Par ex.: Civ. 1ère, 7 Avril 1998, Bull. n° 150, p. 99.

(334) – Voir C. Scrivener, La médiation, procédure d'exception, Banque Magazine Septembre 2000. 18, pour laquelle « informer et conseiller ne signifie pas, pour la banque, se substituer au client dans la prise de décision ».

(335) – Par exemple, il a été jugé que l'absence de garantie constituait, de la part du notaire rédacteur d'un acte de prêt, un manquement à son « devoir d'information et de conseil » à l'égard du prêteur (Civ. 1ère,14 Janvier 1997, Bull. n° 18, p, 10). Mais on ne peut savoir, dans l'hypothèse où le conseil aurait été donné, si le prêteur aurait pu obtenir de son débiteur qu'il lui procure une garantie.

(336) – Ch. Perelman Logiquejuridique, Dalloz 2ème Ed. n° 35, p. 61.

(337) – Rapport du Conseil national du crédit sur le financement de la très petite entreprise, novembre 1992, p. 87. Sur les insuffisances du régime de prévention des difficultés des entreprises, voir l'intervention de Me Meille au colloque de l’AFFIC du 10/12/1992.

crédit supplémentaire constituera une nouvelle chance d'éviter le naufrage. Le recours au crédit devient alors un réflexe "naturel", voire de "survie", ce qui nous conduit à douter que les conseils du banquier, aussi appuyés soient-ils, suffisent à décourager le dirigeant.

On observera, au demeurant, que le raisonnement des juges qui fondent la responsabilité du banquier dispensateur de crédit sur l'obligation d'information ou le devoir de conseil n'est pas toujours rigoureux.

Ainsi peut-on lire, dans une décision de la Cour d'appel de Paris, que « le fait pour une banque de maintenir l'ouverture de crédit consentie à une entreprise cliente de longue date sans en consentir une nouvelle, ne constitue pas un manquement à son devoir d’information» (338). Une autre Cour d’Appel a reproché à un banquier de ne pas avoir informé la caution ... de ce qu'elle soutenait abusivement l'activité du débiteur principal ! (339).

L’absence de conseil ou d’information est insusceptible de justifier la responsabilité du dispensateur de crédit, laquelle est fondée, à notre sens, sur « le devoir de vigilance » : c’est la légèreté blâmable dont le banquier fait preuve en octroyant un crédit qui justifie qu'il doive en réparer les conséquences.

Une fois que la décision d'octroyer un crédit est prise, il faut déterminer le type de crédit le plus approprié à la situation du client. Pour les mêmes raisons que celles qui viennent d'être exposées à propos de la décision d'octroyer un concours, celle relative au choix du crédit appartient, elle aussi, au banquier seul, en sorte que sa responsabilité pour un choix défectueux du type de crédit est, elle aussi, fondée sur le devoir de vigilance.

Nombreux sont pourtant les auteurs qui se prononcent en faveur d'un devoir de conseil en matière de crédit, à la charge du banquier (340). D’autres estiment, toutefois, que la responsabilité du banquier est fondée sur le devoir de vigilance ou le discernement.

Le professeur Cabrillac, dans son commentaire de l'Arrêt C.F.F c. époux Garcia du 27 Juin 1995, doute du bien fondé de la solution qui consiste à justifier la responsabilité du banquier par le manquement à son devoir de conseil à l'égard de l'emprunteur (341).

« Cette présentation est quelque peu fallacieuse, car le devoir de conseil masque ici, en réalité, le devoir de ne pas accorder un crédit que le solliciteur ne pourra manifestement pas rembourser (..). Si, en l'espèce, la mise en garde avait été faite, elle n'aurait pas suffi, peut-on penser, à exonérer le dispensateur du crédit de sa responsabilité ».

(338) – Paris, 11 Mai 1993, Juris-Data n° 021770.

(339) – Metz, 14 Mars 1996, cassé par Civ. 1ère 17 Mars 1998, Bull. Civ. n° 114, p. 76. La censure n'est intervenue que pour des raisons procédurales.

(340) – Voir les références citées supra, note de bas de page n° 866.

Un autre auteur, E. Scholastique, s'est prononcé dans le même sens, au terme d'un commentaire du même arrêt, très remarqué (342). L'auteur écrit :

« Il ne s'agit plus d'éclairer le consentement du crédité, mais bien d'exiger que, le banquier retienne son propre consentement, et ainsi satisfasse à son devoir de vigilance. »

De son côté, A. Gourio écrit que l'obligation de conseil « recouvre en réalité un concept dégagé depuis fort longtemps par la jurisprudence dans le domaine du crédit aux entreprises : le devoir de discernement, déclinaison de l'obligation générale de prudence, qui impose au prêteur d'accorder des crédits en rapport avec les facultés de remboursement de l’emprunteur » (343). Depuis, l'auteur a consacré un important article à cette question, dans lequel il conclut, au terme d'une solide démonstration, que le concept de conseil est inadapté à l'octroi d'un crédit.

Citons également D. Arlié (344), selon lequel « la Haute Juridiction encourt le reproche de préserver la liberté de décision de l'emprunteur en faisant référence au devoir de mise en garde du prêteur et non à l’obligation de ne pas consentir un crédit excessif, sans doute pour ne pas être en contradiction avec la législation consumériste qui donne à l’emprunteur les moyens de mûrir sa décision. En réalité, c'est dans le devoir de refuser un tel crédit que réside la meilleure protection de celui-ci » (345).

Enfin, quelques jours après la décision du 27 Juin 1995, commentée par M. Cabrillac et E. Scholastique, la Première Chambre civile a décidé par un arrêt du 4.juillet 1995 (346), qu’en consentant un prêt d'un montant excessif au regard des ressources de l'emprunteur, la banque avait fait preuve de légèreté blâmable et engagé sa responsabilité à l'égard de l'emprunteur. Il faut également citer un arrêt du 15 Juin 1999 par lequel la Chambre commerciale a sanctionné un banquier pour soutien abusif, au motif qu’il avait manqué de vigilance (347). Si les décisions se référant au devoir de conseil du banquier au moment de l'octroi d’un crédit sont nombreuses (348), force est de constater que la jurisprudence n'est pas encore fixée. En outre, il semble que les solutions varient en fonction du fondement invoqué par le demandeur à l'appui de son action en responsabilité.

(342) – L'information du consommateur dans le domaine du crédit immobilier, participation aux 8ème "rencontres notariat - université", du 23 Novembre 1998, Les Petites Affiches du 28 Juin 1999, p. 11 et spéc. p. 19.

(343) – La responsabilité civile du prêteur au titre de l'octroi d'une crédit à un particulier, RDBF. 2001. 50.

(344) –D. Arlié, Du particularisme du droit de la consommation et de ses limites : à propos de divers enseignements jurisprudentiels en matière de crédit immobilier, RJDA -2000.3.

(345) – C'est surtout, à notre sens, ici que réside la seule protection des tiers. (346) – Civ. 1ère, 4 Juillet 1995, (npb) RDBB 1996. 52, note F. Crédot et Y. Gérard. (347) – Com. 15 Juin 1999, (npb) RDBB 1999.1986, note F. Crédot et Y. Gérard. (348) – Voir Stoufflet, DP. 1999, p. 592.

Retenir le devoir de vigilance plutôt que le devoir de conseil comme fondement de la responsabilité du banquier dispensateur de crédit a pour effet de rendre plus objective l'appréciation de cette responsabilité et donc, de la renforcer. En effet, la banque ne pourra invoquer, pour échapper à sa responsabilité, la connaissance ou l'expérience du crédité (349). Il n'y a pas lieu de s'en étonner.

En effet, il ne faut pas perdre de vue que la responsabilité de la banque pour octroi de crédit ne peut être retenue que dans la mesure où la banque connaît la situation irrémédiablement compromise de l'emprunteur ou bien lorsqu'elle sait que ce denier n'est pas en mesure de rembourser le crédit.

En d'autres termes, pour que le concours soit fautif, il faut que la banque décide sciemment de financer une entreprise dont elle connaît la situation irrémédiablement compromise ou bien dont elle sait que sa situation financière ne lui permettra pas d'effectuer le remboursement. Dans de telles hypothèses, peut-on admettre que les connaissances et l'expérience du dirigeant exonèrent la responsabilité de la banque ? Faut-il accepter que la banque puisse, en connaissance de cause, consentir un concours qui aura pour effet de prolonger artificiellement la vie de l'entreprise ou bien un crédit qui ne sera pas remboursé, au seul motif que l'emprunteur est une personne morale, dotée de services juridiques, comptables et financiers compétents ?

Nous ne le pensons pas ; le concours est fautif, quelles que soient les connaissances et l'expérience du bénéficiaire du crédit.

Le recours à l’obligation d'information et / ou au « devoir de conseil » pour justifier la responsabilité du banquier dispensateur de crédit permettait également de préciser les limites de cette responsabilité : les auteurs et les tribunaux estiment, par exemple, que la responsabilité n'est pas engagée à l'égard du dirigeant qui connaissait la situation financière de son entreprise. Puisque nous avons substitué à ce fondement le devoir de vigilance, il nous appartient de rechercher quelles sont les limites de la responsabilité du banquier lorsqu'elle est fondée sur ce devoir.

Pour procéder à cette recherche, nous avons choisi de déterminer la nature et l’étendue des obligations du banquier, lorsqu’il vérifie l’opportunité du crédit qu’il s’apprête à consentir.

(349) – Pour une illustration jurisprudentielle, voir Com. 18 Juin 1996, J.c.p E. 1996. Il. 896 note D. Legeais.

B

La nature et l’étendue des obligations liées

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