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La détermination du domaine d’application du devoir de conseil

L’importance du contentieux qui se trouve réglé grâce à la richesse et à la flexibilité de l’obligation de conseil, laisse présager l’amplitude du domaine où se meut la notion. Celle-ci

n’a cessé de se déployer dans de multiples directions au point de sembler parfois dominer le droit des obligations (231).

Cette emprise loin de s’effectuer dans l’anarchie la plus complète, comme pourrait le laisser supposer la création par strates et rebonds de l’obligation, a été développée par le juge ou le législateur en considération de deux termes qui constituent les frontières de celle-ci. Tantôt, l’obligation de conseil a pour borne la volonté des parties qui ont entendu inclure dans leur contrat une telle prestation. Tantôt, l’obligation se déploye dans un espace où la disproportion des forces en présence impose au nom de l’équité que soit rétabli entre les interlocuteurs un certain équilibre. Dans cette optique, l’obligation de conseil sert à compenser une inégalité de connaissances qui risque de déboucher sur des abus de puissance, et elle permet de protéger l’ignorant de la domination d’un sachant.

En considération de ce but, les lisières de l’obligation de conseil peuvent être repoussées à l’extrême. Dans l’absolu, il suffirait qu’une partie au contrat possède un élément de connaissance ignoré de son partenaire pour la rendre débitrice à l’égard de celui-ci d’un conseil qui comporterait la divulgation du renseignement assorti de suggestions quant à la conduite à tenir.

Le droit positif est moins excessif : il réserve l’obligation de conseil à une catégorie particulière de sachants, ceux qui interviennent dans l’exercice de leur profession et qui sont censés, sinon posséder la sagesse, du moins avoir pénétré une science et maîtriser une technique, toutes qualités qui les autorisent à émettre une opinion fondée et qui les contraignent à guider correctement, efficacement l’ignorant.

Dès lors que les frontières de l’obligation de conseil se trouvent dans ces deux termes : contrat et intervention à titre professionnel d’un initié, des interférences apparaissent inévitablement, qui confrontent le juge à la question de la hiérarchie, à établir lorsque dans une situation donnée, l’obligation de conseil relève autant d’un terme que de l’autre.

L’analyse classique, à défaut de texte légal instituant une différence de traitement entre le professionnel et le consommateur, ne peut aboutir qu’à consacrer la primauté du contrat, expression de la volonté des parties. Aussi la politique jurisprudentielle a-t-elle été pendant longtemps, et même encore de nos jours, d’essayer de faire rentrer l’obligation dans le cadre de la loi des parties, la considération de l’intervention à titre d’initié d’une personne venant en complément ou en palliatif.

Cette suprématie du contrat ne coïncide pas toujours avec l’esprit de l’obligation de conseil. Mais avant que la nécessité d’un droit de la consommation ne soit admise, les principes philosophiques inspirant le droit civil rendaient très délicat pour le juge

l’établissement d’une liaison directe entre l’obligation et la qualité de professionnel d’une personne.

Ce juge n’a pourtant pas hésité à briser le tabou et à reconnaître d’une part que la confiance qu’inspire ceux qui s’affichent publiquement comme initiés détermine l’engagement de ceux qui se ressentent comme profanes et d’autre part que cette confiance ne doit pas être trompée. Dans une société marquée par l’éclatement des connaissances et la spécialisation des tâches, le terme sociologique peut prendre le pas sur le terme juridique.

En effet, si on définit de cette façon le domaine d’application, il est évident que certaines hypothèses, qui n'ont pas fait l'objet d'un contentieux, seront exclues alors même qu'une décision postérieure viendra reconnaître l'existence d'un devoir de conseil dans une telle situation. De plus, il apparaît clairement qu'une telle définition ne pourrait être que changeante et par conséquent largement imparfaite. Enfin, il ne nous semble pas que la jurisprudence agisse de façon 'indéterminée. Au contraire, elle répond aux demandes suivant un critère prédéterminé.

Il doit donc nécessairement exister un principe de solution gouvernant la matière, un principe sous-jacent, non énoncé mais qui permet de fixer le domaine d'application du devoir de conseil du banquier. C'est cette règle que nous allons tenter de mettre à jour.

Quel critère permet de mesurer le champ d'application du devoir de conseil ? On peut en imaginer plusieurs, l'essentiel étant de choisir le plus juste.

Un auteur (232) a d’abord pu relever qu'une obligation de conseil devait être exécutée par le banquier chaque fois que celui-ci était tenu à une obligation d'information légale. Si à première vue, cela peut paraître judicieux, une analyse plus poussée montre que cette solution ne peut prospérer. La reconnaissance jurisprudentielle la plus courante du devoir de conseil a eu lieu dans trois domaines, les opérations boursières, l'octroi de crédit au consommateur, les assurances-groupes. Il est vrai qu'il existe à chaque fois une obligation d'information légale. Cependant, la Jurisprudence a reconnu dans d'autres matières un devoir de conseil (233). De plus, ce serait un contresens que de restreindre ainsi le devoir de conseil. En effet, la reconnaissance jurisprudentielle du devoir de conseil a pour origine, on l'a vu, le déséquilibre patent entre le banquier et son client. Lorsque la loi impose au banquier une obligation d'information, celle-ci trouve la même justification. Ainsi, lorsque le juge découvre une obligation de conseil « malgré » l'édiction d’un devoir légal d'information, il décide que le déséquilibre existant entre le banquier et son client n’est pas comblé par

(232) – Bigot (J.), Le devoir de conseil des non-professionnels de l'assurance, R-J droit bancaire et de la bourse, Janv./Févr. 1999, n° spécial, p. 15, n° 2.

(233) – Voir par exemple, en matière de garantie à première demande ; Cass. Com. 3 Mai 2000, D. 2000, Actualité Jurisprudentielle, p. 286, obs. Fadoul (J.)

l'obligation légale. Dès lors, dans la situation contraire, l'obligation de conseil doit exister a fortiori, puisque le déséquilibre est d'autant plus grand qu'il n'y pas de devoir légal d'information. Nous devons donc rejeter le critère proposé par M. Bigot.

Un autre critère pourrait être tiré de l'existence d'un risque ou non dans le contrat. En effet, le devoir de conseil résulte d’un déséquilibre entre client et banquier. Le banquier doit conseiller son client profane pour éviter que le risque inhérent à l'opération ne se réalise à son préjudice. Dès lors, on pourrait cantonner le devoir de conseil aux seules opérations risquées, ou, plus précisément, aux opérations les plus risquées, puisque toutes les opérations bancaires présentent un risque. En effet, certaines opérations ne sont risquées que dans la mesure où elles sont un « fait de l'homme » et que le risque zéro n'existe pas. Dès lors, seules les opérations les plus risquées feraient l'objet d'un devoir de conseil, les autres non. Un auteur (234) a pu le soutenir, s'agissant des opérations boursières. Pour lui, le banquier n'est tenu à un devoir de conseil que sur les valeurs du marché à terme, car ce sont les plus dangereuses.

Cependant, cette solution ne nous paraît pas juste. En effet, comment distinguer les opérations risquées de celles qui ne le sont pas ? L'appréciation du risque est différente selon les personnes. Une opération risquée pour l'un ne le sera pas forcément pour l'autre. Il faudrait alors prendre un étalon pour définir quelles sont les opérations risquées et celles qui ne le sont pas. Un étalon juste qui ne verserait pas dans les extrêmes. Ce pourrait être le bon père de famille. Seulement, il n'est fait aucune référence à un tel raisonnement en jurisprudence. De plus, il nous semble que ce serait mélanger là deux registres différents : le premier, afférent aux parties au contrat qui permet de connaître quels sont les titulaires de l'obligation de conseil et le second qui permet de déterminer à l'occasion de quel contrat le cocontractant peut se prévaloir d'un devoir de conseil.

Il nous faut donc chercher ailleurs la clé de la détermination du champ d'application du devoir de conseil. A notre avis, il faut revenir sur son fondement. Le devoir de conseil est une obligation contractuelle, attaché à une prestation de service. C'est l'Article 107 du Code Civil Algérien qui justifie l’obligation de conseil. Il dispose, en effet, que : « Le contrat oblige non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore, à toutes les suites que la Loi, l’usage et l’équité considèrent comme une suite nécessaire de ce contrat d’après la nature de l’obligation ». Cette règle vise toutes les conventions et ne distingue pas suivant les contrats. Dès lors, il semble bien que tous les contrats bancaires, sans distinction, sont susceptibles de générer une obligation de conseil. Cela est confirmé par la jurisprudence relative au

(234) – Obs. Fadoul (J.), sous-arrêt Cass. Com. 3 Mai 2000, D. 2000, actualité jurisprudentielle, p. 286.

devoir de conseil. On remarque en effet que toutes les opérations effectuées par Ie banquier sont concernées. Ainsi, les opérations bancaires, telles que définies à l'Article 66 de l’Ordonnance n° 03-11 relative à la monnaie et au crédit, emportent un devoir de conseil à la charge de la banque. Par exemple, en effet, la Cour fait supporter aux banquiers, dans l'octroi de crédit, un devoir de conseil. C’est la même chose en ce qui concerne les opérations annexes (opérations boursières, par exemple) et les opérations non bancaires (en matière de bancassurance par exemple). De plus, un arrêt de la Cour de cassation en date du 5 Février 1991 (235) vient expressément reconnaître que le devoir de conseil existe alors même que l'opération en cause n'est ni anormale ni exceptionnelle. Elle admet ainsi implicitement que le devoir de conseil a une portée générale. Une difficulté paraît surgir cependant en ce qui concerne les contrats de conseil conclus entre la banque et son client. Par exemple, les contrats de conseil en gestion du patrimoine ou en gestion financière. Si le contrat a pour objet d'imposer au banquier une obligation de conseil, alors on voit mal comment il pourrait exister une obligation de conseil accessoire. Cependant, le devoir de conseil pourra quand même trouver sa place. En effet, l'obligation de conseil principale va résulter de la volonté des cocontractants alors même que l'obligation de conseil accessoire résulte de l'équité comme nous l'indique l'Article 107 du Code Civil Algérien. Ainsi, n’ayant pas le même fondement, les deux obligations peuvent coexister. On peut faire à ce sujet un parallélisme avec l'obligation de reclassement telle qu'elle existe en droit du travail. La chambre sociale de la Cour de Cassation a, sur le fondement de l’Article 1135 du Code Civil Français correspondant à l’Article 107 du Code Civil Algérien, admis qu’il existe à la charge de l’employeur une obligation de reclassement, Dans le même temps, la loi a mis à la charge de l'employeur, par le biais du plan social, une obligation de reclassement. Pourtant la Cour de cassation décide que l'employeur n'a pas exécuté son obligation de reclassement contractuelle lorsqu’il a mis, sur pied un plan social car ces deux obligations n'ont pas le même fondement. Le raisonnement en ce qui nous concerne est exactement le même. Certes, le devoir de conseil du banquier sera extrêmement réduit dans le cadre d'un contrat de conseil. Néanmoins, il subsistera à toutes fins utiles. Ainsi, par exemple, en matière de conseil en gestion financière, il existe plusieurs types de contrats. Le devoir de conseil peut alors consister à aiguiller le client vers tel ou tel type.

Dès lors, on va conclure que le domaine d'application du devoir de conseil est aussi vaste que l'activité bancaire elle-même. Il ne faut pas s'en étonner dans la mesure où les banquiers ont tendance à diversifier leurs activités. Dès lors, infliger un cadre au devoir de conseil, ce serait renoncer à protéger les futurs clients des nouvelles opérations proposées,

ce qui n'est évidemment pas dans la logique même du devoir de conseil. Maintenant que nous avons étudié le principe de solution qui gouverne le domaine d'application du devoir de conseil, il nous faut étudier la mise en oeuvre de ce principe en étudiant les applications du devoir de conseil.

Paragraphe II

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