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La banque doit contrôler l’adaptation du crédit à la situation financière du crédité

La responsabilité du banquier étant fondée sur le devoir de vigilance, ses obligations sont celles qui découlent de ce devoir. En vertu du devoir de vigilance, le banquier doit contrôler que l’opération ne présente pas d'anomalie. En cas d'anomalie, il doit vérifier si celle-ci n'est qu'apparente ou si elle est bien réelle et dans cette dernière hypothèse, il doit faire tout ce qui est en son pouvoir pour éviter que l'opération anormale entraîne un préjudice pour qui que ce soit.

En matière d'octroi de crédit, les obligations du banquier sont identiques, sous réserve d’une adaptation mineure. La vérification de la situation financière de l'emprunteur et de l'adéquation du crédit à ses facultés de remboursement s’articule avec le devoir de vigilance de la manière suivante.

En toutes circonstances, le banquier doit vérifier si son client n'est pas en situation irrémédiablement compromise et si sa situation financière lui permettra de procéder au remboursement du crédit.

La jurisprudence définit avec précision ces obligations : même en l'absence d'anomalie apparente, la banque doit procéder aux vérifications d'usage en obtenant par exemple les bilans certifiés, ou une étude révélant une augmentation du chiffre d'affaires (350). Telle est l'adaptation mineure du devoir de vigilance, lorsqu'il s'applique à l'octroi de crédit.

Ensuite, les règles du devoir de vigilance s'appliquent de la même façon que pour Ies autres opérations : si ces premières investigations ne révèlent pas d’anomalie apparente, la banque n'a pas à effectuer d'autres recherches (351) car celles-ci seraient contraires au principe de non-immixtion (352). Lorsque la banque s'est heurtée à des difficultés matérielles l'ayant empêchée d’avoir connaissance de la situation irrémédiablement compromise, sa responsabilité n'est pas engagée (353).

Si, au terme de ces vérifications d'usage, une anomalie apparaît, alors le banquier devra pousser plus loin ses investigations et rechercher si l'anomalie n'est qu'apparente ou bien réelle (354).

La question se pose alors de savoir si ces vérifications complémentaires se heurtent au principe de non-immixtion.

(350) – TGI Paris, 11èmeCh. 5 Octobre 1998, Banque et Droit Mars-Avril 1999. 51, note J.-L. Guillot. (351) – Com. 27 avril 1982, Banque 1982. 1516, note L. M-Martin ; Com 8 Octobre 1991, n° 1179,

Juridisque LAMY ; Paris, 8 Janvier 1991, Juris-Data n° 021032 ; Paris, 2 Octobre 1991, Juris-Data n° 024085 ; Com. 2 Juin 1992, MACARIO / SBP, n° 963, Juridisque LAMY : L'accroissement d'un concours résultant d'engagements nés avant que la banque ait eu connaissance de la situation irrémédiablement compromise n'est pas fautif.

(352) – Com. 16 Janvier 1996 (npb), n° 106, Juridisque LAMY; RPC. 1996. 393 note A. Martin-Serf ; Quot. Jur. 21 Mars 1996. 3.

(353) – Com. 26 Avril 1994, R.D.B.B 1995. - 14, obs. F. Crédot et Y. Gérard : en raison des difficultés organisationnelles, informatiques et comptables de la société débitrice en cours de restructuration, la banque n'avait pu avoir connaissance de la situation irrémédiablement compromise dans laquelle se trouvait cette entreprise.

(354) – Com. 26 Mars 1996, (Bull. n° 95, p. 80 ; J.c.p. 1996. E. Pan. 612 : D. Aff. 1996. 580 ; Banque et Droit Novembre-Décembre 1996. 40) ; Voir également, très net, Dijon 18 Septembre 1997, (Les Petites Affiches du 21 Janvier 1998, p. 28, note D. R. Martin) : responsabilité de la banque pour n'avoir pas effectué des vérifications plus approfondies alors que les documents qu'elle détenait laissaient apparaître des anomalies, notamment quant à l'identification de l'entreprise. Dans le même sens : Com. 15 Juin 1999, (npb) n° 1234, qui retient la responsabilité de la banque au motif qu'elle a négligé les informations de nature à l'alerter sur les pratiques frauduleuses de sa cliente.

Les auteurs y répondent en grande majorité par la négative, estimant que le principe de non-immixtion doit céder devant le devoir de vigilance (355). La jurisprudence est également en ce sens (356).

Nous partageons cette opinion. En effet, dans les rapports entre les différents devoirs généraux du banquier, lorsque les intérêts des tiers sont en cause, le principe de non-immixtion doit céder devant le devoir de vigilance.

Dès lors que l'attention du banquier a été attirée sur le caractère anormal d'une demande de crédit, l'établissement de crédit doit approfondir ses investigations et si son client lui oppose le respect du principe de non-immixtion, le crédit doit être refusé.

Il reste à trancher une question très controversée, aussi bien en doctrine qu'en jurisprudence : le banquier doit-il faire preuve d'une vigilance particulière lorsqu’il envisage de consentir un crédit à une société dont le dirigeant est incompétent ?

La jurisprudence l'admet lorsque sont réunies des « circonstances exceptionnelles » justifiant que le dirigeant ignore la situation de l'entreprise qu'il gère (357). La Cour de cassation ne précise pas quelles sont ces circonstances exceptionnelles mais pour en déter-miner le contenu, on peut raisonnablement se référer à la signification que cette expression revêt en droit du cautionnement : lorsqu'en raison de circonstances exceptionnelles, la

(355) – J.-L. Rives-Lange et M. Contamine-Raynaud, 6èmeEd. (P. 156) estiment que la banque n'est plus un simple exécutant et doit s'informer en dehors des cas où une anomalie apparaît. Ils écrivent « Ce devoir d'information est la négation du devoir de non-ingérence » (opcit., n° 171, p. 156). Mais par ailleurs, les mêmes auteurs indiquent que le banquier est tenu d'une obligation de se renseigner sur la situation de l'entreprise, cette obligation étant limitée par le principe de non-immixtion (op. cit. n° 654, p. 603) et énoncent que « le devoir de s'informer doit être combiné avec le devoir de non-ingérence; il ne peut être reproché à la banque d'avoir laissé le client conclure des contrats désavantageux » (note 5, p. 603). Il semble donc que la position des auteurs sur ce point ne soit pas très claire. Voir également, Vézian, thèse préc., p. 159 s. ; J.-F. Crédot, L'octroi de crédit et l'obligation de conseil du banquier, Droit et Patrimoine 1994. 34 et obs. sous Com. 18 Novembre 1997, R.D.B.B 1998.12 ; F. Grua, selon lequel, en matière de crédit, le banquier est tenu d'une obligation de se renseigner qui n'est pas limitée aux seuls cas d'anomalies apparentes, de sorte que le banquier ne peut se retrancher derrière le principe de non-immixtion (Les contrats de base de la pratique bancaire, Litec 2000, n° 55). Et l'auteur d'en conclure que le principe de non-immixtion ne peut jouer que pour des opérations de masse, standardisées par opposition aux opérations où doivent être prises en considération la personnalité et l'état des affaires du client ; plus réservé, Vasseur, note sous Com. 9 Mai 1978, 4C c./ BFCC, D. 1978. J. p. 419 et plus particulièrement p. 425, col. De droite, dernière phrase du 1erParagraphe.

(356) - Com. 11 mai 1999, BNP c. époux Meneteau, Bull. n° 95, p. 78 ; rapport de la Cour de Cassation pour 1999, 357 ; J.c.p E. 1999. 1730, note D. Legeais ; RJDA 1999. 495, conclusions M.-C. Piniot; R.T.D.Com. 1999. 733, obs. M. Cabrillac; RDBB 1999. 184, note F. Crédot et Y. Gérard ; Les Petites Affiches du 15 Juin 1999. 12, note L. C.

(357) – Com. 11 Mai 1999, BNP c. époux Meneteau, Bull. n° 95, p. 78 ; rapport de la Cour de cassation pour 1999, 357; JCP. E. 1999. 1730, note D. Legeais ; R.J.D.A 1999. 495, conclusions M.-C. Piniot ; R.D.B.B 1999. 184, note F. Crédot et Y. Gérard; Les Petites Affiches du 15 Juin 1999. 12, note L. C.

caution dirigeant ignore la situation de la société qu'elle dirige, elle peut alors rechercher la responsabilité de la banque. Ces circonstances sont caractérisées lorsque le dirigeant est particulièrement jeune, inexpérimenté, âgé, malade, profane ou que ses fonctions sont purement nominatives.

Pour donner un fondement à cette jurisprudence, on pourrait énoncer que les circonstances exceptionnelles constituent une anomalie qui, si elle est apparente, doit éveiller l'attention du banquier. Faute de justifier qu'il a fait preuve d'une vigilance particulière, le banquier engage sa responsabilité à l'égard des tiers pour avoir consenti un crédit à une société dont le dirigeant était manifestement incompétent.

Faut-il reconnaître au dirigeant la possibilité de se prévaloir de sa propre incompétence pour reprocher à la banque d'avoir consenti un crédit à l'entreprise qu'il dirige ?

Nous ne le pensons pas.

Le dirigeant est avant tout un praticien de la vie des affaires, laquelle obéit à un impératif de rapidité et de sécurité. Il n'est pas concevable que chaque professionnel doive, avant de contracter avec une société, contrôler les capacités de son dirigeant.

Le dirigeant est un professionnel, au même titre que le banquier, et la relation de crédit entre une société et une banque est une relation entre professionnels. Certes, ils n'ont pas la même spécialité. Mais ainsi que nous l'avons expliqué, l'appréciation de l'opportunité d'un crédit se trouve à cheval sur les deux domaines de compétences : celui du financement (compétence du banquier) et celui de la gestion (compétence du dirigeant).

Il est vrai que certains dirigeants, incompétents ou inexpérimentés, souscrivent en toute bonne foi des crédits inadaptés aux capacités de remboursement de leur entreprise. Mais alors, le dirigeant commet une faute en décidant d'assumer la gestion d'une société alors qu'il n'en a pas les capacités. De même, la société commet une faute en désignant un dirigeant sans s'assurer de ses capacités de gestion. Ces fautes sont à l'origine du préjudice subi par la société. Admettre le contraire reviendrait à permettre à une société, qui a désigné pour assurer sa gestion un mauvais dirigeant, de remettre en cause tous les actes passés par celui-ci au prétexte que les tiers n'ont pas vérifié ses compétences.

Actuellement, les tribunaux n'admettent pas que la société puisse ainsi faire supporter son erreur d'appréciation des capacités du dirigeant par les tiers. Rien, à nos yeux, ne justifie qu'une telle responsabilité soit mise à la charge des banques.

Nous en déduisons qu'une société ou bien le dirigeant d'une entreprise qui n'a pas la forme d'une société ne disposent pas d'un intérêt légitime à invoquer leur propre incompétence à l'appui d'une action en responsabilité bancaire pour octroi de crédit abusif. Un tel moyen doit être écarté lorsqu'il est invoqué par le dirigeant ou la société bénéficiaire

du crédit.

Ainsi sont définies les obligations que la banque doit exécuter pour apprécier si le crédit est adapté aux capacités de remboursement de l'emprunteur. Le banquier n’a pas d’autres obligations que celles qui viennent d'être examinées ; notamment, il n’a pas à contrôler que le crédit est adapté à l’activité de son client.

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La banque n’a pas à contrôler l’adaptation de son concours

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