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Histoire de la construction de l’État moderne entre le XIIe et le XVIIe siècle

La deuxième partie est consacrée à l’examen des différentes étapes qui ont donné lieu à l’apparition d’un système fiscal en France. Cette partie s’inscrit dans la démarche abductive et dans le cadre analytique régulationniste que nous avons déterminé dans la partie précédente. Les dimensions du RFF constituent en ce sens le cadre à partir duquel la construction sociale du système fiscale sera appréhendée. Cette deuxième partie se compose de deux chapitres qui se placent dans une perspective historique.

Le chapitre 3 analysera la construction du système fiscal dans son ensemble entre le XIIe et le XVIIe siècle. Dans un premier temps, à travers l’étude des revenus du pouvoir royal, nous mettrons en évidence que la construction du système fiscal ne s’est pas faite aisément et a suscité des oppositions. À l’aide de données de l’European State Finance Database, nous serons en mesure de mettre en lumière le processus pluriséculaire dans lequel le pouvoir royal cherche à s’extraire de l’emprise des structures féodales. C’est au tournant du XIVe et du XVe siècle que ce pouvoir devient un État consolidé, à la suite de l’institutionnalisation d’impôts pérennes et réguliers. Étudier l’histoire de la fiscalité sur le temps long se justifie par le fait que durant cet intervalle historique, entre le XIIe et le XVIIe siècle, le pouvoir royal se transforme en un pouvoir impersonnel. L’apparition de multiples organisations et d’agents participe à ce processus de dépersonnalisation. Ce dernier s’inscrit en effet dans un phénomène accentuant la division du travail et la délégation du pouvoir royal. Au sein de ce chapitre, nous exposerons les principaux agents qui font partie de ce processus et qui permettent le recouvrement de l’impôt et la constitution d’une base matérielle, à partir de laquelle le pouvoir royal se développe. Le démembrement de la curia regis en de multiples conseils est une illustration du processus de dépersonnalisation du pouvoir qui se manifeste par un approfondissement de la spécialisation des tâches par conseil. Enfin, la formation de l’État fait face à des oppositions de la part du pouvoir pontifical et seigneurial, mais génère aussi des révoltes fiscales, des jacqueries, d’origine paysanne et bourgeoise. Ces conflits constituent le pendant de l’institutionnalisation du système États et sont à cet égard intéressants, car révélateurs des rapports de domination engendrés par l’affirmation du pouvoir de cette institution.

Le chapitre 4 portera essentiellement sur les offices en tant qu’organisation centrale du RFF. Nous mettrons en lumière qu’elle participe fortement au changement institutionnel de l’État, notamment entre le XVe et le XVIIe siècle. Le niveau d’analyse de ce chapitre se veut ainsi moins global, mais plus organisationnel, à travers l’étude des offices. L’évolution institutionnelle des offices met en exergue les transformations profondes du système fiscal et les conséquences sur la régulation de l’État qui reposent en définitive sur ce type d’organisation. À l’aide d’un travail d’archives sur les principaux documents administratifs du XVIe et du début du XVIIe siècle, nous pourrons mettre en

évidence la transformation des offices qui sont initialement un don du roi, puis deviennent un bien appropriable, transmissible et échangeable. L’apparition du rapport monétaire génère des effets considérables que nous nous proposons de documenter dans ce chapitre. Les changements profonds des offices suscitent des tensions à la fois parmi les principaux agents du royaume, et parmi les trois ordres lors des États généraux de 1614-1615. Pour mettre en relief ces tensions, nous nous appuierons sur le travail d’archives que nous avons réalisé sur les Cahiers généraux de ces États généraux. L’édit de la paulette en 1604 concentre toutes les tensions au sujet des transformations d’offices qui, à partir de cette loi, deviennent pleinement patrimoniaux et vénaux, et s’inscrivent dans le cadre juridique de la propriété privée. L’origine de ces transformations plonge ses racines dans la nécessité matérielle du pouvoir royal de voir ses revenus s’accroître pour financer ses guerres et son développement. Grâce à notre travail d’archives original réalisé dans le fonds « Sully » des Archives nationales, nous expliciterons, d’une part, les effets immédiats de l’édit de la paulette sur les comptes royaux ; et d’autre part, ce que cela traduit dans le domaine de la structuration des revenus totaux du pouvoir royal, et dans la dynamique institutionnelle de l’État. Nous montrerons enfin que l’État au XVIIe siècle peut être considéré comme l’«État d’offices » (Chaunu, 1993) qui se caractérise par un renforcement substantiel du pouvoir des officiers, au point que ces derniers contestent la légitimité du roi, matérialisée par le Conseil du roi, lors de l’évènement de la Fronde. L’étude des mémoires de Colbert permettra de souligner la montée en puissance des offices dans le RFF au cours du XVIIe siècle, avec la Fronde comme parachèvement de cette augmentation de pouvoir. Dans la perspective de contrecarrer cette dynamique favorable aux offices, le pouvoir royal met en place des stratégies, comme celle consistant à créer d’autres agents royaux, les intendants, ou à supprimer la vénalité étatique des offices, sous Colbert, à travers l’instauration d’un prix administré au-delà duquel les offices ne peuvent pas être vendus.