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En France, ces auxiliaires italiens eurent peu de raisons de se réjouir. Il y en eut cependant, en particulier lorsqu’ils prirent conscience qu’ils faisaient partie d’une véritable armée du monde, ce qui renforçait leur courage, ou lorsqu’ils avaient la

. Ministero della Difesa,L’esercito italiano nella Grande Guerra (-), vol. VII : « Le operazioni... »,op. cit., p. , n. .

. SHD/GR,  N /arm. it.  : télégramme chiffré n / du président du Conseil français à l’attaché militaire français à Rome, secret, Paris le  août .

. AUSSME, E -/ : correspondance entre le général di Robilant et le ministère de la Guerre, mai-août .

. SHD/GR,  N  : lettre du président de la commission de contrôle postal du bureau frontière C au lieutenant Doyen, GQG, secteur postal , le  mai .

L       chance de trouver une bonneplanque. Mais beaucoup n’éprouvèrent pas ces senti-ments, ou de manière fugace, car, dans la zone du front, la mobilité fut permanente à cause des combats et bien souvent, les affectations suscitèrent plus de déception que de satisfaction.

. Soldats d’une armée du monde

La découverte du camp de Mailly provoqua parfois un choc. Les auxiliaires ita-liens, qui y transitèrent, éprouvèrent sans doute ce qu’Annita Italia Garibaldi, petite-fille de Garibaldi et infirmière au II corps d’armée italien, ressentit face à cette « tour de Babel » qui se présentait à ses yeux :

Le camp est comme un village s’étendant à l’infini et composé de baraquements de tout genre et de toute dimension. Un mélange de drapeaux, de couleurs, d’uni-formes, une tour de Babel, une agglomération de transports à cheval, à moteur, une file de tanks grands et petits, des camions de tout calibre, des montagnes de muni-tions, de charbon et d’instruments les plus variés, des appareils guerriers et, non loin, un vaste champ d’aviation. [...] En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, j’avais reconnu des Portugais, des Tchécoslovaques, des Suisses, des Australiens, des Nègres (sic), des Africains du Sud, mêlés aux Français, des Anglais, des Américains, tous en mouvement et extraordinairement actifs¹.

Les militaires de toutes les armées du monde semblaient s’y être donnés rendez-vous. Un compatriote des auxiliaires des TAIF, le caporal Vittorio Resta, du  régiment d’infanterie italien, en fut stupéfait :

La foule qui encombrait les ruelles, était composée de militaires appartenant à toutes les armées belligérantes. Il y avait, outre les troupes alliées, les soldats colo-niaux, de sorte que l’on voyait mélanger les uniformes les plus étranges et les plus bizarres, et des visages de toutes les couleurs. J’ai noté les Écossais, les Irlandais, les Américains, les Portugais, les Japonais, des Arabes, des Marocains, des Nègres (sic), etc. (sic). Les cinq races du monde étaient représentées².

Ce fut d’ailleurs à Mailly que pour la première fois il vit des soldats allemands prisonniers. Il ne put réprimer un sentiment d’admiration et de crainte face à ces « hommes jeunes et blonds, robustes, avec un air indifférent et méprisant peint sur le visage³». Ces sentiments furent largement répandus dans les rangs des soldats italiens, exprimés parfois de façon enthousiaste, à l’image de ce soldat qui écrivit à

. Annita Italia G,Une infirmière italienne au ont ançais, Roma, A. I. Garibaldi, , p. .

. Memorie del caporale Vittorio Resta, document manuscrit de  feuillets, fonds privé, f . . Ibid., f .

 L   …

une dame début mai  : « Le monde entier est en France¹! » et de cet autre, le  juin  :

Malgré l’avance des boches, nous conservons tout de même bon espoir. Comment voulez-vous qu’on perde courage ? Ce n’est pas possible. Italiens, Français, Anglais, Américains, Belges, Colonies, tous ces gens ont à supporter les ruées violentes de l’ennemi, mais cet ennemi arrivera bien à se lasser à son tour, arrivera où il devra courber l’échine. En supposant même qu’il soit victorieux, il est obligé de passer par toutes les puissances pour pouvoir suffire à ses propres besoins. Par conséquent, s’il veut obtenir après la guerre les matières qui lui seront nécessaires pour sa vitalité, il sera obligé de se soumettre aux exigences des autres pays².

Ainsi un sentiment mêlé d’orgueil et d’inquiétude envahissait progressivement les soldats italiens. Tous sentaient en effet confusément que cette armée qui se battait en France était l’armée du monde libre contre les puissances germaniques oppressives et diabolisées, et ils étaient fiers de faire la guerre au milieu de telles troupes. En même temps, ils se rendaient compte de l’hétérogénéité de cette armée du monde, et surtout, ils prenaient conscience que les Italiens ne constituaient qu’une infime partie des effectifs engagés. Comme l’écrivit Annita Italia Garibaldi : « Nous aussi, nous sommes là seulement de passage³. » Et l’angoisse pouvait étreindre certains Italiens. Un auxiliaire se laissa ainsi aller, en exprimant à une amie :

Si tu savais dans quelle partie de la France je me trouve, si tu savais que je suis perdu au milieu de la campagne où l’on ne voit d’autres faces humaines que celles de soldats de toutes les nations, venus ici de toutes les parties du monde, tu serais prise d’une envie de mourir qui te ferait désirer être frappée d’une de ces grenades qui arrivent tout près d’ici⁴.

Pour autant, les Italiens furent sans doute plus marqués par leurs rencontres avec beaucoup d’Italo-américains venus se battre en France dans les rangs de l’armée des États-Unis. Les relations qu’ils entretinrent avec eux furent chaleureuses et pleines d’admiration. Au fond, il s’agissait de « compatriotes ». Fin mai , un auxiliaire écrivit ainsi à sa fiancée : « Nous sommes au milieu des Américains qui nous aiment vu que parmi eux il y a bon nombre de vrais Italiens. Dans ces troupes américaines, on trouve seulement   de nationaux, le reste est formé d’Italiens, de Polonais, d’Allemands et de quelques Français⁵. »

. SHD/GR,  N  : CP du  mai ,  compagnie des TAIF.

. SHD/GR,  N  : CP II armée, rapport n  de la sous-commission de contrôle postal de Saint-Dizier, le  juin .

. Annita Italia G,op. cit., p. .

. SHD/GR,  N  : CP de la  compagnie des TAIF,  mai . . SHD/GR,  N  : CP du  au  mai .

L       Le soir, certains se retrouvaient à la cantine pour discuter en italien. Ainsi un officier italien de la  compagnie écrivit à son oncle début juin  :

Ces jours-ci nous avons eu cependant une distraction, l’arrivée des troupes améri-caines qui elles aussi viennent écraser l’ennemi détesté. C’est une armée qui voyage équipée avec tout ce qui est possible et imaginable, et avec la ferme conviction d’apporter la victoire aux alliés. Ce sont de gros jeunes gens, droits comme un i, barbes et moustaches rasées, portant un costume kaki et qui se pavanent dans leur élégance et leur richesse. Ce qui mieux est, c’est que la plus grande partie nous sont sympathiques (sic) car un grand nombre sont italiens (sic) personnes qui parlent aussi bien notre langue et qui causent volontiers de tout. Avec leur éducation et leur sérieux, ils se font admirer et sont traités avec beaucoup d’égard¹.

Mais certains éprouvaient également de la jalousie vis-à-vis de ces soldats qui res-taient à l’instruction, à l’arrière, et qui jouissaient d’avantages incroyables, à leurs yeux. Un auxiliaire italien nota ainsi :

Où nous sommes, sont arrivés des soldats américains, mais ils ne devraient pas être appelés soldats, mais petits messieurs. Il y a parmi eux plusieurs Italiens qui ont dit qu’ils étaient contents, que partout où ils vont ils sont très bien vus, d’abord ils ont ce qu’ils veulent comme nourriture, puis un d’Ancône qui a été à Chicago a dit que, après dix mois d’instruction, ils ont commencé à partir. S’ils n’ont pas au moins huit mois d’instruction, ils ne sont envoyés nulle part, puis ils ne restent pas plus de quinze jours au front s’ils n’ont pas encore eu un mois de repos à l’arrière, de plus ils touchent  francs par mois,  francs par mois si sa mère en Italie, et lui laisse  francs par mois de la paye et il a l’assurance sur la vie, en cas d’accident ses parents touchent   écus².

Pour autant, l’arrivée massive des Américains annonçait la victoire finale et donc le retour prochain au pays. Ainsi, début juin , un Italien ne put s’empêcher de rêver, comme des millions de Français :

Espérons au plus tôt la victoire finale et la paix désirée. Ici il y a un grand nombre d’Américains et pour cette raison espérons entendre bientôt cette cloche qui son-nera la paix pour tous, car alors nous pourrons tous retourner dans nos chères familles³.

Et en juillet , après leurs exploits de la contre-offensive, les Américains firent l’objet d’une reconnaissance pleine d’admiration : « Les Américains sont des lions [...]. [Ils] ont combattu pendant sept heures à coups de couteau⁴. » Et encore

. SHD/GR,  N  : CP du  au  juin , VII armée. . SHD/GR,  N  : CP du  au  mai .

. SHD/GR,  N  : CP du  au  juin .

 L   …

en octobre , on pouvait lire : « Les Américains en grand nombre d’origine ita-lienne, sont des soldats merveilleux, forts et très bien équipés. [...] Je crois qu’on aura bientôt la paix. L’Amérique a sauvé le monde entier¹. » L’admiration était profonde et totale, d’autant plus que cette victoire américaine pouvait être perçue comme de « sang italien », du fait du nombre des Italo-américains dans les rangs des troupes de l’Oncle Sam.

. Une mobilité permanente

Les auxiliaires italiens, et tout particulièrement ceux des TAIF, durent aussi supporter une mobilité permanente.

Les percées allemandes du  mars  dans la Somme et du  mai  sur l’Aisne obligèrent les autorités françaises à regrouper les TAIF²de la Seine-Maritime à la Meuse, de Nancy à Belfort, et dans la région parisienne. Certaines unités italiennes durent alors se déplacer, à l’image du XVI noyau, qui, se trou-vant atrou-vant le  mars  à Saint-André dans la Meuse, se retrouva à Eu en Seine-Maritime le  juillet suivant, avant de rejoindre cinq jours plus tard la région de Pontoise dans l’Oise et y rester jusqu’à la fin de la guerre³. Les auxiliaires des  et  compagnies du XVII noyau eurent quant à eux l’impression d’être « devenus des bohémiens ». L’un d’entre eux écrivit en effet :

Le  [mars ] nous étions à trois kilomètres de la ville d’Amiens et l’offensive allemande a commencé. Si tu avais vu les obus qui nous passaient par dessus la tête, par bonheur il n’y eut aucun blessé chez nous, et à minuit on nous faisait partir. On marcha jusqu’au matin [ mars] et l’on s’arrêta dans un village en ruine. On y resta jusqu’à trois heures de l’après-midi, on s’arrêta de nouveau. Nous arrivâmes dans une ferme où l’on dormit dans le foin. Imagine toi quelle faim nous avions ; les poulets y passèrent. Puis nous partîmes [ mars] vers un lieu de rassemblement de troupes où il y avait des soldats de toutes les couleurs, Italiens, Anglais, Chinois, Indiens, etc. On y resta quinze jours [jusqu’au  avril] sans rien faire, et l’on partit dans un autre pays, creuser de nouveau des tranchées où l’on était très bien. En ce moment, il y a cinq jours que nous y sommes et l’on dit que demain [ avril] nous partirons de nouveau. Nous sommes devenus des bohémiens, tous les quatre ou cinq jours, on

. SHD/GR,  N  : CP d’Is-sur-Tille,  compagnie des TAIF,  octobre . . SHD/GR,  N  : carte de localisation des TAIF, mi-juillet .

. SHD/GR,  N  : tableau indiquant la répartition des unités auxiliaires italiennes (à la date du  mars ). SHD/GR,  N  : formation et dislocation des TAIF, Nangis le  juillet . SHD/GR,  N  : formation et dislocation des TAIF, Nangis le  juillet . SHD/GR,  N / : état indiquant l’emplacement des unités de travailleurs italiens à la disposition du directeur des transports militaires aux armées à la date du  octobre , transmis au  bureau du GQG le  octobre , n /DTMA. SHD/GR,  N / : note n  du général inspecteur général des TAIF au maréchal de France, Pétain, commandant en chef, le  décembre . SHD/GR,  N  : tableau de répartition des unités italiennes par noyaux et groupes le  décembre .

L       a le sac sur les épaules. [...] Il paraît que nous allons au camp retranché de Paris [à Grandvilliers], c’est-à-dire y faire des tranchées, on s’éloignerait du front bien qu’on en soit déjà loin, et pour cette raison nous sommes bien¹.

Ces auxiliaires italiens durent donc abandonner, fréquemment, des cantonne-ments qu’ils avaient mis du temps à bien aménager. À leur arrivée, les baraquecantonne-ments étaient exigus, ouverts à la pluie et au froid, et privés de poêles. Mais par la suite, les soldats italiens rappelèrent souvent avec fierté les embellissements réalisés et expri-mèrent la peine de devoir quitter ce qui constituait désormais un havre douillet pour se rendre dans des endroits « sauvages » où il faudrait tout recommencer. La contre-offensive alliée, qui débuta à la mi-juillet  n’améliora pas le sort des unités qui suivirent les troupes dans leur sillage, remontant vers le nord. Certaines passèrent ainsi de l’Oise à l’Aisne (VII et XIX noyaux), et d’autres se retrouvèrent même en Allemagne, comme la  compagnie du VIII noyau installée à Landau le  décembre ². Mais elles se retrouvèrent aussi dans des zones ravagées par les combats. Les problèmes de cantonnement redevinrent alors préoccupants. C’est ainsi que les ,  et  compagnies déplacées dans la région de la Woëvre en novembre , durent bivouaquer dans la nuit du  au  novembre  sur la route par grand froid et privées de tentes³.

. Planquesetgalères

Tous les Italiens ne furent pas logés à la même enseigne, certains trouvèrent la planque, tandis que d’autres dénoncèrent leurs conditions degalériens. Il y eut en effet des « erreurs » dans les affectations. Des mécaniciens furent employés comme plantons, et des terrassiers travaillèrent dans des parcs automobiles⁴. uarante tra-vailleurs militaires italiens furent même détachés au centre hospitalier de Beauvais comme brancardiers⁵. Certains, comme l’auxiliaire Vittorio Sorri, eurent la chance d’être affectés à l’hôtel restaurant des officiers d’Épinal⁶. D’autres assurèrent des

. SHD/GR,  N  : CP des  et  compagnies, secteur , cent soixante lettres lues,  mai .

. SHD/GR,  N / : note n  du général inspecteur général des TAIF au maréchal de France, Pétain, commandant en chef, le  décembre .

. SHD/GR,  N  : lettre n  du commandant Giusti de l’Inspectorat général au com-mandant Lagarde,  bureau, GQG, le  novembre .

. SHD/GR,  N //ouvriers italiens : lettre confidentielle du sous-lieutenant de Gau-fridy, commandant la  cent. F au commandant Doumenc, DSA, Dammari (sic) le  août .

. SHD/GR,  N //ouvriers italiens : lettre du général de division Descoing, directeur des étapes du GAR, EM, n , urgent, au général commandant d’Armes adjoint à Beauvais, au médecin principal directeur du service de Santé de la DE du GAR à Beauvais, au lieutenant commandant le Parc de révision automobile de Beauvais, début avril  (sans date précise).

. SHD/GR, / : lettre du général Tarditi au GQG des armées du nord et du nord-est, le  mai .

 L   …

travaux agricoles, comme les Italiens de deux centuries de la  compagnie bis des TAIF¹. En revanche, de nombreuses compagnies furent affectées au « nettoyage » des champs de bataille, à l’inhumation des morts et au transport des blessés, autant d’activités qui minaient le moral. Ceux qui travaillèrent dans les poudrières furent sans doute les plus malheureux. Leurs conditions de travail présentaient en effet des contraintes difficiles. Les acides des picrates jaunissaient leurs cheveux, leurs moustaches, leurs yeux, leurs peaux, et leurs ongles à un tel degré que les Français les appelaient les « canaris », tandis qu’ils souffraient d’affections pulmonaires contre lesquelles ils luttaient en ne protégeant leur bouche et leur nez qu’avec un petit fou-lard. Et leurs baraquements étaient si envahis de parasites que beaucoup d’entre eux préféraient dormir à la belle étoile². La saleté devint repoussante. Certains d’entre eux se plaignirent et demandèrent des améliorations qui arrivèrent tardivement. Les mécaniciens obtinrent ainsi du savon au bout d’un mois seulement. Ce fut surtout le manque d’eau qui fut l’objet de plaintes récurrentes, surtout à l’époque de la contre-offensive alliée, car les hommes quittaient leurs cantonnements et se retrouvaient dans des zones de combat désolées. Ainsi, mi-août , la  compagnie bis des TAIF arriva dans un bois « où l’eau manquait et où il était impossible de prendre des soins de propreté³». Le  août, un rapport de contrôle postal italien nota : « L’eau manquerait aux  bis et  bis, il n’y en aurait même pas suffisamment pour boire⁴. »

Mais surtout, certaines activités furent condamnées. Contrairement aux enga-gements franco-italiens, tous les travailleurs ne furent pas affectés à des travaux de défense. Beaucoup durent en effet faire des travaux de voieries, ou charger et déchar-ger du matériel dans les gares. Certains, sur ordre des Français, durent évacuer du fumier et vider les latrines du campement à la place des Poilus, jusqu’à ce que les commandants italiens interviennent pour rétablir l’ordre et affecter ces soldats à des travaux de défense⁵. Dès le mois de mai , le colonel Papa, chef de la Mis-sion militaire italienne en France s’en émut auprès du général Tarditi en dénon-çant ces emplois comme étant « humiliants pour l’uniforme italien, d’autant plus que de semblables activités étaient également assurées par des auxiliaires de cou-leurs (marocains, annamites) et même parfois par des prisonniers⁶». Mais aucune mesure ne fut prise et le  novembre , à la fin de la guerre, le général di Robilant

. AUSSME, F -/ : lettre du colonel commandant le  groupe au général Tarditi,  juillet .

. AUSSME, E -/ : extrait d’une lettre d’un témoin italien, adressée au général di Robilant, août .

. SHD/GR,  N  : CP du  août . . SHD/GR,  N  : CP du  août .

. AUSSME, F -/ : rapport des , ,  et  compagnies des TAIF au commandant du  groupe,  mai .

L       intervenait encore auprès des autorités françaises pour « séparer les Italiens des coloniaux et des prisonniers¹». Il était trop tard. Beaucoup de travailleurs italiens craignirent véritablement d’être assimilés aux troupes de couleur ou aux prisonniers qu’ils côtoyaient parfois. L’un d’eux n’en pouvait plus. Début juillet , il écrivit à Turin : « Nous sommes venus, ici, faire les débardeurs et les terrassiers. uelle humiliation ! Notre sort est comparable à celui des nègres les plus barbares. Cela me révolte². » Un autre, le  août , s’indigna de ce que les Français comparaient les travailleurs italiens aux prisonniers allemands en leur disant que « ces derniers travaillaient plus » qu’eux³. Un autre, le  juillet , avec ironie, se plaignit d’être « logé dans des chambres splendides qui en Italie s’appellent granges, comme des bêtes, avec deux doigts de paille⁴».

Ainsi la vie quotidienne des auxiliaires italiens en France, telle qu’elle transparaît dans les rapports du contrôle postal italien qui nous sont parvenus, fut bien loin d’être uniforme. Chaque soldat vécut sa propre guerre, se laissant aller à des senti-ments de révolte et d’insatisfaction à l’encontre de la nourriture, de la solde, de la galère, de la mobilité permanente, des cantonnements à aménager encore et encore à l’arrière ou dans la zone des combats. Il y eut pour autant des moments de mieux-être que les soldats n’hésitèrent pas à décrire dans leurs lettres. La conscience d’mieux-être des soldats de l’armée du monde, venue remporter la guerre face à l’ennemi barbare, la rencontre des Italo-américains et des alliés en général, suscitèrent des sentiments