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Lorsque Nicolas Sarkozy arrive au pouvoir en France en 2007, il décide d’organiser une série de conférences, de tables rondes et de rencontres politiques qui resteront comme le « Grenelle de l’environnement ». Ce nom de « Grenelle » est choisi en référence aux « accords du Grenelle » qui mettent fin à la révolte de Mai 68. La volonté est de réunir les politiques, les acteurs associatifs, les organisations professionnelles et les syndicats afin de légiférer sur diverses problématiques environnementales. Ce processus donnera lieu à deux lois, dites Grenelle 1 et Grenelle 2, qui décevront beaucoup d’associations354.

La question des ondes électromagnétiques n’en fait initialement pas partie, mais sera ajoutée à la liste des problématiques à traiter en 2009. Ce « Grenelle des ondes355 » débute ………..

354 Rédaction, Le ‘new deal’ écologique promis n’a pas eu lieu, dénoncent des associations, in : Le Monde.fr, 23 Octobre 2010, [en ligne] http://www.lemonde.fr/planete/article/2010/10/22/le-new-deal-ecologique-promis-n-a-pas-eu-lieu-denoncent-des-associations_1430125_3244.html (page consultée le 23 février 2015). La fondation Nicolas Hulot s’est montré particulièrement déçue, alors qu’elle avait pourtant été l'une des initiatrices de ce Grenelle (suite à la candidature de Nicolas Hulot à la présidentielle, qui avait forcé les autres candidats à se positionner sur les questions d'environnement).

par une conférence préparatoire356, à laquelle sont conviés : des représentants de l’État français (institutionnels), des élus de collectivités locales françaises, des représentants des opérateurs de téléphonie mobile, des syndicats, des « personnalités qualifiées » reconnues pour leur expertise sur le sujet (dont le sociologue Olivier Borraz), et les associations de défense de l’environnement. Ceux-ci sont répartis en cinq « collèges ». Il ne s’agissait donc pas d’une « conférence citoyenne » au sens strict, mais bien d’une réunion de « parties prenantes » (stakeholders). Cette table ronde s’est penchée sur les enjeux sanitaires, mais, sans surprise, le compte-rendu qui en est fait se contente de noter un désaccord, tout en le minimisant, et renvoie aux travaux futurs (à l’époque) de l’AFSSET pour trancher, après avoir longuement fait état de l’expertise de l’OMS. Le déséquilibre dans le texte est flagrant. Il en est de même pour la question de l’électrosensibilité. La question qui domine le rapport est plutôt celle de la gestion de l’inquiétude, et de l’acceptabilité sociale de l’innovation, et de la bonne gestion publique du débat. Parmi les « guides pour l’action357 » qui sont proposés en fin de compte-rendu, l’acceptabilité sociale et la nécessaire transparence de l’expertise se taillent la part du lion. Il s’agit alors de redonner confiance au citoyen à l’aide d’une communication transparente.

Propositions du Grenelle

Les propositions formulées à la fin de ce compte-rendu du Grenelle des ondes semblent pourtant aller un peu à l’encontre du reste de la table ronde. Si une grande part est laissée à des problématiques de communication, certains éléments vont dans le sens d’une application du principe de précaution pourtant décrié dans le rapport lui-même. Ainsi le rapport conclut en proposant des mesures simples, comme le port de l’oreillette et l’interdiction du téléphone portable aux enfants. On peut sans doute y lire la puissance du principe de précaution comme une simple « mesure de bon sens » qui propose d’éviter le risque où il est évitable. De fait, il est étrange de lire un rapport dans lequel le risque est minimisé, mais qui pourtant formule des recommandations aussi fortes, comme si un risque réel existait.

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radiofréquences, santé, environnement ».

356 On trouvera tous les documents, verbatim, contributions écrites et rapports sur le site Portail

radiofréquences- santé-environnement du Gouvernement Français :

http://www.radiofrequences.gouv.fr/spip.php?article14 (page consulté le 23/01/2015)

357 Jean-François Girard, Stéphane le Bouler et Camille Février, Rapport de restitution de la Table

ronde Radiofréquences, santé, environnement 23 avril – 25 mai 2009 [en ligne]

http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/094000240.pdf (page consultée le 23/01/2015) p. 33-36.

Néanmoins, aucune interdiction ne sera retenue parmi « les dix orientations retenues par le gouvernement suite à la table ronde “radiofréquences, santé, environnement »358 », qui feront également la part belle à la communication, ou à l’écoute des plaintes, c’est-à-dire à l’existence du débat public transparent comme solution aux inquiétudes des citoyens. Dans ce document est également consacré (et inventé) l’usage du principe d’attention (et non de précaution) pour les antennes relais, c’est-à-dire la nécessité que « Toutes les craintes et les plaintes doivent être entendues et prises en charge359 ».

Si cette table ronde n’a donc pas été une véritable caisse de résonance pour les inquiétudes sanitaires des militants, elle a néanmoins proposé la mise en place d’un comité opérationnel censé plancher en sous-groupes de travail sur l’information au public, le protocole de mesure des ondes et les conditions de mise en œuvre d’une recherche indépendante. Ce comité aura finalement lieu en deux phases, et travaillera uniquement sur la faisabilité technique de l’abaissement des seuils d’exposition des citoyens aux ondes et l’amélioration des procédures d’information et de concertation, la question de la mise en œuvre d’une recherche indépendante aura donc été laissée de côté.

Les associations auront donc réussi à faire accepter l’idée qu’en vertu du principe de précaution il est important de vérifier le niveau d’exposition du public, et de vérifier la faisabilité technique d’un abaissement du niveau des normes d’émission. Il s’agit de fait d’une véritable victoire, car jusque-là la question de la faisabilité technique d’une telle baisse drastique de la puissance des antennes était tout simplement considérée comme « impossible », mais suivant les dires des opérateurs uniquement360. Cette question, qui peut avoir l’apparence d’une question simple, est néanmoins loin d’être une question technique, et s’y mêlent des questions économiques et juridiques, mais aussi des choix de stratégie marketing361. Avoir ouvert cette question à l’apparence anodine était une victoire ………..

358 Roselyne Bachelot-Narquin, Nathalie Kosciusko-Morizet et Chantal Jouanno, Dix orientations

retenues par le gouvernement suite à la table ronde « radiofréquences, santé, environnement »,

Paris, le 25 mai 2009 [en ligne]

http://www.radiofrequences.gouv.fr/IMG/pdf/Dix_orientations_Gouvernement_RF.pdf

359 Ibid. p.2

360Ce que nous avons déjà noté ci-dessus, dans le cadre des débats au Parlement Bruxellois sur la 4G.

361 Comme nous l'avons montré ci-dessus, la question de la mesure de puissance d'une onde est en soit une question complexe, qui demande de savoir si on parle de puissance maximale, de

puissance moyenne, mais également de l'antenne ou de l'espace public, c’est-à-dire de la puissance émise par l'antenne ou de la puissance à laquelle est soumis un point de l'espace. Une fois ces questions tranchées, il est de fait toujours possible de couvrir une zone avec de petites puissances, même maximales. Mais cela demande de multiplier fortement le nombre d'antennes, et donc toute l'infrastructure qui les sous-tend. En effet, les antennes sont elles-mêmes reliées par des réseaux filaires, coûteux et encombrants. Les antennes doivent également être synchronisées, afin de ne

pour les associations qui considèrent qu’on ne pose jamais la question du portable comme un choix de société, mais uniquement sous un angle technique. Pour eux, les opérateurs considèrent comme « impossible » l’idée d’abaisser ces seuils, mais n’abordent même pas la possibilité d’avoir un réseau qui ne couvrirait pas l’entièreté de l’espace public et des habitations privées362.

Expérimentations techniques de l’impossible

Ainsi, suite au Grenelle des ondes, des villes et communes françaises se sont portées volontaires pour être des lieux d’expérimentations de cette possibilité technique d’abaissement des seuils d’émissions des antennes. Le processus, depuis les candidatures des villes jusqu’aux résultats, aura mis pas loin de 4 ans. Celui-ci aura commencé par une évaluation sur base d’une modélisation mathématique du niveau d’ondes, suivi de mesures réelles. Alors qu’il avait été convenu au départ de mettre en place une tentative de diminution réelle, les opérateurs proposeront finalement des tests beaucoup plus réduits, se limitant à une seule bande de fréquence, ce qui permettait à leurs clients de pouvoir être toujours connectés sans que les opérateurs ne soient obligés d’installer de nouvelles antennes pour palier à la perte de puissance (et donc de couverture réseau). Il n’y eut finalement que très peu d’expérimentations réelles (le rapport fait état de trois antennes, mais d’autres mesures « en cours »363). Les opérateurs étaient dans ce cas dans une position de force, car c’est eux qui possèdent les antennes et la capacité de négocier leur abaissement de puissance, dans le cadre d’un processus volontaire, le Grenelle des ondes n’ayant rien de contraignant.

Pour les Robin des Toits, les résultats de ce Grenelle sont clairs : il est tout à fait possible d’abaisser le seuil d’exposition du public à 0,6V/m, avec une nécessité de multiplier le nombre d’antennes très variable en fonction de la topographie des lieux. Ils dénoncent en 2013 une volonté de l’ANFR, l’Agence Nationale des FRéquences, d’ajouter des

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jamais perdre le contact avec l'utilisateur et ainsi permettre un usage réellement nomade du téléphone. S'ajoute la possibilité de diminuer le nombre d'usagers maximal que supportera une antenne, ce qui relève autant de la stratégie marketing que de la contrainte technique.

362Selon les techniciens que nous avons interrogé, ce qui est « impossible » avec un niveau d’exposition dans l’espace public, c’est d’arriver à maintenir simplement du réseau à l’intérieur des habitations : les murs absorbent alors une trop grande partie du signal, rendant impossible la communication dans certaines parties des bâtiments, trop éloignées des fenêtres.

363 Diminution de l'exposition aux ondes électromagnétiques émises par les antennes-relais de téléphonie mobile, rapport de synthèse des expérimentations du COPIC, 31 juillet 2013, [en ligne]

http://www.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_COPIC_31_juillet_2013.pdf, (page consultée le 23 février 2015), p. 76.

contraintes supplémentaires au protocole jusque-là accepté afin de rendre réellement « impossible » cette norme d’exposition de 0,6V/m364.

Les conclusions du rapport sont que le niveau d’exposition aux ondes, mesuré en moyenne, est relativement faible et certainement très inférieur aux 41 à 61 V/m maximum autorisés en fonction des fréquences. Les opérateurs déclareront alors qu’il n’y a pas besoin de légiférer vers un abaissement du niveau d’exposition, les militants qu’il est donc tout à fait possible (et souhaitable) de légiférer dans ce sens.

Participation

Sur le volet de la participation, les résultats sont finalement assez classiques, et il n’y a pas de véritable expérimentation de nouvelles formes de participation. Le rapport se concentre sur le niveau de pouvoir qui peut être accordé aux collectivités. En effet, c’est à ce niveau de pouvoir qu’une participation des citoyens français aux questions urbanistiques est organisée. La question que ce processus a soulevée est de savoir si les antennes relais doivent faire l’objet des mêmes procédures que les autres décisions urbanistiques. Les communes n’ont pas toutes le pouvoir de prendre une décision sur l’installation des antennes : elles sont limitées à prendre des décisions motivées par des motifs urbanistiques, et ne peuvent refuser l’installation d’une antenne pour des motifs de santé publique. Le rapport souligne bien que la concertation citoyenne se limite à ces aspects, et que si des accords entre les pouvoirs locaux et les opérateurs peuvent être conclus (pour intégrer une antenne dans le paysage, mais également pour limiter le niveau d’exposition aux ondes), il ne saurait être question pour une commune de décider unilatéralement d’une politique de salubrité en fixant elle-même une limite d’exposition au-delà de laquelle elle ne délivrerait pas de permis365.

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364 Robin des toits, Robin des Toits suspend sa participation au COPIC (Grenelle des Ondes) -

28/01/2013 [en ligne] http://www.robindestoits.org/Robin-des-Toits-suspend-sa-participation-au-COPIC-Grenelle-des-Ondes-28-01-2013_a1901.html (page consulté le 22/02/2015)

365 Conseil Général de l’Environnement et du Développement durable, Evaluation des expériences

de nouvelles formes de concertation et d'information locale dans le cadre de l'implantation des antennes relais de téléphonie mobile Rapport de synthèse Version 2, [en ligne]

http://www.radiofrequences.gouv.fr/IMG/pdf/rapport-synthese_VF.pdf, p. 12. Notons qu'à Bruxelles, la situation est similaire : la participation est organisée pour les aspects urbanistiques des antennes comme pour les autres modifications d'une habitation, lors du processus d'enquête publique. Les observations sur la santé n'ont pas à être formulées en enquête d'urbanisme, mais peuvent être émises à l'administration en charge de délivrer un permis d'exploiter l'antenne, permis dit « d'environnement ». Néanmoins, la compétence de cette administration est de s'assurer que les antennes respectent les prescrits légaux en matière d'exposition, et ne peuvent donc pas « durcir » la loi.

Le rapport formule des recommandations très classiques en matière de participation, relevant plus du droit à l’information du citoyen, à une transparence des pouvoirs publics, dans un objectif de rassurer le citoyen. Il ne propose pas de légiférer sur la participation, mais de proposer des outils de « bonnes pratiques » qui permettraient l’uniformisation (jugée positive) de la concertation.

Comme nous l’avons déjà mentionné, en France en 2013, une proposition de loi visant à limiter le niveau d’exposition aux ondes est soumise par le groupe « Europe Ecologie les Verts », EEV, faisant partie de la majorité gouvernementale française. La proposition est pourtant repoussée en commission par les alliés des verts comme par l’opposition, par une « mention de renvoi en commission ». Cette mention était alors considérée par les verts comme quelque chose d’assez rare, et relevant d’un « enterrement de première classe » de la loi366. Au sein du gouvernement, la ministre de l’Économie numérique, Fleur Pellerin (PS), mettait alors en garde contre des « peurs irrationnelles » concernant les ondes, et qui risquaient de nuire à l’économie française, ce qui lui valut beaucoup de critiques pour son soutien direct aux opérateurs. Fleur Pellerin s’excusera à demi-mot une semaine plus tard d’avoir utilisé cette expression, considérant que les craintes des citoyens méritaient d’être entendues (mais pas qu’elles étaient rationnelles).

Loi Abeille

Finalement, un an plus tard, la loi reviendra dans une version amoindrie, en supprimant notamment la référence au principe de précaution. Le Grenelle des ondes sera la justification principale de cette loi dite « Abeille » du nom de la ministre en charge, et qui instaure (et invente) un principe de « sobriété » (et non de précaution) des ondes en France367. Cette loi retient quelques éléments proposés à la suite du Grenelle des ondes. La loi Abeille ne fixe aucune limite aux niveaux d’exposition aux ondes, mais instaure l’idée qu’il faut limiter, dans la mesure du possible, l’exposition des citoyens. Elle invente la notion de « points atypiques » qui « sont définis comme les lieux où le niveau d’exposition du public aux champs électromagnétiques dépasse substantiellement celui généralement observé à l’échelle nationale ». Ces points atypiques sont donc des lieux où l’exposition moyenne est plus importante que sur le reste du territoire. Il s’agit là d’une ………..

366 Rédaction, Colère des Verts après le rejet d’une proposition de loi sur les ondes, 1er Février 2013, in : Le Monde.fr, [en ligne] http://www.lemonde.fr/planete/article/2013/02/01/colere-des-verts-apres-le-rejet-d-une-proposition-de-loi-sur-les-ondes_1825945_3244.html (page consultée le 24 Février 2015).

367 Pierre Le Hir, Une loi pour encadrer l’exposition aux ondes, 29 Janvier 2015, in : Le Monde.fr, [en ligne] http://www.lemonde.fr/planete/article/2015/01/29/une-loi-pour-encadrer-l-exposition-aux-ondes_4565339_3244.html . (page consultée le 23 Février 2015).

introduction en droit d’une expression née du Grenelle des Ondes, dans son volet « expérimentation ». La loi instaure également un devoir de transparence au niveau local lors des demandes d’installations d’antennes, les documents devant être accessibles au public, héritage du volet « concertation » du Grenelle.

Les seules mesures contraignantes de la loi Abeille sont l’interdiction de la publicité à destination des enfants ainsi que l’interdiction d’installer du Wi-Fi dans les lieux d’accueils d’enfants de moins de trois ans.

Conclusions

Que retenir de ce Grenelle des Ondes ? Clairement, on est plus dans une tentative de faire négocier des « stakeholders » que dans l’invention de nouveaux agencements politiques et scientifiques, et il est difficile de concéder qu’il s’agirait là d’un outil politique révolutionnaire, les postes à responsabilité ayant par ailleurs été distribués à des membres de la haute administration française368.

Malgré cela, il est intéressant de noter à quel point l’idée de « précaution » est puissante, quand elle est utilisée par les collectifs en lutte. En effet, dans la « table ronde » sur les ondes, le rapporteur fait principalement échos à l’idée qu’il n’y a pas de risque lié à l’usage du téléphone portable. Néanmoins, le rapport de cette table ronde fait état de conseils, de recommandations, pour limiter le risque. Ces conseils sont très ambivalents, puisqu’ils consistent finalement à reconnaître la possibilité d’un risque qu’il convient de ne pas prendre. De même, la loi Abeille, si elle n’est pas ce qu’en attendaient les militants, est néanmoins une victoire pour eux, puisqu’elle reconnaît la nécessité de minimiser l’exposition aux ondes même si elle ne fixe aucun seuil. Ces deux résultats peuvent bien entendu être lus par les militants comme une défaite, ou comme une victoire du lobby des ondes, mais en connaissant la différence de moyens entre les militants et l’industrie, on ne peut que constater une victoire partielle des militants.