• Aucun résultat trouvé

Bien que les risques pour la santé soient mis en avant dans les médias, la critique des militants sur la téléphonie mobile ne s’arrête pas là. Elle comporte également un volet environnemental et un volet social304.

………..

concernant la mise à jour de l’expertise relative aux radiofréquences, p. 11.

303 AFIS, Comment la « loi Abeille » va nous rendre malade, Communiqué de l’AFIS, 27 janvier 2015 [en ligne] http://www.pseudo-sciences.org/spip.php?article2402 (page consultée le

20/02/2015)

304 Pour un bon résumé de ces dénonciations, voir le magazine : IEB, Ondes de Choc, Bruxelles en

mouvements, n°249, juin 2011, mais aussi : Pièces et main d’œuvre, Le téléphone portable, gadget de destruction massive, op. cit.

Du point de vue environnemental, le téléphone portable est considéré comme un objet extrêmement lourd à produire. Sa production émet plusieurs kg de CO2, comme c’est le cas pour beaucoup des produits de haute technologie. Elle demande une grande quantité de produits chimiques, des litres d’eau, et produit des pollutions massives sur les sites de production. Plomb, Arsenic, et d’autres substances dangereuses sont nécessaires à la production des terminaux.

Il faut ajouter à ces critiques le fait que certains métaux nécessaires à la fabrication des téléphones sont au cœur d’enjeux stratégiques et militaires importants. Ainsi, le Coltan (à partir duquel on extrait le Tantale) est un minerai dont la majeure partie des réserves se situe en RDC, dans la région du Kivu, qui a été en guerre pendant près de dix ans. Dans cette région, des ONG comme Oxfam305 dénonçaient les conditions de travail d’adultes et d’enfants dans les mines de Coltan à ciel ouvert, travail à haut risque, pénible, et soumis aux aléas de la guerre et de la criminalité.

Cet argument-là a été entendu au niveau du Parlement Européen. En effet, une proposition de loi visant à assurer la traçabilité des minerais provenant de zones de conflit a finalement été adoptée par le Parlement européen. Le travail de lobby des industriels semblait pourtant, à tous les observateurs, avoir porté ses fruits, puisque le texte sur la table en première lecture instaurait la possibilité d’indiquer la provenance des minerais, mais uniquement sur une base volontaire. Finalement, c’est le droit du consommateur à être informé qui a prévalu au Parlement, forçant les producteurs à tracer les minerais provenant de zones de conflit306. Néanmoins, il ne s’agit nullement d’une réglementation visant à forcer la transformation directe des modes de production, mais à laisser les consommateurs faire leur choix en toute connaissance de cause, dans un modèle économique purement libéral. L’usage du portable est lui-même consommateur d’énergie. Les téléphones combinent aujourd’hui de nombreuses fonctions, comme agenda, appareils photo, terminal pour les courriels et l’Internet, console de jeux vidéo : s’ils sont de plus en plus performants, ils ne cessent d’inciter à la consommation, et à devenir des objets centraux de nos vies.

Ensuite, les téléphones portables sont des produits à durée de vie relativement faible : on considère que plusieurs millions de ces téléphones sont jetés chaque année. Les militants accusent les fabricants de programmer l’obsolescence des appareils : ceux-ci ne sont pas ………..

305 En 2008, Oxfam a lancé une grande campagne d'information sur le rôle du Coltan et les dévastations sociales et environnementales qui lui sont liées. Voir :

http://www.oxfammagasinsdumonde.be/2008/03/congo-stop-a-lexploitation-inequitable-du-coltan/#.VkntX_kve00

306Voir Cécile Barbière, Les eurodéputés renforcent l'encadrement des « minerais de conflit », in: EurActiv.fr, mai 2015 [en ligne] http://www.euractiv.fr/sections/aide-au-developpement/les-eurodeputes-renforcent-lencadrement-des-minerais-de-conflit? (page visité le 05/09/2015).

fabriqués pour avoir une durée de vie plus longue, il est presque impossible de les faire réparer ou de remplacer les batteries. De plus, les campagnes de marketing ne cessent de promouvoir des appareils plus neufs, capables d’en faire plus. De même, les smartphones sont obsolescents car les programmes demandent de plus en plus de ressources pour pouvoir fonctionner, ce qui réduit petit à petit les usages possibles des terminaux les plus anciens.

La critique des effets du portable sur l’organisation des modes de vie est également très forte. Le téléphone portable est considéré comme un véritable agent de déstructuration sociale : agent de communication qui, au lieu de créer du lien social, participe à la dévastation des rapports humains.

Le portable est bien entendu replacé dans le cadre d’une économie qui crée artificiellement du besoin, en faisant en sorte que les usages du portable ne soient pas simplement des possibilités, mais deviennent vite des besoins qui rendent les portables indispensables. Les sites des militants relayent cette stratégie de produit : rendre l’usage indispensable le plus vite possible afin de nous rendre dépendants de son usage, avant même qu’on ne puisse ralentir son développement (par exemple pour des raisons de précautions sanitaires). Le portable en tant que technologie est vendu le plus vite possible afin que si des critiques émergent, il soit « trop tard » pour revenir en arrière. On retrouve des critiques très proches de ce qu’Ivan Illich faisait sur l’usage d’une autre technologie : celle de la voiture individuelle307. Illich souligne à quel point l’existence de la voiture individuelle transforme non seulement les exigences de mobilité, mais également l’ensemble du temps, le paysage, les modes de vie et d’organisation, bref : « l’industrie du transport façonne son produit : l’usager308 ». La voiture est un vecteur de transformation qui façonne le territoire, les modes de vie, les espaces (en rejouant la frontière entre urbain et campagnes, par exemple), mais qui fait en sorte que nous devenons dépendants de son existence même, et que nous nous mettons à travailler pour la voiture, et non plus l’inverse, ce que Illich appellera la contre-productivité.

Pour le téléphone portable, les critiques sont du même ordre. Si des gênes superficielles sont relevées, par exemple le fait d’entendre des conversations privées dans les lieux publics, c’est surtout sur la déstructuration mentale et sociale que portent les critiques. Il y a tout d’abord un rejet de ce mode de vie mobile dans son entièreté, par son caractère trop déterminé par la technique, et non par des choix démocratiques. C’est le système technique mis en place qui choisit pour les individus comment ils peuvent communiquer, ………..

307 Ivan Illich, Energie et équité, Paris: Seuil, 1975 in I. Illich, Oeuvres complètes, tome 1, Paris, Fayard, 2004.

répondre, quelle doit être leur temporalité, leur disponibilité. La critique porte sur l’absence de choix qu’un tel système produit, embarquant les individus avec lui, sans leur permettre de faire exister autre chose. Le téléphone est avant tout un système d’aliénation309. Cette critique peut se prolonger dans la manière dont le téléphone mobile peut être utilisé à des fins directes de contrôle, que ce soit par un patron vis-à-vis de son employé, ou tout simplement par la traçabilité des données que permettent ce genre de technologies. Les téléphones permettent de localiser chacun n’importe quand. Le téléphone portable comme outils de localisation, ce qui permet de rassurer les parents prêts à se sécuriser en offrant un téléphone à leurs enfants. Mais les rapports entre vie privée et vie de travail ou vie publique peuvent également être déplacés, brouillés : l’employé devenant « joignable » n’importe quand, même en vacances.

Enfin, le portable est dénoncé comme un « déstructurateur » de la pensée elle-même, devenant un objet obnubilant, pouvant mener à l’addiction, et ayant des effets de transformation de la personnalité : irritabilité, en recherche d’un « objet transitionnel310 » remplaçant le doudou maternel, rassurant, il devient indispensable. Le téléphone devient un objet qu’on consulte compulsivement, se sentant amoindri, amputé lorsqu’on l’oublie chez soi. Il peut mener à des addictions, et les militants dépeignent les « jeunes » comme étant des victimes du marketing, « accros » à leur portable, ne sachant plus prendre de rendez-vous, ne sachant plus écrire, incapables de s’organiser ou d’être attentifs. « Amputés de leur monde intérieur, ils [les utilisateurs de téléphones mobiles] ne vivent que par la sollicitation extérieure, l’attente de l’appel ou du message. Ils ont perdu la capacité de faire silence, de vivre les temps morts, de contempler, angoissés qu’ils sont de manquer une communication. Obsession de combler les vides. Le portable colle parfaitement à une existence qui n’a de valeur qu’à l’intérieur du champ public : exister, c’est être joignable à tout instant, repérable, comme sous l’œil des caméras de surveillance. [...]Voici enfin la fin de l’intimité achevée311. »

Cette restructuration du monde, à la fois dans les registres du socius, du mental et de la nature, est bien ici pointée du droit comme une opération négative, non-neutre. On aura compris le ton est accusateur, dénonciateur de transformations profondes qui ne semblent choisies par personne, mais imposées par la technique, en symbiose avec de puissants marketeurs. Pour les militants, il s’agit bien d’une triple dévastation, vecteur de mal-être, ………..

309 Pièces et main d’ oeuvre, Le téléphone portable, gadget de destruction massive, op. cit. p. 75-93.

310 Ibid. p. 51.

de maladies physiques et mentales. Le téléphone portable pollue, exploite, et rend physiquement et mentalement malade.

Comme nous l’avons écrit, seul le problème de la maladie somatique est généralement adressé par les mass-médias, délaissant les autres accusations des militants. Les problèmes de déstructuration de la vie privée par le portable font parfois l’objet d’articles, mais souvent alors il s’agit de faire état de certaines personnes pour qui la situation est particulièrement problématique, et non de considérer là un problème général d’organisation sociale.

Le problème est étrange et les opérateurs semblent tout simplement ne pas vouloir l’entendre, surtout ne pas y répondre. La publicité se contente de clamer l’inverse exact : la téléphonie mobile nous rapproche, nous aide à entretenir des liens, nous permet plus d’efficacité, de concentration, d’accès à l’information. Jamais on ne trouve de sérieuses répliques aux critiques des militants, qui semblent ne pas mériter un haussement d’épaules. Le problème est toujours individualisé : problème d’inadaptation, d’individus pas capables de gérer, avec une personnalité problématique en elle-même. Jamais ce n’est la technologie, toujours présentée comme neutre ou positive, pleine de possibilités. Il y a là une tache aveugle de la polémique.