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B La dynamique des régimes patrimoniaux et gestionnaires L’objet de ce sous-chapitre est de présenter les principaux régimes de régulation mis en

2) Le gouvernement de type « gestionnaire »

A l’opposé du modèle précédent sur le spectre des régimes de gouvernement se trouvent des relations qui témoignent d’une forte implication des managers des maisons mères dans les activités de leurs filiales. Ce type de régime de gouvernement, que nous qualifierons de « gestionnaire », établit des liens étroits entre actionnaires et direction des filiales. Les mécanismes de gestion des risques observés entre Oméga et FDS à l’occasion de la réponse à un appel d’offre en donnent une illustration.

Avant même le lancement des études préalables suite à un appel d’offre d’un grand aéroport européen, la direction d’Oméga s’entretient informellement avec sa maison mère de l’adéquation entre le projet et la stratégie du groupe. Un document reprenant les premières estimations formalisées concernant les aspects logistiques, marketing, financiers et humains est alors rédigé par la filiale et transmis à FDS. Régulièrement, les derniers développements sont soumis à l’appréciation de quelques interlocuteurs ciblés dont fait partie le contrôleur de gestion de FDS.

« Je regarde les dossiers d’investissement avec les hypothèses économiques, juridiques, les risques et opportunités et je donne mon sentiment. » (CDG FDS)

Les retours obtenus à l’occasion de ces échanges sont sollicités par le responsable des investissements chez Oméga :

« Le contrôleur de gestion de FDS a un rôle consultatif et un rôle d’information. Souvent les délais sont courts pour répondre aux appels d’offre, on l’informe donc rapidement. C’est une information informelle avec juste les premiers chiffres et les premières hypothèses. On envoie notre premier draft [brouillon]. [...] On travaille en transparence et on prend en compte ses remarques. » (DGA responsable des investissements chez Oméga) Le document fait alors l’objet d’allers/retours répétés entre interlocuteurs des deux bords. Bien sûr certains projets ne sont pas menés à leur terme mais cela se sait vite. Quand par le passé Oméga a souhaité acquérir l’enseigne « Nuance », les premiers échanges avec FDS ont montré les réticences du sommet à se diversifier dans le secteur de la gastronomie et le projet fut rapidement abandonné. En revanche, au fur et à mesure des points intermédiaires l’engagement des deux parties en faveur d’un projet est de plus en plus important. Lors des instances décisionnelles, les risques de revirement de position sont minimes et les filiales peuvent compter sur les soutiens acquis en amont. Le directeur en charge du développement chez Oméga déclare « quand le dossier passe au comité de

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direction de FDS, il a été transmis quelques semaines plus tôt et il ne s’agit que de le ratifier. »

Formellement, les procédures d’investissement chez Oméga ne diffèrent pas foncièrement de celles décrites dans le cadre du régime « patrimonial ». La temporalité des échanges marque cependant une vraie différence. Les maisons mères sont impliquées très en amont de projets élaborés en commun et pour lesquels il est vain de chercher le moment précis de la décision celle-ci donnant lieu à une succession de validations partielles. Un autre aspect caractéristique du régime « gestionnaire » concerne l’évaluation des performances des filiales par la maison mère. Le niveau de profit ne dit pas tout et les indicateurs retenus dépassent les seules données financières du reporting et tiennent compte du contexte des activités.

Le contrôleur de gestion de FDS explique qu’en cas de décalage entre les résultats d’Oméga et les attentes de FDS, la direction de la filiale n’est pas systématiquement sanctionnée :

« Quand on [Oméga] n’y arrive pas, on tient compte des circonstances et c’est souvent compréhensible. Il n’y a pas de chiffres sacro-saints. » (CDG FDS)

Les performances sont jugées comme le résultat d’une action collective comme en témoigne l’emploi du pronom personnel « on » par le contrôleur de gestion de FDS. Un manager d’Oméga confirme par ailleurs l’implication des managers de FDS dans la gestion.

« Il y a dans notre cas une emprise totale de FDS. Ce n’est pas juste une délégation d’autorité avec une remontée de chiffres. Il y a partout l’empreinte de l’actionnaire. » (CDG Oméga)

Les dirigeants d’Oméga donnent de leurs relations avec leur maison mère une description proche de relations hiérarchiques classiques. L’évaluation repose aussi bien sur la capacité à coopérer que sur les résultats effectifs et c’est par le biais de promotions et de mutations que sont récompensées ou sanctionnées les performances des dirigeants plus que par la vente des sociétés. Le modèle « gestionnaire » de gouvernement se rapproche par bien des aspects de la vision « conventionnaliste » de la firme proposée par P-Y. Gomez (1996). Le profit reste un des indicateurs de l’efficience qui cependant ne se limitent pas aux normes comptables abstraites mais cherchent à apprécier et dégager les comportements et les règles collectives efficaces. L’objet des échanges est de convaincre et faire adhérer les autres interlocuteurs qui participent ensemble à la mise en commun des solutions possibles pour faire un choix.

F-R. Puyou – « Le contrôle de gestion comme scène du gouvernement des groupes » - Thèse IEP de Paris – 2009 79 3) La mobilité sur le continuum et les formes hybrides de

gouvernement

Les dispositifs mis en œuvre dans les différents régimes de gouvernement apportent des solutions à des problèmes très largement comparables. La maison mère vise dans tous les cas à s’assurer du bon usage de ses ressources au service d’activités profitables et peu risquées. Les mécanismes pour y parvenir varient néanmoins grandement d’un régime à l’autre. Le tableau ci-après en propose une synthèse.

Régimes de gouvernement Patrimonial Gestionnaire

Support des échanges Reporting financier Echanges opérationnels

informels

Objet des échanges « go » ou « no go » Construire le projet

Responsabilité de la

décision Clairement attribuée Partagée

Mode de sanction Cession de la filiale Promotion et mutation des

dirigeants

Fig.1: Synthèse des régimes de gouvernement

La description de nos deux cas extrêmes (BTP et Oméga) fait ressortir quelques critères qui permettent de décrire la diversité des situations observées. Plus encore que pour classer nos observations de terrain, le continuum s’avère efficace pour étudier la dynamique des relations entre sociétés mères et sociétés filles et comprendre les logiques qui conduisent les maisons mères à faire évoluer les échanges avec leurs filiales. Nous nous attendons en effet à observer ce qui ressort comme une prérogative centrale des maisons mères : la capacité à se mouvoir sur un continuum allant de l’autonomie complète des filiales à leur intégration totale (Catel- Duet, 2007 ; Mintzberg, 199921). Sans avoir à placer avec précision le point de départ et le point d’arrivée des relations entre sociétés mères et sociétés filles étudiées, le continuum

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H. Mintzberg évoque également un continuum des responsabilités gestionnaires des instances centrales sur un spectre allant d’une gestion financière (achat et vente d’entités) à la gestion opérationnelle complète des activités de production et de commercialisation (1999).

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permet de tracer les orientations données aux échanges dans le temps. Nos exemples témoignent de la diversité des cas de figures avec soit un renforcement des relations gestionnaires, soit des relations plus patrimoniales, soit une évolution dans les deux sens suivant les questions abordées. Sur la base des entretiens réalisés se dégagent les dynamiques à l’œuvre par exemple dans les relations entre Oméga et sa filiale Envol.

Les acteurs aux interfaces des sociétés Oméga et Envol signalent un renforcement de l’implication de la maison mère sur les activités de la société de vente à bord. Le contrôleur de gestion d’Oméga en charge de la consolidation témoigne par exemple d’une augmentation sensible au cours des derniers mois de la quantité d’informations recueillies. « La politique a été pendant longtemps de laisser Envol dans son coin [...] Avant c’était opaque. Maintenant on sait ce qui s’y passe. [...] On ne connaissait pas les résultats, on ne les voyait jamais. [...] Maintenant je suis en contact tout le temps avec eux. » (CDG Oméga)

Cette évolution est également confirmée du côté d’Envol dont le contrôleur de gestion cherche à faire évoluer les pratiques de la filiale.

« En fait on tente d’adopter le plus possible les méthodes d’Oméga ici. [...] Envol était autonome et aujourd’hui on a déjà changé l’approche. » (RAF Envol)

Le poids d’Oméga se fait plus pressant avec une harmonisation accrue des procédures. Le directeur général d’Envol est désormais tenu de s’expliquer personnellement.

« Avant, mon contrôleur de gestion faisait le reporting et je n’en avais même pas une copie. Je n’allais pas à la présentation des résultats et je laissais les financiers discuter entre eux. Cette année ça change un peu. » (DG Envol)

La multiplication des points de contacts marque une empreinte plus marquée de la maison mère dans les activités de sa filiale.

L’exemple précédent témoigne de l’évolution suivie par les relations entre une maison mère et sa filiale avec des échanges plus nombreux, plus complexes, plus gestionnaires entre les représentants des deux sociétés. Il ne s’agit pas d’un cas isolé et les échanges entre Ebel et ses filiales témoignent de la même souplesse.

Un manager d’Ebel signale les changements rapides qui voient une implication grandissante d’Ebel dans la gestion des opérations de ses filiales.

« Ebel se focalisait sur des informations plus financières telles que l’EBIT, l’EBITDA, le résultat net et d’autres indicateurs du type ROCE, Cash [les liquidités], BFR22 etc. Ces

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EBIT est l’acronyme de Earnings Before Interest and Tax (résultat avant impôts et intérêts), EBITDA celui de Earning Before Interest, Tax, Depreciation and Amortization (résultat avant impôts,

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indicateurs sont toujours importants mais maintenant c’est jugé trop global [...] Jusqu’à il y a peu d’années, il y avait une large autonomie des filiales. » (Manager Ebel)

Notre échantillon de terrains offre également des exemples d’évolutions inverses à l’image des relations entre Elevator France et Usco qui prennent un tour plus patrimonial.

Pour le responsable Elevator France du reporting, l’accroissement des procédures dans ses échanges avec Usco se fait au détriment des relations plus informelles qui existaient auparavant.

« On a beaucoup perdu de pertinence dans les échanges sur des questions qui nous permettaient de comprendre l’activité. Désormais on ne fait que de la comptabilité. Depuis deux ans il y a un changement du contrôle de gestion vers un contrôle comptable. [...] Les 1800 lignes du reporting sont devenues LA référence opérationnelle et la direction des chantiers aux Etats-Unis se sert de ça au trimestre, c’est la base. » (Responsable de la communication financière Elevator France)

Depuis Sarbanes-Oxley notamment, les contrôleurs d’Usco qui participent au contrôle des activités des filiales se concentrent sur le respect des obligations légales qui leur incombent. Selon la formule des contrôleurs de gestion d’Elevator France, ils « cochent les cases » qui valident les différentes étapes d’un contrôle formel exercé sans le souci de comprendre les réalités gestionnaires.

Il n’est pas rare enfin que les relations entre maisons mères et filiales montrent par endroit un caractère plus patrimonial et par d’autre un visage plus gestionnaire. L’évolution des relations ne touche pas uniformément l’ensemble des échanges mais varie suivant les thèmes. Ainsi, en fonction des problèmes abordés, la relation entre Envol et Oméga se situe plutôt du côté « patrimonial » ou plutôt du côté « gestionnaire ».

En dépit du rapprochement initié par Oméga, Envol reste pour une grande part très autonome dans la gestion de ses activités opérationnelles. Les échanges avec la maison mère conservent sur bien des aspects la forme d’un reporting financier suscitant peu d’interactions. Le RAF d’Envol souligne à quel point l’essentiel des informations préparées pour Oméga sont incompréhensibles d’un point de vue opérationnel.

« On reste sur les formats de [Oméga]. On les communique aux [opérationnels] sans que les gens comprennent bien. Pour le Compte de résultat au format Oméga, il y a 15 personnes intéressées. 95% du reporting est fait pour une élite. » (RAF Envol)

intérêts et amortissements), ROCE renvoie à Return on Capital Employed (rentabilité des capitaux engagés) et BFR signifie Besoin en Fond de Roulement.

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En parallèle, des collaborations étroites traitent néanmoins de quelques sujets ciblés comme le recrutement de personnel ou l’analyse de données. La recherche de solutions sur ces thèmes se fait conjointement avec des interlocuteurs chez Oméga.

« En règle générale, quand j’ai un problème j’appelle le directeur financier d’Oméga. [...] C’est un des meilleurs pros, il sait beaucoup de choses, il est fiable et il bosse. Pour les analyses d’écarts qui n’en finissent pas il peut cadrer les choses, les mettre dans des tableaux, animer et éclairer une situation de chaos. [...] Si je veux recruter 3 personnes pour augmenter les ventes je demande à la maison mère pour savoir si ça vaut le coup. » (DG Envol)

Bon nombre de relations entre maisons mères et filiales relèvent simultanément des deux régimes à la fois. L’existence de régimes hybrides est marquée par des aspects très patrimoniaux et d’autres résolument gestionnaires. Les deux régimes ne sont alors pas confondus dans une approche « cocktail » mais plutôt juxtaposées.

4) Les freins à la conduite des groupes : joint venture et actionnaires

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