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C Le contrôle de gestion en pratique

4) Le contrôle de gestion comme vitrine

Une partie des informations du contrôle de gestion est compilée en vue d’être communiquée aux parties prenantes externes. Les périodes comptables de référence, ainsi que les dates de transfert des données aux échelons supérieurs, doivent alors être étroitement synchronisées à l’échelle du groupe afin de permettre de disposer à temps d’une information cohérente pour un public extérieur. Le travail de collecte et d’agrégation des données en vue de transmettre une information homogène dans les délais impartis est connu sous le nom de « consolidation ». Il consiste concrètement à faire la synthèse du reporting des groupes en un temps record comme l’illustre le cas d’Oméga.

Tout est fait chez Oméga pour que Family puisse communiquer ses états « réels » et « prévisionnels » aux actionnaires exactement 7 jours ouvrés après la fin de chaque mois. Ce délai engage le groupe vis-à-vis des actionnaires et il est d’un avis unanime « non négociable ». Pour tenir ces engagements, les contrôleurs de gestion d’Oméga et FDS consolident chaque mois leurs données en 5 jours ouvrés. Cet impératif impose à Envol et aux autres filiales d’Oméga de transmettre leurs propres résultats plus rapidement encore. Les dates de communication fixées par le sommet rythment ainsi le travail des contrôleurs et fixent des échéances déclinées à l’ensemble des entités. Sont communément construits un réel tous les mois, des prévisions tous les trimestres, un budget et un arrêté comptable tous les ans, auxquels s’ajoutent quelques plans stratégiques intermédiaires. Tous ces exercices sont tenus à des plannings stricts. La société tête de groupe n’orchestre cependant pas directement le calendrier de chacune des filiales mais le détermine « par ricochet ». L’enjeu est important car tout retard est interprété comme une défaillance des procédures internes ou une volonté de masquer des informations avec dans les deux cas un effet négatif sur la réputation et le cours de bourse de l’entreprise. La réduction des délais préalables à la diffusion du reporting ressort en outre comme un élément central de l’appréciation du travail des contrôleurs de gestion.

F-R. Puyou – « Le contrôle de gestion comme scène du gouvernement des groupes » - Thèse IEP de Paris – 2009 51

Des moyens humains et informatiques considérables sont dédiés dans le but de consolider toujours plus vite (en trois jours pour Elevator France). La course entre les groupes est intense du fait qu’ils témoignent de la qualité de leur contrôle interne et de leur politique de transparence au travers de la mise à disposition rapide des informations les concernant. L’informaticien en charge du contrôle de gestion chez Oméga déclare « le temps, c'est le nerf de la guerre par rapport à la maison mère et c'est le critère sur lequel on m’évalue. »

L’expression tangible des groupes

La circulation de l’information financière entre les sociétés des groupes s’accompagne aussi de véritables flux financiers d’une entité à une autre. La concentration du capital au sommet légitime la dynamique centripète des pertes et profits affichés par les filiales dans leur reporting. Les surplus sont légitimement « confisqués » par les maisons mères successives qui les concentrent au sommet. Le lien capitalistique qui unit entre elles des filiales n’est jamais aussi évident qu’une fois leurs résultats accumulés en dernier lieu dans les comptes de la société faîtière qui donne corps au groupe dans son ensemble. Le contrôle de gestion est un langage dont la grammaire permet de faire la synthèse des performances d’activités diverses et de leur donner l’apparence d’une entreprise intégrée comme en témoigne Usco ou encore Family.

Sur son site Internet, Usco se présente comme la 126e entreprise du monde avec un chiffre d’affaires dépassant les 30 milliards de dollars et 215 000 employés. La société Usco ne vend et ne produit rien, mais elle détient le capital de nombreuses filiales dont elle concentre les résultats. C’est sous cette forme ramassée et visible et sous celle du cours de bourse qu’Usco apparaît aux investisseurs comme aux salariés d’Elevator. Un contrôleur de gestion nous explique que le discours tenu aux opérationnels lors des formations budgétaires rend concrète l’existence d’Usco en faisant référence à Wall Street :

« Le rythme de New York s’impose au contremaître de Corrèze ! Je lui dis en formation que si l’action chute on se fait racheter et que cette fois ce sera des Japonais et on verra alors si c’est mieux ? » (CDG Elevator)

Chez Family aussi la remontée des informations s’appuie sur le relais du contrôle de gestion dont l’action est légitimée par la répartition du capital. Un contrôleur de gestion d’Oméga nous explique qu’il joue de son statut de représentant des actionnaires pour exiger des filiales le transfert d’informations.

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« On est justement la maison mère pour eux [dirigeants des filiales], on est l’actionnaire. J’en joue dans mes relations avec eux. Je leur fais comprendre qu’on est l’actionnaire, qu’il faut qu’ils me renvoient les chiffres. » (CDG Oméga)

C’est à l’issue de ce travail de consolidation étendu à plusieurs centaines de sociétés dont Family détient directement ou indirectement tout ou partie des titres que la société faîtière peut afficher un résultat net de 700 millions d’Euros en 2005.

L’action du contrôle de gestion rend effective la structure pyramidale des groupes telle qu’elle se dessine au travers de la répartition du capital des sociétés. Une composante distinctive de la structure de groupe est que les liens de capitaux créent une hiérarchie de fait entre les sociétés qui les distinguent des réseaux horizontaux tissés sur la base de prises de participations croisées. La structure de groupe autorise de plus que l’expertise de la maison mère ne soit pas opérationnelle ce qui tranche avec bien des relations de sous-traitance. Les instances décrites comme des ponts essentiels de la coordination des entités productives dans les réseaux de production (comme les services qualité ou logistique) n’occupent pas ici une place aussi centrale. Quand les biens échangés ne sont pas des produits physiques mais des flux financiers, la détention de capital s’impose comme un critère incontournable de la légitimité des instances de gouvernement. La concentration du capital au sommet permet l’exercice du droit de propriété des maisons mères et justifie la main mise sur le patrimoine des filiales. Comme A. Hopwood, nous pouvons alors dire que « le contrôle de gestion rend l’organigramme organisationnel puissant » (1983 : 301).

Par ailleurs, le calcul de l’efficacité et du coût donnent également un référentiel commun aux acteurs des entreprises (Reynaud, 1997 : 316). Il diffuse à travers la construction d’un résultat consolidé le souci de l’optimisation des performances. Le caractère institutionnel des groupes est alors marqué par la production organisée de profits au moyen de sociétés perçues comme sources de coûts et de revenus. Le fait de saisir isolément chacune des sociétés des groupes facilite les transactions sur le marché des filiales qui sont le plus souvent non cotées. Le suivi financier participe de leur liquidité en permettant de leur attribuer une valeur marchande. L’essentiel des méthodes de valorisation des entreprises s’appuie en effet sur des audits et des formules qui reposent sur les éléments renseignés dans les publications trimestrielles des sociétés. Les résultats comptables diffusés chaque mois s’apparentent alors quasi immédiatement à un prix de marché et la menace de la vente des titres est toujours présente. Cet élément participe de la flexibilité des groupes et ouvre de nombreuses

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opportunités dont les maisons mères tirent partie avec pragmatisme comme nous allons le voir dans le chapitre suivant.

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Chapitre II

Les groupes de sociétés comme structures

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