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B Le contrôle de gestion comme instrument de communication

2) La conjugaison des différents exercices

Fortement cadrée par les attentes des maisons mères et par le relais sélectif des contrôleurs de gestion, l’information en transit entre les sociétés d’un groupe n’en reste pas moins particulièrement variée. L’observation des données issues des différents exercices prévisionnels par exemple chez Elevator France révèle la diversité des formats en usage qui se distinguent les uns des autres notamment par la poursuite d’objectifs différents.

Elevator France construit un budget prévisionnel annuel d’un grand niveau de détail. Largement diffusé auprès des managers d’Usco, il sert de base de référence au calcul des écarts et traduit un engagement fort de la part de la direction de la filiale envers sa maison mère. Le budget n’est cependant pas le seul exercice de prévision. D’autres viennent s’ajouter en cours d’année avec chacun des finalités particulières. Les « latests » par exemple ont lieu en juin et en septembre et servent d’exercices intermédiaires de prévision entre le budget annuel et le réel. Sans annuler le budget initial, ils permettent de réajuster les prévisions et de communiquer des perspectives plus précises à l’ensemble des actionnaires en tenant compte du « réel » des mois écoulés. Les « latests » se démarquent aussi du budget en ne couvrant que quelques indicateurs clefs répondant aux attentes d’un public de partenaires extérieurs et d’analystes financiers. Un dernier type d’exercice prévisionnel sont les plans de performance qui fixent deux fois par an les objectifs sur lesquels sont basées les primes des managers opérationnels. Ces plans sont imposés par Elevator France aux dirigeants des filiales et servent d’instruments d’incitation. Ils sont plus ambitieux que les budgets et les « latests » et visent explicitement à stimuler les

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efforts des opérationnels. Un directeur compare les plans de performance aux autres prévisions en ces termes :

« Le plan de performance c’est différent car on y participe très peu : ce sont des décisions qui viennent du haut. C’est la finance et la direction générale qui demandent tant de croissance en plus que le latest qui a été fait un mois avant. Quand le plan de performance arrive, des fois on sait d’entrée que certains points sont irréalisables » (Directeur Elevator France)

Ces trois types d’exercices prévisionnels ne sont pas adressés aux mêmes destinataires. Le budget annuel est communiqué aux opérationnels, aux managers et aux dirigeants. Les latests sont avant tout réservés aux actionnaires externes. Les plans de performances sont propres à chaque manager et ne font pas l’objet d’une consolidation. Tous ces exercices sont formalisés et orchestrés par les contrôleurs de gestion qui soulignent le caractère parfois paradoxal des objectifs poursuivis. Un contrôleur de gestion d’Elevator France exprime les divergences entre les différents discours tenus aux opérationnels.

« Nous avons deux discours différents avec d’un côté la volonté de mettre des provisions de côté et de s’assurer que tous les risques sont bien couverts et de l’autre on les pousse au maximum. » (CDG Elevator France)

Les « latests » visent ainsi une appréciation prudente et réaliste des résultats de fin d’année quand les plans de performance incitent les managers opérationnels à prendre des risques à la poursuite d’objectifs ambitieux.

Les contrôleurs de gestion construisent sur la base des données fournies par les opérationnels et les dirigeants des jeux de documents dont la mobilisation en parallèle permet de poursuivre simultanément plusieurs buts. Sans se soucier d’observer une cohérence d’ensemble entre les objectifs parfois contradictoires, ils veillent au bon déroulement de chacun des exercices mis en avant dans des contextes différents. Dans le cas d’Elevator, la multiplication du nombre des exercices impose de cloisonner les jeux de chiffres afin que ceux plutôt ambitieux et ceux plutôt conservateurs, ainsi que ceux à usage interne et ceux à usage externe, ne se télescopent pas. D’autres groupes adoptent tout autant d’objectifs différents avec moins d’exercices. Oméga par exemple gère rigoureusement différentes versions successives d’un même budget avec des usages particuliers.

Le budget d’Oméga est revu tous les trois mois. Dans un premier temps, les opérationnels sont sollicités par les échelons intermédiaires afin de faire remonter les prévisions les plus réalistes possibles. Une fois ces données consolidées par les contrôleurs de gestion, certains développements jugés trop incertains par les dirigeants d’Oméga sont revus à la baisse avant que les chiffres ne soient transmis à la direction de FDS. FDS opère alors à

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son tour des arbitrages, le plus souvent à la hausse, en fonction des premières données collectées auprès de ses différentes filiales avant de faire un retour à la direction d’Oméga. Un contrôleur de gestion d’Oméga nous précise ainsi :

« On sait alors ce que le directeur de FDS en charge de notre société souhaiterait avoir […] On sait par exemple que c’est au minimum +3%. Ce n’est pas écrit sur un mémo bien sûr mais ce sont des rumeurs. » (CDG Oméga)

Certaines remarques de FDS donnent alors lieu à des corrections et à une nouvelle version du budget qui est assignée comme objectif aux différentes filiales d’Oméga. Pour le contrôleur de gestion de FDS il s’agit « de relations habituelles entre une holding et ses filiales. La holding [FDS] pousse le budget vers le haut tout en cherchant à le garder cohérent. La filiale [Oméga] joue le jeu mais cherche à garder une marge de manœuvre. » Au cours des différentes étapes, les premières versions du budget ne sont pas oubliées. Lors de l’analyse des écarts, plusieurs contrôleurs de gestion de filiale nous confient revenir aux premières versions en soulignant l’impact des arbitrages du sommet afin de justifier de performances inférieures aux objectifs. Un même exercice poursuit donc successivement chez Oméga plusieurs finalités. (1) Le budget dans sa première mouture est une prévision aussi fiable que possible des performances futures à l’usage de la direction d’Oméga. (2) Sur la base de ce premier estimé, Oméga adresse à sa maison mère FDS une proposition de résultat prévisionnel a minima. (3) FDS sait pouvoir compter sur les prévisions plutôt prudentes communiquées par Oméga et fait à sa filiale un retour plus ambitieux qui tient lieu d’objectif à décliner auprès des managers opérationnels. Officiellement un seul budget circule chez Oméga mais il existe sous trois versions qui sont utilisées pour des usages différents.

En résumé, plusieurs jeux de chiffres sont donc en circulation dans les groupes et tous les interlocuteurs ne disposent pas des mêmes représentations des activités des sociétés. De nombreux reportings sont en effet réalisés sur mesure en fonction des destinataires. Les contrôleurs de gestion compilent et diffusent des documents aux objectifs différenciés, certains insistent sur des problématiques de coût, d’autres de différenciation etc. Soit les exercices supports de ces différentes politiques sont dédiés à un objectif et une audience particulière, soit ils sont polyvalents et font l’objet d’une segmentation dans le temps qui permet de poursuivre différents objectifs successivement. Dans les deux cas, les entreprises renoncent à mettre sur pied un seul jeu de chiffres prévisionnels qui serait un compromis, mais privilégient des solutions qui permettent des politiques tranchées mobilisées séparément.

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Dans ce contexte, il revient aux contrôleurs de gestion la mission d’organiser la cohabitation de chiffres dédiés à des politiques contrastées en évitant les télescopages.

C - Le contrôle de gestion comme dispositif partagé

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