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Contrôle de gestion et gouvernement d’entreprise : une histoire de contrôle financier avant tout

A Le contrôle de gestion dans la littérature en sociologie et en gestion

2) Contrôle de gestion et gouvernement d’entreprise : une histoire de contrôle financier avant tout

Pour les théoriciens de l’agence, le principal qui manque d’informations et de connaissances opérationnelles transfert le pouvoir de décision vers la périphérie (Fligstein et Choo, 2005). Comme l’agent a davantage de compétence et d’information, l’opportunisme devient possible. La firme et les institutions apparaissent alors comme des solutions au problème du contrôle né de la dispersion de la propriété dans les grandes entreprises et le contrôle de gestion s’impose par exemple comme un coût d’agence interne de vérification et de justification. A. Hopwood montre en effet dès les années 1980 comment les pratiques du contrôle de gestion permettent au centre de déléguer la gestion des questions opérationnelles sans abandonner le contrôle des résultats. Il fait à cette occasion le lien avec les problématiques de gouvernance et de gouvernement (1987), lien qui s’impose ensuite progressivement comme une évidence (Miller et O’Leary, 1987, 1993 ; Roberts, 1990, 1991, 2005 ; Townley, 1995, 2002) jusque dans certains manuels qui qualifient le contrôle de gestion de « composante clé » de la gouvernance et du gouvernement d’entreprise (Bouquin, 2004 ; Perez, 2003). Le contrôle de gestion est alors présenté comme une interface permettant de trouver un équilibre entre les pouvoirs du centre et ceux de la périphérie notamment quand les directions attendent des résultats précis sans connaître les processus opérationnels pour y parvenir. Le langage du contrôle de gestion joue dans ce contexte un rôle crucial en permettant de rendre intelligible et contrôlable des activités d’experts aux yeux de non-experts (Armstrong, 2000). Il extrait l’information, la simplifie et l’oriente vers les marchés qui sanctionnent (Gomez, 2001). Il n’y a plus vraiment d’organisation mais des contrats et il n’y a plus vraiment l’exercice d’un pouvoir mais la mesure d’une efficacité. En résumé, le contrôle de gestion permet de discipliner les acteurs via l’analyse du seul profit.

Dans ce contexte, la « transparence » des informations financières en circulation dans les entreprises s’impose comme maître-mot. La loi de sécurité financière en France, la loi Sarbanes-Oxley aux Etats-Unis et l’adoption des normes de communication financière IFRS à l’échelle européenne vont dans le sens d’une standardisation et d’une multiplication des

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documents financiers obligatoires produits par les groupes cotés (Chiapello, 2005). Cette inflation réglementaire qui prône une transparence accrue en faveur des actionnaires contraint plus que jamais les dirigeants à tenir compte des attentes des détenteurs du capital dans le choix des buts et des moyens assignés à l’entreprise (Aglietta et Rebérioux, 2004). Le risque est alors de voir « le marché » prédéterminer les décisions de gestion entrainant le couplage de la marche des opérations avec la quête de la valeur pour l’actionnaire (Moriceau et Villette, 2001). Les objectifs imposés lient ainsi la logique « externe » des marchés financiers à la logique financière « interne » de management », avec pour principale conséquence de servir « d’arbre de transmission » des intérêts des grands actionnaires (Pesqueux, 2005 : 815). De nouvelles formules sont construites pour mesurer la valeur créée pour les actionnaires comme l’« Economic Value Added » (EVA) dans le cadre de projets d’investissement ou le « Return on Capital Employed » (ROCE) à l’échelle des entreprises (Rebérioux, 2003). Une fois la complexité des attentes des actionnaires réduite à ces quelques ratios, l’objectif qui consiste à accroître sans cesse la création de valeur actionnariale change durablement les bases des décisions. Quand la poursuite du profit devient l’unique but de l’entreprise, les dirigeants sont de simples intermédiaires qui relayent la pression qu’ils subissent sur leurs subordonnés (Gomez, 2001).

Par ses effets d’incitations, d’orientations ou encore d’aveuglement sélectif (Bloomfield et Vudurbakis, 1997 ; Introna, 2001), le contrôle de gestion influence le comportement des managers avec pour conséquence de réduire leurs degrés de liberté (Chiapello, 1996). A. Hopwood montre que « ce qui est visible aujourd’hui n’est que le reflet de problèmes passés » (1987) et insiste sur le poids des méthodes de calcul des coûts sur la politique et les choix des entreprises. B. Carruthers et W. Espeland insistent sur la puissance rhétorique des méthodes comptables comme processus de légitimation de décisions qui deviennent alors incontestables (1991). L’abstraction et la simplification favorisent la définition de catégories financières perçues comme des attributs du monde (March et Simon, 1958). En principe, le contrôle de gestion devient le moyen par lequel chacun sait ce qu’il doit faire pour le compte du groupe et ainsi rationaliser ses choix non plus seulement autour de ses intérêts mais de ceux du groupe dans son ensemble. Il est « un des moyens dont disposent la tutelle ou les titulaires de droits de propriété pour porter les managers à adopter des comportements cohérents avec leurs intérêts » (Bouquin, 2004 : 54). La littérature critique anglo-saxonne d’inspiration foucaldienne fait référence au contrôle panoptique exercé par le contrôle de gestion et insiste sur le rôle combiné du discours et des technologies qui contrôlent le comportement des

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individus sans recours à la contrainte brutale mais par la domination des esprits pour les orienter vers des fins économiques. P. Miller et T. O’Leary (1987) par exemple voient dans l’essor des coûts standards au début du XXe siècle une technologie et un discours mis en place pour rendre les travailleurs plus efficaces et plus dociles. La construction de normes et la vérification en continue du respect de celles-ci par les unités de production sont interprétées comme une tentative de soumettre les travailleurs afin d’accroître l’efficacité économique (Miller et O’Leary, 1993 ; Knights et Collinson, 19878). Des travaux récents décrivent le contrôle de gestion comme une technologie de gouvernement à visée disciplinaire permettant « d’aligner et de contrôler » la conduite des individus « à distance » (Sargiacomo, 2008 : 669). Les concepts empruntés à la sociologie de la traduction font le pont entre les technologies disciplinaires et la « gouvernementalité » étudiées par M. Foucault (Armstrong, 1994) et montrent que l’accumulation de connaissances dans les centres de calcul centraux rend la périphérie visible à tout moment. L’accent est mis sur les mécanismes de sanction et de récompense qui ne vont pas sans rappeler l’alignement par les incitations cher à la théorie de l’agence.

Un point commun à toutes ces études est qu’elles reposent sur la description d’événements historiques à partir d’archives et sont pauvres en éléments sur les pratiques réelles. Ce sont davantage des descriptions de modèles tels qu’ils sont censés fonctionner que l’observation de pratiques. Partout, le but est bien de transformer des orientations en actions mais avec quel succès ou au prix de quels arrangements ? Le rôle du sociologue est de s’assurer si en pratique l’exercice de la prise de décision échappe véritablement aux acteurs au profit de modèles mathématico-financiers communément acceptés. Il s’agit également d’éviter une vision trop fonctionnaliste qui tend à ignorer le rôle de l’histoire, des relations de pouvoir et de la culture (Davis, 2005a). Le contrôle de gestion est mis en place dans des contextes différents pour des raisons variées et utilisé à des fins imprévues (Hopwood, 1987). Les techniques de valorisation des richesses et des flux dans les entreprises n’alignent en rien nécessairement les décisions des dirigeants avec les attentes des marchés.

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Pour une revue de la littérature critique en comptabilité et en contrôle de gestion dans la revue

F-R. Puyou – « Le contrôle de gestion comme scène du gouvernement des groupes » - Thèse IEP de Paris – 2009 32 3) Le contrôle de gestion dans les groupes laisse entrevoir la

possibilité d’une organisation optimale

L’essentiel de la recherche en gestion sur les grandes entreprises fait peu de cas des frontières juridiques internes aux firmes. Si divisions et filiales recouvrent bien souvent des ensembles de nature très proche, elles diffèrent au moins par l’origine des asymétries de pouvoir légitime qui repose dans le premier cas sur des liens hiérarchiques et dans le second cas sur des liens d’actionnariat. Cette différence serait anecdotique si elle ne s’accompagnait pas aussi de différences dans les mécanismes d’appréciation des performances et des sanctions. Pour P. Armstrong, l’asymétrie d’expertise opérationnelle caractéristique des relations hiérarchiques classiques cède la place, dans le cas des groupes, aux technologies du management (2000).

En réalité, l’opposition entre filiales et divisions est souvent moins tranchée et les actionnaires dans les maisons mères ont la possibilité de s’investir dans les opérations en exerçant une autorité quasi hiérarchique sur les opérationnels. Les possibilités offertes quant au niveau d’implication des maisons mères ne se limitent donc pas à l’achat et à la vente de sociétés, mais couvrent un large spectre allant du contrôle par exception sur la base d’indicateurs financiers à l’intégration complète des activités (Catel-Duet, 2007). Suivant les cas, les chercheurs distinguent deux styles (Collis et Montgomery, 1998) ; trois styles (Goold et Campbell, 1987) ou encore cinq styles différents (Denis et Tannery, 2002) qui font obstacle ou au contraire renforcent les formes sociales de contrôle accordant une place variable à la confiance (Capron, 1990 ; Goold et Campbell, 2002). Les positions extrêmes sont unanimement décriées : les unes pour leur manque d’attention aux spécificités des activités économiques, les autres pour la centralisation excessive des décisions.

Pour M. Goold et A. Campbell, le choix stratégique auquel les actionnaires des filiales sont confrontés est justement de savoir si leur implication dans la gestion du groupe doit se limiter à ajuster le périmètre de celui-ci par le biais de l’achat et de la vente de sociétés ou bien s’il convient de s’immiscer dans le management des activités (2002). Il relève de la responsabilité de chaque maison mère de faire le difficile travail d’équilibriste entre centralisation et décentralisation. Les choix sont contingents mais les objectifs sont universels et doivent selon les auteurs servir de guides pour l’action. Les centres jugés efficaces sont ainsi ceux qui assurent l’allocation optimum des ressources et la validation des investissements les plus performants (Goold et Campbell, 2002). Très prescriptifs, M. Goold et A. Campbell défendent l’idée que le partage des responsabilités doit se faire sur des bases claires en lien

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avec les compétences de chacun. La flexibilité des groupes est décrite comme une formidable opportunité qui permet une recomposition permanente visant à traquer les échelons qui n’apportent pas la preuve d’une contribution à la valeur ajoutée de l’organisation. Sont principalement suspectes les entités issues de « luttes de pouvoir », de « jeux politiques », « d’ambitions personnelles » ou encore « d’héritages historiques ». Le contrôle de gestion est alors l’outil idéal permettant d’évaluer en permanence les contributions des parties. Même en l’absence de cotations sur les marchés financiers, les maisons mères évaluent régulièrement les résultats communiqués par les filiales qui sont maintenues sous la pression d’être vendues. Le contrôle de gestion donne aux managers des maisons mères les moyens de faire en sorte de maximiser le rendement des investissements consentis en tranchant sur le périmètre optimum du groupe (Goold et Campbell, 2002).

De l’aveu même d’auteurs comme M. Goold et A. Campbell, la quête de la structure idéale souffre néanmoins des interdépendances économiques, sociales et politiques qui rendent inévitables les chevauchements (2002). La théorie fixe une norme d’efficacité économique pour guider les comportements des acteurs et ignore les solidarités internes et suppose à tort que l’information en circulation est indépendante des individus par ailleurs confrontés à des autorités multiples et parfois contradictoires (Gomez, 1996 : 148). Le portrait esquissé du groupe idéal ainsi que les techniques proposées pour en assurer la mise en œuvre relèvent alors plus de guides pour l’action que de recettes directement applicables aux risques de graves disfonctionnements. La transparence du résultat des entités constitutives rend ainsi par exemple légitime la recherche de son optimisation parfois même au détriment du groupe.

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