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A Le contrôle de gestion comme levier d’action

1) Le gouvernement par les indicateurs

Quelle que soit leur position dans l’organigramme des sociétés, les maisons mères adaptent et complètent les règles du reporting du groupe en fonction des spécificités de leurs filiales et des priorités du moment. Une pratique répandue consiste par exemple à communiquer à l’avance à la direction des filiales les quelques indicateurs du reporting qui feront l’objet

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d’une attention particulière afin d’orienter leur action. S’ajoutent alors aux éléments récurrents d’attention définis pour l’ensemble du groupe (cf. ch. III), des indicateurs propres à chaque relation pour lesquels un suivi spécifique est instauré le temps de quelques exercices seulement. Ces indicateurs traduisent les contraintes du moment des actionnaires intermédiaires et permettent à des sociétés comme Ebel et Orsy de les répercuter en partie sur les dirigeants de leurs filiales.

Panam attend de ses filiales le reporting d’éléments financiers comme le profit et d’autres plus commerciaux comme le gain de parts de marché. Ebel ne se contente pas d’assurer la collecte de ces informations auprès de ses filiales, mais décline ces objectifs de manière différenciée en fonction de leur potentiel. Un contrôleur de gestion d’Ebel France nous explique ainsi que sa société est fortement incitée à mettre l’accent sur la conquête du marché français sans avoir à trop se soucier des aspects financiers.

« Nous reportons des déficits mais on n'a pas trop la pression [...] Chez nous ils (les managers d’Ebel) mettent le paquet sur la stratégie et le commerce et pas trop sur les restrictions et sur les contraintes financières. Les actionnaires veulent que ça marche en France. Il y a de la pression mais on ne compte pas les crayons. » (CDG Ebel France) A l’inverse, les dirigeants de Ronelec soulignent quant à eux la pression mise par la maison mère sur les indicateurs financiers plus nombreux encore que ceux attendus par Panam.

« Moi je suis jugé sur l’EBIT, l’EBITDA, l’operating margin [la marge opérationnelle], le résultat courant net, le résultat net, le free cash flow et quelques autres points comme la marge brute de financement, les variations de BFR et les CAPEX. Enfin, on fait attention à l’excédent net de liquidité et à la trésorerie qui cale le dividende. » (DGA Ronelec) Ronelec est suivie de près par une batterie d’indicateurs financiers qui tranchent avec les quelques objectifs commerciaux assignés à Ebel France.

Chez Orsy, des indicateurs propres aux différentes filiales concourent à relayer auprès des dirigeants les attentes du sommet. L’objectif du groupe, qui consiste à renforcer sa présence internationale, est décliné entre les filiales au moyen d’indicateurs qui tiennent compte des spécificités locales à l’image de celui choisi pour Orsy ingénierie.

« Les responsables des filiales s’engagent sur un certain nombre d’indicateurs de suivi. Si on prend l’exemple concret d’Orsy Ingénierie qui est notre filiale qui exporte notre savoir- faire en termes de conception d’aéroports, un des objectifs qui lui est assigné est de rééquilibrer le portefeuille clients vers la zone Amérique du Nord car nous sommes très présents au Moyen-Orient mais c’est tout. » (Responsable Filiales Orsy)

Le risque induit par la répartition inégale des ventes d’Orsy à l’étranger justifie la décision de lui associer un indicateur spécifique tenant compte de la géographie des ventes.

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D’autres situations témoignent d’arrangements autour des indicateurs existants. Le taux de rendement interne (TRI36) s’applique par exemple indifféremment à toutes les filiales d’Orsy. Des seuils différents sont néanmoins définis pour tenir compte du périmètre sur lequel chacune des filiales opère.

« Les indicateurs de performances pour les filiales c’est souvent un TRI avec des exigences un peu supérieures quand [elle] sort des aéroports parisiens tout en restant en France et encore un peu supérieur quand c’est à l’étranger. » (CDG Orsy)

Certaines maisons mères affichent largement en amont du processus de reporting des précisions concernant les indicateurs les plus surveillés. L’objectif de ces effets d’annonce est de concentrer l’attention des dirigeants et d’orienter leurs actions sur quelques priorités. Les managers des maisons mères s’assurent ainsi de la prise en compte de leurs principales incertitudes stratégiques par les dirigeants (Simons, 1994 ; Berland et Sponem, 2005). Les éléments mis en avant de la sorte sont régulièrement renouvelés et tranchent sur ce point avec les éléments récurrents d’attention. Le cas des relations entre Oméga et sa filiale Railshop nous offre une illustration des adaptations en fonction de l’actualité.

A une époque où les investissements dans les activités de distribution étaient particulièrement importants, FDS a fortement incité ses filiales à générer en interne les liquidités nécessaires au développement du secteur. Railshop était alors la seule société d’Oméga contributrice en termes de trésorerie. Le contrôleur de gestion d’Oméga en charge de son suivi évoque le lien entre les attentes de FDS et l’attention particulièrement étroite dont a fait l’objet pendant quelques mois la trésorerie de la société.

« Le budget était beaucoup plus fin qu’ailleurs […] FDS avait beaucoup plus d’exigence sur [Railshop] que sur les autres activités. C’est une société au départ avec un chiffre d’affaires de plus de 100M€, qui représente une grosse source de cash [liquidités]. Elle finançait les autres sociétés du groupe. FDS était donc très exigeant. » (CDG Oméga) Les orientations fixées par FDS se trouvent donc déclinées au niveau d’Oméga qui met sur pied un contrôle accru des mouvements de liquidités sur certaines de ses sociétés. Plus tard, le ralentissement marqué du rythme des investissements s’est accompagné d’un retour à la normale dans le suivi de Railshop avant que celui-ci ne se trouve à nouveau considérablement renforcé suite aux hausses successives des taxes sur le tabac. La réduction du différentiel de prix entre les cigarettes au Royaume-Uni et en France a entrainé une chute du chiffre d’affaires de Railshop. Le directeur financier d’Oméga s’est

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La formule du TRI permet de s’assurer que la valeur créée par une activité couvre à la fois les coûts de fonctionnement et les frais financiers liés à la rétribution des capitaux immobilisés pour l’occasion.

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alors de nouveau tourné vers la filiale en instaurant cette fois le suivi du ratio entre le chiffre d’affaires et les effectifs avec pour objectif de le maintenir constant.

Les relations entre maisons mères et filiales font ainsi l’objet de pics d’attention liés à des préoccupations conjoncturelles. L’exemple précédent montre la propension du sommet à adapter les indicateurs du contrôle de gestion aux contraintes qui sont les siennes. C’est également le cas au sein des relations entre Petcare et Santé SA telles qu’elles nous sont rapportées par le contrôleur de gestion de la maison mère.

Suite à la fusion qui a donné naissance à Santé SA, le nouveau contrôleur de gestion chargé des relations avec Petcare nous explique comment il a progressivement fait évoluer les informations obtenues auprès de la filiale.

« Avant, on ne demandait que de l’information financière. J’ai demandé à ce que cela soit complété par d’autres informations comme les parts de marché des principaux produits [...] Au début c’était difficile. La collecte des données n’était pas systématique ni toujours comparable d’une période à l’autre. J’ai donc fait des demandes en complément et maintenant ça marche. » (CDG Santé SA)

Cette évolution se ressent au niveau des contrôleurs de gestion de Petcare dont un note « une plus grande centralisation de données plus variées » suite à des questions plus précises et un reporting plus poussés.

Toutefois, tout le monde ne peut pas se saisir du contrôle de gestion comme outil. Il faut pour cela disposer d’une autorité propre aux acteurs du sommet qui seuls sont légitimes pour signaler les priorités en mettant l’accent sur certains éléments plutôt que d’autres (Boussard, 2001). Les échelons périphériques sont alors soumis aux changements d’orientations imprimés par le sommet au travers des données du contrôle de gestion. Ainsi, parmi les griefs formulés par les opérationnels à l’encontre des outils de gestion mobilisés par le sommet (tel que le contrôle de gestion) ressort le fait que ceux-ci sont perçus comme trop dépendants de l’usage que les managers veulent en faire (Devigne, 2004). Dit autrement, les instruments de contrôle sont communément jugés par les acteurs opérationnels comme tout juste bon à communiquer les attentes des managers du sommet sans véritablement s’accompagner d’orientations visant à faire effectivement évoluer les pratiques. En effet, aucune expertise opérationnelle n’est requise dans la fixation de nouveaux objectifs chiffrés. Les maisons mères indiquent les cibles poursuivies sans guide d’action ou procédures détaillées pour y parvenir. L’incertitude quant aux moyens d’atteindre des fins affichées est caractéristique des « boîtes grises » décrites par P. Veltz comme étant les nouvelles briques des entreprises modernes (2000). Le contrôle de gestion est donc bien un levier à la main des actionnaires qui

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en font un usage stratégique. C’est parce que les managers des maisons mères cherchent à orienter l’action des dirigeants de leurs filiales qu’ils mettent en place des dispositifs de contrôle de gestion différenciés afin d’inciter ceux-ci à coller avec les préoccupations du moment au sommet. Ce n’est donc pas tant le contrôle de gestion en place qui détermine les relations de gouvernement que l’inverse.

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