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4. La Géorgie face à ses minorités

4.5. La Géorgie depuis l’indépendance – de Gamsakhourdia à Chevardnadze

La période de la fin de l’URSS et de l’indépendance de la Géorgie est essentielle pour comprendre les fondements des rapports entre minorités et majorité dans la période post- communiste en général et surtout pour saisir la relation à la fois complexe et binaire qu’entretiennent l’Etat géorgien et ses hommes politiques avec leurs minorités. Bien que le contexte des années 1989-93soit très différent de celui de la période 2004-13, les évènements de la sortie de l’URSS et les conflits qui ont suivi sont révélateurs, certes de manière paroxystique, de l’angle sous lequel sont perçues les minorités et de la difficulté à les envisager dans une vision non primordialiste de la nation. La période troublée des années 1989-93 a révélé un ensemble de tensions ou de traumatismes enfouis, de démons cachés dont on observe aujourd’hui encore des traces, certes moins aiguës : nationalisme exclusif, absence d’empathie, mystification de la nation titulaire, discours victimisant, réécriture de l’histoire (soviétique), pour n’en citer que quelques-unes. L’objectif de ce sous-chapitre n’est pas de procéder à une narration linéaire des évènements tragiques du début des années 1990 en

Géorgie, mais plutôt de chercher à identifier ce qu’ils peuvent nous dire de profond sur les relations entre majorité et minorités en Géorgie, et s’ils donnent des clés de lecture de cette relation pour la période 2004-2013, en particulier pour ce qui est de la communauté arménienne. Les évènements de 1989-93 donnent-ils une clé de compréhension des difficultés du gouvernement Saakachvili à inculquer une conception civique de la nation ? Y a-t-il des récurrences entre des éléments du discours de la classe politique de la période 1989-93 et celles d’aujourd’hui, certes de manière plus nuancée, sur la question des minorités, de leur place dans la société géorgienne, qui expliquerait les difficultés de ces dernières à se sentir pleinement citoyens géorgiens?

L’intérêt de ce sous-chapitre est également d’exposer les raisons pour lesquelles les conflits d’Ossétie du Sud et d’Abkhazie ont eu lieu, en se démarquant d’une approche simpliste sur la seule aggravation des relations interethniques et des tensions historiques sous-jacentes entre communautés. Ces éléments sont largement insuffisants pour expliquer le passage d’un état de violence à un état de guerre. Pourquoi le conflit a-t-il été si radical ? On peut identifier nombre de causes qui s’ajoutent à la simple question des tensions interethniques et des enjeux de pouvoir qui y étaient liées : forte fragmentation et inexpérience des élites, incapacité à créer une forme de compromis avec les élites issues du parti communiste géorgien, faiblesse des institutions, et par extension prise de contrôle de l’Etat par des groupuscules paramilitaires. L’analyse de ces différents éléments nous permettra de mettre en lumière l’origine des craintes qui rejaillissent sur le débat de la protection des minorités dans la Géorgie de l’ère Saakachvili, en particulier le réflexe consistant à envisager la question des minorités sous un angle sécuritaire et à associer instinctivement territoire et droits des minorités ou encore autonomie et séparatisme. La situation de la communauté arménienne de Géorgie ne peut se comprendre sans la placer dans le contexte des conflits ayant déchiré le pays au début des années 1990, ni sans aborder les relations entre Géorgiens et les minorités abkhaze et ossète.

L’origine des conflits armés en Géorgie a longtemps été attribuée essentiellement aux discours nationalistes antagonistes des différentes nations titulaires. Cet élément ne peut en aucun cas être négligé ; le cas de la Géorgie, au regard des autres républiques ex-soviétiques, est tout à fait particulier à cet égard. Alors que dans la plupart des républiques, notamment baltes, c’est la période de l’indépendance, dans l’entre-deux-guerres, qui a constitué le point

de référence dans la lutte pour la sortie de l’URSS, en Géorgie c’est la question de la nation qui a joué ce rôle (Broers, 2004, p. 154). Dans la vision primordialiste de la nation telle que véhiculée par les intellectuels et hommes politiques de l’époque, les minorités n’avaient pas leur place dans la nouvelle Géorgie ; « on the contrary, Georgia’s multi-ethnic composition was actively portrayed as a Soviet legacy in spite of which independence was to be revealed » (ibid., p. 154). La renaissance du nationalisme géorgien prit forme autour d’un certain nombre d’éléments classiques : langue, littérature, religion, autant d’éléments véhiculés par des activistes issus de la dissidence intellectuelle autour de la figure de Zviad Gamsakhourdia. Ces derniers étaient appréciés pour leur romantisme révolutionnaire, plus que pour leur qualité et leur expérience politiques ; cela leur donna auprès de la population l’image de dirigeants nationalistes authentiques, comme le souligne Ghia Nodia : « Political struggle (for whatever cause) was interpreted as a set of heroic-aesthetic gestures, and anything like pragmatism or political calculation was considered to be a disgrace, hence unacceptable. Notional rejection of any compromise with the projected ‘enemy’ (Russia, or ‘the Kremlin’) practically resulted in failures to achieve any compromise between different factions of the national-independence movement (…) » (Ghia Nodia, 1998, p. 8). Le courant dominant se construisit autour de certaines thématiques clés déjà évoquées qui appuient la distinction entre nation titulaire et minorités, en particulier la distinction entre indigènes (korennye) et nouveaux arrivants. Il s’agit là de construire un discours binaire sur la civilisation géorgienne en la décrivant comme une lutte contre les éléments ethniques étrangers plutôt que comme une révolte contre les injustices quotidiennes partagées par tous les groupes » (Broers, 2004, p. 155). Ce discours ultranationaliste est porté prioritairement par Zviad Gamsakhourdia qui rédige alors des textes quasi-messianiques sur la supériorité divine de la nation géorgienne, mais a été repris par beaucoup de leaders du mouvement indépendantiste géorgien de la fin des années 1980 clamant que la diversité ethnique de la Géorgie était un phénomène récent et imposé par le colonisateur russe.

La question centrale est de savoir pourquoi cette frange radicale s’est imposée dans le champ politique et comment on est passé de la confrontation au conflit armé. La radicalisation du nationalisme géorgien tient à des éléments aussi bien structurels de la société géorgienne qu’à des éléments conjoncturels. Au niveau structurel, le caractère radical de la mobilisation s’explique notamment par l’absence d’une communauté russe importante dans les villes, qui

aurait pu faire contrepoids au nationalisme géorgien. Le second facteur structurel d’importance dans le mécanisme de radicalisation est celui de « la présence de nations titulaires de deuxième niveau contrôlant certaines zones territoriales rivales de l’Etat » (ibid., p. 144). La montée des tensions entre dans les consciences collectives à la fin des années 1970 dans le cadre de manifestations du côté abkhaze et des concessions faites à ces derniers par Moscou. Cette rivalité sur les questions territoriales a sans conteste radicalisé le discours géorgien et a convaincu les élites que la question abkhaze devait être résolue dans une Géorgie indépendante plutôt que par l’intermédiaire de Moscou, qui avait un parti pris sur la question. Enfin, le taux élevé de Géorgiens membres du parti communiste géorgien eut pour conséquence de radicaliser les entrepreneurs ethniques qui ne pouvaient s’appuyer sur les structures politiques en place. En effet, dans une société fonctionnant sur la base de réseaux interpersonnels, il était de bon ton d’être membre du parti, en raison de l’accès facilité aux biens publics et autres avantages. Pour cette raison, les membres du parti demeuraient insensibles au discours dissident porté par les nationalistes, ce qui poussait ces derniers à plus de radicalité pour faire entendre leurs voix.

Enfin, un certain nombre d’évènements ont poussé à la radicalisation du mouvement indépendantiste et nationaliste géorgien. Il s’agit d’une part de la demande réitérée en mai 1989 dans le cadre d’une démonstration de masse en Abkhazie d’élever le statut de l’Abkhazie, ce qui équivalait implicitement à une demande d’indépendance. Cette manifestation donna lieu à des contre-manifestations à Tbilissi en particulier le 9 avril 1989. La manifestation dégénéra lorsque les ministères soviétiques de la défense et de l’intérieur ordonnèrent de disperser la foule, provoquant la mort de seize manifestants, notamment des femmes. Ces évènements eurent pour conséquence de porter les éléments les plus radicaux au-devant de la scène politique et de couper court à toute union nationale potentielle avec les éléments modérés du parti communiste. Ils eurent pour conséquence de placer l’indépendance au cœur du programme politique de l’ensemble des forces d’opposition, ce qui n’était pas nécessairement le cas auparavant, et qui surtout était en contradiction avec la volonté des autres nations vivant sur le territoire, qui comptaient sur Moscou pour les défendre contre la ligne de Tbilissi. Ces évènements portèrent le bloc nationaliste de Zviad Gamsakhourdia « Table ronde- Géorgie libre» à la tête du Soviet suprême de Géorgie suite aux élections de novembre 1990 avec 54% des voix. On observe donc un mélange de diverses causes qui sont

à la base du renouveau du nationalisme géorgien. Comme l’explique Broers (Broers, 2004, p. 149), « the ‘strength’ of Georgian national identity or the receptiveness of the social terrain does not explain the success of mobilization or the rapidity with which a historical pattern of cultural and linguistic demands changed to openly secessionist demands. Rather, it is the psychological impact of failed state repression and the wider context of systemic crisis in the face of multiple secessionist challenges that, in conjunction with structurally facilitating conditions, explains the success of the Georgian revival ».

Enfin, la radicalisation tient également à la personnalité de Zviad Gamsakhourdia et à sa gestion catastrophique du pays et des questions liées aux minorités nationales. Sous son autorité depuis novembre 1990, la Géorgie est devenue l’exemple même d’un autoritarisme incompétent et l’un des premiers cas d’Etat failli de l’espace post-soviétique. Gamsakhourdia croyait en effet en une destinée messianique pour les Géorgiens, comparant la Géorgie à Lazare ramené à la vie ; il était un conservateur social « incarnant les valeurs traditionnelles d’une Géorgie disparue et innocente : famille, religion et sacrifice de soi » (S. F. Jones, 2015, p. 52), et s’appuyait sur un discours apocalyptique sur une Géorgie menacée d’un danger imminent pour sa survie. Clouant au pilori les nations non titulaires, il les vilipendait et les identifiait comme des ennemis dès la fin des années 1980, en particulier les Arméniens et les Ossètes auxquels ils ajouta d’autres groupes sociaux ou des corporations tels que les médias, les intellectuels et les étudiants (ibid., p. 55).

Gamsakhourdia, aussi paradoxal que cela puisse paraître, peut être considéré comme le pur produit du système soviétique. D’abord par sa catégorisation systématique des groupes sociaux et ethniques à abattre, dans la veine d’un Lénine pour qui aussi « l’Etat de droit était un obstacle et la modération une forme de capitulation » (ibid., p. 55). D’autre part, Gamsakhourdia incarnait la crise de la modernité en Géorgie mais surtout son comportement à l’égard de la loi, du parlement et de la presse le rapprochait d’un dirigeant soviétique. Enfin, il perpétuait un mode de gouvernance néo-patrimonial hérité de l’URSS, dominé par les relations personnelles, les réseaux classiques et ethniques, et une absence totale de sensibilité à la distinction entre domaine public et privé (ibid., p. 55). « It is a society dominated by patrons and clients who draw on tiers of ethnicity, kinship or on close friends and colleagues » (ibid., p. 55). Pour ces diverses raisons, c’est son charisme qui assurait son autorité et sa légitimité politique, et dans un contexte de crise de l’Etat et de la nation, son

autoritarisme lui assura un certain soutien populaire. Il fut en quelque sorte le produit d’une époque trouble. Son autoritarisme le conduisit naturellement à identifier des boucs émissaires, en particulier les minorités ethniques.

Bien qu’il fît adopter une loi sur la citoyenneté relativement libérale dans la mesure où cette dernière fut accordée à l’ensemble des résidents de plus de dix ans sans prérequis linguistique, la question de la citoyenneté a été politisée à plusieurs reprises par Zviad Gamsakhourdia, ce dernier allant jusqu’à suggérer qu’elle devait être limitée aux individus pouvant prouver que leurs aïeux résidaient sur le territoire au moment de l’annexion tsariste de 1801 (Broers, 2004, p. 158). Son populisme se caractérisait par une absence totale de sens politique, une incapacité à développer des institutions fonctionnelles et une absence de volonté de mettre en place un programme crédible aux yeux de l’ensemble de la population, en particulier des minorités. Ces dernières furent l’objet de toutes les stigmatisations de la part d’un pouvoir au paroxysme de sa vision nationaliste. La question nationale fut ainsi politisée dès la fin des années 1980, suite aux revendications sécessionnistes des Abkhazes en particulier. Par ricochet, ces revendications entraînèrent celles des Ossètes demandant le rattachement à l’Ossétie du Nord. Alors même qu’il avait promis avant les élections de 1990 de ne pas abolir ni revoir le statut des trois territoires, Zviad Gamsakhurdia, dès son élection, annonça sa volonté de supprimer le statut de république autonome à l’Adjarie en novembre 1990, puis supprima celui d’oblast autonome à l’Ossétie du Sud en décembre suite aux revendications des Ossètes. Avec les Abkhazes il parvint à négocier un accord de power-sharing similaire au système en vigueur à l’époque soviétique accord qui devint caduc avec le coup d’Etat évinçant Zviad Gamsakhurdia en juin 1992 (ibid., p. 159). En tous les cas, la façon dont ce dernier traita la question territoriale, maintenant finalement un statut d’autonomie à l’Adjarie et à l’Abkhazie mais sans en définir véritablement les droits, décrédibilisa Gamsakhourdia sur la question et induisit une méfiance jamais regagnée des minorités envers l’Etat. Quant à la méfiance viscérale de Gamsakhourdia, rappelant par certains aspects celle d’Ilia Tchavtchavadzé, elle se traduisit dans la loi votée sous sa présidence qui consistait à interdire tout parti politique ne couvrant pas l’ensemble du territoire géorgien, ce qui eut pour effet d’empêcher les partis régionaux, et surtout ethniques, de prendre part à la vie politique. Les minorités n’eurent et n’ont à ce jour aucune possibilité d’influer le jeu politique de manière active dans le cadre de leurs propres partis politiques.

Gamsakhourdia menaça et rabaissa ouvertement les minorités, appelant à une Géorgie pour les Géorgiens. Il encouragea « la persécution des enseignants, agriculteurs et universitaires à Gori, Bolnisi, ou Tbilisi sur la base de leur ethnicité » (S. F. Jones, 2015, p. 223). Cependant, il agit parfois également en tacticien, ne fustigeant pas l’ensemble des minorités. Si elles acceptaient la supériorité des Géorgiens, de leur culture et leur place dans le champ politique, Gamsakhourdia les invitait alors à rejoindre la nation (ibid., p. 223). C’est ce qu’il fit en invitant les Meskhètes musulmans déportés en 1944 à revenir sur leurs terres historiques. On se trouve ainsi dans un modèle classique de démocratie ethnique.

Que dire finalement de ces années de présidence Gamsakhourdia ? Les années 1989-1990 constituent le paroxysme du nationalisme géorgien qui reflète les angoisses des Géorgiens au moment de la sortie de l’URSS. Craignant la menace d’une désintégration de la Géorgie et le déclin démographique et moral de la nation, les Géorgiens s’en sont remis à un dirigeant populiste sachant flatter les fondements de leur identité malmenée et proférant l’idée selon laquelle ils étaient des victimes au sein de leur propre Etat. L’écrivain Giorgi Gachechiladze écrivit ainsi: « Usually when an ethnic majority acts against a minority, a feeling of support towards the minority arises instinctively. But the minority does not deserve any moral support when it is used as a blind weapon against a nation struggling for its freedom » (cité dans (Suny, 1994, p. 325).

En écho à ces menaces, les minorités réagirent par la défensive et le repli identitaire également, réaction compréhensible en période de troubles et d’insécurité. Comme l’indique Stephen Jones, « when the state could no longer maintain physical and economic security, national solidarity was the solution » (S. F. Jones, 2015, p. 222). On peut avancer ainsi, sur la base des théories instrumentalistes de la nation, que Gamsakhourdia et les élites gravitant autour de sa personne ont su manipuler la question nationale et identitaire afin de parvenir au pouvoir et s’y maintenir. Toutefois, la frontière entre manipulation et convictions nationalistes sincères est parfois ténue. Autant Gamsakhourdia a utilisé la soi-disant menace démographique pour gagner des voix lors des élections de novembre 1990 au Soviet suprême, autant il semblait sincère dans sa rhétorique sur le rôle messianique des Géorgiens, leur statut de victimes et le danger auquel ils étaient confrontés en tant que nation. Une réaction similaire fut d’ailleurs adoptée en Ossétie du Sud et en Abkhazie, créant ainsi une réaction en chaîne qui conduisit à une escalade. Un des enjeux centraux fut notamment celui de la langue. Le

« programme d’Etat sur la langue géorgienne » (S. F. Jones, 2015; Zürcher, 2007, p. 23) illustre la remise en cause des langues minoritaires dont le statut ne fut pas clarifié. Sans connaissances du géorgien, il devint difficile de survivre en Géorgie post-soviétique. Le statut des langues minoritaires dans les sous-entités administratives ne fut pas clarifié non plus, laissant libre cours aux craintes des groupes ethniques non majoritaires17.

On peut s’interroger sur les facteurs exogènes qui ont conduit à la montée du nationalisme en Géorgie. L’approche instrumentaliste est certes pertinente mais elle ne suffit pas à expliquer le passage de la confrontation à la violence. La théorie des haines ancestrales n’est pas appropriée non plus, pas plus qu’une explication basée sur une culture politique de la violence. L’un des facteurs fondamentaux qui explique le passage du conflit politique à la violence est celui de la faiblesse des institutions et de la situation d’Etat failli (failed state) dans lequel la Géorgie s’est retrouvée au moment de l’indépendance. A vrai dire, les risques élevés de conflit n’impliquent pas nécessairement une violence organisée car l’organisation de la violence (Zürcher, 2007, p. 57) se confronte à de grandes difficultés (financement, mobilisation, recrutement notamment). Vu sous un autre angle, c’est surtout l’absence d’Etat et d’institutions qui a conduit à la violence. Comme l’écrit Jones, « it [Georgian nationalism] was contingent on extraordinary economic, political, and physical insecurities brought about by state collapse » (S. F. Jones, 2015, p. 222).

En l’absence d’une base institutionnelle solide, les nouvelles élites, peu expérimentées, se sont rapidement tournées vers les réseaux informels pour obtenir des ressources. Ces réseaux étaient étroitement liés aux milieux criminels qui on pu progressivement s’accaparer les ressources d’Etat et contrôler l’appareil politique. On courait ainsi le risque de voir les franges nationalistes les plus radicales prendre le contrôle du discours politique. On peut ainsi parler d’une interpénétration entre l’Etat et les groupes paramilitaires, notamment les Mkhedrioni dirigés par Jaba Ioseliani et la Garde nationale sous les ordres de Tengiz Kitovani agissant en tant que proto-armée géorgienne. Ces dernières se finançaient principalement par l’extorsion et le racket. Protégés par le Président Gamsakhourdia, ces groupes paramilitaires échappaient néanmoins à son contrôle et ne firent pas preuve de loyauté à son égard. Ce vide institutionnel

17 Le programme stipula par exemple que l’apprentissage du géorgien était obligatoire dans les écoles non-géorgiennes, et que pour l’entrée dans les instituts techniques et artistiques des examens oraux et écrits en géorgien étaient requis.

permit donc à ces groupes de mener leur propre route et d’engager l’Etat sur des voies qui lui échappaient.

Qu’est-ce qu’un Etat failli ? Verena Fritz définit le degré de pouvoir et d’efficacité de l’Etat selon trois dimensions qui permettent de faire la distinction entre Etat faible et Etat fort (Fritz, 2007, p. 3) : la capacité de prendre des décisions, la capacité de les mettre en œuvre et les