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2. Emission acoustique

2.1. Généralités

L’émission acoustique est connue depuis plus d’un siècle. Les premiers phénomènes d’émissions acoustiques constatés sont d’abord audibles. Un exemple récurrent de la littérature scientifique est le « cri » de l’étain, phénomène relié au maclage de l’étain en 1917. Les travaux ayant pour objet les mécanismes d’émissions acoustiques ont véritablement pris de l’ampleur en 1950 grâce aux travaux de Kaiser. Les fréquences ultrasonores sont alors investiguées ainsi que l’effet irréversible des phénomènes émissifs (appelé effet Kaiser). Une décennie plus tard, l’une des premières applications de l’émission acoustique à la détection d’endommagement fut le contrôle des enveloppes de propulseur des fusées polaris en 1964. Quant à la localisation des sources d’émission, elle fut rendue opérationnelle dès 1968 grâce à Parry.

La technique s’étend ainsi à de nombreux domaines et à de nombreux types de matériaux [ROG 88a] : - investigation physique des matériaux ;

- surveillance en service [LAC 08] de réservoirs et d’appareils sous pression ; - surveillance de fabrication et usinage [KEK 08] ;

- surveillance de machines tournantes ;

- contrôle et évaluation de matériaux composites [SKA 08]. 2.1.1. Définition.

Selon l’AFNOR, l’émission acoustique correspond à « un phénomène de libération d’énergie sous formes d’ondes élastiques transitoires au sein d’un matériau ayant des processus dynamiques de déformation » [NF A 09-350]. La norme ASTM E610-82 complète cette définition en précisant que l’émission acoustique est « l’ensemble des phénomènes dans lesquels des ondes élastiques transitoires sont générées par dissipation d’énergie provenant de sources localisées à l’intérieur d’un matériau» [AST 82]. L’ensemble des fréquences des ondes concernées s’étend dans le domaine ultrasonore, soit entre 50 KHz et 1,5 MHz. Un matériau soumis à une déformation dissipe de l’énergie en créant des micro-déplacements de matière (par fissuration par exemple) dont une fraction se trouve sous la forme d’ondes élastiques [BEA 83, EIT 84]. Les ondes ainsi libérées, de natures et de fréquences diverses, se propagent dans le matériau et subissent éventuellement des modifications avant d’atteindre la surface de l’échantillon étudié. La vibration de surface est détectée par un capteur piézoélectrique qui la traduit sous la forme d’un signal électrique.

De cette définition, découlent les principales caractéristiques de la méthode :

- c’est une méthode passive d’enregistrement de la réponse acoustique d’un matériau face à une sollicitation mécanique ou thermique. L’ensemble du volume de l’échantillon est concerné ;

- la technique est non directionnelle, les sources émissives irradient leur énergie dans toutes les directions ;

- l’émission acoustique est sensible à la croissance et à la multiplication des défauts et aux changements dans le matériau plutôt qu’à la présence de défauts statiques.

La technique de l’émission acoustique consiste à détecter ces ondes pour en extraire des informations en temps réel sur le comportement du matériau. On distingue communément l’émission acoustique continue de l’émission acoustique discrète par salves (ou pulses). L’émission discrète est constituée de signaux transitoires. L’émission continue est formée de signaux qui, issus d’une grande quantité de sources actives en même temps, se trouvent très rapprochés les uns des autres (mouvements des dislocations dans un métal). Il devient dans ce cas impossible de dissocier les différentes sources dont l’activité forme une sorte de bruit de fond.

2.1.2. Capteurs et chaine d’acquisition

Selon la norme NF A 09-350, le capteur est défini comme le dispositif convertissant une grandeur vibratoire caractéristique de l’onde en signal électrique. Le ou les capteurs sont donc positionnés à la surface du matériau pour détecter le mouvement dynamique résultant des évènements d’émission acoustique et pour convertir le mouvement détecté en signal tension-temps.

Les capteurs utilisés en EA sont généralement de type piézoélectrique (norme NF A 09-355) en céramique PZT ; ils permettent la détection de déplacement inférieurs à quelques 10-10 m [ROG 88b]. La figure 1-22a donne une représentation schématique d’un capteur typique d’EA [MIL 87]. Il existe deux familles de capteurs piézoélectriques pour l’émission acoustique : les capteurs résonnants et les capteurs large-bande (norme NF A 09-354). Ces derniers ont l’avantage de ne pas modifier la forme réelle du signal, mais possèdent une faible sensibilité. Les capteurs résonnants ont une bande passante moins large autour d’une fréquence de résonance. Cela entraîne une atténuation des composantes fréquentielles situées hors de la bande passante, ce qui modifie l’allure des signaux.

Figure 1- 22. (a) Capteur typique d’émission acoustique [MIL 87] ; (b) Schéma d’une chaine d’acquisition de signaux d’émission acoustique.

Le choix du type de capteurs peut être conditionné par le type d’analyse recherchée. Si l’on veut caractériser le contenu fréquentiel des salves ou caractériser des modes de propagation (analyse modale), il est plus judicieux de choisir des capteurs large bande qui ne modifient pas l’allure du signal [EIT 84]. Si l’on met l’accent sur la sensibilité des capteurs à des sources d’émission acoustique variées, alors l’utilisation des capteurs résonnants est plus appropriée, mais l’analyse du contenu fréquentiel des ondes n’est plus très pertinente. Il sera plus judicieux de considérer des paramètres de formes comme l’amplitude ou la durée des signaux. Dans cette étude, nous utiliserons des capteurs résonnants. Nous avons donc privilégié une analyse des paramètres descriptifs des salves.

Le capteur est en réalité le premier maillon d’une chaine d’acquisition d’émission acoustique (figure 1-22b). Cette chaine, dont le rôle est de recueillir et de numériser les signaux, est généralement composée, en plus des capteurs, de :

- préamplificateurs. Reliés directement aux capteurs, ils permettent d’amplifier et de conditionner les signaux. Leur gain varient de 20, 40 à 60 dB et permet d’améliorer le rapport signal sur bruit d’une part et de filtrer les fréquences non souhaitées d’autre part ; - un système d’acquisition. Ce dernier repose sur une carte analogique/numérique qui

permet la gestion de la configuration des paramètres d’acquisition, la numérisation des signaux et la visualisation des graphes d’acquisition. Elle permet également l’analyse par extraction des caractéristiques de la salve. Le système d’acquisition permet enfin un stockage de l’ensemble de ces données.

Outre la caractérisation des salves, le système de traitement des données d’EA peut aussi être utilisé pour localiser la zone où s’est produit l’évènement. En fonction de la position et du nombre de capteurs, la localisation peut se faire en une, deux ou trois dimensions.

2.1.3. Signaux et formes d’ondes.

Les ondes élastiques, créées par libération d’énergie au sein du matériau, se propagent à travers la structure endommagée. Une onde acoustique se propageant dans une structure s’atténue à cause des propriétés atténuantes des matériaux, donc l’énergie du signal diminue. Cette atténuation est principalement due à la structure des matériaux mais aussi aux conditions extérieures comme la température. En effet, la température modifie les conditions de propagations des ondes. Leur vitesse décroît avec la température alors que leur atténuation croît. D’autres phénomènes peuvent être à l’origine de l’atténuation des signaux acoustiques comme, par exemple, la géométrie des structures. Quatre paramètres influent fortement sur les caractéristiques d’un signal d’EA, du fait des réflexions, conversions de mode et absorptions subies par les ondes au cours de leur propagation au sein de la structure [SCO 91] :

- les caractéristiques physiques et géométriques de la source, c'est-à-dire l’amplitude de l’endommagement, représenté par S(t) ;

- le milieu de propagation, de réponse impulsionnelle G(t). L’épaisseur de la structure revêt en particulier une grande importance : dans une structure de faible épaisseur, seules les ondes de surfaces seront détectées loin de la source émissive ;

- le capteur utilisé pour la mesure, de fonction propre R(t) ; - le système d’acquisition, de fonction propre H(t)

Finalement, le signal traité V(t) est un signal complexe résultant du produit de convolution : ) ( ) ( ) ( ) ( ) (t S t G t R t H t V = ∗ ∗ ∗ Equation 1- 2.

Dans le cas d’une émission discrète, selon la norme française NF A 09-350, une salve d’EA (figure 1-23) se caractérise par :

- sa durée d (µs) : temps écoulé entre le premier dépassement de seuil et le dernier dépassement de seuil d’une salve.

- son amplitude maximale exprimée en décibels : c’est l’amplitude maximale atteinte lors d’une salve. La distribution d’amplitude couvre la plage 0 – 100 dB telle queA(dB)=20log10(Vs/Vref) avec Vref =1µV

- son temps de montée tm (µs) : intervalle de temps entre le premier dépassement de seuil et l’instant où l’amplitude maximale est atteinte.

On peut également définir d’autres paramètres utilisés en EA :

- le nombre de coups n, nombre de fois où l’amplitude du signal excède le seuil prédéfini ; - le nombre de coups au pic np, nombre de coups entre le premier dépassement de seuil et

l’amplitude maximale ;

- la fréquence moyenne, rapport du nombre de coup sur la durée du signal ;

- l’énergie, intégrale du carré de l’amplitude de la salve sur sa durée, E =

V2(t)dt , où V(t) est la tension de sortie du capteur en fonction du temps ;

- la tension efficace moyenne (notée RMS), exprimée en volts ;

- la fréquence à la montée (Hz), rapport du nombre de coups au pic sur le temps de montée ;

- la fréquence à la descente (Hz), telle que

m p D d t n n f − − = .

2.1.4. Analyses conventionnelles des données.

De nombreuses études ont tenté de différencier les mécanismes sources d’émission acoustique par l’emploi d’un seul paramètre descripteur, en général l’amplitude des signaux ou l’énergie. Une synthèse bibliographique détaillée a été faite par S. Huguet à propos des composites à matrice polymère [HUG 02a]. On peut notamment citer les travaux de Benzeggagh et Barré sur les composites à fibres de verre et matrice polymère [BAR 74, BEN 92]. Ces auteurs ont identifié quatre domaines d’amplitude : de 40 à 55 db pour la fissuration matricielle, de 60 à 65 dB pour les décohésions, de 65 à 85 dB pour le déchaussement des fibres et de 85 à 95 dB pour les ruptures de fibres.

Les analyses conventionnelles de données peuvent schématiquement se regrouper en trois types d’analyse :

- l’analyse temporelle permet d’observer l’évolution d’un des paramètres caractérisant les salves en fonction du temps ou des paramètres d’essai (température, déformation, …) ; - l’analyse statistique consiste à tracer les histogrammes de paramètres EA tel l’amplitude.

Elle permet de séparer les différents mécanismes physiques à l’origine des signaux acoustiques émis [BOI 04] ;

- l’analyse de corrélation. Il s’agit de tracer un paramètre en fonction d’un autre et de déterminer plusieurs groupes de signaux, chacun pouvant être issu d’un mécanisme particulier.

Ces approches conventionnelles ont été menées pour des réfractaires électrofondus de type THTZ (figure 1-24) par E. Lataste dans le cadre du programme PROMETHEREF [LAT 05] et par C. Patapy dans le cadre du programme NOREV [PAT 09, PAT 10]. Elles ont permis entre autre de mettre en évidence, lors d’un essai de chauffage jusqu’à 1500°C, la transformation de phase et de prouver qu’elle pouvait être à l’origine de l’endommagement, l’autre partie observée provenant essentiellement des différentiels de dilatation. Au chauffage, peu d’activité acoustique est enregistrée, seules quelques fissures se développent. On assiste alors à une soudaine et intense activité lors de la transformation de phase monoclinique → quadratique vers 1130°C. La reprise de l’activité ne se fait que lors de la transformation inverse au refroidissement. En dessous de Tg, le verre ne peut plus accommoder les contraintes internes ; l’activité acoustique et la fissuration s’accentuent. Enfin, en dessous de 200°C, la fissuration est très importante comme en témoigne l’explosion de l’activité acoustique.

Ces approches présentent plusieurs limites. D’abord, les valeurs absolues des paramètres comme l’amplitude, la durée et l’énergie, varient d’un essai à l’autre en fonction du matériau, des capteurs utilisés, de leur couplage, et du système d’acquisition. Les résultats de ces études ne peuvent donc pas être transposés directement à d’autres travaux. Ensuite, une approche de discrimination sur un seul paramètre se justifie pleinement si les histogrammes des paramètres ont des allures clairement multimodales, ce qui est rarement le cas. Dans la plupart des études, les zones d’amplitudes, même bien identifiées par rapport à l’endommagement correspondant, présentent des recouvrements. Cela rend l’attribution d’un signal à un mécanisme d’endommagement très incertaine.

Une possibilité pour contourner ce problème est l’analyse simultanée de plusieurs paramètres, qui est rendue possible et efficace grâce à l’utilisation d’outils de classification statistique. Ces techniques sont présentées ci-après. Il existe d’autres possibilités pour exploiter les signaux d’EA, notamment en analysant le contenu fréquentiel des salves par une transformée de Fourier, ou à partir d’une

décomposition en ondelettes du signal [DIN 04b, GAL 07, LOU 06, QI 00]. Ces analyses, non utilisées dans le cadre de cette étude, ne seront pas décrites.

Figure 1- 24. Evolution mécanique, microstructurale et acoustique d’un matériau THTZ soumis à une sollicitation thermique durant (a) le chauffage et (b) le refroidissement [LAT 05].

(a)