• Aucun résultat trouvé

Fusion indemnisation/placement et « politique active » sous Vichy

Première partie : Recomposition des politiques publiques de l’emploi et nouveaux cadres paradigmatiques

3. Fusion indemnisation/placement et « politique active » sous Vichy

Plusieurs auteurs (Muller, 1991, Tuchszirer et al, 1999, Larquier, 2000) s’accordent pour faire le lien entre l’héritage de Vichy et la politique de la Libération dans une conception dirigiste de la gestion de main d’œuvre et le mouvement centralisateur du service public de l’emploi.

Mais le régime de Vichy se distingue par l’introduction pour la première fois du terme d’activation et de politique active : il est préconisé de passer d’une politique dite passive à une politique dite active, la politique active étant « un lieu d’expérimentations sociales visant à promouvoir une société soumise à la loi du travail comme but en soi et non comme moyen au service des besoins sociaux » (Muller, 1991). Ces expérimentations, sous l’égide d’un Commissariat à la lutte contre le chômage créé en 1940, sont marquées par la mise en place

du travail forcé en contrepartie du versement des indemnités, partie intégrante de la Révolution Nationale contre la « République des paresseux » (Muller, 1991). Il s’agit à la fois de répondre au chômage massif apparu à la suite des destructions de guerre, en reclassant les chômeurs dans des secteurs insuffisamment pourvus, et à mettre en place une politique d’assistance par le travail. Utilisant le système d’enregistrement hérité des années 30, les autorités procèdent à la mise au travail forcé dans les chantiers forestiers, au reclassement des chômeurs à la campagne, au transfert de population par un triage et un aiguillage autoritaires, ces dernières mesures coûtant plus cher que les allocations chômage mais étant destinées à combattre l’oisiveté (Muller, 1991).

Dans cette optique de « généraliser une politique autoritaire de contrôle de la main-d’œuvre » (Daniel, Tuchszirer, 1999, p.155), les services de placement et d’indemnisation sont fusionnés par la loi d’octobre 1940 qui institue la disparition des caisses syndicales de chômage. Cette politique autoritaire se fonde également sur un changement de doctrine par rapport à la notion de refus d’emploi : la référence à un emploi correspondant aux qualifications antérieures du salarié lui assurant une rémunération comparable à son emploi précédent disparaît, il est désormais tenu d’accepter n’importe quel emploi.

B/ Economie dirigée et contexte de plein emploi : le placement avant l’indemnisation

Les politiques publiques de l’emploi sont, selon une définition donnée par J.

Freyssinet, « un élément constitutif du processus de production (ou de reproduction), de mobilisation et d’allocation des forces de travail. Elles reflètent et tentent d’infléchir, dans des rapports de forces évolutifs, les modes successifs de régulation des relations collectives de travail » (Freyssinet, 2006, p.6). Plutôt que d’évoquer des mesures partielles, non coordonnées, l’auteur préfère mettre en évidence « des dynamiques longues qui construisent progressivement l’ensemble des catégories et des instruments de la future politique de l’emploi ».

Ces dynamiques se développent notamment dans deux directions : un dirigisme économique, à travers les nationalisations et le monopole de placement, et une politique de gestion de la main-d’œuvre à travers des dispositifs de mobilités professionnelles et de reconversion : jusque dans les années 60, on parle d’ailleurs de politique de main d’œuvre avant que le terme de politique de l’emploi ne s’impose. Cette conception est marquée par le modèle statistique : il s’agit de donner du sens à ce qui demeure imprévisible, dans une « construction abstraite

qui s’éloigne du terrain social : le social exprimera le souhaitable, l’économique définira le possible » (Muller, 1991, p.35).

Cette conception d’un maintien du système en vigueur à travers la continuité d’une politique de gestion de main-d’œuvre s’étend à la prise en charge de l’indemnisation du chômage, qui n’est pas intégrée dans l’ordonnance du 4 octobre 1945 instituant la Sécurité Sociale, et représente à ce titre une « occasion manquée » (Tuchszirer, Daniel, 1999, p.162).

Le risque chômage n’est pas envisagé, dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre, comme un risque social à part entière, mais intégré dans la politique de plein emploi.

La prise en charge du chômage « est ancrée dans un logique de marché du travail » (Ibid.) et c’est d’ailleurs à ce titre que les pouvoirs publics donnent un rôle prédominant à la conduite de la politique de placement. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, l’Etat institue le monopole de placement par l’ordonnance du 24 mai 1945 et crée par le décret du 20 avril 1948 les Services extérieurs du travail et de la main d’œuvre (SETMO), directement placés sous l’autorité du ministère du travail. Ces services, qui font suite aux bureaux locaux de placement et aux fonds locaux d’indemnisation de chômage supprimés sous Vichy, sont dotés d’attributions multiples : le placement, l’indemnisation, le contrôle de la main-d’œuvre étrangère, le reclassement, la sélection, la formation professionnelle, et la prospection de documentation sur l’état du marché du travail.

Le monopole du Service public de placement sur la notification des postes vacants et l’interdiction du placement payant sont considérés comme le meilleur moyen « d’assurer la remise au travail des salariés momentanément privés d’emploi » : l’article 1 de l’ordonnance du 24 mai 1945 stipule que tout office ou bureau de placement payant est interdit. Le dépôt des offres et des demandes auprès des services du travail et de la main-d’œuvre revêt un caractère obligatoire, et des restrictions sont apportées aux refus de l’offre de travail : les entreprises doivent en faire connaître les motifs. Ce choix économique est dicté par deux constats : le libéralisme pur et dur d’avant-guerre est analysé comme l’une des causes essentielles de la crise économique de 29 et de la guerre. Le dirigisme économique de l’Etat est également fondé sur la « croyance dans une expansion ininterrompue : keynésianisme interprété comme une théorie de l’emploi pour tous » (Muller, 1991, p.90). Quant aux nationalisations et à la création des comités d’entreprises à la même période, elles apparaissent comme « les conditions de l’adhésion du monde ouvrier aux nouvelles méthodes de production et d’organisation du travail » (Salais et al., p.160).

Le monopole de placement est dans les faits très rapidement battu en brèche par un souci de concilier l’interventionnisme protecteur avec la liberté d’entreprendre : il n’y a

jamais eu de sanction prévue contre les entreprises qui diffusaient par d’autres canaux leurs offres d’emploi, des dérogations existant même dans divers secteurs d’activité, et les agences d’intérim on pu voir le jour à la fin des années 60 (Harmoniaux, 1995). A la même période, le visa préalable des services de main-d’œuvre pour insertion par la presse n’est plus requis (Muller, 1991). De nombreux secteurs d’intervention sont soustraits au champ d’action des services de main-d’œuvre, par exemple en matière d’indemnisation : les chômeurs ne peuvent prétendre aux allocations chômage que là où il existe des bureaux municipaux, et la référence communale ne sera supprimée qu’en 1967. De plus, plusieurs créations de dispositifs, qui visent les mobilités professionnelles et les reconversions industrielles, contribuent à ne laisser aux SETMO qu’un champ d’action par défaut.

II. De la création d’une assurance sociale contre le chômage aux politiques