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Différenciation  des  régimes  d’activation  et  convergence  des  modèles

Première partie : Recomposition des politiques publiques de l’emploi et nouveaux cadres paradigmatiques

II. Effets de convergence et analyse critique des points aveugles des politiques d’activation politiques d’activation

1.   Différenciation  des  régimes  d’activation  et  convergence  des  modèles

Les lectures catégorielles portent sur le type d’activation et les degrés relatifs de responsabilisation individuelle des chômeurs dans l’amélioration de leur situation. Ainsi, Kosonen (1999) distingue trois types d’approches parmi les politiques d’incitation au travail, fondées sur les opportunités, les sanctions ou les incitations économiques et fiscales. Serrano et Magnusson 83 établissent une typologie approchante mais plus marquée entre deux pôles : un modèle « généreux », « soft », « incitatif » dans lequel l’Etat protecteur offre des opportunités de formation, des incitations financières et une amélioration de la qualité des services, opposé à un modèle « punitif », « dur » dans lequel l’Etat minimaliste vise à réduire l’accès aux prestations et à restreindre la durée des paiements.

A la différence de l’approche catégorielle, l’analyse régulationniste considère le rapport à la dimension punitive de ces politiques comme un critère de classement parmi d’autres. Selon les auteurs se rattachant à l’approche sociétale, les stratégies adoptées par les différents pays, notamment européens, pour faire face à un nouveau modèle de développement en rupture avec le capitalisme industriel, dépendent de leur modèle d’Etat de référence : des systèmes de normes et de valeurs nationales se chargent ainsi de filtrer l’influence du référentiel néo-libéral qui inspire les politiques d’activation de la protection sociale (Barbier, 2002, Lefresne84, Paugam, Duvoux, 2008, Barbier, 2008).

Tandis que la lecture néo-institutionnaliste des politiques d’activation conduit à évaluer la part respective des politiques actives et passives liée aux contextes sociétaux, l’approche catégorielle fait des degrés de liberté des individus un point de différenciation majeur. Du fait de cette différence de « focale », les premières auront tendance à postuler un maintien de la polarité entre modèle anglo-saxon et modèle européen, tandis que les secondes insisteront sur les effets de convergence autour d’une activation « quick-fix, short-term » (Balzani et al, 2008) tendant à restreindre la liberté de choix des individus, qui apparaît ainsi comme la dimension la plus distinctive des politiques d’activation.

-­‐La  distinction  entre  workfare  et  activation  

83 Serrano Amparo, « Reshaping welfare states : activation regimes in Europe » in Serrano (Ed) and Magnusson L., Reshaping Welfare states and activation regimes, Brussels, Peter Lang, 2007 ; Serrano Amparo,

« conclusion : towards convergence of european activation policies ? « in Serrano (ed), Are activation policies converging in Europe ? The european strategy for young people, Brussels, Etui, 2004.

84 Lefresne Florence, Les politiques d'emploi et la transformation des normes : une comparaison européenne, Sociologie du Travail, n°47, 2005, p.405-420

Si elle souligne les incertitudes de classement de plusieurs pays européens en terme de normes et politiques d’activation, l’analyse institutionnaliste insiste en tout cas sur la différenciation majeure entre le workfare anglo-saxon et le modèle social-démocrate combinant incitations et sanctions. De fait, dans sa version originelle, le workfare se caractérise par trois éléments : le travail obligatoire, l’obligation de faire, et le principe de la responsabilité mutuelle. Il est également caractérisé par des conditions de travail inférieures à celles du marché régulier (Boismenu et al, 2003, p.20).

Initiés dès le 19ème siècle en Angleterre à travers les workhouses (Guitton, 1994), les programmes de workfare naissent dans les années 70 aux Etats-Unis et visent essentiellement les mères pauvres et noires afin de les obliger à accepter du travail moins bien payé que sur le marché en contrepartie de la perception des allocations (Barbier, 2008). Avec la réforme de 1996 initiée par Bill Clinton, les mères isolées, qui constituent l’essentiel de la population visée, doivent impérativement travailler (ou suivre une formation, ou chercher activement un emploi) pour avoir droit au TANF85. Ce type de politique a contribué à l’augmentation du taux d’activité féminin : alors que dans les années 60, moins de 1 américaine sur 2 était active, désormais elles sont 8 sur 1086. Aux Etats Unis, l’aide sociale vise non seulement la remise au travail rapide des mères seules sans emploi mais également la régulation de leurs comportements : les Etats qui réussissent à faire baisser le taux de naissance hors mariage reçoivent des fonds supplémentaires du gouvernement fédéral (Boismenu et al, 2003, p.185).

Le système anglais est selon Boismenu et al (2003) à classer également dans le modèle de workfare anglo-saxon, bien que les programmes de in-work benefits (suppléments au revenu en cas de retour à l’emploi) ne prévoient pas de travail obligatoire comme aux Etats-Unis, mais des mesures disciplinaires fortes. La logique de sanction pour décourager le recours aux prestations, y est très présente : les bénéficiaires qui refusent de suivre la formation ou le programme qui leur est prescrit ou qui ne se soumettent pas aux directives d’un agent sont suspendus pour deux semaines, quatre s’il y a récidive, tandis que les personnes qui quittent leur emploi de leur plein gré ou suite à une mauvais conduite ou qui refusent un emploi sans raison valable voient leurs prestations suspendues pour plus de 26

85 Temporary assistance for needy families. En Californie, près de 85% des familles faisant appel à l’aide sociale étaient dirigées par des mères seules. Si les bénéficiaires adultes sont en général tenus de travailler, près de 40%

ont reçu une exemption de travail pour des raisons prévues par la loi (être le parent d’un enfant de moins d’un an, avoir un handicap ou être malade physiquement). Près de 34% des familles bénéficiaires étaient engagées dans des mesures de travail, 60% ont pris part à des emplois subventionnés. (Boismenu et al, 2003, p.91).

86 Périvier Hélène, Lutte contre la pauvreté : la France sur les traces de l'oncle Sam?, Regards croisés sur l'économie, Dossier : pour en finir avec la pauvreté, n°4, 2008, p.169-177

semaines. L’Annual performance agreement inscrit des objectifs en matière de suspension et de disqualification des bénéficiaires87.

Le caractère systématique, obligatoire et punitif du workfare incite donc plusieurs auteurs à critiquer son usage comme opérateur international de comparaison : Barbier lui préfère la notion d’activation, plus neutre et donc « plus adéquate pour la compréhension du champ, des formes et des contenus de politiques dont la grande diversité s'explique au premier chef par leur encastrement dans des cohérences sociétales » (Barbier, 2002, p.313).

Boismenu et al (2003) et Willmann (2005) établissent quant à eux une distinction entre le workfare et l’aide conditionnelle. Les auteurs distinguent une version « dure » du workfare, qui pose le travail obligatoire comme condition de la prestation, à une version « soft » (human resource strategy) ou « aide conditionnelle », qui vise davantage le développement de la main-d’œuvre, la création d’emplois et le support individuel que le travail obligatoire, fonctionnant sur une base volontaire. L’aide conditionnelle procède d’une vision plus intégrative, basée sur l’idée que le travail est la première source de réalisation de soi. Ils pointent toutefois le fait que cette version soft « représente plus un idéal à atteindre qu’une pratique existante ».

-­‐Une  convergence  des  modèles    

Pour Boismenu et al (2003), le processus de rapprochement des modèles est illustré par la notion d’aide au conditionnel ou contrepartie, qui tend à faire se rapprocher les deux modèles polaires, car il s’agit avant tout d’une « nouvelle façon de penser la protection sociale, où les « systèmes de protection sociale agissent de plus en plus sur le capital humain afin de faciliter l’adaptation des personnes aux demandes du marché du travail au lieu de protéger celles-ci contre les risques sociaux amenés par les turbulences de ce même marché » (ibid., p.176). Cette nouvelle forme de protection sociale qui se dessine partout, si elle n’a pas de nom précis, « a déjà un cadre de fonctionnement normatif et pratique, développé et partagé par l’ensemble des pays étudiés » (ibid., p.182).

Plus que d’un désengagement général des Etats-Providence, qui ne se vérifie pas de manière empirique, on assiste selon certains auteurs à l’émergence d’un « Etat social

87 Dans les deux ans suivant l’instauration de cet accord en 1994, le nombre de sanctions pour non-recherche active d’emploi aurait quasiment triplé, passant de 76 000 à 238 000 en 1995-1996 (Boismenu et al, 2003, p.93)

minimal » (Burgi, 2009), marqué par une tendance au minimalisme social, mais aussi par un interventionnisme en faveur du marché, inspiré du nouveau constitutionnalisme européen.

A l’intérieur d’un contexte politique favorable, la capacité à apprendre des Etats et à mettre en œuvre des politiques convergentes d’activation, passe par l’usage du benchmarking, utilisé à la fois comme donnée comparative (évaluer la prégnance et les adaptations du modèle d’activation à l’échelle européenne) et comme argument opérationnel soulignant la nécessité d’une convergence (« d’autres l’ont fait avant nous »). A travers la succession de rapports88 faisant appel à des exemples européens, Dubois (2007) montre comment le benchmarking est utilisé en France comme outil de légitimation par l’européanisation.

Plusieurs études analysent les modalités de la convergence entre les politiques sociales anglo-saxonnes et européennes. Ainsi, Erhel et Zadjela (2002) montrent la convergence des systèmes français et anglais au début des années 2000 à travers la focalisation autour des risques de désincitation au travail : pour des raisons économiques différentes (l’accroissement des rmistes et la faiblesse du taux d’activité en France, la forte augmentation de l’income support en Angleterre), un revenu minimum est mis en place en Angleterre, tandis que les deux pays développent un système d’indemnisation du chômage à vocation incitative et des politiques d’aide à la recherche d’emploi systématiques et de grande ampleur. L’objectif commun de ces politiques est d’accroître le taux d’activité et de réduire le coût de l’assistance en incitant les bénéficiaires à reprendre un emploi, au risque d’augmenter le nombre de travailleurs pauvres.

Prenant appui sur l’exemple anglais et dans la lignée des travaux sur le workfare schumpeterien, Nativel (2010) assimile la modernisation du service public de l’emploi britannique mise en œuvre par les travaillistes dans les années 2000 à un régime de workfare,

« régime spécifique de gouvernance des rapports entre Etat et chômeurs », fondé sur plusieurs caractéristiques : un maillage territorial, la formation de partenariats locaux public-privé, le ciblage des catégories de chômeurs (profilage), et le durcissement progressif de la contrainte.

Une des mesures phares de du New Deal for the Unemployed est la fusion en 2002 de la Benefits Agency, l’administration jusqu’alors responsable de l’indemnisation des chômeurs, et de l’Employment Service, chargé de l’aide à la recherche d’emploi et à la réinsertion professionnelle, en un guichet unique baptisé Jobcentre Plus (JCP). On retrouve d’ailleurs cette logique de guichet unique dans tous les pays où a progressé la notion d’emploi convenable, comme le préconise le rapport Cahuc-Kramarz (2005) pour le cas de la France.

88 Rapport Marimbert, 2004, Rapport Camdessus, 2004

Ces caractéristiques de la réforme britannique constituent autant de points de convergence avec le SPE français, où l’ensemble de ces mesures a été mis en place depuis 2005. La convergence n’est pas fortuite, le nouveau président de la République ayant fait état de son objectif de mettre en place un programme comparable au New Deal Britannique, dans une lettre de mission du 11 juillet 2007 à la Ministre de l’économie, des finances et de l’emploi89. Cet effet de convergence porte à la fois sur la réforme de l’indemnisation et de l’accompagnement, comme le montre le tableau récapitulatif ci-dessous :

Tableau   n°1  :   Eléments   de   convergence   des   réformes   de   l’indemnisation   et   de   l’accompagnement  

Pays Réforme de l’indemnisation Réforme de

l’accompagnement Externalisation/

Royaume-Uni -1998 : Jobseeker’s agreement : remplacement pour les chômeurs

89 « Vous procèderez sans tarder à la création d’un grand service public de l’emploi capable d’aider les chômeurs à trouver du travail beaucoup plus rapidement qu’aujourd’hui. Sur le modèle des new deals mis en œuvre en Grande-Bretagne, vous engagerez rapidement, en associant le cas échéant des partenaires privés rémunérés sur la base d’obligations de résultats, les programmes spécifiques nécessaires pour aider ceux qui veulent travailler mais rencontrent les obstacles objectifs les plus grands à retrouver un travail » (Rousseau, 2008).

Danemark 1999 : durée maximale d’indemnisation ramenée à 4 ans (contre 7 en 94)

2005 : création des job centers Période intensive d’activation au bout de 9 mois de chômage France 2001 : PARE : suppression de la

dégressivité/Renforcement de la contractualisation et du contrôle de la recherche d’emploi

-2005 : création du Suivi Mensuel Personnalisé

-2008 : fusion ANPE/Assedic

-2006 : entrée des opérateurs privés dans le placement public suite à la loi de Cohésion Sociale de 2005