• Aucun résultat trouvé

La difficulté à s’imposer sur le champ de l’offre d’emploi

Première partie : Recomposition des politiques publiques de l’emploi et nouveaux cadres paradigmatiques

2. La difficulté à s’imposer sur le champ de l’offre d’emploi

En 1978, le rapport Farge conclut à la trop grande importance prise par les activités administratives au détriment de l’activité de placement. Suite à ce rapport, le décret du 23 janvier 1980 lui retire la charge de la constitution des dossiers d’admission à l’aide publique aux chômeurs indemnisés. Sous l’impact de la montée du chômage et de l’expansion des

politiques de l’emploi (cf partie C), les moyens de l’ANPE sont considérablement renforcés, ses modes d’intervention diversifiés et son autonomie accrue dans les années 80.

Entre 1983 et 1988, des missions nouvelles lui sont confiées : généralisation des prestations d’appui aux demandeurs d’emploi (stages modulaires pour les chômeurs de longue durée, SIVP : stages d’initiation à la vie professionnelle), gestion des conventions de conversion et des contrats aidés dans le secteur non marchand. C’est dans cette période que s’affirme le plus fortement la segmentation entre placement et indemnisation et la spécialisation professionnelle de l’Agence et de ses personnels.

Avec la création du statut de 1981, le personnel de l’agence devient permanent, recruté par concours. En 1982, le pointage physique est supprimé au profit du pointage par correspondance, conséquence du transfert du contrôle des chômeurs indemnisés à l’Unedic en 1980.

Mais au-delà du débat sur les charges administratives de contrôle et de statistique, c’est le lien avec les employeurs, condition sine qua non de l’activité de placement, qui pose problème. A l’instar de l’époque des SETMO, le monopole reste théorique, et avec lui, la centralité de l’emploi qu’est sensée incarner l’Agence. L’obligation de notification des postes à pourvoir continue de n’être pas respectée : «les agences de travail temporaires (ATT) ou spécialisées dans le recrutement se sont progressivement implantées en France à mesure que l’autorité de l'ordonnance de 1945 s'affaiblissait et, finalement, les ATT s'imposent avant d'être normalisées par le législateur français en 197221».

Le comportement des entreprises et les difficultés d’accès aux offres entraîne le risque pour l’Agence d’« être cantonnée au marché du travail secondaire », c’est-à-dire d’un enclavement « dans les problèmes les plus difficiles à résoudre » (Join-Lambert, Bilan de la première période d’existence de l’Agence, 1975, p. 83 In Freyssinet, 2006).

De plus, on assiste avec l’ordonnance de 1986, à un éclatement du service public de l’emploi : d’autres organismes publics (Assedic, Afpa) peuvent concourir au service public de placement, légalisant pour l’Agence le recours à la sous-traitance.

C/ La « modernisation » de l’ANPE, une opération de « reengineering »

Le mouvement de modernisation des services publics qui émerge à la fin des années 80 passe par une décentralisation des niveaux de décision, un décloisonnement des fonctions, une différenciation des publics, une prise en charge individualisée des prestataires. D’autre

21 Larquier, 2000, p.42

part, le constat de la non-effectivité du monopole de placement et le risque d’une marginalisation de l’Agence amène ses dirigeants à en repenser l’organisation. C’est tout l’enjeu du processus de modernisation et de contractualisation avec l’Etat qui va débuter à l’ANPE à la fin des années 80.

En 1989, le rapport Hara critique la place prise par la formation des chômeurs au détriment du placement, la surcharge des travaux de collecte d’informations par les agents, et l’existence d’un système éclaté et hiérarchique qui allonge les circuits administratifs. La même année, une mission conjointe de l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) et de l’Inspection générale des finances (IGF) est menée à l'ANPE et tire des conclusions sévères : des résultats décevants (une part de marché insuffisante sur les offres d’emploi), un statut mal adapté aux missions des agents (manque de polyvalence, salaires peu attractifs), des moyens insuffisants.

Le rapport IGF/IGAS a véritablement servi de levier dans l’amorce d’une modernisation de l’Agence pour augmenter ses parts de marché en termes d’offres d’emploi et son efficacité générale, dans une opération managériale de reengineering, dont l’objectif est d’identifier et de supprimer les tâches inutiles pour les remplacer par des nouveaux processus jugés plus efficaces. En l’occurrence, s’agissant de l’organisation interne de l’ANPE, l’enjeu principal était la modification des tâches des conseillers, avec la suppression de la spécialisation entre le corps spécialisé des conseillers professionnels dédiés à l’orientation et à la formation des demandeurs d’emploi et le corps professionnel dédié à la prospection des offres et à la relation avec les entreprises, pour évoluer vers un corps professionnel polyvalent et davantage tourné vers une « intermédiation active » entre offre et demande (cf chapitre 4).

L’autre enjeu de l’audit était de renforcer sensiblement les moyens de l’Agence, comme en témoigne M. Danon, alors directeur adjoint de l’Agence, dont le propos est assez représentatif de l’esprit dans lequel se réalise la modernisation des services publics22: « le recours à un audit IGF/IGAS a permis de convaincre le gouvernement de s’engager dans la voie d’une contractualisation sur le moyen terme avec l’Agence et, a permis de convaincre le ministère du Budget de la nécessité, objectivement mesurée, d’accroître les moyens accordés à l’ANPE (…) il était particulièrement précieux de disposer de conclusions émanant de l’inspection générale des finances, corps rattaché directement au ministre des Finances»

(Danon, 1996, p.194). Du point de vue du changement interne, l’organisation de l’audit a permis « de faire établir par des instances dont la crédibilité est a priori assurée les constats

22 Danon Michael, « L’audit comme instrument de transformation des services publics : l’exemple de l’agence nationale pour l’emploi », In Audit de performances et modernisation de l’entreprise, OCDE, Editions Puma, 1996

et les conclusions qui légitiment les transformations devant être engagées. Les services publics français doivent déplorer la présence d’organisations syndicales trop souvent repliées sur leur intérêt corporatiste, et peu enclines à accepter le dialogue autour d’un projet collectif. Dans ce contexte, l’instrument de l’audit apparaît très précieux. Il a la vertu de dire ce que tout le monde sait ou pressent et que personne ne veut reconnaître pour ne pas en porter la responsabilité ».

Suite à ce rapport, le statut du personnel a été modifié en juin 1990, les effectifs de l’ANPE accrus de 25% entre 1990 et 1993 (cf chapitre 4). L’organisation du travail des agences locales et la fabrication du service ont été repensés : regroupement des agents en équipes professionnelles spécialisées par secteur économique, mise en place d’un service immédiat aux demandeurs d’emploi. Le rapport donne lieu à la mise en place de la contractualisation entre l’Agence et l’Etat : par ce type de convention, l’ANPE s’engage notamment à atteindre des objectifs précis de collecte et d’offres d’emploi. L’Etat en contrepartie s’engage à renforcer ses moyens financiers.

A l’occasion du 1er contrat de Progrès (1990-1993), sur lequel nous revenons en détail dans la deuxième section, une dizaine d’indicateurs quantitatifs de performance ont été introduits, portant en particulier sur la part de marché de l’Agence (i.e. le rapport entre volume d’offres d’emploi proposées par l’Agence et le volume des recrutements effectués par les établissements), les délais pour satisfaire une offre d’emploi, la fréquence du suivi des chômeurs de longue durée, le volume et la part des jeunes demandeurs d’emploi ayant bénéficié d’un entretien approfondi parmi ceux atteignant leur septième mois de chômage. La contractualisation s’accompagne d’un mouvement de déconcentration : les échelons locaux sont dotés d’une responsabilité de gestion et d’outils d’évaluation.