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La  flexicurité,  une  alternative  européenne  aux  politiques  d’activation  ?

Première partie : Recomposition des politiques publiques de l’emploi et nouveaux cadres paradigmatiques

II. Effets de convergence et analyse critique des points aveugles des politiques d’activation politiques d’activation

2.   La  flexicurité,  une  alternative  européenne  aux  politiques  d’activation  ?

Le concept de flexicurité illustre la recherche d’une « 3ème voie » européenne, à travers un modèle continental qui tienne compte des spécificités nationales. S’inspirant des politiques publiques des pays nordiques, il se distingue du modèle de l’Etat Providence, et s’oppose au workfare (travail obligatoire) de l’Etat libéral anglo-saxon.

-­‐Origines  du  concept  et  modèle  canonique  

La flexicurité est définie par Wilthagen et Tros (2004) comme « une politique stratégique qui tente de façon synchronique et délibérée, d’une part, d’améliorer la flexibilité du marché de l’emploi, de l’organisation du travail et des relations collectives de travail, et d’autre part, d’améliorer la sécurité d’emploi et la protection sociale, en particulier pour les groupes fragilisés à l’intérieur et à l’extérieur du marché de l’emploi », en tentant de concilier les besoins de flexibilité et de sécurité des employeurs et des travailleurs « dans une perspective gagnant-gagnant »90.

L’origine du concept de flexicurité se fonde sur les travaux qui se sont succédés depuis la fin des années 90 en faveur d’une sécurité sociale professionnelle ou d’un dispositif de sécurité emploi–formation. Supiot (2003) propose ainsi de redéfinir la sécurité professionnelle par l’institutionnalisation de droits sociaux transférables et cumulables tout au long d’une carrière. Dans la version économique du projet, Gazier (1998) tente de dépasser l’opposition entre flexibilité externe et marché interne, en introduisant une troisième forme, intermédiaire, celle des marchés transitionnels. Dans le cadre des marchés transitionnels du travail, il s’agit moins d’équiper les individus face aux risques de l’emploi que d’équiper le marché du travail pour doter les citoyens de droits nouveaux, de manière à élargir les possibilités de mobilité et de passage entre différents statuts. Pour Orianne (2005), le modèle des marchés transitionnels

90 Wilthagen T., Tros F., "The concept of flexicurity: a new approach to regulating employment and labour markets, Transfer, vol°10, n°2, 2004, pp.166-187

correspondrait à un modèle « corporatiste » d’activation proche du modèle franco-allemand, s’éloignant du modèle anglo-saxon d’activation libérale, ou modèle « d’individualisme patrimonial » dans lequel c’est à l’individu de mobiliser ses capitaux ou ses actifs (assets) et à l’Etat de «fournir aux individus une partie de ces « capitaux » et/ou de l’aider à les acquérir ».

Le modèle canonique de la flexicurité provient de l’exemple danois : il allie une forte flexibilité de la relation d’emploi, des indemnités de chômage élevées, et une politique active de formation et d’aide à la réinsertion91. Dans cette perspective, on pourrait opposer le type de politique qui en découle, le learnfare, au workfare du modèle anglo-saxon.

S’inspirant du succès de l’exemple danois, fondé sur le « triangle d’or » formé par la flexibilité du droit du travail, la générosité de l’indemnisation et la sévérité du contrôle92, Boyer (2007) défend l’idée d’une hybridation de ce modèle de flexicurité, en tenant compte de la nature des compromis qui diffèrent d’un pays à l’autre. Ainsi, pour la France, un nouveau compromis issu du compromis antérieur porterait sur une négociation qui « garantirait une sécurisation des parcours professionnels grâce à un redéploiement, progressif mais déterminé, des interventions publiques et une nouvelle délimitation des responsabilités respectives de l’État et des partenaires sociaux ». L’auteur pointe toutefois plusieurs obstacles à cette flexicurité à la française : la fragmentation de la représentation des salariés, qui favorise plus la compétition dans la défense des droits acquis, et la remise en cause périodique de la ligne de partage entre le domaine de la loi et de l’accord entre partenaires sociaux.

-­‐Les  points  communs  entre  Etat  social  actif  et  flexicurité  

Bien qu’appréhendé comme modèle alternatif à l’ESA, le concept de flexicurité a en fait plusieurs points communs avec l’Etat Social Actif, parmi lesquels l’objectif de concilier la solidarité sociale et l’efficacité économique, ainsi que l’horizon d’une individualisation des politiques sociales, individualisation qui n’est pas toujours compatible avec la liberté de choix de l’emploi convenable. L’oxymore de flexisécurité illustre d’ailleurs, comme pour l’Etat Social Actif, l’ambivalence de ces politiques, leur instabilité (Franssen, 2011) : sont-elles porteuses d’une précarisation généralisée ou au contraire d’une refondation des protections ?

91 Passet Olivier, "Le marché du travail, aspects et évolution : modèle américain versus modèle européen", Cahiers français 304, Les nouvelles questions de l'emploi, septembre-octobre 2001, p.10-16

92 L’auteur précise que le contrôle porte à la fois sur la disponibilité des chercheurs d’emploi et sur les critères de l’emploi convenable : après une période initiale qui a été réduite de 4 à 1 année, le chômeur est tenu d’accepter un emploi, même s’il ne correspond pas à sa fonction antérieure et s’il implique une baisse du revenu. “Entre-temps, il a en général suivi une formation lui permettant de s’adapter aux nouveaux emplois caractérisés par un revenu supérieur à celui de l’emploi détruit” (Boyer, 2007)

Gautié (2002) montre que dans les deux acceptions de l’activation, à dominante libérale (flexibilisation du contrat de travail, mesures coercitives concentrées sur l’offre) ou social-démocrate (sécurisation des trajectoires plutôt que protection de l’emploi), « on débouche sur une plus grande individualisation de la relation de travail et la déstabilisation de l’emploi salarié traditionnel comme référence : la première démarche marque, en quelque sorte, un retour «en deçà» alors que la seconde vise à se situer «au-delà» de l’emploi traditionnel » (Gautié, 2002, p.69).

Ramaux (2006) relève plusieurs limites au concept de flexicurité : d’une part, le fait qu’en focalisant les mesures sur le seul marché du travail, ce type d’analyse conforte l'idée selon laquelle les politiques keynésiennes de soutien à l'emploi seraient dépassées ; d’autre part, le flexicurité fait émerger un modèle d’emploi intrinsèquement instable, alors que « les mobilités volontaires se sont tassées », et que ce sont « les formes de la mobilité qui ont changé, la précarité et les licenciements se substituant aux démissions ». De plus, le modèle du learnfare prôné par la flexicurité, s’avère peu adapté à la main-d’œuvre peu qualifiée, et peut conduire, passé un certain temps, à proposer, à défaut d’emploi, des petits boulots. Dès lors, le « learnfare » proposé ne paraît plus si éloigné du « workfare » préconisé par les libéraux où, pour toucher leur allocation, les chômeurs doivent accepter des emplois mal payés.

L’autre ambivalence porte, comme on l’a déjà signalé, sur la promotion de l’autonomie, qui contraste avec le renforcement du régime de sanction et la dépendance qu’il induit pour les plus démunis vis-à-vis des institutions de l’Etat social. En effet, ce « référentiel de la transition généralisée » (Franssen, 2011) entend rompre, à l’instar de l’ESA, avec les

« anciennes sécurités », en l’espèce les cloisonnements institutionnels et les découpages temporels et statutaires, pour leur substituer le principe d’une mobilité continue des personnes vers et sur le marché du travail, faisant de chaque individu « un entrepreneur pluri-actif de lui-même, veillant à son capital employabilité, trouvant tout naturel de se « réorienter », de reprendre une formation, etc... ». On retrouve dans ce référentiel les présupposés anthropologiques des politiques d’activation (cf section I) issus du modèle managérial de l’entreprise de soi, qui butent sur le même obstacle : peut-on réellement défendre l’idée de l’autonomie du sujet lorsque cette promotion de la transition s’accompagne, d’une part, du renforcement des contraintes à accepter des emplois atypiques, et d’autre part, de la systématisation d’instruments de mesure standardisée de l’employabilité et de mise en équivalence des «profils de compétences » ? Autant de questions qui remettent en cause la

flexicurité comme véritable alternative aux politiques d’activation inspirées du modèle anglo-saxon.

Outre les critiques sur ces fondements mêmes, des travaux remettent en cause la viabilité du modèle de flexicurité, qui n’a pas réellement connu d’application directe hors des pays nordiques, notamment du point de point de vue de ses préconisations en matière de formation, d’où l’interrogation sur sa transférabilité à d’autres pays d’Europe (Paugam, Duvoux, 2008). D’autres recherches (Kosonen, 1999, Méda, 2009) montrent que ce modèle, loin d’influencer positivement les politiques d’activation, a plutôt reculé sur les champs de la formation et de l’emploi convenable.

Plus récemment, la mise en place du Revenu de Solidarité Active (RSA) remet en cause, selon Boyer (2007) la crédibilité de l’hypothèse que la France élabore des équivalents fonctionnels d’un modèle scandinave, le RSA consistant à donner une incitation financière mais non à améliorer la prise en compte des contraintes empêchant les allocataires de reprendre un emploi (santé, garde d’enfants, formation).

B/ L’analyse critique des fondements de l’activation à l’aune du référentiel néo-libéral

De nombreuses analyses sont venues remettre en cause les fondements et l’efficacité des politiques d’activation. Les analyses critiques ont notamment concerné l’origine et l’effet supposé des trappes à inactivité : les études tant économiques que sociologiques remettent largement en question l’existence d’un effet désincitatif de l’indemnisation sur lequel se fondent en grande partie les politiques de l’offre de travail. Une autre partie des travaux, d’inspiration théorique néo-marxiste, montre que si les politiques d’activation ne sont pas seules en cause dans l’extension des emplois précaires, elles contribuent à leur renforcement pour les besoins des systèmes productifs.