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La plume. Des proclamations à l’armée aux journaux pour la France

C. La France dans Le Courrier

Le Courrier de l’armée d’Italie fut, pour les soldats en Italie, l’une des seules sources d’informations sur la France pour les soldats. Nous avons écrit plus haut que Bonaparte, critiqué par la presse royaliste, donna ordre à Berthier et demanda au Directoire que l’on empêchât les journaux royalistes de se propager en Lombardie ou parmi les soldats. Le Courrier prit, dès son premier numéro, fortement parti contre les clichyens (royalistes dont le club se trouvait rue de Clichy). Il critiquait le Directoire et le Conseil des Cinq-cents tout en érigeant l’armée d’Italie au rang de sauveuse de la République.

La lutte contre le club de Clichy

Le parti royaliste était tout à fait hostile à Bonaparte, surtout depuis le 13 vendémiaire an IV (5 octobre 1795). Or les élections d’avril 1797 offrirent une large victoire aux royalistes, qui leur assura la majorité aux conseils. Cependant, les dissensions internes à ce parti l’empêchèrent de se saisir complètement du pouvoir. Les différents courants se partagèrent certains postes importants telle la présidence des Cinq-cents par le général Pichegru, tandis que Barthélémy devenait directeur. Carnot, malgré son républicanisme, mais par amour de l’ordre, les rejoignit99. Le Directoire était alors divisé entre deux républicains : Reubell et La Révellière-Lépeaux et deux royalistes : Carnot et Barthélémy, tandis que Barras tergiversait. Quant à Bonaparte, il choisit de combattre fermement les clichyens. Avant qu’il disposât du Courrier de l’armée d’Italie, le général en chef avait proclamé à ses soldats, le 14 juillet 1797, son attachement à la République (proclamation reproduite en Annexe 7), qui se terminait par : « jurons sur nos nouveaux drapeaux : Guerre implacable aux ennemis de la République et de la Constitution ».

98 Thématique développée dans J. Tulard, Napoléon, ou le mythe..., op. cit., passim.

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89 Dès la création du Courrier de l’armée d’Italie, Bonaparte avait réaffirmé ces principes dans « L’introduction servant de prospectus » (Annexe 2) dont on pense qu’il participa à son écriture. Après avoir blâmé « l’affreux esprit de parti » qui divisait la France et repris de la proclamation de Bonaparte du 14 juillet 1797 : « que les Royalistes se montrent, et ils auront vécu », l’auteur dénonçait les clichyens dont il dressait le tableau suivant :

Les Royalistes, ce sont les hommes coupables qui veulent anéantir la République et la Constitution ; qui n’aspirent qu’à nous plonger dans un déluge de malheurs ; qui ne travaillent qu’à rallumer les torches ardentes du fanatisme, pour relever les degrés du trône ; qui veulent ouvrir nos frontières aux cohortes des émigrés que l’Acte Constitutionnel bannit irrévocablement du sol français. Les Royalistes, ce sont des êtres dénaturés, qui ne veulent point de paix, mais une guerre éternelle, pour dévorer ce qu’ils appellent la race révolutionnaire ; qui ne respirent que l’anarchie, le sang et le meurtre des Citoyens ; qui ont organisé dans la réunion Clichyenne leur centre, leur point de ralliement, leur quartier général, leur arsenal de conspirations et de menaces sourdes contre la Patrie.

Outre la prise de position claire du rédacteur, le lecteur peut aussi observer ici un exemple de réemploi des arguments : les critiques données par le journaliste étaient très proches de celles dont les royalistes affublèrent les républicains. Citons encore les numéros 2, 3 (Annexe 3) et 7 (Annexe 8) du Courrier qui critiquèrent les royalistes, « provocateurs éternels de révolutions nouvelles »100 ou encore « ferments de divisions futures et des guerres intestines »101. L’on retrouve ces qualificatifs notamment dans les articles attribués à Bonaparte, les fameux « Dialogues » qui mettaient en scène un militaire de l’armée d’Italie qui se renseigna sur l’état de la France auprès d’un directeur d’un cabinet littéraire (Courrier n° 3) puis un officier de l’armée d’Italie qui questionna lui aussi un citoyen arrivant de France à propos de l’état de la nation (Courrier n° 7). Le militaire, ignorant tout, exprimait sa surprise et demandait force détails au Français qui lui expliquait la situation.

À la fin du dialogue, le militaire concluait par des menaces directes envers les royalistes et se faisait porte-parole d’une volonté générale de l’armée d’Italie de les abattre. Ainsi pouvait-on lire les conclusions du militaire dans le troisième numéro du Courrier :

Ils renaîtront les beaux jours de la liberté [...] Que les assassins et les émigrés disparaissent, qu’ils fuyent devant nous, comme des tourbillons de poussière, au souffle impétueux des vents. Les invincibles armées de la République française sont les garans [sic.] de ses immortelles destinées.

100 Le Courrier de l’armée d’Italie, n° 2, 4 thermidor an V (22 juillet 1797).

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90 Le 7e numéro du Courrier était de la même teneur, quoique plus virulent, et exprimait une certaine impatience de combattre les royalistes :

Nous saurons vaincre encore, s’il le faut, et les ennemis du dehors, et ceux de l’intérieur ; mais qu’on ne nous tienne plus dans l’attente. Marchons à la fête de la paix, volons à de nouvelles victoires [...] Le courage français triomphera de leurs ruses. Ils gémiront sous leurs faux calculs. La guerre, comme un volcan, les engloutira sous des laves enflammées.

Ces menaces et cette expression d’une volonté générale s’adressèrent aux royalistes en France lisant le Courrier et surtout aux soldats : Bonaparte réaffirmait son engagement jacobin et celui de ses troupes. Le soldat de l’armée d’Italie disposait, grâce à ce journal, d’une sorte de code de conduite. Être soldat dans l’armée d’Italie, c’était être républicain selon le journal. Cela correspondait certainement aux aspirations politiques des troupes.

En août, la tension était encore montée d’un cran, puisque le supplément du numéro 10, daté du 7 août 1797, publiait des « Extraits de différentes lettres du Midi », rapportant des assassinats et des condamnations à mort de républicains :

Marseille, 3 thermidor. Que t’écrire, ô mon ami ! Je n’ai que les plus affreux détails à te donner. L’assassinat règne. Les républicains ne peuvent pas franchir le seuil de leur porte, ni se montrer dans les rues, sans courir le risque d’être égorgés. On dirait, à voir notre malheureuse [ill.] que Louis XVIII y est proclamé, qu’il a publié ses tables de proscription et de mort.

En effet, c’est peu de massacrer ; on a également organisé des assassinats judiciaires [...] En 17 jours, 43 républicains ont été condamnés à mort par le tribunal des Bouches-du-Rhône.102

Le numéro 11 dédiait ses deux premières pages (soit la moitié du numéro) à un article sur les clichyens et évoquait « les vengeances royales [...] signalées par un affreux système d’assassinats »103. C’était préparer le coup d’État du 18 fructidor (4 septembre 1797), qui élimina les royalistes du pouvoir grâce aux troupes de Hoche et au commandement d’un général de l’armée d’Italie, Augereau, dépêché à Paris par Bonaparte.

102 Supplément au n°10 du Courrier de l’armée d’Italie, 21 thermidor an V (7 août 1797), voir Annexe 9.

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91 La critique du Directoire et du Conseil des cinq-cents

De juillet à septembre 1797, les royalistes ayant gagné les élections et pris des places importantes dans l’exécutif, Bonaparte combattit le club de Clichy, tout en enjoignant les directeurs de prendre son parti, contre les royalistes.

Il le fit notamment dans sa lettre au Directoire du 15 juillet 1797104 : « les circonstances s’aggravent tous les jours, et je crois, citoyens directeurs, qu’il est imminent que vous preniez un parti. [...] N’est-il donc plus en France de républicains ? ». Bonaparte s’appuyait sur les soldats qui avaient, écrivait-il, accueilli avec ferveur sa proclamation du 14 juillet 1797 et s’indignaient que « pour prix de ses fatigues et de six ans de guerre, il doit être, à son retour dans ses foyers, assassiné comme sont menacés de l’être tous les patriotes ». Bonaparte déplorait aussi de se voir attaqué quotidiennement par la presse royaliste, sans que le Directoire ne le défendît :

Quant à moi, je suis accoutumé à une abdication totale de mes intérêts ; cependant je ne puis pas être insensible aux outrages, aux calomnies que 80 journaux répandent tous les jours et à toute occasion, sans qu’il y en ait un seul qui les démente [...] Je vois que le club de Clichy veut marcher sur mon cadavre pour arriver à la destruction de la République.

La proposition était habile : non seulement Bonaparte demandait au Directoire le soutien auquel il avait droit en tant que général de la République, mais en plus, il montrait son dévouement et s’érigeait en dernier rempart - sinon en sauveur - de la République. La suite de la lettre était moins équivoque encore : « vous pouvez d’un seul coup sauver la République [...] et conclure la paix en 24 heures : faites arrêter les émigrés ; détruisez l’influence des étrangers. Si vous avez besoin de force, appelez les armées ». Bonaparte annonçait le 18 fructidor. Le Directoire avait néanmoins prévu un coup d’État, pour le 1er ou le 2 août, mais sans assez de détermination, ce qui n’eut pour effet que de discréditer le général Hoche, sur qui Barras - qui changea d’avis entre l’appel et l’arrivée du général - avait choisi de s’appuyer105.

104 Lettre de Bonaparte au Directoire exécutif, Milan, 27 messidor an V [15 juillet 1797], Correspondance

générale, n°1785, reproduite en Annexe 10.

105 Marie-Louise Jacotey, Le général Hoche. L’Ange botté dans la tourmente révolutionnaire, Paris, Guéniot éd., 1994, p. 221-223.

92 Bonaparte critiquait aussi, à la fois dans ses lettres au Directoire et dans le Courrier de l’armée d’Italie, les divisions entre républicains, véritable terreau du royalisme. Dans le troisième numéro du Courrier, l’on pouvait lire que la République était menacée car « les républicains, divisés entre eux, se détestent mille fois plus qu’ils haïssaient les partisans du roi »106. Cependant la véritable cible du journal n’était pas le Directoire, mais bien le Conseil des cinq-cents (composé d’une majorité de royalistes). Bonaparte avait envoyé Augereau à Paris pour mener le coup d’ État du 18 fructidor (4 septembre 1797), qui fut connu à Milan par Bonaparte le 12 septembre, et annoncé par le Courrier le 16 septembre. Le général en chef fit « préparer le terrain » à son journal qui publia en continu, des numéro 25 (6 septembre) au numéro 29 (14 septembre), un long article intitulé « Considérations sur la situation de la République ».

Dans le numéro 25, l’auteur constatait seulement l’existence de deux partis dans le Corps législatif « et peut-être aussi dans le Directoire ». En fait l’exécutif fut relativement épargné par le journal. On le montra faible pour expliquer sinon excuser son indolence. Le numéro 28 écrivait à son sujet :

Quelle force répressive pouvait opposer le Directoire ? Déjà faible par lui-même, par son organisation, il trouve dans le corps législatif une [force?] rivale et dominatrice qui ne cherchait qu’à l’affaiblir encore… L’anarchie règne, le gouvernement est faible et impuissant… Il ne faut pas se dissimuler ses vérités fatales.107

En revanche, les cinq numéros du journal consacrés à l’analyse de la situation politique française désignaient le Conseil des cinq-cents, dominé par les royalistes, comme source de tous les maux. Il était la source des assassinats dont nous avons parlé plus haut, organisait « une contre police, un espionnage [...] que la constitution réprouve » et « légalisait la rentrée des émigrés »108 notamment. Dans ce même numéro 28, le rédacteur résumait ainsi :

Le Conseil des cinq-cents surtout est responsable, aux yeux de l’opinion publique et des observateurs impartiaux, de tous les crimes, dont quelques-uns de ses membres, qui ne peuvent plus les nier, et veulent déverser tout l’odieux sur le Directoire.

Bonaparte prépara ainsi ses hommes au 18 fructidor, coup d’État des républicains du Directoire contre les royalistes du Conseil des cinq-cents comme du Directoire. Ainsi de

106 Le Courrier de l’armée d’Italie, n° 3, 6 thermidor an V (24 juillet 1797).

107 Ibid., n° 28, 26 fructidor an V (12 septembre 1797).

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93 nombreuses arrestations eurent lieu, dont celles de Pichegru et du Directeur Barthélémy, Carnot s’enfuit. On lut alors dans le Courrier que l’armée commandée par Augereau, général de l’armée d’Italie, avait sauvé la République, représentée par le Directoire contre les royalistes.

L’armée d’Italie pour régénérer la République

Bonaparte avait harangué ses hommes le 14 juillet 1797 en leur promettant de « franchir les Alpes avec la rapidité de l’aigle, s’il le fallait ». Il avait proposé ses armées au Directoire dans sa lettre du lendemain et avait aussi relayé cette promesse (ou menace) dans le Courrier. Il montrait l’armée salvatrice et régénératrice de la République. Ce discours relayé par son journal, Bonaparte l’adressait à Paris, mais aussi à ses soldats qu’il souhaitait motiver. Il s’y faisait le défenseur acharné de la République et de la patrie. Ainsi, il se présentait comme un héros salvateur109.

Tout repose aujourd’hui sur la parole du général. Tout marcherait à son premier mot et le mot qu’il a promis de dire, s’il croit le gouvernement menacé, il le dira. Ces Alpes qu’il a promis de franchir, s’il croit la Constitution attaquée, il les franchira. Cette guerre qu’il a promis de faire aux ennemis de la République, il la fera s’il croit en voir armés contre elle. [...] L’armée d’Italie est prête à repasser les Alpes, le foudre à la main. [...] Parler, citoyens Directeurs, et aussitôt les scélérats qui souillent le sol de liberté n’existeront plus. Nous disposons de leur vie et leur pardon est au bout de nos baïonnettes.110

Ces paroles n’étaient pas uniquement celles de Bonaparte ou de Jullien, bien qu’ils les approuvassent, elles émanaient des soldats de l’armée d’Italie dont certaines adresses furent publiées. L’armée proposait sa force au Directoire, qui avait été présenté incapable face aux Cinq-cents, pour sauver la République. L’armée prenait de l’importance et en était consciente. Les coups d’état successifs de la période révolutionnaire, appuyés par l’armée, n’étaient pas pour diminuer cette impression.

Les royalistes fustigèrent alors l’armée de Sambre-et-Meuse que son général, Hoche, avait fait marcher sur Paris à la demande de Barras qui l’avait ensuite désavoué. Ils critiquèrent également l’armée d’Italie qui menaçait de franchir les Alpes. Les journaux

109 Il s’agit de la ligne directrice de l’étude de J. Tulard, Napoléon, ou le mythe..., op. cit., passim.

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94 royalistes les comparaient à César et Pompée qui avaient amené la guerre civile111. À cela, le Courrier répondait que l’armée d’Italie était l’armée de la République, tandis que les véritables factieux étaient les royalistes, les orateurs de Louis XVIII et les émigrés « regrettant publiquement Capet et Marie-Antoinette [...] qui n’aspirent qu’à noyer la Constitution dans des flots de sang [...] ils veulent aussi la guerre civile en France et la ruine de la patrie livrée par lambeaux aux mains de l’étranger »112.

Enfin, le Courrier rapportait les négociations de paix, surtout celles que menait Bonaparte avec Vienne. Dès le deuxième numéro du journal, le lecteur apprenait que « Les clichyens seuls [...] ne travaillent qu’à rendre les négociations infructueuses, et à prolonger la guerre ». Cela était partiellement vrai : l’empereur Habsbourg comme les coalisés attendaient que la situation politique fût plus stable en France. Ils voulaient fort logiquement en tirer parti. Jusqu’au 18 fructidor, le Courrier continua de publier que les partis de l’étranger empêchaient la paix, mais cela ne s’adressait pas seulement aux soldats. Le journal répondait ainsi aux journaux royalistes qui accusaient Bonaparte de vouloir continuer la guerre par ambition personnelle, contre ses ordres et l’opinion publique. Bonaparte s’adressa aussi aux Français par l’intermédiaire du Courrier de l’armée d’Italie.

111 Wayne Hanley, The Genesis of Napoleonic Propaganda, 1769-1799, New-York, Columbia University Press, e-book, 2003, chapitre 3, p. 9.

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III. Des publications pour la France

Bonaparte avait pris un rôle inattendu. Non seulement le jeune général s’était imposé à ses hommes et les avait conduits à la victoire plusieurs fois sur les Autrichiens pourtant en supériorité numérique, mais il avait aussi transformé un théâtre d’opération secondaire en campagne principale. Il avait en outre sauvé le Directoire le 18 fructidor et sa popularité grandissait en France. Certes, Bonaparte pouvait compter sur « sa bonne étoile ». Surtout, il se mit en scène auprès du public français par des journaux, tandis que commencèrent à circuler quelques pamphlets favorables à son action. Comment, par ces publications adressées au public français, le général quasi-inconnu, victorieux de quelques factions de royalistes en vendémiaire, se transforma-t-il en un grand général de la République, triomphant sur les champs de bataille italiens ?

Nous nous pencherons sur les premières images de Bonaparte qui circulèrent dans les journaux en France, puis nous verrons comment le général organisa sa mise en scène parisienne depuis Milan, enfin, nous étudierons un journal créé par Bonaparte pour la France deux semaines seulement après le Courrier : La France vue de l’armée d’Italie.