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Le pouvoir. Le gouvernement du Milanais

B. Les fêtes « françaises »

Nous employons le qualificatif « françaises » afin d’évoquer les fêtes organisées à Milan en l’honneur de l’armée d’Italie, celles simplement copiées du calendrier français et la fête de la Reconnaissance. Les deux premiers types de fête, s’ils étaient destinés à honorer l’armée de Bonaparte et à travers elle la France, furent également d’excellents « portevoix » pour les jacobins. En outre, l’évolution de ces fêtes sur le très court terme (quelques mois) refléta le processus de mise en place du pouvoir cisalpin et l’implantation du jacobinisme à Milan.

Fêtes occasionnelles, fête improvisées. Les premières célébrations de l’armée d’Italie

Les fêtes « occasionnelles », selon la définition de M. Vovelle81 , furent un complément des célébrations du calendrier officiel. Ces fêtes occasionnelles, organisées par les pouvoirs constitués (municipalité de Milan ou gouvernement dans notre cas) étaient destinées à célébrer un événement important comme l’accueil des révolutionnaires de Reggio ou encore certaines victoires de l’armée d’Italie. Quant aux fêtes improvisées, elles naquirent, comme les fêtes occasionnelles, d’événements à célébrer, mais n’étaient pas organisés par les autorités constituées. Elles étaient des « manifestations explosives de joie »82 qui pouvaient éclater à l’arrivée de bonnes nouvelles - vraies ou fausses du reste - dans les clubs et sociétés populaires83. La bonne nouvelle était alors célébrée presque spontanément, quand les membres de la société allaient chercher les autres patriotes et faisaient résonner les rues des tambours, pétards et autres chants révolutionnaires. M. Ozouf a signalé que ces « fêtes élémentaires, on songe à peine à les baptiser, sinon de façon très syncrétique : ce sont les “réjouissances des sans-culottes” »84.

Après que la garnison autrichienne du castello Sforzesco eut rendu les armes, le 11 messidor an IV (29 juin 1796), la Société populaire décida de célébrer l’événement par un Te Deum solennel le lendemain. Les sources manquent pour mieux connaître cette célébration : se limita-t-elle uniquement à la messe ou se finit-elle par des danses autour de l’arbre de la liberté planté justement devant le Dôme85 ? Le Termometro afficha bien naturellement son

81 M. Vovelle, Le metamorfosi..., op. cit., p. 183-184 et 186.

82

L. Gagliardi, Milano in rivoluzione…, op. cit., p. 83.

83 Voir sur cela M. Ozouf, La fête révolutionnaire…, op. cit., p. 102-103.

84 Ibid., p. 102.

85 Le Termometro politico della Lombardia, n°3, 14 messidor an IV [2 juillet 1796], dédia deux articles à la prise du Castello : « Resa del castello » et « Sul TEDEUM per la resa del castello ».

192 jacobinisme dans ces deux articles, fustigeant les Autrichiens et les aristocrates et glorifiant les Français. Le second article, quant à lui, illustra encore une fois les liens entre jacobinisme et religion, se réjouissant de « l’extraordinaire concours du peuple à la solennité célébrée [qui] indiqu[ait] en lui-même combien [était] plus juste l’esprit du christianisme »86. Toutefois, le journaliste se fendit d’une attaque contre l’archevêque qui avait souhaité la victoire autrichienne quelques mois plus tôt :

Qui aurait cru que lui-même [l’archevêque], lui qui le premier mai à la même heure et en la même église avait imploré Dieu processionnellement de faire triompher l’armée autrichienne, l’aurait remercié deux mois plus tard pour le triomphe de l’armée française ? […] Dieu protège la cause des peuples, non celles des tyrans.87

Cette fête improvisée fut suivie, une semaine plus tard, le 5 juillet, d’une fête occasionnelle, organisée par la municipalité, certainement dans le but de ne pas laisser à la seule Société patriotique le soin de fêter les victoires françaises. Organisée en soirée dans les Jardins publics, soit l’un des quartiers les plus aisés de la ville, la fête était composée d’une somme de plusieurs scénettes dispersées dans les jardins, organisée autour de la peinture d’une « image colossale de la Liberté ». Aussi les spectateurs purent-ils assister à des représentations théâtrales « pour les personnes les plus paisibles », écouter des concerts d’orchestres ou de chœurs ou encore danser « pour la jeunesse la plus brillante »88. L’image ressortant du compte-rendu du Termometro fut celle de la concorde sur fond de républicanisme, comme le soulignait son propos introductif : « la fête s’est heureusement déroulée de sept heures à la pointe du jour, avec l’assistance de la municipalité, qui l’a dirigée et en a maintenu l’ordre jusqu’à la fin »89. Cette version fut aussi celle du jacobin révolutionnaire Ranza qui écrivit à propos du 5 juillet, tout en réfléchissant aux buts de la fête et aux moyens d’élever l’esprit public :

86 « Lo straordinario concorso del Popolo alla celebrata solennità indica quanto in esso è più giusto lo spirito del cristianesimo », dans « Sul TEDEUM per la resa del castello », in Termometro politico della Lombardia, n°3, 14 messidor an IV [2 juillet 1796].

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« Or chi avrebbe creduto che quello stesso [l’arcivescovo] che nel primo di maggio sull’ora medesima e nella medesima chiesa avea processionalmente implorato Dio il trionfo dell’armata austriaca, l’avesse ringraziato due mesi dopo per lo trionfo dell’armata francese? [...] Iddio protegge la causa de’ Popoli, non già quella de’ tiranni », in ibidem.

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« Festa di Milano 17 messidoro », in Termometro politico della Lombardia, n°5, 21 messidor an V [9 juillet 1796]

89 « La festa [...] è stata felicimente eseguita dalle sette ore pomeridiane sino alla punta del giorno coll’assistenza della municipalità, che ne ha diretto e mantenuto l’ordine sino alla fine », dans « Festa di Milano 17 messidoro »,

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Par leurs moyens [les fêtes solennelles], se maintient vif et vivant l’enthousiasme populaire et fait marcher à grands pas le char de la Révolution. La pompe des Jardins publics pour célébrer la victoire de nos braves libérateurs […] a été mise en œuvre pour électriser le peuple milanais et lombard, libéré de ses chaînes, et le sublimer jusqu’à l’élévation de la nation souveraine ! Le concours, la joie et les transports de cette fête ont été un coup terrible à l’agonisante aristocratie et au fanatisme démasqué et moqué ! Quel beau passage ce fut dans le chemin de la démocratie ! L’esprit public acquit du tonus et de l’énergie !90

Le lecteur remarquera aussi l’importance du champ lexical du combat dans ces lignes. En effet, par l’honneur donné aux armées françaises lors de ces fêtes - et le propos était très clair chez Ranza - il s’agissait pour les Italiens de forger et de réclamer la souveraineté de l’Italie. Un cycle identique, avec une fête improvisée reprise en fête occasionnelle, se déroula à Milan pendant l’hiver 1797.

Ayant appris les victoires françaises les jacobins se réunirent place du Dôme pour danser autour de l’arbre de la liberté, le 28 nivôse an V (17 janvier 1797). « La plus vive joie » s’était emparée d’eux et « les vivats patriotiques et les danses républicaines »91 se poursuivirent tard dans la nuit. Une nouvelle fête spontanée eut lieu quelques jours plus tard, le 5 février 1797 au soir, lors de la prise de Mantoue (intervenue le 2 février). Cet événement libérait totalement la Lombardie de toutes troupes autrichiennes. Alors des cortèges se formèrent « dans le plus grand enthousiasme de joie » pour parcourir la ville à la lueur des torches et annoncer la nouvelle. Quelques bâtiments publics comme la Scala furent illuminés et le lendemain, 6 février, un grand déjeuner patriotique fut organisé, auquel participèrent les généraux français et les jacobins, sans que nous sachions qui en fut à l’origine, ni si les autorités constituées y participèrent. Toutefois, les bals, illuminations et représentations théâtrales nous laissent penser que cette fête fut à l’initiative de la municipalité. Lors du déjeuner, des toasts furent portés à la République française, à la démocratie, à l’évangile, au général Bonaparte, à l’union des républiques cispadane et transpadane, au peuple, à l’armée et

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« Per mezzo loro [le feste solenni] si mantien vegeto e vivo il popolar entusiasmo, e si fa marciare a gran passi il carro della Rivoluzione. La pompa dei Giardini pubblici per la vittoria dei nostri bravi Liberatori [...] è stata per elettrizare [sic.] il Popolo Milanese e Lombardo uscito dalle catene, e sublimarlo all’elevazione della Nazionale Sovranità ! Il concorso, l’ilarità, il trasporto di quella festa sono stati un colpo terribile per l’agonizzante Aristocrazia, e al Fanatismo smascherato e deriso ! Che bel passo fu quello nella carriera della Democrazia ! Lo spirito pubblico acquistò del tono e dell’energia ! », in Mozione del Cittadino Ranza alla

Municipalità di Milano per una festa civica in onore di quattro martiri della Libertà Lombarda, 21 termidor an

IV [8 août 1796], ASM, Potenze sovrane post 1535, cart. 131.

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194 « aux couteaux de Brutus : qu’ils puissent épouvanter les esclaves de César et tous les imitateurs d’Antoine »92.

Ces deux fêtes furent suivies dix jours plus tard, les 16 et 17 février 1797, de nouvelles célébrations organisées par une commission spéciale de la municipalité. Rendant hommage aux « Victoires françaises », cette fête marqua une évolution puisque qu’elle fixa « les bases d’un pattern italien dons nous retrouv[ons] la trace à Rome et Naples »93. Ce pattern était composé d’une distribution de billets de pain et de riz aux pauvres de chaque section, d’une première utilisation à Milan de la symbolique des âges lors de la cérémonie, de l’apparition du « héros rural » et de la première apparition du Bataillon de l’espérance (composé d’enfants « vêtus à la nationale »)94. Ce bataillon de l’espérance eut d’ailleurs un grand succès, comme en témoigna la description de la fête et sa présence aux fêtes successives : « Spectacle tendre et imposant, […] ils marchent la tête haute, comme de petits soldats »95.

Cette fête des victoires françaises fut en fait une ébauche de la fête de la Fédération, donnée 5 mois plus tard et détaillée plus haut. Ce fut, sous les habits d’un hommage aux armées françaises, une démonstration de force et très certainement un appel à la liberté et à la formation de la Cisalpine. Outre ces tribunes, les patriotes utilisèrent les fêtes du calendrier français pour se faire entendre.

L’adoption du calendrier révolutionnaire français

La Révolution française s’exporta avec son calendrier et ses fêtes. Ainsi, Milan, « république-fille » plutôt que « république-sœur »96, adopta le calendrier républicain et les célébrations relatives choisies à Paris.

Le 22 septembre 1796, Milan fêta ainsi le cinquième anniversaire de la fondation de la République française. Cette célébration sous-entendit également la volonté d’indépendance et de liberté demandée par les patriotes au Directoire depuis l’entrée de Bonaparte. Cette fête du premier vendémiaire fut la première célébration « totale » à Milan97. La place du Dôme fut

92

« Festa in Milano », in Termometro politico della Lombardia, n°63, 20 pluviôse an V [8 février 1797].

93 C. -M. Bosséno, « Il faut danser »…, op. cit., p. 138.

94 Municipalité de Milan, Proclamation, 19 pluviôse an V [7 février 1797], Braidense, coll. Gridari, 15.

95 Descrizione delle feste date in Milano a’28 e 29 piovoso per le ultime vittorie riportate dai Francesi, Milan, 1797.

96 Dans la métaphore familiale, il ressort que les « républiques-sœurs » étaient considérées comme « sœurs » entre elles, et « filles » de la France comme leurs émanations. Voir J. Godechot, La Grande Nation…, op. cit., et C.-M. Bosséno, Les signes extérieurs…, op. cit., p. 249-351.

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195 aménagée en amphithéâtre autour de l’arbre de la liberté et d’une statue de la liberté, le tout soutenu par deux orchestres instrumentaux et vocaux. Il fut installé sur la place :

Un grand socle carré entouré de gradins, sur les faces duquel étaient inscrites les droits et devoirs de l’Homme. Cette base supportait un piédestal, orné des têtes des dieux Brutus, Publicola et Caton. Aux angles se dressaient des faisceaux consulaires et des pics surmontés de bonnets98.

Le public fut peu nombreux dans la matinée pour assister à l’autoreprésentation du pouvoir puisqu’étaient rassemblés les membres de l’Administration générale, de la municipalité et des tribunaux en plus des officiers de l’armée de Bonaparte. Après la cérémonie, un char allégorique se présenta : il soutenait neuf génies qui jetaient des rameaux d’olivier sur l’autel de la liberté. Les sept premiers représentaient les armées victorieuses de la République française, le huitième, placé dans la partie inférieure, symbolisait la Lombardie ayant brisé ses chaînes et son joug et le neuvième placé au sommet du char était le génie de la République française qui présentait au peuple le drapeau de la liberté et écrasant de ses pieds les insignes des tyrans soumis99. Le message était très clair : la France venait de libérer la Lombardie et cette dernière se plaçait sous sa protection.

La cérémonie continua ensuite au palais National par un banquet au cours duquel Bonaparte porta un toast « à la République française et pour la conservation de la liberté italienne »100, puis la journée se termina par des courses à pied et à cheval ainsi que des représentations théâtrales et un bal organisé au palais. Le public convergea au cours de la journée selon le Termometro qui rapporta aussi un petit incident : au théâtre de la Canobiana, un officiel s’opposa à ce que la Carmagnole, qui n’était pas au programme, fut jouée101. Enfin, la fête s’acheva par des danses populaires autour de l’arbre de la liberté, et le Giornale degli amici de conclure : « cette journée qui, nous rappelant la cinquième année de la liberté de la France, ne nous laisse aucun doute sur l’espoir de la proche liberté lombarde »102. L’année suivante, la République cisalpine ayant été proclamée, le premier vendémiaire fut fêté avec beaucoup moins de faste ; le contexte était déjà différent puisque la Cisalpine existait.

L’on assista, le 16 octobre 1797, à une radicalisation des positions des jacobins par la fête de la mort de Marie-Antoinette. Les célébrations milanaises avaient été tranquilles

98 Giornale degli amici della Libertà e dell’Eguaglianza, n°37, 6 vendémiaire an V [27 septembre 1796].

99

Ibidem.

100 « Festa del primo giorno dell’anno V della repubblica francese una ed indivisibile », in Termometro politico

della Lombardia, n°27, 3 vendémiaire an V [24 septembre 1797].

101 Ibidem.

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196 jusque-là, recherchant l’apaisement et la concorde, tandis que cette cérémonie fut la première à mettre en œuvre le rituel de la table rase. Aux yeux des jacobins, Marie-Antoinette représentait l’aristocratie et - surtout - l’Autriche. Un avis anonyme, placardé dans les rues de Milan le 15 octobre, invitait les patriotes à se rassembler autour de l’arbre de la liberté de la place du Dôme le lendemain, jour « anniversaire de la décapitation d’Antoinette, louve couronnée de France »103. Après la Carmagnole autour de l’arbre et quelques discours, la fête prit l’aspect d’un autodafé patriotique condamnant « diverses œuvres superstitieuses, immorales et liberticides »104. Ainsi, dans l’anti-bibliothèque des jacobins (révolutionnaires), figuraient : Le corps du droit canon, la bulle Unigenitus, la Cantica Bassvilliana de Vincenzo Monti, La storia della guerra d’Italia imprimée par Bolzani (contre-révolutionnaire), La France d’Arthur Young ainsi qu’une série de gazettes. Le Giornale senza titolo (d’obédience révolutionnaire) souligna l’approbation et la satisfaction populaire tandis que les nobles ne virent pas les choses de la même manière :

Leur patience [celle des nobles] dura jusqu’à ce qu’ils voient le triregno jeté aux flammes ; mais lorsqu’ils s’aperçurent que l’Aigle autrichien devait aussi être sacrifié, ils partirent horrifiés […]. C’est une bonne chose pour eux […] car ils auraient sinon couru le risque de couronner l’autodafé patriotique !105

Cette reprise d’une fête du calendrier révolutionnaire français permit aux jacobins révolutionnaires italiens d’avoir une tribune et d’exprimer leur rejet de l’aristocratie. Ce fut la seule fête de tabula rasa que connut Milan et l’on peut légitimement penser qu’elle fut organisée par quelques clubs patriotiques de tendance « exagérée ». Néanmoins, l’autodafé marqua les cérémonies suivantes, dont la fête de la Reconnaissance.

La fête de la Reconnaissance

Tenue le 28 janvier 1798, soit deux mois après que Bonaparte eut quitté Milan, la fête de la Reconnaissance fut organisée par les autorités constituées. Il s’agissait à la fois de mettre en scène l’union interne de la Cisalpine, puisque la cérémonie devait se dérouler en parallèle dans les principales villes, et de réaffirmer l’attachement réciproque entre la nouvelle république et la France. En outre, la cession de Venise aux Autrichiens indisposait les

103 Invito ai patrioti, ASM, Spettacoli pubblici pa, cart 1, fasc. 9.

104 Termometro politico della Lombardia, n°34, 7 brumaire an VI [28 octobre 1797],.

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197 patriotes milanais qui, toute odieuse que fût cette décision de realpolitik106, leur faisait craindre de subir le même sort. La fête de la Reconnaissance visait ainsi la France à qui les Milanais voulaient rappeler ses engagements, mais aussi les puissances étrangères, à qui l’on montrait l’alliance de la république-mère et de la république-fille :

Qui osera nous attaquer, lorsque nous nous vantons de la protection de la France ? Une nation si juste, si constante dans ses principes, voudrait désillusionner celui qui s’abandonne avec pleine confiance à sa loyauté ! Eh ! Le seul doute est un outrage au nom français […] Il sera éternellement écrit dans les fastes de la République française et de la Cisalpine que celle-ci est une fille fortunée de celle-là, née à l’ombre de ses lauriers, nourrie du lait de ses maximes, dirigées [sic.] par la norme de ces lois.107

Le lecteur sentira la fausse naïveté dans la première partie de la citation. Néanmoins, les buts étaient exposés clairement. S’ensuivirent des débats sur les vertus de la reconnaissance et de la gratitude. Les impératifs du Grand conseil étaient les suivants : faire participer les troupes nationales afin « d’imprimer une ardeur martiale […] selon l’usage des anciens Grecs et des Romains »108, épargner le trésor public et rassembler une forte participation populaire. À cause de pluies torrentielles, la fête se tint le 10 pluviôse (29 janvier 1798) au lieu du 2 pluviôse (21 janvier, jour anniversaire de la décapitation de Louis XVI), au Campo di Marte. Elle montrait, par une machine spectaculaire, le triomphe de la Liberté. Comme au théâtre, des acteurs jouèrent l’acte suivant : le génie de l’Italie, mains attachées, et l’air « profondément affecté » était accompagné des quatre âges (enfance, jeunesse, virilité, vieillesse). Ensuite le génie militaire de la Liberté française entra, en « majesté et simplicité », accompagné de quatre autres génies tenant respectivement un flambeau, une épée, un triangle et un bâton. Le programme spécifiait : « cette compagnie allégorique offre l’image du général Bonaparte et des autres généraux »109. Puis la représentation continua de la sorte :

Le premier de ces génies abattra d’un coût de ses flèches puissantes le trophée abominable, il tombera ; et l’on verra tomber avec lui les chaînes brisées du génie de l’Italie et de ses compagnons. Le Génie français lui offrira une de ses flèches ; les quatre autres génies qui le suivent feront présents de leur symbole mystérieux aux quatre âges […] : à l’enfance le flambeau, symbole de la raison ; à la

106 Le terme de « realpolotik », bien que forgé a posteriori, nous semble définir avec justesse les négociations et la conclusion du traité de Campoformio.

107 « Gran consiglio della Repubblica Cisalpina », XXe séance, 19 frimaire an VI, in Atti delle Assemblee della

Repubblica Cisalpina, Bologne, 1917-1948.

108 Ibid.

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jeunesse, une épée qui marque la force ; à la virilité, le triangle, emblème de la sagesse ; à la vieillesse, le bâton qui fait connaître le besoin du secours. […] [puis] tous les génies s’embrasseront mutuellement ; ensuite ils jetteront sur l’autel des lambeaux du trophée abattu.110

Le génie de l’enfance embrasa le bûcher (on retrouve ici le thème de la tabula rasa), tandis que les chœurs entamèrent des hymnes de la victoire. Enfin, furent distribués les médailles, secours aux pauvres et promesses de dots.

La fête de la Reconnaissance fut la dernière grande fête que connut la première Cisalpine, le manque de moyens pécuniaires ayant par la suite eu raison de tout projet. Elle ne fut pas pour autant exempte de critiques, notamment de la part de Ranza qui dénonça une fête « Directorialo-ministérialo-bureaucrato-militaire » dans laquelle le peuple ne compta pour