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Le pouvoir. Le gouvernement du Milanais

C. Les fêtes de Bonaparte

Les célébrations milanaises visaient aussi à honorer Bonaparte. En quoi celles-ci vinrent-elles en complément des célébrations par la plume et l’image ? Nous verrons ici que Bonaparte fut honoré à Milan ainsi qu’à Paris ; sa campagne d’Italie lui servant de tremplin à sa conquête politique française.

110 Ibidem.

111 « Questa non è stata una festa Popolare, ma Direttoriale-Ministeriale-Burocraziale-Militare. Il POPOLO fu zero », dans l’article « Festa della Riconoscenza », in L’amico del Popolo, n° XI-XII, 21 pluviôse an VI [9 février 1798].

199 De la célébration milanaise…

Après un an d’attente de la part des patriotes milanais, le 16 mai 1797, soit à l’anniversaire de son entrée dans la cité lombarde, Bonaparte promit l’indépendance »112. Les jacobins reçurent donc avec entrain leur constitution lors de la fête de la Fédération des 9 et 10 juillet 1797. Quatre jours plus tard, toujours sur le campo di Marte (ou campo della Federazione), le 14 juillet fut célébré par une fête strictement militaire dirigée par Bonaparte. Quoique des invitations eussent été envoyées aux membres du Directoire cisalpin113, aucune source ne mentionna la présence de ceux-ci. Du reste, seul Bonaparte était appelé à jouer un rôle dans cette cérémonie. En outre, Eugène de Beauharnais, alors tout juste âgé de seize ans, avait été nommé en juin aide-de-camp du général en chef. Ainsi, il est fort probable qu’il pût assister à la célébration du 14 juillet dans Milan, et surtout avoir un premier contact avec les Milanais proches de Bonaparte lors du dîner organisé en soirée, ceux-là mêmes qui furent appelés à jouer un rôle dans les années suivantes114.

Le dispositif de la fête était le suivant : au centre, était dressé un obélisque surmonté d’une victoire, dont le piédestal était orné de divers faits d’armes portant les noms des morts les plus illustres de l’armée d’Italie (La Harpe, Dubois, etc.). On évoqua la prise de la Bastille et la Fédération de 1790, la fête fut orientée vers l’hommage à « la mémoire des braves morts pendant la campagne d’Italie », puis par la remise de nouveaux drapeaux. Après le défilé, les manœuvres et les revues des troupes françaises et cisalpines, le temps fut aux discours qui s’adressaient aussi bien aux Français qu’aux cisalpins. Un caporal de la 9e demi-brigade dit à Bonaparte :

Tu as sauvé la France. Tes enfants glorieux d’appartenir à cette invincible armée te feront un rempart de leur corps : sauver la République ; que cent mille soldats qui composent cette armée se serrent pour défendre la liberté.115

Quant à Bonaparte, il choisit dans son discours - reproduit en Annexe 7 - de s’adresser à ses soldats et au public français, en menaçant les clichyens. Nous avons vu les effets en France de ce discours dans le premier chapitre. À Milan, en plus de s’attacher ses soldats,

112 C. -M. Bosséno, « Il faut danser »…, op. cit., p. 133.

113 Lettre de Vignolles, Commandant de la Lombardie au Directoire cisalpin, Milan, 26 messidor an V [14 juillet 1797], ASM, Spettacoli pubblici pa, cart 2.

114 Ce premier contact, qui aurait suivi son arrivée à Mombello, a été souligné par Françoise de Bernardy dans

Eugène de Beauharnais, le fils adoptif de Napoléon, Paris, Librairie académique Perrin, 1973, p. 43.

115 Anniversaire du 14 juillet célébré à Milan, an Vè républicain, Milan, 1797, Biblioteca Trivulziana, Milan, ATL 431. Et le compte rendu de noter « les larmes inondent le visage de ce brave soldat ».

200 Bonaparte (ré)affirma son pouvoir aux jacobins en montrant le dévouement de son armée. Cette fête fut donc une tribune personnelle pour le général en chef. Puis la cérémonie se conclut par des serments républicains, une illumination générale, un dîner en présence des autorités constituées ainsi qu’une fête dite « spontanée »116 autour de l’obélisque.

Les adresses à Paris depuis Milan par le biais de la fête ne se limitèrent pas au 14 juillet 1797. La politique de Bonaparte en Italie et notamment les envois d’objets de sciences et d’arts à Paris, lui suscitèrent des fêtes en son honneur.

… À la consécration parisienne

Les traités de paix entre la France et les princes italiens, négociés par Bonaparte, comprenaient des cessions d’œuvres d’art en guise d’indemnités de guerre. En revanche, à ces cessions consenties, s’ajoutèrent aussi des enlèvements qui s’assimilaient plus à du pillage117, menés par la même Commission pour la recherche des objets de sciences et arts en Italie, déjà chargée de cueillir les fruits de la diplomatie. Les commissaires et Bonaparte prirent cette mission très au sérieux : ce dernier, selon A. Jourdan, s’initia aux arts en Italie118, et l’on voit transparaître dans sa correspondance le soin qu’il accorda à ces transferts. Ainsi les membres du Directoire purent lire dans la lettre de leur général du 19 février 1797 : « la commission a fait une bonne récolte à Ravenne, Rimini, Pesaro, Ancône, Lorette et Perugia. Cela sera incessamment envoyé à Paris. Cela joint à ce qui sera envoyé de Rome, nous aurons tout ce qu’il y a de plus beau en Italie »119.

Bonaparte n’assista à aucune réception parisienne de ces objets de sciences et des arts. Ceux-ci furent divisés en 5 convois. Les deux premiers, formés des œuvres saisies en Lombardie, arrivèrent respectivement le 18 brumaire an V (8 novembre 1796) puis le 13 thermidor an V (31 juillet 1797), alors que Bonaparte était toujours en Italie. En revanche, le troisième convoi avait la plus haute importance symbolique, puisqu’il transportait les œuvres saisies à Rome. Comme les quatrième et cinquième convois, en provenance de Venise, entrèrent en France en même temps, il fut décidé de réunir ces trois convois en un seul. Le Directoire publia alors, le 26 avril 1798, un arrêté précisant que l’arrivée à Paris de chefs-d’œuvre saisis à Rome serait l’occasion d’une très solennelle fête des arts. Bonaparte s’était

116

Cela est souligné par C. -M. Bosséno, « Il faut danser »…, op. cit., p. 151.

117 Voir chapitre 1, note 55.

118 Annie Jourdan, Napoléon, héros, imperator, mécène, Paris, Aubier, Collection historique, 1998, p. 140-151.

119 Lettre de Bonaparte au Directoire exécutif, Tolentino, 1er ventôse an V [19 février 1797], Correspondance

201 déjà embarqué pour l’expédition d’Égypte, néanmoins, la fête lui rendait hommage comme le nota Delécluze, l’élève de David, alors âgé de 17 ans :

Cette fête à laquelle, selon le goût du temps, on donna toutes les apparences d’une cérémonie antique, flatta singulièrement l’amour-propre de la nation, et fit retentir avec plus d’enthousiasme et de reconnaissance encore le nom du jeune Bonaparte qui était sur le point de faire son entrée au Caire.120

Quelques intellectuels s’opposèrent à la concentration à Paris des objets de sciences et des arts, insistant sur la nécessité de les laisser dans leur « milieu d’origine ». Ce fut le cas de Quatremère de Quincy qui publia en 1796 : Lettres au général Miranda sur le préjudice qu’occasionneraient aux Arts et à la Science le déplacement des monuments de l’art de l’Italie, le démembrement de ses écoles et la spoliation de ses écoles, galeries, musées, etc. Il n’obtint que le soutien de certains artistes, dont David, mais surtout l’ire de la plupart des journaux dénonçant une « démarche déshonorante [de] […] mauvais patriotes »121, le désaveu de la plus haute autorité culturelle - l’Institut de France - et surtout le dédain de « l’opinion publique qui vivait au rythme exaltant des bulletins de victoire de l’armée d’Italie »122.

La réception de l’ultime convoi eut donc lieu pour la Fête de la liberté, le 9 thermidor an VI [27 juillet 1798], célébrant la chute de Robespierre. Le cortège de chars, qui défila du Muséum d’histoire naturelle au Champ de Mars, était organisé en trois parties. La première division était consacrée à l’histoire naturelle avec six voitures chargées de minéraux, de fossiles de Vérone, de graines de végétaux exotiques, ainsi que des lions et des chameaux (certaines de ces curiosités provenaient en fait non pas d’Italie, mais de Suisse ou d’Afrique). La seconde division, accompagnée par les professeurs de l’Ecole polytechnique, composée de six chars de caisses, était précédée par une bannière qui portait une inscription expliquant le contenu des caisses : « Livres, manuscrits, médailles, musique. Caractères d’imprimerie de langues orientales. Les sciences et les arts soutiennent et embellissent la liberté ». Enfin, la troisième et la plus importante division était celle des chars portant les chefs-d’œuvre de l’art dans leurs caisses : les Chevaux de Saint-Marc123 (œuvre placée ensuite au sommet de l’Arc

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Étienne-Jean Delécluze, Louis David, son école et son temps : Souvenirs par E.J. Delécluze, Paris, Didier, libraire éditeur, 1855, p. 205.

121 J. Godechot, La Grande Nation…, op. cit., p. 517.

122 Édouard Pommier, « La saisie des œuvres d’art », in La liberté en Italie (1796-1797), actes du colloque du centre d’études d’histoire de la défense, (Paris, Château de Vincennes, 7 juin 1996) Paris, CEHD-Le souvenir napoléonien, 1996. É.- J. Delécluze d’ajouter que cette cérémonie ramena « autant qu’il était possible, les cœurs français à la concorde par un sentiment commun, l’orgueil national », in Louis David…, op. cit., p. 205.

123 Le transfert à Paris des Chevaux de Saint-Marc fut - et est toujours - au cœur de polémiques : certains auteurs les élèvent au rang de symboles du « pillage de l’Italie » par Bonaparte. Or, ces chevaux dits de Saint-Marc