• Aucun résultat trouvé

L’image. Premières représentations iconographiques de Bonaparte

D. La consécration par l’allégorie

II. Fascination et émulation des artistes

Bonaparte découvrit ainsi les arts tandis qu’il forgeait ses premières armes en Italie. Il comprit rapidement l’importance de diffuser son image, de communiquer auprès du public français et italien ainsi que d’encourager la production d’estampes qui le mettaient en scène. Le général put aussi compter sur la fascination qu’il exerça auprès des artistes et qui décidèrent donc de le représenter selon leurs spécialités : par la peinture, la sculpture et les médailles. Le général rassembla en 1797 ces talents autour de sa personne dans ce que l’historiographie a nommé la « Cour de Mombello », du nom du palais occupé par Bonaparte à quelques lieux de Milan : ce fut l’apogée de la campagne d’Italie et le moment de la « consécration » par les arts du général.

A. La peinture

Les deux principaux peintres à fixer sur la toile ou le papier les traits de Bonaparte furent le Français Gros et le Milanais Appiani, quoiqu’ils ne fussent pas les seuls. Nous nous pencherons sur ses premières représentations de Bonaparte et analyserons les enjeux de ces premières représentations pour la carrière de celui-ci.

Premiers portraits de Bonaparte. Appiani et Gros

Le premier portrait de Bonaparte fut l’œuvre du peintre milanais Andrea Appiani. Il esquissa [croquis désormais perdu] les traits du général à son insu, quelques jours après son entrée à Milan du 15 mai 1796, puis il tira rapidement de son esquisse le Bonaparte après la bataille de Lodi73 (Planche 25). Le peintre peignit quatre portraits de Bonaparte, reflétant les évolutions majeures de son pouvoir : en général de l’armée d’Italie, en Premier consul, en président de la République italienne et enfin en roi d’Italie. Appiani peignit également quatre

73

Giovanni Battista Sannazzaro, « Per alcune incisioni derivate da Andrea Appiani : l’ « Apoteosi di Psiche », « Venus caressant l’Amour » e i ritratti napoleonici », in Rassegna di studi e di notizie, Vol. XVII, Anno XVII, Milano, castello Sforzesco, 1993 ; M. E. Tittoni, dir., 1796-1797, Da Montenotte..., op. cit. ; Gérard Hubert, « Primi ritratti italiani del generale Bonaparte. Ipotesi e realtà », in Salvatore Italia, a cura di, Ideologie e

patrimonio storico-culturale nell’età rivoluzionaria e napoleonica, Actes du colloque de Tolentino (Tolentino,

18-21 septembre 1997), Roma, Ministero per i beni culturali e le attività culturali, 2000, p. 79-85 ; Alain Pillepich, Milan, Capitale napoléonienne (1800-1814), Texte remanié de thèse, Paris, Lettrage distribution, 2001, p. 419; Fernando Mazzocca, Alessandro Morandotti, Enrico Colle, dir., Milano neoclassica, Milano, Longanesi & Cie, 2001, p. 49-51.

138 portraits de Joséphine qui faisaient pendant à ceux de son époux. Le Bonaparte après la bataille de Lodi présentait Bonaparte de trois-quarts, tenant de sa main droite un sabre sorti de son fourreau et la pointe au sol. Le général faisait face au « Génie ailé de la victoire française »74, qui, le pied posé sur un heaume, gravait les victoires de Montenotte, Millesimo, Dego et Ceva sur un bouclier. Celui-ci était appuyé à un palmier, massif, symbole de la victoire, qui se trouvait donc entre Bonaparte et le génie. À l’arrière-plan, l’on distinguait un pont traversé par des soldats qui était bien sûr celui de Lodi. L’action était ainsi placée à l’arrière-plan pour mettre en avant le jeune général victorieux, immortalisé par le « Génie ailé de la victoire française » dans cette composition mi-allégorique, mi-réaliste. F. Mazzocca a parlé d’un « transfert de la représentation du fait contemporain sur le territoire idéalisé de l’allégorie »75. Cette toile fut mentionnée le 9 juin 1796 par le journal milanais Corriere Milanese ossia il Cittadino Libero, ce qui prouvait à la fois l’antériorité de cette œuvre et l’espoir qu’inspirait Bonaparte aux patriotes italiens76. Quant à Joséphine, Appiani la peignit les bras chargé de fleurs (Planche 26), rendant hommage à Vénus, dans une villa décorée de plantes, de statues et de bas-reliefs avec la mer en arrière-plan. Ce tableau appaisé fut donc très certainement conçu pour compléter la représentation martiale de Bonaparte.

N’en déplût à Stendhal, Gros ne put commencer son travail qu’à partir de la fin de l’automne 179677. Néanmoins, le peintre français put - contrairement à Appiani qui en aurait conçu une certaine jalousie78 - obtenir des séances de pose avec Bonaparte par l’entremise de Joséphine. Ces séances furent d’ailleurs toutes relatives car Bonaparte, par impatience ou plutôt par volonté que ses portraits ne fussent pas parfaitement ressemblants, n’accorda que très peu de temps à Gros. Celui s’en plaignit en ces termes :

17 frimaire. — Je viens de commencer le portrait du général ; mais l’on ne peut même donner le nom de séance au peu de temps qu’il me donne. Je ne puis avoir le temps de choisir mes couleurs ; il faut que je me résigne à ne peindre que le caractère de sa physionomie, et après cela, de mon mieux, à y donner la tournure d’un portrait.79

74 Corriere Milanese ossia il Cittadino Libero, 9 juin 1796.

75

Fernando Mazzocca, « L’iconografia di Napoleone e della prima campagna d’Italia tra la realtà storica e la leggenda », in M. E. Tittoni, dir., 1796-1797, Da Montenotte..., op. cit., p. 49.

76 La description d’une peinture dans un journal était une chose « extraordinaire », comme le note G. Hubert dans « Primi ritratti italiani… », op. cit., p. 80.

77

Stendhal indique que Gros fut à Milan en mai 1796 dans La Chartreuse de Parme. La documentation actuelle prouve qu’il n’y était pas ; du reste il s’agit d’un roman. Stendhal, La Chartreuse de Parme, Paris, Folio Plus Classique, 2006 (1ère édition : 1839), p. 15 ; J.-B. Delestre, Gros et ses ouvrages…, op. cit., p. 31-35.

78 G.Hubert, « Primi ritratti… », op. cit., p. 80.

79

139 Gros aurait-il sublimé cette impatience de Bonaparte lors des séances de pose en énergie dans son tableau ? En tout cas, Bonaparte, au sujet des poses, aurait déclaré en 1800 à David qui lui demandait une deuxième séance pour son Bonaparte franchissant le Grand-Saint-Bernard :

Ce n’est pas l’exactitude des traits, un petit pois sur le nez qui font la ressemblance. C’est le caractère de la physionomie, ce qui l’anime qu’il faut peindre. […] Personne ne s’informe si les portraits des grands hommes sont ressemblants, il suffit que leur génie y vive80.

Gros tira néanmoins avec talent les traits caractéristiques de Bonaparte dans un dessin préparatoire (Planche 24) qui lui servit pour son Bonaparte au Pont d’Arcole. L’on retrouvait, dans son dessin, comme du reste dans sa composition finale et dans celle d’Appiani, le costume républicain, les cheveux longs coupés courts sur le front, le visage émacié, les traits acérés, les lèvres fines, le nez en bec d’aigle et le menton volontaire, autant de caractéristiques qui soulignaient dans la peinture le courage, l’opiniâtreté et l’autorité81. Les traits relativement semblables de Bonaparte selon ces deux peintres nous permettent aujourd’hui d’avoir une idée assez claire du visage de Bonaparte en 1796-1797 et d’identifier les « portraits fantaisistes ».

Ces premiers portraits, réalisés d’après nature par Gros et Appiani, servirent de modèles aux graveurs dès 1797-1798, nous l’avons vu plus haut. Ils servirent aussi aux compositions d’autres artistes qui voulurent représenter Bonaparte mais ne pouvaient ni obtenir de séances de pose, ni même seulement le voir.

Autres portraits « italiques »

Les succès militaires de Bonaparte attirèrent en effet à lui d’autres artistes désireux de le représenter. Si certains furent admis auprès de lui ou purent simplement le voir comme ce fut le cas d’Appiani, d’autres n’eurent pas ce privilège et se contentèrent de copier les images

ouvrages…, op. cit., p. 34.

80 Étienne-Jean Delécluze, Louis David, son école et son temps : Souvenirs par E.J. Delécluze, Paris, Didier, libraire éditeur, 1855, p. 232.

81

140 « d’après nature » (cette indication était un argument commercial pour les vendeurs de gravures) qu’avaient réalisées Gros et le peintre milanais.

G. Sannazzaro et A. Pillepich ont recensé un certain nombre de gravures inspirées d’Appiani, comme le portrait donné par Alix, gravé à Paris chez Drouhin82. Il est vrai que la ressemblance du visage est frappante avec le Bonaparte après la bataille de Lodi d’Appiani. Hennequin s’inspira aussi du peintre milanais : comme l’a souligné A. Pillepich, Hennequin reprit les traits de Bonaparte dessiné par Appiani83 dans un de ses portraits du général [auj. disparu, ce portrait appartint à Visconti] pour livrer un portrait équestre (Planche 27) dans un style mêlant encore une fois les styles d’Ancien Régime et de la Révolution. La légende sous l’estampe indiquait bien l’origine du portrait : « le portrait d’après le tableau original peint d’après nature, à Milan par le cit. Appiani appartenant au C. Visconti Ambassadeur de la République Cisalpine près la République Française ». Ce dessin connut un tel succès qu’il fut gravé à plusieurs reprises pendant au moins sept ans84.

Aux portraits d’Appiani et de Gros, il faut aussi ajouter les réalisations d’autres artistes en Italie85 qui confirmèrent les traits que ces premiers avaient donnés au général en chef. Néanmoins les datations des œuvres de Bacler d’Abe, Guérin, Vernet ou encore Lafitte sont difficiles à estimer, d’autant qu’ils s’inspirèrent parfois des modèles donnés par Gros et Appiani. Bacler d’Albe, qui connut Bonaparte lors du siège de Toulon, mit, à l’instar de son collègue cartographe Carle Vernet, son « propre talent de paysagiste ou de peintre de bataille au service du héros naissant »86. Quoique ses meilleures réalisations furent dans les vues de bataille comme le souligne C. Cannelli87, il donna un portrait de Bonaparte (voir M. E. Tittoni, dir., 1796-1797, Da Montenotte..., op. cit., p. 67) lors de la campagne d’Italie, portrait qui ressemblait fortement à celui d’Appiani. Nommé par Bonaparte au bureau topographique, Bacler d’Albe eut la responsabilité d’établir une carte intégrale de la péninsule italienne (qui n’existait pas encore), ouvrage utile militairement au général en chef, mais qui le célébrait

82 L’estampe est citée par A. Bertarelli, Iconografia napoleonica…, op. cit., p. 27 ; G. B. Sannazzaro, « Per alcune incisioni… », op. cit., p. 285-286 ; A. Jourdan, Napoléon, héros..., op. cit., p. 200 et A. Pillepich, Milan...,

op. cit., p. 420. A noter que les deux premiers auteurs datent l’estampe de 1796 et que les deux derniers estiment

sa réalisation à l’année 1798. Nous pourrions l’expliquer par le fait que l’estampe fût peut-être gravée à Milan en 1796, puis à Paris en 1798.

83 A. Pillepich, « Appiani », in Jean Tulard, Dictionnaire Napoléon, Paris, Fayard, nouvelle édition revue et augmentée, 1999, 2 tomes (1989) ; A. Pillepich, Milan..., op. cit., p. 419.

84

Ibid., p. 419.

85 Voir notamment le catalogue d’exposition M. E. Tittoni, dir., 1796-1797, Da Montenotte..., op. cit..

86 C.-M. Bosséno, C. Dhoyen et M. Vovelle, Immagini della libertà…, op. cit., p. 10.

87 Cristina Cannelli, « 40. Louis Albert bacler d’Albe. Il generale Bonaparte », in M. E. Tittoni, dir., 1796-1797,

141 aussi en « offrant un monument à la gloire des conquérants de l’armée d’Italie »88. Quant à Vernet, comme Hennequin, il choisit de faire le portrait équestre de Bonaparte. Le visage du conquérant semblait un peu vieilli, à l’instar du portrait donné par Guérin en 1798. Le cas de Lafitte est lui-aussi très intéressant : il peignit le visage de Bonaparte (Planche 28) de face et non de trois-quarts, sous une forme très idéalisée ; en bas du dessin était inscrit « Lafitte 1796 ». Certes Lafitte était à Florence et aurait pu voir Bonaparte lors de son passage en mai, néanmoins l’idéalisation des traits et la ressemblance avec un portrait de Napoléon commandé en 1809 nous fait penser - il s’agit aussi de l’opinion de C. Cannelli89 - que Lafitte dessina ce portrait a posteriori, en 1809, et idéalisa donc les traits de Bonaparte pour rappeler sa jeunesse de 1796. Ainsi, cette date à côté de la signature ne signifierait pas la date d’exécution mais l’époque à laquelle le dessin fait référence : « Bonaparte en 1796 ».

Son portrait représenté par des peintres de talent, le prestige et la gloire naissante de Bonaparte furent renforcés, puisqu’il existait désormais des portraits réalistes. Ces dessins et peintures « italiques » se diffusèrent dans la péninsule et surtout en France par l’estampe. Alors, les graveurs disposèrent de portraits « d’après nature » du général victorieux : ils purent les copier. Ces copies servirent à la fois les vendeurs de gravures, pour qui une image réaliste était un argument de vente certain et Bonaparte, qui ne put que se féliciter qu’à son nom répandu par la presse, s’associât enfin un visage. Mais les peintres ne furent pas les seuls artistes qui « se mirent à contribution » pour la gloire de Bonaparte. Les sculpteurs ne furent pas en reste.

B. La sculpture

Certains bustes de Bonaparte auraient été moulés après la journée du 13 vendémiaire an IV, néanmoins, il n’existe aucune preuve tangible de la réalisation de tels bustes. Il fallut attendre la campagne d’Italie pour que Bonaparte fût représenté dans le marbre. De telles œuvres furent déjà signés des maîtres de l’époque : Ceracchi, Boizot et Corbet.

88

Giulia Gorgone, a cura di, Carte d’Italie. La prima campagna d’Italia di Napoleone Bonaparte nella carta

geografica di Bacler d’Albe, catalogue d’exposition (Roma, Museo Napoleonico, 20 avril 2012 – 13 janvier

2013), Roma, Palombi e Partner Srl, 2012, p. 17-18.

89 C. Cannelli, « 41. Louis Lafitte. Il generale Bonaparte », in M. E. Tittoni, dir., 1796-1797, Da Montenotte...,

142 Ceracchi : de l’admiration à la guillotine

Républicain passionné, le sculpteur romain - et futur comploteur contre Bonaparte lors de la conspiration des poignards de 1801 - Giuseppe Ceracchi (1751-1801) s’intéressa à Bonaparte, qu’il voyait alors comme le général proche des jacobins. Peut-être le rencontra-t-il en juillet 1795 : le sculpteur, de retour des États-Unis, se trouvait effectivement à Paris et militait pour une intervention française en Italie. Entre sa nomination à la tête de l’armée d’Italie (14 ventôse an IV) et son départ pour Nice (le 23 du même mois), Bonaparte prit le temps de se marier à Joséphine - cela est bien connu - et il aurait aussi rencontré Ceracchi lors d’un repas, à l’issue duquel ce dernier aurait eu le temps de faire une ébauche du jeune général90. Ceracchi se rendit ensuite à Milan en octobre 1796 afin de modeler un buste de Bonaparte, avant de repartir de nouveau pour Paris, puis pour Milan et Rome dès le printemps 1797. Ce premier buste du général en chef est aujourd’hui disparu, quoique des copies se réclamant de se buste nous soient parvenues. En effet, le buste terminé, Ceracchi en envoya des moulages à Paris qui auraient inspiré Boizot91 ; les plâtres ne survécurent pas au XIXe siècle. Il nous reste deux copies en marbre exécutées d’après ce premier buste disparu et une gravure. Les deux marbres ne furent vraisemblablement pas réalisés par Ceracchi qui s’attela rapidement à un autre buste de Bonaparte de plus grande taille et à l’antique ; ces deux bustes nous donnent tout de même une idée de l’original.

Le premier marbre appartient à la Fondation du palais Coronini-Cronberg à Gorizia (Planche 29). Il est aisé de reconnaître le Bonaparte des toiles de Gros et d’Appiani : vêtu d’un uniforme droit, il portait les cheveux sont longs, noués sur le cou et coupés sur le front, le visage était mince, les joues creuses, les pommettes, le nez et le menton étaient forts, les lèvres finement dessinées. Néanmoins, l’ensemble laissait apparaître une mélancolie, voire une certaine « mollesse », qui contredisait à la fois le général peint par Gros et Appiani, ainsi que - surtout - les précédents travaux de Ceracchi : F. Mazzocca a qualifié cette œuvre de « derivazione »92. Cependant, Bonaparte en Italie ne fut pas uniquement un général triomphant : il était aussi profondément amoureux de Joséphine qui, malgré les « lettres enflammées »93 de son mari, rechigna à le rejoindre et prit des amants, même en Italie,

90 C. Cannelli, « 35. Giuseppe Ceracchi. Il generale Bonaparte », in M. E. Tittoni, dir., 1796-1797, Da

Montenotte..., op. cit., p. 62.

91

G. Hubert et Guy Ledoux-Lebard, Napoléon, portraits contemporains, bustes et statues, Paris, Arthena, 1999, p. 19.

92 Cité par G. Hubert et G. Ledoux-Lebard, op. cit., p. 20.

93 L. Mascilli Migliorini, Napoléon…, op. cit., p. 86. Ces lettres de Bonaparte à Joséphine, qui commencèrent dès sa prise de commandement de l’armée d’Italie, sont bien connues et reproduites dans le premier tome de la

143 notamment en la personne d’Hyppolite Charles qui l’accompagna en Lombardie. « L’image publique projetée de Bonaparte - le jeune général confiant et victorieux qui balaie tout sur son chemin - ne pouvait pas être plus différente du sentiment d’insécurité qui caractérisait sa vie amoureuse »94, aussi Bonaparte fut-il également en proie à la mélancolie95 ; ce que figurait cette première reproduction du marbre de Ceracchi. D’autres marbres prétendaient reproduire l’œuvre de Ceracchi en 1800-1801, mais ils affublaient déjà Bonaparte de son uniforme de Consul. Le deuxième marbre qui revendiquait la paternité du modèle de Ceracchi se trouve à Strafield Saye dans la collection du duc de Wellington. Ce buste96 ressemblait fortement au précédent à la différence qu’une certaine détermination remplace la mélancolie, nous semblant ainsi plus conforme à l’image que souhaitait relayer Napoléon et à la manière de Ceracchi.

Le 6 vendémiaire an VI (27 septembre 1797), le Courrier de l’armée d’Italie mentionna aussi une esquisse en terre glaise d’un groupe sculpté en l’honneur de l’armée d’Italie, rendant en fait hommage à Bonaparte. Le groupe était décrit ainsi :

Esquisse d’un monument exécuté en terre glaise en l’honneur de l’armée d’Italie, par Joseph Ceracchi, sculpteur romain.

Monté sur un superbe coursier, au sommet des Alpes rhétiennes, Bonaparte accepte d’une main la paix que lui demande l’Autriche, et de l’autre il ordonne au char triomphal de son armée de s’arrêter dans sa course irrésistible. On remarque sous les pieds du coursier un serpent à trois têtes qui se replie en vain, symbole de l’aristocratie, de la théocratie et du royalisme.

Sur ce char, traîné par deux lions que guide la victoire, on voit un vigoureux athlète, dans une attitude martiale, qui représente l’armée des invincibles.

L’Autriche accueillant sur son sein le génie de l’Empire qui vient cacher sa défaite et sa honte, s’appuie sur le Danube effrayé ; elle porte dans tous ses traits l’empreinte du désespoir ; et d’une main tremblante, elle présente l’olivier au Général qui doit décider de son sort.

La majestueuse liberté foulant aux pieds le lion vénitien, et marchant à la suite du char de la victoire, reçoit sous son manteau les peuples qui ont brisé le joug de l’esclavage.

Correspondance générale. On consultera par exemple les lettres du 30 mars 1796 (n° 439), 11 juin 1796 (n° 677)

ou encore du 28 novembre 1796 (n° 1085).

94 P. Dwyer, Napoleon…, op. cit., p. 264.

95

S. Béraud de noter que « le désespoir de Bonaparte est sincère et ne relève pas seulement de l’outrance épistolaire. […] Cette excitation sentimentale ou état d’hyperesthésie ne porte pas préjudice à sa conduite des opérations militaires. Comme toute forme de stress, elle contribue au contraire à aiguiser ses facultés intellectuelles » S. Béraud, op. cit., p. 34.

96

144

Cette esquisse est déposée chez le citoyen Appiani, à Milan. Ceracchi est allé au quartier général, pour proposer au Général en chef l’exécution en marbre de ce monument. Nous espérons qu’il y consentira. Le talent de l’artiste répond de la beauté de l’ouvrage.97

Jacobin engagé, Ceracchi prit part, parallèlement à ses sculptures, aux mouvements révolutionnaires qui secouèrent la péninsule après l’arrivée des Français. Il s’engagea en effet contre le gouvernement pontifical et participa à l’éphémère république romaine de 1798, puis à celle de Naples (dite parthénopéenne) en 1799. Entre temps, il travailla également à un buste de plus grande taille et inspiré de l’Antiquité, représentant les traits de Bonaparte. La chute de la République romaine, puis son incarcération et son exécution suite à sa participation à la conspiration des poignards, l’empêcha de terminer ce buste. En 1801, le ministre plénipotentiaire à Rome, François Cacault, acheta à la veuve de Ceracchi l’ébauche du buste de Bonaparte et en confia l’achèvement au romain Francesco-Massimiliano Laboureur. Celui-ci, après qu’il eut achevé l’œuvre de Ceracchi [aujourd’hui disparue], sculpta un Bonaparte Premier consul de style antique (Planche 30). Quoique ce buste soit postérieur à la période