• Aucun résultat trouvé

La plume. Des proclamations à l’armée aux journaux pour la France

B. Le Courrier de l’armée d’Italie

Le plus fameux d’entre les journaux créés par Bonaparte fut Le Courrier de l’armée d’Italie, par une société de Français républicains, publié pour la première fois le 20 juillet 1797. Un mois et demi après, le 4 septembre 1797, le titre changea pour devenir Le Courrier de l’armée d’Italie ou le patriote français à Milan, par une société de républicains afin d’éviter la confusion avec un journal imprimé à Marseille, dénommé Courrier d’Italie

67 Nicolas Machiavel, Le Prince, Traduction d’Yves Lévy, Paris, Flammarion, 1992 (1ère éd. 1532), p. 134-135.

68 Les déprédations de Masséna furent telles que certains transformèrent son surnom : « l’enfant chéri de la Victoire » en « enfant pourri de la Victoire ».

69

79 « qu’on en assure n’être pas à-beaucoup-près écrit dans le sens républicain »70. L’existence d’un journal propre à une armée était une pratique courante sous la Révolution. L’usage qu’en fit Bonaparte l’était moins : il transforma ce journal pour gagner un autre public : les Français qui n’étaient pas dans son armée. Le Courrier fut donc transformé pour répondre à cet objectif : il fallait que le journal militaire portât en France la voix de son général.

Un journal pour l’armée

Des journaux spécifiques aux armées (journaux militaires) apparurent dès la fin du XVIIIe siècle. Ils étaient destinés aux officiers plutôt qu’aux soldats, tant que ces derniers ne furent pas considérés comme des citoyens. Les guerres de la Révolution changèrent la donne : il fallait informer et convaincre les citoyens, y compris ceux qui servaient aux armées. De plus, on assista en 1792 et surtout 1793 à la naissance de journaux d’armées, qui furent le fait de généraux ou de représentants en mission. Ces journaux d’armées s’adressèrent aux soldats et aussi aux civils. En 1792, nommé à la tête de l’armée du Nord, Dumouriez « hérita » de L’Ami Jacques ou Argus du département du Nord et de l’armée du Nord rédigé par François Melletier, un de ses proches. Ce journal défendit à la fois une politique modérée, tout en s’en prenant aux aristocrates et aux prêtres réfractaires et en s’opposant à la monarchie constitutionnelle. Surtout, le journal multiplia les comptes-rendus élogieux, sinon flagorneurs, à l’égard de l’action militaire de Dumouriez dont il publia les textes, même lorsqu’ils furent contraires aux décisions de Convention. Le général avait créé un outil de propagande pour son armée, qui était si diffusé en son sein que Carnot établit à proximité de l’armée du Nord une imprimerie ambulante chargée de diffuser des journaux favorables à la Convention.

Cependant, Dumouriez fut défait à la bataille de Neerwinden (18 mars 1793) puis il arrêta le 1er avril le ministre de la Guerre Beurnonville et les commissaires de la Convention. Hors-la-loi, ces troupes refusant de marcher sur Paris, il passa à l’ennemi. Dès 1793, de nombreux journaux d’armée furent créés, mais le gouvernement les faisait passer sous son autorité craignant que les généraux s’en servissent pour soulever contre lui les soldats. En 1793, certains représentants en mission, à l’instar de Tallien, créèrent des journaux pour les armées dans lesquels ils célébraient la nation. Celle-ci, ainsi que l’unité des Français, étaient d’ailleurs symbolisés par le représentant du peuple lui-même qui combattait au milieu de la troupe. En l’absence de tels journaux, certains militaires distribuèrent à leurs hommes des

70 Le Courrier de l’armée d’Italie ou le patriote français à Milan, par une société de républicains [ci-après, simplement Le Courrier de l’armée d’Italie], n°24, 18 fructidor an V (4 septembre 1797).

80 journaux républicains pour soutenir le moral de leurs hommes. Ainsi Bonaparte vit Dugommier faire distribuer Le Journal républicain de Marseille durant le siège de Toulon71. De manière générale, le gouvernement envoya aux armées des journaux qui lui étaient favorables. Le Directoire ne fut pas en reste, quoiqu’il peina à faire entendre sa voix, bien faible, entre les jacobins et les royalistes. Préparant le 9 thermidor an II (27 juillet 1794, chute de Robespierre), Carnot fit publier pour les troupes La soirée des Camps. Dans le même temps, les journaux parisiens ne furent plus envoyés à la troupe, plus par crainte des réactions des soldats-citoyens que par mesure d’économie. La soirée des Camps devait remplir seule le rôle d’information des soldats, ce qui ouvrit, selon J.-P. Bertaud, la voie à Bonaparte et ses journaux72.

Les journaux pour les armées, sous la Révolution, devaient à la fois entretenir le moral des soldats et relayer la politique du gouvernement. Ainsi, en janvier 1793, le ministre Pache ordonna que le Bulletin de la Convention fût distribué aux armées « en même temps et par les mêmes préposés qui sont chargés des subsistances [...] La distribution du Bulletin et celle des subsistances [...] sont nécessaires pour des républicains dont tous les mouvements sont guidés par l’âme »73. Il faut certainement y voir l’apprentissage de la démocratie, plutôt que du « bourrage de crâne », car les gouvernements envoyèrent aux armées de nombreux titres de tendances relativement différentes, souvent critiques les uns envers les autres. Après la chute de Robespierre, Carnot avait créé La soirée des Camps, qui plagiait le style du Père Duchesne d’Hébert (disparu avec son rédacteur en mars 1794). La soirée des Camps mettait en scène un vétéran, Va-de-Bon-Cœur, qui s’adressait aux soldats pour les informer avec un style familier, tout en célébrant les vertus militaires : courageux, joyeux quand il charge... Il défendait aussi la politique directoriale. Pour Carnot, les soldats n’étaient plus des citoyens qui devaient prendre part aux débats, à la vie politique ; on les informait seulement des faits selon la vision du gouvernement. Enfin, Hoche créa en janvier 1795, soit peu après son arrivée à la tête des armées de l’Ouest, le Journal militaire des armées des côtes de Brest, de Cherbourg et de l’Ouest. Ce journal servit, selon M. Martin, à relayer la parole du général, « à combattre

71 P. Dwyer, op. cit., p. 306.

72 Jean-Paul Bertaud, La presse et le pouvoir, de Louis XIV à Napoléon Ier, Paris, Perrin, 2000, p 204. Concernant l’histoire et l’analyse de la presse révolutionnaire et impériale (notamment la presse militaire), outre l’ouvrage cité de Bertaud, voir aussi Marc Martin, Les Origines de la presse militaire en France : 1770-1799, Vincennes, État-major de l’armée de terre, Service historique, 1975 ; André Cabanis, La Presse sous le Consulat

et l’Empire [Texte imprimé] : 1799-1814, Paris, Société des études robespierristes, 1975 ; Jeremy Popkin, Revolutionary news, The Press in France, 1789-1799, London, Duke University Press, 1990 ; Elisabetta Casula, Journal et pouvoir. Le Courrier de l’armée d’Italie ou le Patriote Français à Milan par une société de Républicains, Mémoire pour l’obtention du DEA, sous la direction de Denis Woronoff, Paris, Université de Paris

I Panthéon-Sorbonne, 2000.

73

81 l’effritement des positions républicaines à la fois dans l’armée, où se multipliaient les désertions, et dans les administrations locales auxquelles le journal s’adressait également »74. C’était un journal républicain émanant du général en chef ; Bonaparte en fut le continuateur.

Les soldats de l’armée d’Italie, avant l’arrivée de Bonaparte, recevaient-ils encore ces journaux ? Cela est peu probable, et s’il y en eut, la diffusion devait être faible, puisque le Directoire n’avait même pas de quoi les nourrir. En revanche, Nice étant devenu le refuge de nombreux exilés italiens jacobins (révolutionnaires), l’un d’eux, Ranza, créa avec le soutien des autorités françaises, et ce dès 1793, son journal : Il Monitore Italiano. Ce papier diffusait les idées de son créateur, de fausses informations pour désorienter l’ennemi et exhortait l’Italie à se libérer75. Néanmoins, la rhétorique utilisée était trop pesante ; les foules ne pouvaient être touchées par les références romaines et grecques qui émaillaient les articles. Au moins le journal intéressa-t-il certains patriotes et affaiblit-il par la désinformation les Piémontais et les Autrichiens76. D’ailleurs l’arrivée de l’armée de Bonaparte en Italie stimula fortement les journaux et publications périodiques italienne : les jacobins s’en servirent pour diffuser leurs idées, comme nous le verrons dans le chapitre 3.

Pour l’armée, Bonaparte avait donc le champ libre. Avec ses victoires et le butin qu’il tira de sa conquête, après qu’il eut écarté les commissaires du Directoire, le général en chef de l’armée d’Italie bénéficia enfin de larges moyens. Il reprit donc l’idée de faire un journal pour son armée afin de maintenir le moral de ses soldats en terre étrangère, de les informer des nouvelles de France et il en profita pour se mettre en scène. Célébrer sa gloire par un journal était de fait un moyen relativement peu dispendieux et très efficace. Il nous semble aussi que cette manière de célébration eut plus d’impact que les proclamations que Bonaparte fit aux armées dans un premier temps. Cela tenait à deux aspects : d’une part, Bonaparte était l’auteur des proclamations et connu comme tel : cela affaiblissait tout message d’autocélébration ; d’autre part, la périodicité des journaux et le fait qu’ils fussent écrits par des tiers (bien que stipendiés) rendait la célébration plus crédible. Bonaparte lança donc le Courrier de l’armée d’Italie le 20 juillet 1797. C’était reprendre ce qu’avaient fait d’autres généraux comme Dumouriez, Dugommier ou encore Hoche, avec la différence significative que le pouvoir parisien était plus éloigné, peu populaire (car sa corruption était connue), plus faible surtout et que les nouvelles françaises n’arrivaient qu’avec retard en Lombardie. En outre, Bonaparte

74

M. Martin, Les Origines..., op. cit., p. 175.

75 Gilles Candela, L’armée d’Italie. Des missionnaires armés à la naissance de la guerre napoléonienne, Texte remanié de thèse, Rennes, PUR, Coll. Histoire, 2011, p. 132-139.

76 Cette désinformation, associée à la « guerre subversive », joua un rôle certain sur les défaites austro-sardes. G. Candela, op. cit., chapitres 4 et 10.

82 donna des ordres le 14 juillet 1797 pour que les journaux royalistes français ne pussent circuler à Milan et dans l’armée77, quoique ce fut aussi une réponse aux attaques que cette presse lançait contre lui. Pour le général en chef, ces journaux « port[aient] le découragement dans l’armée, excit[aient] les soldats à la désertion, diminu[aient] l’énergie pour la cause de la liberté »78. Bonaparte écrivit le lendemain au Directoire pour lui demander de cesser l’envoi de journaux royalistes qui outrageaient l’armée et son commandement79. Alors la voix du général en chef fut, sinon la seule, du moins la principale à disposer d’un moyen d’expression auprès des soldats de l’armée d’Italie. Cela « contribua à renforcer la dévotion des hommes envers leur commandant »80. Bonaparte put donc mettre en scène sa propre célébration, tout en prenant un ton jacobin, qui correspondit tout à fait aux convictions de l’armée et relativement à celles de Bonaparte à cette époque.

Contenu et direction du Courrier

Bonaparte aurait en fait voulu créer un journal pour son armée bien avant le 20 juillet 1797. Selon M. Martin, il y aurait pensé juste après Lodi et demanda la permission au Directoire qui refusa81. Il fallut alors attendre la fin de germinal an V (avril 1797) pour que Bonaparte fît paraître deux numéros au moins - aujourd’hui perdus - d’un Courrier extraordinaire de l’armée d’Italie qui annonça la signature des préliminaires de Leoben82. Ces deux numéros furent certainement des intermédiaires entre les proclamations de Bonaparte à son armée et le Courrier de l’armée d’Italie. En juin 1797, le général en chef aurait alors une nouvelle fois demandé au Directoire de créer un journal83 et, malgré un refus, il créa le Courrier de l’armée d’Italie le 20 juillet suivant. Le journal fut un succès, puisqu’il compta 248 numéros, du 20 juillet 1797 au 2 décembre 1798, soit un an après le retour de Bonaparte en France.

77 M. Martin, Les Origines..., op. cit., p. 342-343.

78 Lettre de Bonaparte au général Berthier, Chef de l’état-major général de l’armée d’Italie, Milan, 26 messidor an V [14 juillet 1797], Correspondance générale, n°1783.

79

Lettre de Bonaparte au Directoire exécutif, Milan, 27 messidor an V [15 juillet 1797], Correspondance

générale, n°1785.

80 Nicola Raponi, Il mito di Bonaparte in Italia. Atteggiamenti della società milanese e reazioni nello stato

romano, Roma, Carocci, 2005, p. 31.

81

Claude Bellanger, Jacques Godechot, Pierre Guiral, et Fernand Terrou, Histoire Générale de la Presse

Française, Vol. 1, Paris, Presses Universitaires de France, 1969, p. 541-542 et M. Martin, Les Origines..., op. cit., p. 341.

82 M. Martin, Les Origines..., op. cit., p. 341.

83

83 Le journal sortit avec régularité tous les deux jours, régularité qui le distingua des autres journaux militaires jusque-là édités. L’impression, le papier et la mise en page étaient en général de qualité, mais sa gratuité pour les soldats et son contenu célébrant leurs exploits ainsi que ceux de leur général facilita une importante diffusion. En effet, bien qu’il eût un prix de vente, le journal fut distribué gratuitement aux lecteurs français et italiens (plutôt la haute société) jusqu’au 21 novembre 1797. C’était pour le général un moyen de faire sa promotion de manière habile, et l’on voit bien l’importance pour Bonaparte de disposer de fonds pour lancer cette communication. Quant aux soldats, ils continuèrent d’en bénéficier gratuitement jusqu’au 18 février 1798, puisque ce ne fut qu’à partir de cette date que le journal évoqua le prix de vente aux armées, date à laquelle Bonaparte était déjà rentré en France. Bonaparte renforça ainsi, par ces distributions, la cohésion de l’armée et la fidélisa à son chef.

En tant que « patron »84 du journal, Bonaparte choisit le directeur de rédaction. Il s’agissait de Marc-Antoine Jullien85, ancien jacobin, un temps proche des Babouvistes. Son appartenance politique correspondit bien aux aspirations de l’armée dont il devait être, par la voix du Courrier, le porte-parole. Bonaparte lui fixa ainsi l’orientation à prendre:

Rallier tous les amis de la Révolution ; exprimer avec énergie l’opinion prononcée des soldats qui sont aussi citoyens ; attaquer [le club royaliste] de Clichy, le cabinet autrichien, point central des contre-révolutionnaires ; ne point parler de religion ; associer les autres armées et celle de l’Intérieur aux sentiments de l’armée d’Italie.86

Âgé de seulement 22 ans, Jullien avait déjà une belle expérience politique et journalistique. Après qu’il eut demandé la protection de Bonaparte, celui-ci lui trouva une place auprès de la Légion lombarde, avant de le nommer rédacteur du Courrier. Néanmoins, les deux hommes étaient très différents. Ils se rejoignaient sur la nécessité de lutter contre les royalistes - formant une partie du club de Clichy87 - et la nécessité de la concorde nationale. « L’introduction servant de prospectus », reproduite en Annexe 2, du premier numéro du

84

J.-P. Bertaud, La presse et le pouvoir..., op. cit., p. 204.

85 Marc-Antoine Jullien, dit Jullien de Paris, a intéressé nombre d’historiens, notamment pour son parcours qui traversa la Révolution, l’Empire et la Restauration. Voir notamment Robert Palmer, From jacobin to Liberal:

Marc-Antoine Jullien, 1775-1848, Princeton, Princeton University Press, 1994 ; Eugenio Di Rienzo, Marc-Antoine Jullien de Paris (1789-1848). Une biographie politique, Napoli, Guida Editori, 1999.

86 J.-P. Bertaud, La presse et le pouvoir..., op. cit., p. 204.

87 Le Club de Clichy, du nom de la rue dans laquelle ses membres (les Clichyens) tenaient leurs assemblées, regroupait plusieurs tendances de « droite ». Ces tendances allaient des républicains modérés aux partisans intransigeants d’une restauration de la royauté, d’où une forte hétérogénéité de ce groupe.

84 Courrier résumait les points d’accord et d’intérêt entre les deux hommes88. Néanmoins, ils s’opposaient sur des idées importantes comme la question italienne. Alors que Jullien était favorable à l’unité italienne, Bonaparte ne voulait (ou plutôt ne pouvait) pas la promouvoir. La paix de Campoformio marqua la rupture entre les deux hommes, Jullien exprimant son désaccord par le silence : il fit mention de la signature dans le Courrier seulement le 14 brumaire an VI (4 novembre 1797), soit deux semaines après la ratification (27 vendémiaire soit 18 octobre) et après que La France vue de l’armée d’Italie (l’autre journal de Bonaparte, paraissant en France) l’eut déjà annoncé. Jullien quitta peu de temps après l’armée d’Italie et laissa la place de rédacteur à Joseph Villetard.

Ce dernier se fera connaître plus tard par quelques tragédies et des traductions d’ouvrages anglais. Villetard n’avait que 26 ans lorsqu’il prit la direction du journal, le 20 novembre 1797. Cela coïncida aussi avec le départ de Bonaparte de Milan pour le congrès de Rastadt. Le nouveau rédacteur assuma sa fonction jusqu’au 19 janvier 1798, en restant toujours fidèle aux opinions républicaines. Villetard avait connu Bonaparte au printemps 1797 : il aurait, par ses encouragements et ses interventions, favorisé les soulèvements de mai 1797 qui renversèrent le gouvernement aristocratique vénitien89. Contrairement à Jullien, le nouveau rédacteur se montra plus docile aux ordres de Bonaparte, et organisa le journal en rubriques plus claires, ce qui lui faisait alors défaut.

Évolution des contenus du Courrier sous les directions de Jullien, Villetard et Perrot

Le contenu du Courrier varia selon les directeurs, témoignant ainsi de leur préoccupations. Nous avons donc souhaité comparer l’évolution du contenu du journal durant le Triennio, en nous appuyant sur l’étude d’E. Casula, sur une redéfinition des rubriques et sur des sondages que nous avons effectué dans la publication. Les résultats sont présentés en Figure 2.

Jullien se focalisa sur la France (60% de la surface du journal) et l’armée d’Italie (16%), quand les nouvelles italiennes (13%) était relativement laissées de côté. Au contraire, Villetard porta son attention principalement sur la République cisalpine naissante (50% de la surface), les nouvelles de France ne constituèrent plus que 23%. Il ne traita plus de l’armée d’Italie dans la mesure où les opérations militaires étaient finies. Emergèrent aussi les nouvelles de l’étranger (passant de 4% à 9%), ainsi que la rubrique variété (18%) qui

88 E. Casula, Journal et pouvoir..., op. cit., p. 65.

89

85 commentait les nouvelles de France, d’Italie, d’Europe et l’expression d’opinions. Pourquoi une telle place de l’Italie ? C’est que Bonaparte signait la paix et avait chargé son journal de la justifier, tout en légitimant cette nouvelle république qu’il avait créée contre les vœux du Directoire. Le journaliste (et il s’agit peut-être de Bonaparte lui-même, nous manquons d’éléments pour l’identifier) s’adressait plus aux Cisalpins qu’aux soldats français dans cet article du numéro 64 (24 novembre 1797) :

Après avoir conquis au Peuple Cisalpin une Patrie, dicté une Constitution, élu des Magistrats, formé des Défenseurs, Bonaparte repasse les Alpes, emportant avec lui, comme Lycurgue, le serment que lui fit la nation qu’il a créée libre, d’obéir religieusement à ces Lois. Sortie pour ainsi dire de sa Minorité, elle va jouir du patrimoine sacré de la nature, récupéré pendant sa tutelle sur d’igniques [sic.] usurpateurs.90

Sans doute Bonaparte demanda-t-il à Villetard d’accorder une grande place à la Cisalpine dans son journal pour légitimer sa récente formation.

Le 19 janvier 1798, alors que Bonaparte était rentré en France, la direction passa à Perrot, après que le Courrier eut réaffirmé son attachement aux principes républicains. On ne sait rien de lui sinon qu’il avait signé auparavant quelques articles sous la direction de Jullien et Villetard de ses initiales : J.P. et qu’il italianisa son nom en Pero. M. Martin souligne qu’il n’était pas militaire, se piquait de poésie et se montrait hostile aux émigrés, aux royalistes et au clergé91. Perrot dirigea donc le Courrier du 19 janvier 1798 au 2 décembre 1798, reprenant l’organisation de Villetard, en augmentant de nouveau la place de la France dans ses colonnes (44%), devant la République cisalpine (23%), les nouvelles étrangères (17%) et les variétés (16%). Cette place prépondérante de la France dans les articles était bien compréhensible pour un journal qui s’adressait d’abord aux militaires français occupant le nord de l’Italie. L’on pourrait expliquer la « parenthèse » Villetard, mise en relief dans la Figure 2 par le besoin de légitimation de la cisalpine, nouvelle et fragile création de Bonaparte en Italie, que le général imposait à l’Europe et qu’il voulait faire reconnaître lors des ultimes négociations de paix,