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PARTIE III – LES BESOINS EN FINANCEMENT DES ETI : UN SOUTIEN AU

Chapitre 1. Le diagnostic d’un equity gap au fondement des fonds ETI

2. Fondements théoriques de l’equity gap

Une littérature relativement peu abondante

La notion d’equity gap appartient au courant de recherches plus large sur les « finance gap ». L’enjeu des recherches théoriques sur l’equity gap est principalement d’en comprendre les causes. Ses effets délétères ne sont pas traités directement mais rejoignent a priori la littérature sur les contraintes financières. Celle-ci partage l’idée que les entreprises innovantes seraient plus contraintes financièrement, cet effet étant plus prononcé dans les PME (Levratto 1994, Belze and Gauthier 2000, Belletante, Levratto et al. 2001, Savignac 2006, Czarnitzki and Hottenrott 2011, Hottenrott and Peters 2012, Carvalho 2018). Vu l’unanimité du constat, nous ne l’approfondirons pas ici.

Contrairement à l’abondante littérature sur les funding gaps (ou debt gap) concernant spécifiquement le marché de la dette, il existe très peu d’articles théoriques sur l’equity gap publiés dans des revues académiques (Cumming and Cressy 2012, Wilson, Wright et al. 2018). Ce phénomène s’y retrouve alternativement sous le nom d’equity, funding, finance ou capital gap, certaines de ces termes renvoient alternativement à des lacunes d’une autre nature. La variété des termes employés appelle à mieux définir les ressorts de ces lacunes de financement en fonds propres. Sur la base de ces travaux académiques parcellaires et d’une littérature grise abondante, nous nous proposons de préciser une définition afin de cadrer la suite du propos.

Modèle de l’equity gap : une faille dans le marché des fonds propres

L’equity gap est définie dans la littérature, autant grise qu’académique, comme une lacune de financement en fonds propres.

On exclue la définition suivante qui incrimine la qualité intrinsèque de l’entreprise, incapable de fournir le retour sur investissement attendu :

« an equity gap exists if, given the cost of funds, small firms are unable to extend investment

to the point where the marginal internal rate of return on real investment equals the marginal cost of funds. This presumably results from poor management or other factors endogenous to the firm » (Stoll and Curley 1970).

L’equity gap se définit plutôt comme lacune de fonds propres résultat d’une faille de marché, exogène à l’entreprise. Cette faille de marché se caractérise de deux façons.

Soit par un manque de fonds disponibles à l’investissement, qui fait que des opérations d’investissement (deals) à rentabilité théorique positive sont délaissées.

- (Macmillan 1931) (p173) : « It has been represented to us that great difficulty is experienced

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time require, even when the security is perfectly sound. To provide adequate machinery for raising long-dated capital in amounts not sufficiently large for a public issue (…) always present difficulties. ».

- (Kennedy 1961) « It is declared to be the policy of the Congress and the purpose of this Act to

improve and stimulate the national economy in general and the small-business segment thereof in particular by establishing a program to stimulate and supplement the flow of private equity capital and long-term loan funds which small business concerns need for the sound financing of their business operations and for their growth, expansion, and modernization, and which are not available in adequate supply »

Soit, plus spécifiquement, parmi ces opérations à rentabilité positive, il existe des couples {risque, rendement} financés uniquement pour une partie des entreprises. En cause, l’imperfection des marchés (asymétrie d’information, manque d’outils d’évaluation adaptés) qui déforme artificiellement le couple {risque, rendement} perçu par l’investisseur :

- (Stoll and Curley 1970) « an equity gap exists if the cost of funds is greater for the small firm

than for larger firms of the same risk class. This reflects either a capital rationing or a systematic overestimate of risk and/or underestimate of return for small firms on the part of the public» (voir aussi (Stoll and Curley 1970))

- (Wilson, Wright et al. 2018) «The equity gap, the difference between the amount of (risk) capital

that would be invested under conditions of well-informed and competitive markets and the amount of capital actually invested, covers both startups and ventures moving beyond startup to the establishment and early growth phase. »

- (European Commission 2005) « In general, a financing gap refers to a situation where firms

that would merit financing cannot get it due to market imperfections. An example is the well- documented equity gap, the scarce provision of private equity investments in the early stage of a firm’s growth. The reasons for the equity gap are linked to the insufficient supply of funds and to inadequacies on the demand side»

- (Lawton 2002) « Harding (Harding 2000) argues that the gap derives from two sources: first,

a funding gap which is the result of the mismatch between perceived risk and perceived return on the part of investors; and second, a knowledge gap which is the result of imperfect information garnered by SMEs about the benefits of venture capital and about investment opportunities. »

Dans les deux cas, il s’agirait d’une difficulté d’accès aux fonds propres provoquée par l’incapacité des investisseurs à répondre à une demande pourtant légitime des entreprises.

Structure de capital théorique optimale du point de vue de l’entreprise : le capital- investissement comme dernier recours

Avant la question de l’equity gap, c’est-à-dire d’une difficulté d’accès aux fonds propres, se pose celle du besoin. Les travaux sur la structure de financement optimale de l’entreprise fournissent un cadre théorique qui vise à déterminer l’équilibre idéal entre les trois recours possibles au financement pour une entreprise privée, à savoir : l’autofinancement, l’émission de dette et l’augmentation de capital. Ces travaux portent alors l’ambition de mieux appréhender les conditions dans lesquelles l’entreprise choisit de faire appel à un financement en fonds propres. Dans la section suivante, nous nous attacherons à comprendre le socle théorique sur lequel repose ce corpus académique.

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En 1958, le théorème de Modigliani & Miller affirme qu’en monde parfait (i.e : marchés parfaits, absence d'impôts, de coûts de transaction, de coûts de faillite) il n'existe aucun lien entre la structure financière de l'entreprise et sa valeur , c’est-à-dire que la nature du financement n’a pas d’impact sur l’entreprise (Modigliani and Miller 1958). Le théorème repose sur une hypothèse d’arbitrage : deux actifs de mêmes caractéristiques doivent avoir le même rendement. Ce théorème évoluent avec les années et finalement plusieurs restrictions sont par la suite levées (Modigliani and Miller 1963). Par exemple, dans un monde avec impôt, l’entreprise est incitée à s’endetter pour se financer (effet du « levier de dette ») tandis que les coûts de faillites réduisent la valeur de l’entreprise endettée et favorisent plutôt un financement en capitaux propres. D’où un équilibre à assurer sur le niveau de dette et de capitaux propres.

Influencés par la théorie de l’agence et l’introduction de considérations sur l’information, les incitations et le contrôle dans l’optimisation de la structure financière, Donaldson (Donaldson 1961) puis Myers et Majluf (Myers 1984) développent la théorie du financement hiérarchisée (pecking

order theory). Selon cette théorie, les entreprises prioriseraient leur financement selon le coût de

celui-ci. Or ce dernier est croissant de l’asymétrie d’information. Par voie de conséquence, les entreprises se financeraient donc en priorité en mobilisant leurs ressources propres, par autofinancement donc, avant de s’atteler à chercher des financements externes.

Parmi ces ressources externes, il s’agit ensuite d’arbitrer entre celles qui proviennent de financement par la dette et fonds propres. L’émission de dette signalerait la confiance des dirigeants en la rentabilité d’un projet et, s’assortissant souvent de garanties, elle permettrait de réduire les coûts d’agence. De plus, un financement en fonds propres induit une dilution de l’actionnaire historique donc une perte de contrôle. Ces éléments participent à conclure sur une forme de hiérarchisation dans les modes de financement : une prédilection à l’autofinancement et à défaut la dette serait préférée à l’augmentation de capital par émission d’actions (Myers 1984, Myers and Majluf 1984).

Il convient néanmoins de souligner les limites du champ d’application de ces résultats. Aussi, par exemple le raisonnement ne s’applique pas aux industries où le coût de la dette est élevé à cause du manque d’actifs tangibles mobilisables comme collatéral - comme c’est majoritairement le cas des petites entreprises innovantes. Un vaste champ de recherche s’est ainsi intéressé aux relations entre nature des actifs et structure de financement (Williamson 1988, Coeurderoy 1997, Allegret and Dulbecco 1998). Ces études montrent notamment que face au risque associé à la petite entreprise innovante, l’investisseur, en tant que porteur du risque financier, aura tendance à plébisciter le financement sous forme d’une prise de participation en capital. En effet, cet investissement en fonds propre lui procure d’une part une capacité de contrôle renforcée, et par conséquent un contrôle du risque renforcé, et d’autre part une espérance de gain plus élevé en cas de succès. Cette double perspective laisse donc entrevoir un couple rentabilité-risque plus avantageux que celui lié au financement d’une créance (difficile à garantir donc au coût plus élevé). Aussi, si la théorie du financement hiérarchisée souligne la préférence des entreprises pour le financement externe par la dette devant celui en fonds propre. Un constat inverse s’établit du côté de l’investisseur. Cette analyse conduit certains observateurs à souligner le conflit probable de nature entre offre et demande de ressources financières que cette situation engendre. Par exemple aux US, Kennedy revient sur ce paradoxe en affirmant que :

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114 « an SBIC would be more interested in an equity (profit participating) position, whereas a

small business firm, receiving SBIC financial assistance, would prefer a straight term loan commitment (without ownership prerogatives and earnings dilution) » (Kennedy 1961).

Et en effet, la théorie du financement hiérarchisée a été beaucoup discutée, notamment face à la réalité empirique. Si certains chercheurs se sont attachées à confirmer les prédictions de cette théorie (e.g. (Cosh, Cumming et al. 2009)), d’autres en nuancent les domaines d’application. (Bulan, Yan et al. 2007) s’accordent par exemple sur le fait que les préférences de financement évoluent au cours du cycle de vie des entreprises et s’organisent selon deux critères : taille et maturité. Ces chercheurs montrent que si la théorie s’applique très bien aux entreprises grandes ou matures, elle faillit à rendre compte des observations sur les entreprises plus jeunes ou plus petites alors même qu’elles sont réputées souffrir plus de l’asymétrie d’information, hypothèse pourtant clé de la théorie (Gualandri and Venturelli 2008, La Rocca, La Rocca et al. 2011).

L’ETI innovante, par définition intermédiaire en termes de taille et plutôt mature, semble donc difficile à positionner dans ce cadre théorique. Ce cadre est tout de même intéressant à deux points de vue. D’une part, car il a fortement influencé la littérature théorique sur les contraintes financières qui fait l’hypothèse que les différents types de financement ne sont pas substituables et que certains types d’entreprise n’ont qu’une source de financement possible (Cumming and Cressy 2012). D’où la crainte renforcée qu’un equity gap puisse fortement endommager la croissance voire la survie des entreprises concernées (European Commission 2005). D’autre part, car il permet de noter qu’un des textes fondateurs de Myers et Majluf (Myers and Majluf 1984) insiste sur le domaine de validité des conclusions sur les préférences en termes de structure de capital. Les auteurs mentionnent explicitement l’hypothèse sous-jacente d’asymétrie d’information entre investisseurs et manageurs en faveur de ces derniers ; hypothèse implicitement admise dans une vaste majorité des écrits sur l’equity gap et au cœur des débats sur ses causes.

Impossibilité de financement par le marché boursier

Le rapport Macmillan dresse un premier état des lieux des causes de l’equity gap :

« The expense of a public issue is too great in proportion to the capital raised, and therefore

it is difficult to interest the ordinary investor by the usual method; the Investment Trust Companies do not look with any great favour on small issues which would have no issuing house tie up its funds in long-dated capital issues of which it cannot dispose. In general, therefore, these smaller capital issues are made through brokers or through some private channel among investors in the locality where the business is situated. This may often be the most satisfactory method. As we do not think that they could be handled as a general rule by a large concern of the character we have outlined above (…) » (p174) (Macmillan

1931).

Dans un contexte où le marché boursier est vu comme le moyen privilégié de financement par ressources externes, ce rapport souligne un obstacle majeur pour les petites entreprises : le prix trop élevé des émissions de titres. En premier lieu, le problème ne vient pas de leur petite taille en tant que telle mais des montants des transactions en jeu. En effet, il a été largement démontré que les coûts fixes d’investigation (due diligence, montage financier et juridique) avaient d’autant plus tendance à diminuer les retours sur investissement lorsque les montants levés étaient limités (Martin and Moore 1959, J. B. K 1968). Ces structures de coûts engendrent donc a priori un intérêt moindre

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des investisseurs financiers. Et de surcroit, dans l’hypothèse où l’émission aurait tout de même lieu, la faiblesse des montants émis laisserait la possibilité à des investisseurs d’acheter ou de vendre ces titres en grande quantité et donc d’affecter sensiblement le prix de transaction. Le titre serait donc peu liquide. Enfin, il est plus délicat d’intéresser et de mettre en confiance un ordinary investor avec une petite entreprise dont la réputation est supposée moindre. Par conséquent, pour compenser cette absence de liquidité et les risques financiers induit par le titre, ce dernier doit être proposé à un rendement assez élevé pour être attractif. C’est cet état de fait qui amène les rapporteurs à dresser une conclusion communément admise, celle de l’impossibilité d’un financement par les marchés des petites ou jeunes entreprises.

Causes des coûts plus élevé d’un financement en capital-investissement pour les entreprises innovantes : asymétrie d’information et risque exacerbés

De nombreux chercheurs considèrent l’equity gap comme étant provoqué par un phénomène d’asymétrie d’information exacerbé par certaines situations de financement (Jensen and Meckling 1976, Gualandri and Venturelli 2008, Wilson, Wright et al. 2018). L’asymétrie d’information provient principalement du fait, communément admis, que l’entrepreneur connait mieux son projet que le financier et ce, d’autant plus dans une entreprise innovante (i.e. meilleure connaissance de son environnement technologique et marché (Cumming and Johan 2013, Wilson, Wright et al. 2018)). Aussi, cette situation conduirait à un coût de financement par capitaux propres plus élevé pour certaines entreprises, notamment les plus jeunes, les plus petites ou encore les plus innovantes (Gualandri and Venturelli 2008).

En comparaison aux marchés boursiers, la faible liquidité est inhérente au secteur du capital- investissement. Cette dernière implique un risque plus élevé plus l’investisseur et motive à ce titre un besoin de sélection et de contrôle renforcés. L’accessibilité de l’information disponible est donc clé. Or dans le cas d’une entreprise jeune, petite ou innovante, le coût d’accès à l’information pour un investisseur externe est exacerbé par l’opacité de l’information (par exemple faute de diffusion de track-record). Les entrepreneurs sont donc incités à « signaler » la valeur de leur projet et leur engagement (Busenitz, Fiet et al. 2005).

En plus du problème d’asymétrie d’information, dans le cas spécifique de l’entreprise innovante, l’évaluation des taux de retour sur investissement est plus complexe et le résultat plus incertain. Le risque perçu par l’investisseur augmente, ce qui peut rendre le coût du financement prohibitif pour l’entreprise. Par ailleurs, lorsque les tickets sont de petite taille, on retrouve le problème de la disproportion des coûts fixes (de transaction et de gestion) qui restreint trop la rentabilité effective pour l’investisseur (Brown and Hewitt 2003).

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