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PARTIE III – LES BESOINS EN FINANCEMENT DES ETI : UN SOUTIEN AU

Chapitre 2. La thèse de l’equity gap invalidée empiriquement

2. Une demande en levée de fonds limitée ?

On se propose d’examiner plus en détail les besoins en capitaux propres des ETI françaises. Une première approche consiste à analyser la structure du passif des ETI pour estimer si celles-ci manquent structurellement de capitaux propres sur une période donnée. Une seconde approche passe par l’analyse de leurs opérations de financement ponctuelles.

24 Recensement des fonds impliqués dans 58 transactions sur des ETI (ETI encore au portefeuille de Bpifrance en 2015 et/ou en 2018 pour lesquelles les données nécessaires étaient disponibles). On compte 87 fonds impliqués (cash-out, cash-in et maintien confondus) dont 71 fonds co-investisseurs (cash-in uniquement : nouvel entrant ou ré-investissant). 19% 20% 20% 22% 25% 21% 23% 26% 0% 10% 20% 30% 40% 50% 60% 70% 80% 90% 100% 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017

Pourcentage d'ETI dans les opérations de capital-investissement sur des entreprises françaises

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Analyse de la demande structurelle

Un sondage de 2012 concluait que 23,7% des ETI estimaient leur niveau de capitaux propres insuffisants (Figure 14) (Banque de France 2012). Les enquêtes de conjoncture réalisées par sondage annuel auprès d’un panel d’ETI depuis cette date confirment ces données. En 2012, environ 20% des ETI estimaient qu’un manque de fonds propres constituait un frein important à leur développement. Néanmoins, ce taux a été réduit d’un quart en 2014 et s’avère relativement stable depuis. De plus, les sondages pointent que le manque en fonds propres n’est pas le principal frein au développement des ETI (Figure 15) (Bpifrance 2013-2018).

Figure 14: sondage auprès de 1206 ETI (sur 3 300 ayant une maison mère résidente en France) sur leur niveau de capitaux propres (Banque de France 2012)

Contrairement au ressenti d’un manque handicapant de capitaux propres par certaines ETI, d’après les données de la Banque de France, en moyenne, la structure financière des ETI apparaît particulièrement saine avec un ratio de capitaux propres au bilan compris entre 35% et 40%, soit le plus élevé de toutes les catégories d’entreprises (Figure 16) (Brun, Cayssials et al. 2011, Banque de France 2012). Les données les plus récentes portent sur les fonds propres élargis et montrent que leur poids s’est renforcé entre 2006 et 2016 (Boileau and Bureau 2018)).

L’analyse des ratios d’endettement financier sur capitaux propres fait émerger un constat similaire : la structure financière des ETI apparaît globalement solide sur la dernière décennie, tout en cachant de fortes disparités (

Figure 17, Figure 18) (Banque de France 2012, Boileau and Bureau 2018, Bureau and Vinas 2019). En moyenne, une hausse combinée de la trésorerie et des capitaux propres aurait, selon les analystes de l’observatoire des entreprises, permis une baisse tendancielle des ratios d’endettement depuis 2011 pour les ETI (Boileau and Bureau 2018).

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Figure 15: Données issues des enquêtes de conjonctures annuelles de Bpifrance (Bpifrance 2013-2018) émanent de sondages auprès d’un panel d’ETI françaises

Figure 16: capitaux propres dans le total des ressources (Banque de France 2012)

21% 21% 20% 16% 14% 16% 14% 0% 20% 40% 60% 80% 100% 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018

Appréciation par l'ETI de l'effet du manque de fonds propres sur son développement sans effet faible important 0% 20% 40% 60% 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018

Pourcentage d'ETI jugeant les freins financiers suivants

comme "importants" pour leur développement Endettement excessif Manque de fonds propres Réduction de marges Conditions d'accès au crédit

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Figure 17: évolution du ratio endettement financier net (de la trésorerie) sur capitaux propres (Boileau and Bureau 2018) et du ratio endettement financier sur capitaux propres (Bureau and Vinas 2019)

Figure 18: endettement financier sur capitaux propres (Banque de France 2012)

En 2011, une étude de la Banque de France, reprise par le FSI (fusionné à Bpifrance en 2012) a fourni une estimation du besoin en fonds propres des entreprises françaises (Figure 19). Contrairement à ce à quoi on pourrait s’attendre en tenant compte de la moyenne des ratios présentés précédemment, cette étude estime que la catégorie des ETI non cotées concentre de loin les plus forts besoins en fonds propres (24 milliards d’euros) (Brun, Cayssials et al. 2011, Les cahiers du FSI 2012). Dans cette étude, le besoin de financement équivaut au montant qui permet de ne pas dépasser un ratio endettement financier sur fonds propre de 200%. En rapprochant ce résultat aux observations précédentes, qui indiquait un dernier quartile très en dessous d’un ratio de 200%, on peut faire l’hypothèse qu’un petit nombre d’entreprises concentre l’essentiel de ces besoins de financement. Pour comptabiliser ces besoins dans une réflexion sur l’equity gap, il resterait à vérifier la santé de ces entreprises et plus précisément, la rentabilité d’un investissement dans ces entités.

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Figure 19: estimation des besoins en fonds propres par catégorie d’entreprise (en milliards d’euros) (Les cahiers du FSI 2012) (données extraites du bulletin de la Banque de France (Brun, Cayssials et al. 2011))

Pour autant, connaître les besoins structurels en capitaux propres des ETI n’est pas suffisant si l’on veut nourrir une réflexion sur l’equity gap. En effet, par définition, il s’agit de comparer l’offre des investisseurs à des besoins qualifiés de « légitimes », c’est-à-dire rendant un investissement rentable. Or il existe une différence entre besoins théoriques (structurels ou perçus) et besoins exprimés (demande) ainsi qu’entre demande et demande légitime. En particulier pour les ETI, le désir d’indépendance est souvent mis en avant comme un obstacle aux ouvertures de capital, ce qui tend à diminuer le ratio demande sur besoin.

De plus, le phénomène d’equity gap peut être masqué dans les statistiques annuelles car une demande de financement pour un projet d’investissement relève d’un problème ponctuel qui, si elle n’est pas satisfaite, ne résulte pas directement en une dégradation de la structure financière de l’entreprise, bien qu’elle puisse entrainer un manque à gagner en termes de croissance pour l’entreprise.

Analyse des opérations de financement des investissements

Si l’on considère les demandes de financement des ETI, la conclusion est claire : elles ne font que peu appel aux capitaux propres (Figure 20). En effet, toutes les études s’accordent sur le fait que les ETI privilégient l’autofinancement pour leur développement (Banque de France 2012, Bpifrance 2013-2018, Boileau and Bureau 2018). On leur attribue d’ailleurs la possession de « trésors de guerre » (Belze and Gauthier 2000) permettant cet autofinancement et qui leur confère une plus

grande liberté25 (Paranque 1999).

25 « Chaque entreprise, en fonction de sa situation économique et commerciale, cherchera à optimiser le recours au financement externe selon le coût de celui-ci, mais aussi en fonction du degré d’autonomie qu’elle veut/peut sauvegarder et de ses projets de développement » (Paranque, 1999)

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Figure 20: Données extraites de (Bpifrance 2013-2018)

Figure 21: Financement des investissement par les ETI (Banque de France 2012)

Figure 22: déterminants des opérations de croissance externe (Banque de France 2012)

0% 10% 20% 30% 40% 50% 60% 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017

Plan de financement moyen des investissements de croissance

Autofinancement Endettement, concours bancaires Apports en fonds propres

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130 En France, comme décrit précédemment, le capital-développement destiné aux PME et ETI est historiquement perçu comme un outil de financement de leur croissance, et notamment de soutien à leurs capacités d’innovation. Or les augmentations de capital s’avèrent la plus faible source de financement de la R&D pour les ETI (Figure 21) (Banque de France 2012). La part de financement par capitaux propres s’accroit légèrement pour les opérations de croissance externe qui semblent en majorité motivées par des logiques de croissance par accumulation plus que par l’innovation (Figure 22).

Ces résultats confirment un recours massif à l’autofinancement de la R&D dans les ETI en accord avec les recherches académiques montrant une préférence des entreprises matures pour cette source de financement (Schumpeter 1942, Matouk 2010).

Ces résultats obtenus a posteriori, montrent que les ETI s’avèrent donc peu promptes à financer leur croissance par apport de capitaux propres. Trois explications peuvent être proposées.

Première hypothèse : les ETI n’ont besoin de capitaux propres additionnels ni structurellement, ni pour accompagner leur croissance. C’est ce que suggèrent les données moyennes présentées précédemment sur leur capitalisation et leur trésorerie. De plus, un rapport récent co-signé par le METI, mouvement des ETI françaises, propose diverses mesures en faveur de leur développement (Institut Montaigne 2018). La facilitation de l’accès à des financement ou toute considération sur le capital-investissement n’y apparait pas. Les entreprises dites « de croissance », qui pourraient

nécessiter des capitaux, représenteraient-elle un sous-groupe trop restreint de PME-ETI ?

Cette idée d’une demande insuffisante faute d’entreprises ayant des intentions de croissance fait débat. On trouve une telle catégorie d’ETI en France comme l’indique une typologie des ETI française réalisée par Bpifrance. Parmi les cinq catégories distinguées, « les routinières à l’heure du choix », malgré des résultats honorables, semblent « relativement immobiles » (Bpifrance 2014). Seconde hypothèse : les ETI n’expriment pas leurs besoins. C’est un des enjeux des travaux concernant les lacunes de financement par la dette des PME. Sur ce sujet, l’hypothèse du « discouraged borrowers effect » (Kon and Storey 2003, Wright and Fraser 2014) fait débat. Elle suggère que les entreprises s’auto-contraignent en ne demandant pas de crédits, pensant qu’elles n’arriveront pas à les obtenir. Concernant l’apport de fonds propres, on retrouve couramment l’idée que les ETI répugneraient à lever des fonds en ouvrant leur capital du fait de la perte de contrôle (Tappeiner, Howorth et al. 2012). L’argument avancé renvoie alors au désir d’indépendance de la large part d’ETI patrimoniales. Cette situation peut placer l’ETI sous contraintes financières et avoir des répercussions sur sa croissance, ce qui explique la préoccupation des pouvoirs publiques. Néanmoins, cela n’est pas soluble par un accroissement de la quantité de capitaux disponibles en capital-investissement.

Troisième hypothèse : les ETI ne trouvent pas les capitaux propres souhaités. En effet, le poids respectif des différentes sources de financement observables a posteriori ne reflète pas nécessairement la préférence des entreprises en matière de hiérarchie des ressources mais peut résulter de contraintes d’accès à certaines de ces ressources (Belletante, Levratto et al. 2001). Cette situation place aussi l’ETI sous contrainte financière et risque d’endommager sa croissance. Seul ce dernier cas, où le besoin de l’ETI est réel, entre en considération dans la définition traditionnelle de l’equity gap. Cependant, quelques études ont analysé la demande en ressources financières externes à destination des PME et ETI et les facteurs de rejets (Cosh, Cumming et al. 2009, Mina, Lahr et al. 2013). La plus ancienne conclue que les entreprises cherchant des capitaux externes en

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trouvent, mais pas toujours de la nature souhaitée (Cosh, Cumming et al. 2009). La plus récente,

centrée sur la demande en crédit des PME et ETI innovantes26 constate, en accord avec les données

présentées ici, qu’en période de conjoncture économique globalement positive, la plupart des PME cherchant des fonds les obtiennent, et dénonce le mythe de la « PME-ETI sous-financée ».

26 Echantillon restreint aux ETI de moins de 1000 salariés. Sondage en 2005 auprès de 1540 entreprises américaines et 2129 britanniques. Equity gap indépendant de la quantité d'offre de capitaux Equity gap = f(demande légitime, fonds disponibles, mauvaise perception) Absence d’equity gap x

Besoin existant non satisfait

Pas de besoin

Demande légitime non satisfaite Pas de demande

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III.2. Synthèse

Du côté de l’investisseur, on constate donc une croissance des montants investis et une réserve importante de capitaux restant à déployer. L’existence d’investisseurs opérant sur des ETI indique que ces transactions sont structurellement possibles. On propose donc deux explications aux excès de capitaux. Soit les investisseurs font face à un manque d’opportunité d’investissement intéressantes dû à une trop faible ou de mauvaise qualité. Dans ce cas, il n’y a pas lieu de parler d’equity gap. Soit les demandes légitimes existent et les investisseurs auraient les moyens financiers d’y répondre mais ils ne parviennent pas à la percevoir. Là encore, s’il y a une lacune entre offre et demande de fonds propres, il ne s’agit pas uniquement d’un problème de quantité de fonds disponibles.

Or on a montré que la demande légitime était soit limitée, soit non formulée, soit non pourvue par les investisseurs. Globalement, les données empiriques sur les ETI n’indiquent pas de gouffre entre quantité d’offre disponible et demande en termes de montant. En revanche, il existe bien une inadéquation entre une offre ne voit pas la bonne demande et cette demande qui n’arrive pas à attirer l’offre. L’enjeu est donc moins d’injecter plus de fonds que d’identifier les causes de la défaillance des modèles d’investissement existants. D’où la question suivante : quelles trajectoires de croissance conduisent les ETI à recourir au capital-investissement ?

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Chapitre 3. Liquidity gap : les problèmes de transmission propres