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Le financement de l’innovation dans le cadre du manuel de Frascati : indissociabilité

PARTIE IV DE NOUVELLE VARIABLES DE CROISSANCE GENERATIVE ET

Chapitre 1. Quelles variables pour tracer la régénération ?

2. Le financement de l’innovation dans le cadre du manuel de Frascati : indissociabilité

3. Rôle de la promesse dans la relation entre stratégie d’investissement et croissance générative ... 160

3.1 Exemples de stratégies de conception menant à des formes de croissance générative dans la grande entreprise ... 160 3.2 Synthèse ... 167

4. Construction du modèle C, U, K ... 170 4.1 Modèle C, U, K ... 170 4.2 Illustration : Kodak ... 172 4.3 Retour sur les modèles d’investissement standards avec le modèle C, U, K ... 174

PARTIE IV - De nouvelle variables de croissance générative et leurs effets dans le raisonnement des investisseurs

156 Le capital-investisseur dispose de deux leviers d’action sur la stratégie d’innovation. D’une part, un levier financier : l’argent frais (new money) éventuellement apporté par une augmentation de capital influe sur la quantité de ressources financières à disposition. D’autre part, son statut d’actionnaire lui confère la possibilité d’orienter cette stratégie à travers les conditions associées à la prise de participation et son implication ultérieure dans la gouvernance de l’entreprise.

Pour l’investisseur, choisir de soutenir la régénération n’a rien d’évident. Premier obstacle : les investisseurs s’intéressent a priori moins à la croissance de l’entreprise financée qu’à la croissance de sa valorisation. Ainsi, il faut préciser les conditions qui rendent possible une colinéarité entre croissance générative et valorisation. Nous reviendrons en plus détail sur ce point dans les chapitres suivants. Un second obstacle tient à l’incertitude inhérente aux projets d’innovation. Les stratégies de régénération présentent des risques de natures variées. L’investisseur doit donc développer des moyens de les reconnaitre et de les maitriser. Ce qui amène à un dernier point critique et spécifique au capital-investisseur, il ne s’agit pas seulement de repérer le résultat d’une stratégie d’innovation passée mais bien d’évaluer le potentiel de l’entreprise à la mener à son terme. L’investisseur doit donc se doter de traceurs d’un potentiel de croissance.

Dans ce chapitre, nous proposons de modéliser les variables clés dans une stratégie de régénération. Dans un premier temps, nous précisions en quoi les indicateurs d’innovation classiques (investissement en R&D, de brevets, nouveaux produits) sont insuffisants pour distinguer la nature du potentiel de croissance. Ils sont conçus pour tracer le résultat d’un processus innovant ou la production de connaissances et non pour refléter un renouvellement des champs d’innovation. Il n’est donc pas surprenant qu’ils ne permettent pas de distinguer un potentiel de croissance agrégative, d’un potentiel de croissance générative.

Puis nous approfondissons le cadre offert par le Manuel de Frascati. Ce Manuel défini les caractéristiques des activités de R&D que certains Etats, dont la France, sont autorisés à financer. Nous identifions que le Manuel de Frascati n’autorise le financement de la recherche que dans la mesure où l’apport de connaissance qu’elle permet s’accompagne d’un renouvellement conceptuel. Ensuite, nous explorons un corpus de stratégies d’innovation, décrites dans la littérature en gestion, qui engendrent des formes de croissance générative. Nous identifions une variable clé commune à chacun de ces cas : le renouvellement de promesses portées par des objets inconnus encore à concevoir. Ces cas mettent aussi en évidence une variété de manières de gérer l’incertitude liées au processus de régénération. Flux financiers Formes de croissance générative Investisseur

Figure 32: Deux leviers d’action de l’investisseur sur des stratégies d’innovation menant à une croissance générative Stratégies d’innovation

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Toutefois, dans ces stratégies, le lien à l’investisseur reste à préciser. De plus, bien que la pertinence des cadres théoriques aient été démontrée pour certaines ETI (Levillain 2015, Cerveira and Midler 2017), le cœur de ces travaux est issu d’analyses au sein de grandes entreprises. L’enjeu est de construire une grille d’analyse des stratégies de conception engendrant des croissances génératives qui soit adaptée aux ETI et actionnable par le capital-investisseur. Nous concluons ce chapitre en développant un modèle qui entend répondre à cet objectif.

1. Limites des traceurs issus de la littérature économique : nouveaux produits, quantité de R&D, brevets

La littérature économique utilise massivement trois indicateurs pour tracer l’innovation : quantité de R&D, brevets, existence d’activités nouvelles (service, produit, procédé voire organisation). Dans la suite nous nous proposons de préciser pourquoi ils discernent difficilement le type de stratégie de conception menée et ne peuvent donc, tels quels, discriminer croissance générative et croissance agrégative.

Quantité de R&D

Nous avons déjà présenté, dans la première partie de la thèse, le paradoxe de la R&D. Nous rappellerons donc simplement que la relation entre quantité de financement investi en R&D et croissance n’est pas déterministe. La simple connaissance d’une quantité de R&D ne donne donc pas d’indication sur la croissance future de l’entreprise.

Brevets

Comptabiliser le nombre de brevets engendre le même type de problématique. Les brevets constituent des traceurs de l’activité inventive technologique. Une technologie, pour être brevetable doit répondre à quatre critères : nouveauté, activité inventive, applications industrielles, suffisance de description.

Ces critères peinent à différencier une contribution à une croissance agrégative ou générative. D’une part, un brevet ne mène pas systématiquement à un objet innovant, certain étant conçu uniquement pour bloquer la concurrence (Hall and Ziedonis 2001, Blind, Edler et al. 2006, Moser 2013). Au lieu de générer des potentiels, ces brevets en détruisent. Ils ne participent donc pas à une croissance générative.

D’autre part, les brevets peuvent protéger une combinaison inventive de techniques connues mais non immédiatement accessible à l’homme de métier. Mais ils peuvent aussi contribuer à la conception d’un produit issu, dans l’entreprise, de l’ouverture d’un nouveau champ d’innovation. Là encore, seul le second est issu d’un travail sur une nouvelle promesse de valeur et trace donc un potentiel de croissance générative.

PARTIE IV - De nouvelle variables de croissance générative et leurs effets dans le raisonnement des investisseurs

158 Reconnaitre l’existence d’un brevet ou comptabiliser leur nombre ne suffit donc pas à distinguer potentiel de croissance générative ou agrégative. Certains chercheurs proposent d’autres méthodes autour de l’analyse des brevets. L’analyse de la diversité des classes de brevets est de plus en plus courante. Chaque classe correspond à un champ de connaissance différent. La variété des classes représente donc bien un aspect du processus d’acquisition de connaissances, élément mis en avant par la littérature sur la pérennité de la croissance. Néanmoins il n’y a, a priori, pas de lien systématique entre le nombre de classes couvertes et le nombre de champs d’innovation explorés.

Nouveaux produits

L’Europe réalise régulièrement des enquêtes communautaires pour collecter des statistiques sur l’innovation en vue de répondre aux besoins de la communauté scientifique et des décideurs

politiques. Le manuel d’Oslo guide la rédaction et le dépouillement du questionnaire31. Il a été

conçu à l’initiative de l’OCDE, pour développer et harmoniser des « principes directeurs pour le

recueil et l'interprétation des données sur l'innovation ». La dernière version du manuel date de

2002. Il fournit notamment une définition de la notion de ‘produit nouveau’. Une enquête pluriannuelle est réalisée dans plusieurs pays d’Europe dont la France où la dernière a été lancée en 2016 (CNIS 2016, INSEE 2019).

Figure 33 : chronologie des travaux européens sur la standardisation du recueil de l'information sur les investissements en R&D et la mesure de l'innovation

Arrêtons-nous sur la mesure de l’innovation produit, produit étant entendu comme bien ou prestation de service. Un raisonnement similaire s’applique aux autres catégories aussi sondées dans l’enquête : procédés, organisation, marketing, logistique. Le questionnaire pose la question suivante :

« Au cours des trois années 2014 à 2016, votre entreprise a-t-elle introduit des biens

nouveaux ou améliorés de façon significative (à l’exclusion de la simple revente en l’état de nouveaux biens achetés à d'autres entreprises et des modifications exclusivement esthétiques ou de simple conditionnement) ? ».

Le sondage devant permettre de consolider des indicateurs à l’échelle nationale, la précision entre parenthèse permet de ne pas comptabiliser deux fois une même innovation.

31 « L’enquête CIS répond au règlement européen n° 995/2012 du 26 octobre 2012 relatif aux statistiques

communautaires de la science et de la technologie. Elle permet à ce titre une analyse économique de l’innovation

par pays et de mieux orienter la politique de l’innovation en Europe » (CNIS 2016). La dernière enquête menée

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Le questionnaire précise aussi ce qui doit être comptabilisé comme innovation produit :

« Une innovation de produit est l’introduction sur le marché d’un bien ou service nouveau

ou significativement amélioré par rapport aux produits précédemment élaborés par l’entreprise au regard de ses caractéristiques essentielles, de sa convivialité (facilité d’usage), ses composants (ou son utilisation) et des éléments intégrés. Les innovations de produits doivent être nouvelles pour votre entreprise, mais il n’est pas nécessaire qu’elles soient nouvelles pour votre marché. Elles peuvent avoir été développées à l’origine par votre entreprise ou par d’autres entreprises ou organismes ».

Tout d’abord, le nombre de nouveaux produits est un indicateur ex-post d’innovation. Autrement dit, il ne trace pas un potentiel d’innovation mais le résultat d’un processus de conception.

Ensuite, ce critère de permet pas de différentier les nouveaux produits issus d’un même champ d’innovation de produits issus de champs différents. Il ne permet donc pas d’évaluer si le processus d’innovation passé a bien permis la régénération.

2. Le financement de l’innovation dans le cadre du manuel de Frascati : indissociabilité entre renouvellement des connaissances et des concepts

Dans l’Union Européenne, les aides d’État au financement de l’innovation sont soumises à un régime d’exception encadré au niveau national par un cadre agréé par la Commission européenne (cadre national SA 40391 (Commission Européenne 2015)), mais aussi par les directives européennes sur l’encadrement communautaire des aides d’Etat et par le manuel de Frascati de l’OCDE. Depuis les années 1960, le manuel définit les caractéristiques des activités de R&D que certains Etats, dont la France, sont autorisés à financer. On cherche à modéliser la figure de financeur ainsi définie. Notre analyse porte sur l’édition la plus récente qui date de 2015 (OCDE 2015).

Selon le manuel le but premier de la R&D est d’enrichir les connaissances et d’utiliser ces connaissances pour ouvrir de nouveaux champs d’application :

« La R&D englobe les activités créatives et systématiques entreprises en vue d’accroître la

somme des connaissances – y compris la connaissance de l’humanité, de la culture et de la société – et de concevoir de nouvelles applications à partir des connaissances disponibles »

(OCDE 2016).

Le Manuel énonce ensuite cinq critères que doit satisfaire une activité de R&D. Elle doit être : nouvelle, créative, incertaine, systématique et transférable / reproductible.

Si on reprend les définitions du manuel, on constate que Frascati impose :

- une expansion des connaissances (nouveauté) qui ne soit pas une acquisition de savoirs déjà

maitrisés dans le secteur d’activité ;

- un critère de créativité relié à l’idée de : « reposer sur des notions et hypothèses originales et

non évidentes ». Plus précisément, il s’agit « d’appliquer des concepts nouveaux pour améliorer l’état des connaissances » en opposition à une modification systématique. Ce critère souligne

PARTIE IV - De nouvelle variables de croissance générative et leurs effets dans le raisonnement des investisseurs

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- que le résultat et le coût du projet soient incertains, ce qui justifie d’ailleurs une difficulté de

financement et contribue à légitimer une potentielle intervention de l’acteur public ;

- une planification de l’activité ;

- une explicitation des résultats pour assurer qu’ils soient transférables et/ou reproductibles.

Ces cinq critères décrivent bien une croissance globale de l’espace de conception. L’incertitude est inhérente au processus de conception. Il se caractérise d’ailleurs par l’impossibilité d’aboutir au résultat de façon certaine par une suite de décisions connues. Les critères de nouveauté et de créativité suggèrent un travail conjoint de renouvellement des connaissances et des promesses de valeur. L’activité de R&D vise une production de connaissances qui s’appuie sur un concept nouveau et doit engendrer une promesse d’objet à concevoir dont la valeur doit être explicitée. Accroissement de connaissance, ouverture de champ d’innovation et régénération des promesses sont donc indissociables. Enfin, le Manuel impose formalisation et rigueur dans le système d’action. Le « reste à faire » pour mener à bien la promesse doit ainsi être planifié.

Le manuel de Frascati autorise donc le financement d’un processus de génération dont la valeur peut s’exprimer sur d’autres critères qu’un retour financier drainé par l’objet visé. Il appelle à construire d’autres régimes de performance fondés, par exemple, sur la richesse de l’exploration conceptuelle (variété, originalité), la valeur de la validation/invalidation d’une connaissance générique, ou encore la capacité de formalisation et de diffusion, etc.

3. Rôle de la promesse dans la relation entre stratégie d’investissement et