• Aucun résultat trouvé

PARTIE III – LES BESOINS EN FINANCEMENT DES ETI : UN SOUTIEN AU

Chapitre 2. La thèse de l’equity gap invalidée empiriquement

1. Des capitaux disponibles en excès

2.1 Analyse de la demande structurelle ... 125 2.2 Analyse des opérations de financement des investissements ... 128

Partie III – Les besoins en financement des ETI : un soutien aux dynamiques de régénération

120 A la création de la catégorie ETI en 2008, le discours public suggérait qu’elles subissaient un equity

gap. C’est ce qui a ensuite contribué à justifier la création de fonds d’investissement ciblant

spécifiquement les ETI à partir de 2012. En effet, les parties précédentes montrent que ces entreprises possèdent a priori à un certain nombre de caractéristiques théoriques favorables à l’existence d’une telle lacune de financement : asymétrie d’information, risques opérationnel et structurel, taille de tickets. En effet, ces structures étant en majorité non cotées (Brun, Cayssials et al. 2011, OFEM 2017), la plupart d’entre elles répondent une obligation légale limitée en matière de transparence sur leurs activités et de leurs résultats. De plus, elles opèrent massivement en tant que leader de marchés de niche grâce à leurs capacités d’innovation. Deux points qui peuvent renforcer les asymétries d’information. Leur forte dimension patrimoniale et leur attachement au territoire peut induire des contraintes supplémentaires (e.g. gestion familiale, refus de délocalisation …) perçues comme des risques par les investisseurs. Enfin, les tickets répondant à leurs besoins sont a priori de plus petite taille que pour les grandes entreprises malgré des frais fixes de transaction et un effort de gestion similaires d’où un rendement amoindri. Néanmoins, plusieurs contraintes énoncées initialement se sont relâchées. Tout d’abord, la difficulté de diffusion de l’information favorisant des marchés locaux où l’offre de capital pouvait s’avérer limitée (Macmillan 1931) semble dépassée au vu des moyens de communication actuels et de l’augmentation des flux d’investissement transrégionaux. De plus, la structuration du secteur financier a permis de mettre en place des intermédiaires au coûts non prohibitifs (Harrison 1992). Le chapitre précédent montre que la recherche académique se concentre sur l’examen de l’equity

gap pour la jeune entreprise innovante et qu’il manque de travaux explicitement dédiés à l’étude de

cet equity gap pour les ETI. C’est pourquoi nous avons procédé à une analyse plus précise des contraintes théoriques et de la réalité empirique de l’équilibre entre offre et demande de fonds propres les concernant. Si l’on s’en tient à la définition de l’equity gap comme une quantité d’offre de fonds propres insuffisante par rapport aux besoins légitimes en levée de fonds des entreprises, étonnement, un faisceau d’indices vont à l’encontre de l’existence d’un equity gap. En revanche, ils suggèrent l’existence d’une lacune d’une autre nature. Moins qu’un manque d’apport en fonds propres additionnels, les ETI subiraient plutôt des difficultés d’accès à des capitaux propres pour renouveler leur actionnariat, ce que l’on choisit de qualifier de « liquidity gap ».

D’un point de vue méthodologique, pour tester l’existence d’un equity gap pour les ETI, la première partie présente un raisonnement sur la quantité d’offre et de demande par analogie avec les approches employées dans les travaux sur l’equity gap des start-ups. Les investigations de l’offre étant majoritaires, on commence par recueillir des observations sur celle-ci à la fois à travers son évolution historique en montant global et la distribution française des investissements par cible. On aurait pu ajouter une comparaison géographique. La demande est ensuite scrutée : demande structurelle et demande ponctuelle liée aux financements de la croissance (projet spécifiques, BFR…). Tout comme pour la littérature sur les start-ups, les travaux sur la demandent soufrent de difficultés d’évaluation de leur légitimité et d’accès aux demandes rejetées. On procède ensuite à une étude de cas sur des transactions concernant des ETI au portefeuille de Bpifrance. Tout d’abord, on teste quantitativement l’hypothèse d’apport en argent frais. Puis on adopte une démarche exploratoire pour identifier d’autres causes de crises liées à une défaillance d’apport en capitaux propres.

121

Le chapitre précédent montre que le concept d’equity gap est interprété de manière dominante comme faille de marché concernant l’équilibre entre quantité d’offre et de demande de capitaux propres. Plusieurs indices empiriques mettent en doute son existence pour les ETI depuis 2010.

1. Des capitaux disponibles en excès

A l’échelle mondiale, depuis la crise de 2008, la quantité d’actifs sous gestion du capital- investissement a augmenté sans discontinuer. Les capitaux levés atteignent des records en Amérique du Nord, en Europe et en Asie (McKinsey 2018). Le capital-investissement européen comporte une spécificité : les actifs sous gestion en buyout y sont largement dominants (en montant, cf. Figure 9). Or c’est la catégorie qui inclue la majeure partie des investissements en ETI matures.

Figure 9: actifs sous gestion en capital-investissement par région en 2017 (McKinsey 2018)

Plus spécifiquement, en 2018, la presse et les associations d’investisseurs ont titré « les fonds

d'investissement n'ont jamais eu autant d'argent à dépenser », « le private equity croule sous les milliards » ou encore « une industrie française du capital-investissement robuste et en pleine essor » (La Tribune, Le Temps, France Invest). Les analyses les plus récentes de Prequin, l’une des

bases les plus reconnues pour l’information financière, valident ce constat à l’échelle mondiale et pour tout type de fonds de capital-investissement (Preqin 2018). Elles montrent en effet que les capitaux disponibles à l’investissement, aussi appelés munitions, « dry power » ou « uncommitted capital » se sont envolés ces dernières années (Figure 10). Ils constituent une réserve de fonds levés mais non déployés, aux mains des investisseurs.

Partie III – Les besoins en financement des ETI : un soutien aux dynamiques de régénération

122

Figure 10: Capitaux disponibles à l’investissement. Other Private equity’ includes balanced, co-investment, co-invest multi- manager, direct secondaries and turnaround funds. (Preqin 2018)

Loin d’être perçu comme une ressource rare, le volume de dry powder pousse les praticiens à poser la question suivante : y a-t-il trop de fonds en capital-investissement ? Est-ce le cas pour tous les segments, en particulier, qu’en est-il des fonds potentiellement accessibles par les ETI ?

Un premier élément de réponse développé par McKinsey (McKinsey 2018) s’appuie non pas sur le volume de dry powder mais sur le ratio : dry powder sur montant des transactions annuelles. Ce ratio correspond au nombre d’années pendant lesquelles le capital-investissement pourrait continuer à exercer le même volume de transactions sans lever de fonds supplémentaires (désigné en anglais par « years of PE inventory on hand »). Celui-ci est relativement stable, ce qui tempère la perception d’une croissance de l’inadéquation entre montants levés et transactions effectives (drypowder/deal-

flow).

Au niveau mondial, d’après la base de données Preqin, il existe des différences de tendance notables

entre les fonds de Large & Mega Buyout et ceux du Mid Market Buyout23. Les premiers auraient vu

leur dry powder augmenter de 13% par ans ces cinq dernières années contre 7% pour les seconds. Malgré les différences de définitions inter-pays, on peut globalement estimer que le Mid Market

Buyout vise des ETI. D’une part, cela confirme un excès de fonds un marché qui cible

principalement les ETI. D’autre part, cela indique que les fonds actifs sur ce segment convertissent avec plus d’efficacité le capital levé, autrement dit, l’offre et la demande sont plus en adéquation. Ce qui entre en contradiction avec l’idée d’un equity gap pour les ETI.

En France, à l’image de ce qui a été observé au Royaume-Uni, la frontière supérieure des tickets de capital-investissement a été progressivement rehaussée (cf Figure 11 et Figure 12). Ce qui a permis

23 Le Mid Market (tel qu’employé aux Etats-Unis) est défini par les entreprises avec un chiffre d’affaires annuel entre 10 millions et un milliard de dollars (National Center for the Middle Market -

123

de combler certaines lacunes en termes de montant des tickets proposés pour former un spectre d’offre de plus en plus large et continu.

Figure 11: offre de fonds propres par le capital investissement en France en 1997 (Conseil national du crédit et du titre 1999, Belze and Gauthier 2000)

Figure 12: répartitions des tickets dans les transactions en capital-investissement sur des entreprises françaises en 2011, 2012, 2016 et 2017 (AFIC 2013, France Invest 2017)

L’afflux de ressources pourrait mener à un délaissement des plus petits tickets de transaction (leur coûts fixes étant plus importants). En effet, une augmentation de la taille des fonds engendre la nécessité de déployer plus de capital sur un même laps de temps ce qui peut passer par une augmentation de la taille moyenne des transactions donc un positionnement sur des sociétés à plus forte capitalisation. Si cela a été suggéré par (Murray and Dimov 2007) pour le capital-risque au Royaume-Uni dans les années 2000, les données de France Invest sur l’évolution de la répartition des tickets investis indiquent que ce phénomène n’apparaît pas en France (Invest 2011-2017) (Figure 12).

L’augmentation globale des ressources disponibles et un large spectre de tickets ne suffisent a priori pas à garantir une offre de fonds propres à destination des ETI. On a donc cherché à tracer l’existence d’acteurs investissant dans ces entreprises. Comme les données sur les structures d’investissement (fonds disponibles, entreprises investies, montant de transaction…) sont difficiles à obtenir, on a procédé au recensement des co-investisseurs de Bpifrance dans ses opérations sur

Partie III – Les besoins en financement des ETI : un soutien aux dynamiques de régénération

124 les ETI. Ceci permet de définir un nombre minimal de structures d’investissement ayant opéré sur des ETI sur la dernière décennie. Sur 58 opérations en ETI des fonds ETI 2020 et Bpifrance

participations étudiées, on compte quasiment 90 fonds impliqués24. Par ailleurs, les rapports annuels

de France-Invest fournissent une estimation du pourcentage d’opération sur des ETI (Invest 2011- 2017) (Figure 13). Enfin, un survol de la presse financière ces trois dernières années suggère l’augmentation du nombre de fonds spécifiquement dédiés à l’investissement dans cette catégorie d’entreprises. En effet, pour déployer les fonds disponibles, certains investisseurs cherchent à se diversifier en ciblant de plus en plus spécifiquement ces entreprises perçues comme un vivier à fort potentiel.

Figure 13: données issues des rapports annuel d'activité du capital investissements réalisés par France Invest (Invest 2011- 2017).

En conclusion, ces indices empiriques indiquent qu’il n’y a pas a priori de problème de manque de ressources financières. Au contraire, on constate plutôt un afflux d’offre de capitaux dont une partie est bien accessible aux ETI, au moins depuis 2010.