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PARTIE III – LES BESOINS EN FINANCEMENT DES ETI : UN SOUTIEN AU

Chapitre 1. Le diagnostic d’un equity gap au fondement des fonds ETI

3. L’equity gap est-il avéré ?

Un courant de recherche s’est attaché à étudier empiriquement l’equity gap, en tâchant d’en démontrer à la fois l’existence et la persistance. Ces travaux académiques restent pour l’instant peu nombreux et relativement récents (Wilson, Wright et al. 2018). Si on les approche strictement du point de vue méthodologique, on constate qu’ils se focalisent sur l’équilibre entre offre et demande de financement en fonds propres, principalement en termes de montants. Dans un travail de recension, E. Gualandri (Gualandri and Venturelli 2008) s’attache à décrire trois types de méthodologie d’analyse :

- Macro-économique quantitatif : il s’agit d’études nationales de l’évolution de la distribution des

investissements en capital-investissement selon deux variables : montants et étapes du cycle de vie des entreprises. Les données sont obtenues par sondage ou grâce à des bases de données d’association d’investisseurs ou d’organismes publiques. Ces études se concentrent sur l’offre de fonds propres à cause des difficultés d’obtentions de séries statistiques sur les demandes insatisfaites. Les ratios sont souvent ramenés au PIB pour permettre des comparaisons internationales (e.g. (OCDE 2006, Gualandri and Venturelli 2008)).

- Micro-économique qualitatif : réalisation et analyse de sondages qualitatif (interviews ou

questionnaires) des pourvoyeurs de fonds et des entrepreneurs. Les chercheurs soulignent deux limites à cette méthode. D’une part, la construction des échantillons pose des problèmes en termes de représentativité. D’autre part, les contraintes financières rapportées par les entrepreneurs peuvent être biaisées par leur perception de la qualité de leur projet et de sa valeur ou exagérées volontairement dans le but d’obtenir plus d’aide publique (Cumming and Cressy 2012).

- Une méthode mixte consiste en une estimation quantitative de l’offre et de la demande en

capital-investissement. Avec pour cette dernière un calcul par extrapolation à partir de modèles théoriques de besoin en financement croisé à des interviews semi-structurées des experts du secteurs (e.g. (Harding and Cowling 2006)).

Assez intuitivement, cette littérature tend à montrer l’impact positif sur la résorption de l’equity gap du développement d’un système financier national, matérialisé par la présence d’infrastructure et d’acteurs spécialisés que ce soient des investisseurs ou des intermédiaires financiers (Gualandri and Venturelli 2008). Par exemple, la création d’un marché de transactions secondaires accroit les options de sorties, augmentant ainsi la liquidité, donc facilitant les investissements. Cet argument fait écho à la traduction canadienne de l’equity gap en tant que « lacune dans le système financier » (chap 12 (Porter 1964)).

Les travaux empiriques sur l’equity gap se concentrent sur deux zones géographiques : les Etats- Unis et l’Europe. Les travaux sur les Etats-Unis sont plutôt anciens et relatifs à l’étude des SBICs et donc concentrés sur l’existence de vallées de la mort pour les start-ups (J. B. K 1968). Les travaux plus récents examinent en très large majorité le cas du Royaume-Uni (Murray 1994, Mason 1996, Heger, Fier et al. 2005, Harding and Cowling 2006, Gualandri and Venturelli 2008, Cumming and Cressy 2012, Wilson, Wright et al. 2018) avec quelques articles élargissant l’analyse à d’autres pays européens comme l’Allemagne (Martin, Berndt et al. 2003, Heger, Fier et al. 2005) et plus récemment, un groupe de cinq pays (France, Allemagne, Pays-Bas, Pologne et Roumanie) (Mc Cahery, Lopez de Silanes et al. 2015). Là encore, les recherches se concentrent soit directement sur les start-ups soit, bien qu’annonçant une focalisation sur les PME, l’analyse est restreinte aux PME innovantes en « start-up » ou « early/sustained growth stages ». Il semblerait que la littérature

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académique manque donc d’études permettant de confirmer la réalité d’un equity gap pour les PME plus matures ou les ETI. Ce constant est étonnant regard des politiques publiques relatives à la résorption de l’equity gap qui adoptent quant à elles une double focalisation : certes sur les jeunes entreprises technologiques et aussi les PME et ETI matures. Ces dernières étant ‘objet d’étude historique des funding/debt gap en accord avec la pecking order theory qui suppose que ces entreprises se financent principalement en dette.

L’equity gap reste à démontrer pour les ETI

Un article de 1968, discutant du Small Business Investment Act, reprend les principales contributions de l’époque sur l’évaluation de l’equity gap. Il conclue que malgré son importance dans le discours publique, l’existence d’un equity gap n’a jamais été démontrée de façon satisfaisante ni aux Etats-Unis ni ailleurs (J. B. K 1968). Quelques années plus tard, un article publié dans Research Policy émet des doutes similaires sur l’existence d’un manque de capitaux à destination des start-ups (Bean, Schiffel et al. 1975). Les auteurs insistent cependant sur la difficulté à proposer des recommandations claires vu la faible quantité de connaissances disponibles. Une partie des travaux sur le Royaume-Uni démontre quant à eux l’existence de deux equity gaps. Un premier equity gap qui se déroulerait en phase d’amorçage, et un second (seconde vallée de la

mort) concernerait la phase d’expansion22. Les chercheurs constatent, depuis le milieu du 20ème

siècle, un déplacement vers le haut de la frontière des montants nécessaires et disponibles pour ces deux equity gaps (Harding and Cowling 2006) (Murray 1994) (Heger, Fier et al. 2005) (Gualandri and Venturelli 2008, Wilson, Wright et al. 2018). Une des rares études sur d’autres pays européens (Allemagne, France, Pays-Bas, Pologne, Roumanie avec référence aux Etats-Unis) conclue elle aussi à l’existence d’un equity gap dans tous les pays étudiés, bien que survenant à des degrés divers. Bien qu’intitulée Estimating the Financing Gaps of SMEs, cette étude analyse un rapport offre-demande à partir de données d’Invest Europe (ex EVCA) en ne gardant que les investissements en amorçage (seed), et capital risque (start-up and later stage investment). Autrement dit, tout comme pour les travaux sur le Royaume-Uni, le buyout est exclu. Les auteurs justifient ce choix par l’hypothèse suivante : « SME equity supply comes from venture capital (VC)

which is focussed on smaller-scale projects » (p15)(Mc Cahery, Lopez de Silanes et al. 2015).

D’autres travaux sont plus nuancés sur l’existence d’equity gap aux Royaume-Uni. Par exemple (Cosh, Cumming et al. 2009) étudient les décisions de financement externes (dette et capitaux propres) de plus de 2500 entreprises patrimoniales de moins de 500 salariés en early-stage dans les années 1996-1997. Ils concluent que parmi les entreprises qui cherchent activement des fonds, le ratio moyen des fonds obtenu par rapport aux fonds demandés s’élève à 84,5% et la médiane à 100%. Ainsi, selon ces auteurs, l’equity gap (capital gap) s’avère faiblement prononcé au Royaume-Uni en termes de quantité de capitaux disponibles. Malgré cela, les entreprises n’obtiennent pas toujours le type de capital recherche (dette vs capitaux propres). De plus, parmi le peu d’entreprises qui n’arrivent pas à se financier entièrement, on retrouve une catégorie de jeunes entreprises qui viennent de développer une innovation. Fort de leur analyse empirique, ils suggèrent d’étudier la « qualité » des capitaux disponibles plus que leur quantité. Un autre article suggère que les frontières et l’ampleur de l’equity gap subiraient des variations cycliques, allant même jusqu’à disparaitre à certaines périodes (Cumming and Cressy 2012). Il pointe aussi une limite aux

Partie III – Les besoins en financement des ETI : un soutien aux dynamiques de régénération

118 méthodes d’évaluation de la demande qui ne tiennent pas toujours compte de la qualité des demandes et surestime donc l’estimation de l’equity gap.

Cette revue de littérature sur l’analyse empirique de l’equity gap permet de tirer deux conclusions. Tout d’abord, il existe un manque de recherche académique concernant l’étude de la réalité de l’equity gap pour des PME ou ETI matures. Le fait que la dette soit perçue comme le moyen de financement privilégié des PME-ETI matures contrairement à l’equity pour les start-ups pourrait expliquer la focalisation des chercheurs sur les debt gaps pour les premières et les equity gaps pour les secondes. Dans le cas des jeunes entreprises (qu’on les appelle start-ups ou PME), la recherche n’a pas encore réussi à établir de consensus quant à l’existence et la spécification de domaines de définition des equity gaps. D’une part à cause de problèmes méthodologiques lié à la quantification de la demande légitime en capitaux propres non pourvue. D’autre part, à cause de la probable cyclicité et du déplacement de ces lacunes de financement.

III.1. Synthèse

Le concept d’equity gap est issu de préoccupations politiques concernant la trop faible croissance d’entreprises perçues comme des maillons essentiels de l’économie. Il est majoritairement interprété comme une incapacité du marché à fournir une quantité suffisante de capitaux propres en réponse aux demandes légitimes des entreprises. Les premiers textes qui évoquent le sujet traitent conjointement funding gap (ou credit rationing (Cumming and Cressy 2012)) et equity gap voire mélangent les deux terminologies. Ce rapprochement ancre une lecture de ces deux gaps comme difficulté d’accès au financement, donc pour l’equity gap une difficulté dans les levées de fonds. Par exemple: « great difficulty is experienced by the smaller and medium-sized businesses in raising

the capital which they may from time to time require » (Macmillan 1931), « the special difficulty of raising long-term capital for home industry in amounts » (Frost 1954). Et plus recement: « an

equity gap, defined (following Bank of England, 2004) as “where the [equity] funding

requirements of a company are greater than (…)” » (Cumming and Cressy 2012) ou « The equity

gap, the difference between the amount of (risk) capital that would be invested under conditions of well-informed and competitive markets and the amount of capital actually invested (…) » (Wilson,

Wright et al. 2018).

Au niveau théorique, la notion d’equity gap est liée aux débats autour de la structure de capital idéale, c’est-à-dire des contraintes et préférences de financement des entreprises. Au niveau empirique, les chercheurs tentent d’établir un rapport entre montant disponibles et montants demandés (Cosh, Cumming et al. 2009, Mc Cahery, Lopez de Silanes et al. 2015).

Ainsi, la recherche académique propose une lecture de l’equity gap en termes de lacune de quantité de ressources disponibles à l’investissement par rapport à une demande légitime d’entreprises ayant besoin de lever des capitaux propres (new money).

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