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2 Le suppresseur de tumeur p73 et ses homologues

2.3 Fonctions exclusives de p63 et p73 dans le développement

De façon très frappante, et bien que les protéines de la famille p53 partagent de nombreuses similarités de séquences, de structures et de fonctions, les conséquences de leur invalidation génétique in vivo sont très différentes. En effet, p63 et p73 exercent toutes deux des fonctions qui leur sont exclusives et qui se manifestent dans le phénotype des souris

knockout. Par exemple, si l’importance capitale de la protéine p73 a dernièrement été illustrée

dans la régulation du processus d’angiogenèse464–467, ses fonctions exclusives dans le développement furent, comme pour p63, les premières à avoir été mises en évidence.

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2.3.1 p63 dans le développement des épithéliums et des

tissus d’origine ectodermique

Le rôle essentiel de p63 dans le développement de la peau et des épithéliums est désormais bien caractérisé. Les souris Trp63-/- sont atteintes de sévères malformations des membres et

d'anomalies dans le développement des épithéliums (en particulier l'épithélium cutané), elles ne survivent pas plus de quelques heures après la naissance351,352. Les principales fonctions de p63 concernent le maintien du potentiel prolifératif des cellules progénitrices de l’épiderme468. En effet, le réservoir de cellules prolifératives de la peau des souris Trp63-/- subit une déplétion progressive, ce qui se traduit par une hypoplasie sévère du tissu dermique néonatal. Ces souris activent également un programme de sénescence cellulaire qui provoque un vieillissement accéléré469. Plus précisément, ce sont les isoformes TAp63 qui préviennent le vieillissement prématuré des tissus, en maintenant le pool de précurseurs dermiques et épidermiques470. Elles permettent aussi la mise en place d’une stratification de l’épiderme471. Quant aux isoformes ΔNp63, elles sont requises pour engager les progéniteurs kératinocytes en voie de différenciation et assurer les stades terminaux de la morphogenèse472. Plusieurs études ayant fait appel à des souris sélectivement déficientes pour les isoformes TAp63 ou ΔNp63 suggèrent que les isoformes ΔNp63 sont importantes pour le maintien du potentiel prolifératif des cellules de la couche basale, tandis que les isoformes TAp63 contribuent à des stades plus tardifs de la différenciation dans les kératinocytes matures473,474. Dans la liste des gènes cibles de p63 déjà validés expérimentalement, se trouvent des gènes impliqués dans l’apoptose (ex : Fas, Noxa,

Bax), le cycle cellulaire (ex : p21, p57, 14-3-3σ), l’adhésion (ex : Bpag1, Evl, Perp, Ita3-6, Laminin), le développement (ex : Notch, Bmp7, β-catenin) et la différenciation (Ikkα, Gata-3, Ets-1).

Des mutations germinales de TP63 existent chez les humains et causent le développement de maladies rares autosomiques dominantes, comme le syndrome EEC (ectrodactylie, dysplasie ectodermique, fente labio-palatine), le syndrome de Hay-Wells ou encore le syndrome de Rapp-Hodgkin475. Ces syndromes affectent le développement des différents organes d’origine ectodermique ou dérivant de l’interaction entre l’ectoderme en cours de développement et le mésoderme. Ils se caractérisent cliniquement par des dysplasies ectodermiques touchant la peau, la chevelure, les ongles, et les dents, et s’accompagnent fréquemment de malformations des mains ou des pieds, et de la présence d’une fente labio-palatine. Les patients atteints du syndrome EEC sont en outre affectés par un dimorphisme facial, des anomalies des canaux

lacrymaux, des problèmes urogénitaux et un retard de développement476. Collectivement, la prévalence de ces dysplasies ectodermiques est estimée à 7 cas pour 10000 naissances. Dans la plupart de ces cas, les mutations de TP63 donnent lieu à des substitutions d’acides aminés dans le domaine DBD de p63 qui abolissent sa capacité de liaison à l’ADN, ou bien conduisent à des décalages de la phase ouverte de lecture qui tronquent les isoformes de type α. Enfin, des mutations faux sens affectent spécifiquement le domaine SAM de p63 (domaine compact d’interaction protéine-protéine à structure globulaire) chez les patients atteints du syndrome de Hay-Wells.

2.3.2 p73 dans le développement et la maintenance du

système nerveux central

De leur côté, les souris knockout pour p73 présentent de sévères anomalies du développement cérébral. A la naissance, les souris Trp73-/- présentent une dysgénésie de l’hippocampe causée par une perte massive des neurones sympathiques situés dans le ganglion cervical supérieur (environ 40% par apoptose)477. Cette dysgénésie se caractérise par une organisation anormale de la couche de cellules pyramidales et du gyrus denté. Bien qu’affichant un retard de croissance important, ces souris sont viables mais meurent pour la plupart à l’âge de 4 semaines environ, et seul le quart d’entre elles atteignent l’âge adulte. Elles développent alors une hydrocéphalie congénitale, liée à une surproduction ou à un défaut de réabsorption du liquide cérébro-spinal, qui peut progresser de façon marquée et provoquer une expansion importante des ventricules latéraux, une compression du cortex et des saignements intraventriculaires. Des défauts de perception des phéromones provoquent aussi chez elles des d'anomalies du comportement social et reproducteur353. Les défauts neuronaux se manifestant chez les souris Trp73-/- révèlent le rôle déterminant de p73 dans les cellules neuronales en développement ainsi que dans le système nerveux mature pour le maintien à long terme des neurones adultes.

L’effet prosurvie de p73 au cours du développement du système nerveux a pu être attribué à l’expression prédominante des isoformes ΔNp73 antiapoptotiques dans le cerveau en développement et les ganglions sympathiques, où ils font office de facteurs de survie477. Ainsi, en réponse à une privation en NGF (Nerve growth factor) des cellules du ganglion cervical sympathique, les niveaux d’expression des isoformes ΔNp73 déclinent de façon spectaculaire, ce qui permet aux neurones d’entrer en apoptose478. L’implication de p73 dans la survie

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neuronale a aussi été décrite chez des souris adultes, dont les neurones acquièrent des mécanismes de survie se basant sur une augmentation du ratio d’expression entre les isoformes ΔNp73 et p53479. Ceci explique la perte massive de neurones corticaux du système nerveux sympathique observée chez les souris Trp73-/- adultes, qui se traduit par un amincissement des hémisphères corticaux et un élargissement des ventricules480. Par analogie, la densité neuronale dans le cortex moteur des souris ΔNp73-/- est significativement réduite environ 10 mois après leur naissance, et progresse avec des signes de neurodégénérescence481. La forte réduction du nombre de neurones voméro-nasaux explique également l’incapacité de ces souris à détecter les phéromones. Bien que les souris TAp73-/- présentent des défauts neurologiques moins

sévères (épaisseur du cortex normale), elles sont aussi atteintes d’anomalies du développement cérébral. Un déficit de neurogenèse dans la zone subgranulaire du gyrus denté, une structure majeure de l’hippocampe, est à l’origine de la dysgénésie de l’hippocampe observée chez ces souris. Ce phénotype suggère que les isoformes TAp73 sont critiques dans le maintien du potentiel prolifératif des cellules souches neurales et la persistance mémorielle482,483. Enfin, la protéine p73 ne régule pas simplement la mort cellulaire mais elle participe aussi activement à la différenciation neuronale via les isoformes TAp73, vraisemblablement en antagonisant la signalisation juxtacrine du récepteur Notch484,485.

Dernièrement, après avoir remarqué les ressemblances frappantes entre le phénotype des souris Foxj1-/- (le principal gène régulateur de la ciliogenèse) et celui des souris Trp73-/-, deux groupes de recherche ont examiné l’implication éventuelle de p73 dans la multiciliogenèse486. En effet, les cils cellulaires sont des organelles spécialisées présentes à la surface de nombreux épithéliums, et des anomalies de ces structures conduisent au développement de ciliopathies se caractérisant notamment par une hydrocéphalie sévère, des affections respiratoires, des otites et un infertilité487. Leurs travaux désignent p73, et plus particulièrement les isoformes TAp73, comme un facteur de transcription central dans la multiciliogenèse. Ils fournissent une explication unificatrice à la variété de défauts observés chez les souris Trp73-/-. Chez les souris

Trp73-/- et TAp73-/-, sont ainsi observées une raréfaction très significative du nombre de cils et une réduction importante de leur taille dans de nombreux tissus : épithéliums mucociliaires (oreille moyenne et sinus), épithéliums respiratoires (trachée et bronchioles), tubes séminifères (testicules), épithélium de l’oviducte (trompes de Fallope) (cf. Figure I-37)488. Grâce à l’utilisation d’une technique de séquençage à haut débit (RNA-Sequencing), un ensemble de 50 gènes requis dans la formation et la motilité des cils se sont révélés être affectés par l’absence d’expression de p73 (dont le facteur de transcription Foxj1)489.

Figure I-37 : p73 est un régulateur central de la multiciliogenèse488. L’analyse histologique de différents épithéliums des souris Trp73-/-, effectuée après un marquage avec l’hématoxyline et l’éosine (H & E, les flèches indiquent la présence de cils), et des marquages immunofluorescents de l’α-tubuline (en vert) et de p73 (en rouge), révèle une disparition complète des cellules multiciliées et fournit par la même occasion une explication unificatrice au phénotype de ces souris (inflammation des muqueuses, infections respiratoires chroniques, hydrocéphalie, stérilité, etc.).