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Fink et Merleau-Ponty La « phénoménologie de la phénoménologie » dans la

Chapitre 4. La subjectivité et la temporalité

3. Fink et Merleau-Ponty La « phénoménologie de la phénoménologie » dans la

Phénoménologie de la perception

Dans la Phénoménologie de la perception, Merleau-Ponty mentionne à maintes reprises le nom de Fink lorsqu’il aborde la phénoménologie de Husserl. Il n’est donc pas exagéré de dire qu’en ce qui concerne la compréhension de la phénoménologie, Merleau-Ponty s’appuie plutôt sur les écrits de Fink que sur ceux de Husserl. Les articles de Fink auxquels se réfère Merleau-Ponty sont par exemple « Représentation et image » (1930), « La philosophie phénoménologique d’Edmund Husserl face à la critique contemporaine » (1933) et « Le problème de la phénoménologie d’Edmund Husserl » (1939). Mais il cite outre ces écrits, dans l’« Avant-propos » de la Phénoménologie de la perception, la Sixième méditation cartésienne, texte qui restait inédit à cette époque-là275. Cette Sixième méditation, conçue et rédigée en tant que suite des Méditations cartésiennes de Husserl, est bel et bien l’ouvrage principal du

275

Il a lu ce texte pendant l’été 1942 par l’intermédiaire de Gaston Berger qui lui en a donné une copie (voir H. L. Van Breda, « Maurice Merleau-Ponty et les Archives-Husserl à

Louvain », in Revue de Métaphysique et de Morale, numéro 4, oct-déc. 1962, pp. 410-430). D’après la préface de l’éditeur de la Sixième méditation, « [l]e projet de publication des Meditations Husserl-Fink remaniées n’aboutit pas. La Sixième méditation circula néanmoins dans un petit cercle de phénoménologues, ce grâce à quoi elle demeura thème de discussion » (Hua-Dok II/1, p. XI ; tr. fr. pp. 8-9). Dans ce « petit cercle de phénoménologues », il y avait, outre Merleau-Ponty et Berger, D. Cairns, F. Kaufmann, A. Schütz et Tran Duc Tao.

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premier Fink276, et Merleau-Ponty est le premier en France à avoir remarqué l’importance de cet ouvrage277

. Nous procéderons dans cette section à un certain rapprochement entre la Sixième méditation de Fink et la Phénoménologie de la perception de Merleau-Ponty, et nous démontrerons par là même que Fink n’est pas simplement pour Merleau-Ponty un introducteur de la phénoménologie de Husserl mais aussi un grand penseur qui a laissé une trace évidente sur ses propres idées phénoménologiques. L’analyse phénoménologique (« constructive ») qu’effectue Fink dans la Sixième Méditation nous semble avoir profondément influé sur la pensée de Merleau-Ponty et notamment sur son idée de la « subjectivité ».

3-1. Le système phénoménologique dans la Sixième méditation cartésienne

Faisons pour commencer le tour du système phénoménologique établi par Fink dans la Sixième méditation. D. Takeuchi écrit dans sa remarquable étude sur Fink que « la théorie transcendantale de la méthode [dans la Sixième méditation] n’est qu’un problème secondaire et accessoire à l’égard de la ‘philosophie méontique de l’esprit absolu’, à savoir de la ‘méontologie’, que Fink a lui-même secrètement élaborée à cette époque-là »278. Cette méontologie ne constitue cependant pas, nous semble-t-il, un thème central de cet ouvrage. Elle est, au moins dans la Sixième méditation, une pensée cachée et n’y est esquissée que de manière allusive et indirecte. Mais il est certes vrai que la Sixième méditation ne se borne pas à la « phénoménologie de la phénoménologie ». Il y a effectivement dans cet ouvrage de nombreux autres sujets tout à fait fondamentaux et problématiques : la « langue transcendantale », les deux « mondanéisations (primaire et secondaire) », l’« apparence (Schein) », l’« analogie » entre le mondain et le transcendantal et la « motivation » de la réduction

276

Fink passe son habilitation avec la Sixième méditation en 1946.

277

Par ailleurs, comme le remarque D. Takeuchi (Dai Takeuchi, Phénoménologie et

métaphysique. Husserl, Fink, Heidegger (en japonais), Tokyo, Chisen-shokan, 2010, p. 12),

l’interprétation définitive qu’a donnée Merleau-Ponty de cette Sixième méditation – à savoir la « phénoménologie de la phénoménologie » ou l’« auto-critique de la phénoménologie » – a orienté dans une certaine mesure les études postérieures sur la philosophie finkienne. Par conséquent, la conception originale de la « méontologie » de Fink est cachée derrière cette idée de « phénoménologie de la phénoménologie » et a donc été rarement thématisée jusqu’à présent comme telle. Nous n’aborderons pas ici cette « méontologie » finkienne mais il nous faut cependant souligner qu’elle constitue pour Fink la question véritablement cruciale (voir à ce propos Stéphane Finetti, « L’épochè méontique chez Eugen Fink », in Annales de

phénoménologie 10, Amiens, Association pour la promotion de la phénoménologie, 2011,

pp. 33-60).

278

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phénoménologique, etc. Le but ici n’est pourtant pas d’envisager comme telles ces questions extrêmement difficiles dans la Sixième méditation. Nous nous limiterons en revanche à regarder brièvement le programme méthodique et méthodologique de la phénoménologie que Fink nous présente dans ce livre.

Le système phénoménologique que Fink entreprend de construire se divise schématiquement en deux parties : la « théorie transcendantale des éléments » et la « théorie transcendantale de la méthode ». La première se divise encore en « phénoménologie régressive » et en « phénoménologie constructive ». La « phénoménologie régressive » consiste, comme son nom l’indique, en une « question-en-retour depuis les unités de vie de l’expérience transcendantale du monde, depuis les actes, jusqu’aux couches constituantes profondes de la vie transcendantale »279. La phase qui précède cette phénoménologie régressive est celle de l’« esthétique transcendantale » qui correspond à « l’analyse du ‘phénomène du monde’, l’analyse des cogitata qua cogitata et de leurs structures universelles, la description des validités et des unités de validité purement comme telles, de la typique structurelle et des formes essentielles »280, à savoir l’analyse descriptive de l’expérience ou en d’autres termes la « phénoménologie statique » en tant qu’« analytique constitutive de la vie fluante comme expérience » 281

. La phénoménologie régressive est par contre la « phénoménologie génétique » qui consiste en une « question-en-retour constitutive dans la vie effectuante, sédimentée et impliquée dans les habitus actuels »282, et son but est non pas de décrire de façon statique l’expérience des actes intentionnels mais de remonter à la sphère ultimement constitutive de ces actes (les « couches constituantes profondes de la vie transcendantale »). Ce qui caractérise proprement cette phénoménologie régressive est la « réduction phénoménologique » : il s’agit là d’ouvrir un champ d’effectuation de la subjectivité transcendantale constituante au moyen de la réduction phénoménologique. Cette phénoménologie régressive comprend en outre la phénoménologie de l’« intersubjectivité ». L’une des tâches de la phénoménologie régressive est selon Fink « d’accomplir la forme égologique initiale de la réduction phénoménologique par la forme finale de la réduction intersubjective »283.

La « phénoménologie régressive » ainsi comprise a toujours une « donnée

279 Hua-Dok II/1, p. 12 ; tr. fr. p. 63. 280 Hua-Dok II/1, pp. 11-12 ; tr. fr. p. 63. 281 Hua-Dok II/1, p. 6 ; tr. fr. p. 57. 282 Hua-Dok II/1, p. 6 ; tr. fr. p. 58. 283 Hua-Dok II/1, p. 6 ; tr. fr. p. 58.

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réductive » 284 comme son horizon de recherche. C’est-à-dire que dans la phénoménologie régressive son objet est toujours intuitivement donné au moyen de la réduction phénoménologique. La « phénoménologie constructive » (que Fink appelle autrement « dialectique transcendantale ») consiste en revanche à interroger « ‘des horizons extérieurs de la donnée réductive’ de la vie transcendantale »285 ou « le sens de la ‘non-donnée [Ungegebenheit]’ transcendantale »286

. Bref, « [l]’objet – ou mieux, les objets – de la phénoménologie constructive ne sont pas ‘donnés’ »287. Cette interrogation propre à la phénoménologie constructive, « dès lors qu’elle quitte le sol de la ‘donnée’ transcendantale, ne donne plus à voir de manière intuitive, mais procède nécessairement de manière constructive »288. Dans la mesure où ce dont il s’agit en l’occurrence est la « non-donnée transcendantale » qui n’est en principe pas donnée intuitivement par la réduction phénoménologique, il nous faut ici l’analyser non pas de manière « descriptive » ou « génétique » mais « de manière constructive »289.

Or, qu’est-ce exactement que cette « non-donnée transcendantale » ? Selon Fink, c’est le « commencement » et la « fin » de la vie transcendantale :

Si la phénoménologie régressive a pour thème le devenir constitutif du monde dans la mesure où il parvient à venir au jour par la méthode de l’analyse constitutive intentionnelle comme devenir présent et passé dans le fonds du tout transcendantal des monades donné par la réduction, en revanche la

284

D’après Fink, cette « donnée réductive » est « le titre comprenant en soi la totalité de ‘l’être’ qui s’atteste par la réduction phénoménologique comme existant de manière

transcendantale, c’est-à-dire la communauté des monades centrées dans l’ego primordial ». La « donnée » signifie « donc dans ce contexte, non pas un être-présent et un être-là devant soi, à peu près comme sont là les choses ‘données’ en tant qu’objets de l’expérience naturellement mondaine, mais signifie l’accessibilité possible par le biais du déploiement de la réduction

phénoménologique ». (Hua-Dok II/1, p. 63-64 ; tr. fr. p. 111) 285 Hua-Dok II/1, p. 7 ; tr. fr. p. 59. 286 Hua-Dok II/1, p. 62 ; tr. fr. p. 110. 287 Hua-Dok II/1, p. 62 ; tr. fr. p. 110. 288 Hua-Dok II/1, p. 7 ; tr. fr. p. 59. 289

D’après S. Finetti (Stéphane Finetti, « La construction phénoménologique en tant qu’attestation de la temporalisation originaire », communication faite à la journée d’études doctorales ERRAPHIS « Le réel et le transcendantal. Recherches actuelles en

phénoménologie », Toulouse, le 23 mai 2011), la construction finkienne consiste en réalité

dans un double mouvement. D’une part, la construction est le mouvement de transcendance au-delà des données réductives, mais d’autre part, elle est aussi le contre-mouvement qui situe la construction de nouveau dans l’intuition phénoménologique qu’elle transcende. Fink exprime ce contre-mouvement par un terme paradoxal : « intuition constructive ». Cette « intuition constructive » est, toujours d’après Finetti, l’intuition d’une « apparence (Schein) » ou l’intuition d’une « image (Bild) ». C’est cette « apparence » de l’intuition qui a pour fonction de lier la construction à l’intuition phénoménologique.

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phénoménologie constructive a entre autres choses à soulever les questions transcendantales du « commencement » et de la « fin » de la constitution égologique tout autant qu’intersubjective du monde, et à y répondre290

.

Néanmoins, le commencement et la fin dont il s’agit ici ne désignent pas simplement la naissance et la mort de l’homme comme un organisme. Fink ne met pas en question le commencement et la fin de la vie humaine et mondaine, parce qu’ils sont l’objet propre de la psychologie ou de la biologie (et aussi de l’éthique). Mais plus exactement, il s’agit dans la phénoménologie constructive des « problèmes transcendantaux indiqués dans les ‘phénomènes’ donnés de manière mondaine de la naissance et de la mort »291

. Le commencement et la fin dont il est question ici ne sont pas nécessairement la naissance et la mort mêmes éprouvées dans le monde mais ils indiquent seulement les problèmes transcendantaux (à résoudre de manière constructive) à l’égard d’eux-mêmes. Ceci est confirmé par le fait que Fink évite prudemment d’assimiler la naissance et la mort de l’homme avec le commencement et la fin de la vie transcendantale.

Quoi qu’il en soit, dans le commencement et la fin de la vie transcendantale, il n’existe aucune donnée intuitive qui doit nous être donnée par la mise en jeu de la réduction phénoménologique, et dès lors pour en acquérir une certaine compréhension, il nous faut la construire. C’est le sens de la phénoménologie constructive.

Ainsi se constitue la « théorie transcendantale des éléments » de la phénoménologie régressive « en tant qu’analytique constitutive de la subjectivité transcendantale attestée ‘de manière intuitive’ et donnée de manière réductive » et de la phénoménologie constructive « en tant que totalité de toutes les constructions motivées qui outrepassent la donnée intuitive de la vie transcendantale »292. Nous en venons maintenant à la « théorie transcendantale de la méthode ». Ce second grand axe du système phénoménologique de la Sixième méditation consiste en ceci que son « thème » est non pas – comme c’est le cas dans la « théorie transcendantale des éléments » – la « constitution du monde » mais le « spectateur transcendantal (transzendentaler Zuschauer) ».

Le « spectateur transcendantal » est l’ego transcendantal réfléchissant ou – pour utiliser les termes de Fink – l’« ego phénoménologisant » que Husserl avait d’abord

290 Hua-Dok II/1, p. 12 ; tr. fr. p. 63. 291 Hua-Dok II/1, p. 69 ; tr. fr. p. 116. 292 Hua-Dok II/1, p. 8 ; tr. fr. p. 59.

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conçu dans la Philosophie première et les Méditations cartésiennes et que Fink a par la suite repris et développé dans la Sixième méditation. Dans la réflexion proprement phénoménologique se produit toujours, avec l’accomplissement de la réduction, « un clivage radical [eine radicale Spaltung] à l’intérieur de l’être transcendantal »293. Ce clivage divise l’ego en ego phénoménologisant et en ego constitutif du monde, le premier étant appelé « spectateur transcendantal » et le dernier « subjectivité transcendantale ». Ce « spectateur » ne participe pas à la constitution du monde effectuée par la subjectivité transcendantale. Ce qui caractérise en propre le spectateur est un « désintéressement » à l’égard de la constitution du monde. Le spectateur dévoile de manière réductive le devenir constitutif du monde de la vie transcendantale en se mettant à distance de ce devenir même. D’après Takeuchi, ce spectateur n’est cependant pas à comprendre comme « le point de vue transcendant qui regarde de l’extérieur l’activité phénoménologique » mais comme « le ‘point aveugle’ qui accompagne nécessairement l’ego constitutif du monde au moment où celui-ci prend conscience de lui-même »294. Le spectateur est simplement là présent (dabei) dans l’accomplissement de la constitution du monde. Selon Fink, la phénoménologie régressive et la phénoménologie constructive (à savoir la « théorie transcendantale des éléments ») consistent en ceci qu’elles font de ce spectateur leur « sujet » et de la constitution du monde leur « thème ».

Par contre, dans la « théorie transcendantale de la méthode », c’est le spectateur qui en devient le « thème ». Fink écrit à ce propos : « en un mot, l’activité opérante méthodique [le spectateur transcendantal] détournée d’elle-même dans la théorie transcendantale des éléments, tournée vers les ‘choses mêmes’ phénoménologiques devient en tant que tel le thème d’une analytique transcendantale [la théorie transcendantale de la méthode] »295. La « théorie transcendantale de la méthode » consiste donc à transposer le spectateur – qui est le « sujet » dans la « théorie transcendantale des éléments » – en « thème », et ceci revient à dire que le « sujet » et le « thème » coïncident dans la « théorie transcendantale de la méthode ». Le spectateur transcendantal est à la fois le « sujet » et le « thème » dans la dite théorie. Selon les dires de Fink, la « théorie transcendantale de la méthode » n’est rien d’autre qu’un « processus de son auto-objectivation »296

du spectateur. Dans la mesure où la

293

Hua-Dok II/1, p. 12 ; tr. fr. p. 64.

294

Takeuchi, Op. cit., p. 34, traduit par nous.

295

Hua-Dok II/1, p. 29 ; tr. fr. p. 79.

296

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« théorie transcendantale de la méthode » consiste à faire le « thème » de l’analyse phénoménologique du spectateur transcendantal qui fonctionne comme le « sujet » de l’activité phénoménologisant dans la « théorie transcendantale des éléments », elle est qualifiée à juste titre de « phénoménologie de la phénoménologie » ou d’« auto-critique de la phénoménologie »297

.

3-2. La « théorie transcendantale des éléments » dans la Phénoménologie de la

perception

Procédons maintenant à un rapprochement entre la Sixième méditation de Fink et la Phénoménologie de la perception de Merleau-Ponty. Ce premier ouvrage majeur de Fink restait encore inédit à l’époque où Merleau-Ponty a commencé à rédiger sa deuxième thèse, et il ne figure donc pas dans la liste des « travaux cités » de cette thèse. Merleau-Ponty ne cite en effet que deux fois la Sixième méditation dans la Phénoménologie, ce qui est loin de refléter son influence – certes discrète – sur cet ouvrage, qui présente par exemple plusieurs traits de ressemblance avec la Sixième méditation. Ce qui nous importe ici, c’est que, comme nous le verrons, ces traits communs portent sur l’auto-transcendance de la conscience, à savoir sur le concept merleau-pontien de l’« expression ». C’est pourquoi nous procédons dans cette section à un rapprochement de ces deux thèses.

Commençons par examiner le passage suivant dans lequel Merleau-Ponty utilise l’expression finkienne de « phénoménologie de la phénoménologie » :

Il faut que ces descriptions [du phénomène et du champ phénoménal] soient pour nous l’occasion de définir une compréhension et une réflexion plus radicales que la pensée objective. À la phénoménologie entendue comme description directe doit s’ajouter une phénoménologie de la phénoménologie298

.

Il s’agit du passage qui se situe tout à la fin de la deuxième partie de la Phénoménologie. Après ce passage, c’est-à-dire dans la troisième partie,

297

« En d’autres termes, la théorie transcendantale de la méthode ne vise à rien d’autre qu’à une phénoménologie de la phénoménologie. » (Hua-Dok II/1, p. 9 ; tr. fr. p. 60) « Le thème de

la théorie transcendantale de la méthode, qui est par là même la science phénoménologique de

l’activité phénoménologisante, la phénoménologie de la phénoménologie, n’est précisément

rien d’autre que ce spectateur. » (Hua-Dok II/1, p. 13 ; tr. fr. p. 64) 298

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Merleau-Ponty aborde les trois sujets importants – que nous avons précédemment en partie étudiés –, à savoir le « cogito », le « temps » et la « liberté ». À en croire ce passage, la « phénoménologie de la phénoménologie » de Merleau-Ponty s’effectuerait dans cette troisième partie. Toutefois, Merleau-Ponty n’y utilise jamais cette expression. Où peut-on alors trouver un impact qu’exercerait la Sixième méditation sur la Phénoménologie de la perception ?

Pour répondre à cette question, nous devons revenir ici sur l’idée merleau-pontienne de la subjectivité qui est centrée, comme nous l’avons déjà souligné plusieurs fois, sur la notion de « cogito silencieux ». Immédiatement après le passage cité ci-dessus, Merleau-Ponty écrit en effet : « [n]ous devons revenir au cogito pour y chercher un Logos plus fondamental que celui de la pensée objective, qui lui donne son droit relatif et, en même temps, la mette à sa place »299. Selon nous, c’est justement dans ce concept du cogito que se trouve un premier trait de ressemblance entre Fink et Merleau-Ponty300.

Avant de préciser ce premier trait commun, signalons d’abord que dans la « théorie transcendantale des éléments » de Fink, la « subjectivité transcendantale » advient à soi-même à travers le « spectateur phénoménologique » :

Dans la réduction phénoménologique a lieu l’« éveil » de la constitution transcendantale du monde, le procès du devenir conscient transcendantal de soi s’accomplit. Dans la thématisation du spectateur phénoménologique et par cette dernière, la cosmogonie constitutive advient à elle-même, elle sort de l’obscurité et de « l’être-en-dehors-de-soi [Ausser-sich-Sein] » et entre dans la clarté de « l’être-pour-soi [Fürsichseins] » transcendantal. Ainsi donc, la théorie transcendantale des éléments est le mouvement de l’« advenir-à-soi-même

299

PP, 419.

300

Selon Barbaras, « [l]a troisième partie de l’ouvrage correspond, au contraire, à un

changement de plan, c’est-à-dire au passage d’une attitude descriptive à une attitude réflexive : il s’agit de faire retour sur la perception elle-même pour en interroger le sujet, le ‘qui’ » (Le

tournant de l’expérience. Recherches sur la philosophie de Merleau-Ponty, op. cit., p. 159). La

tâche de la troisième partie de la Phénoménologie de la perception consiste ainsi à thématiser le « sujet » de la perception, à en mettre en question le « qui ». Cette troisième partie serait en ce sens bien considérée comme ce qui réalise une phénoménologie de la phénoménologie, parce que, comme nous l’avons vu, chez Fink, la phénoménologie de la phénoménologie a pour objet de thématiser le « sujet » (le « spectateur transcendantal ») qui fonctionne

anonymement dans toute la réflexion effectuée par la subjectivité transcendantale. Néanmoins, la « phénoménologie de la phénoménologie » au sens proprement finkien n’est en fait pas possible chez Merleau-Ponty. Nous en montrerons la raison ultérieurement.

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[Zu-sich-selbst-Kommens] » de la subjectivité transcendantale, qui s’accomplit par le spectateur phénoménologisant dans son agir théorique, dans la mesure où celle-ci, et pour autant qu’elle est, est origine constituante du monde en tant qu’univers de tout étant301

.

Le spectateur transcendantal se tient habituellement dans une « union personnelle (Personalunion) » avec la subjectivité transcendantale302. Mais dans cette « union personnelle » se produit une fente par l’accomplissement de la réduction phénoménologique, et par là le spectateur se sépare, pour ainsi dire, de la vie transcendantale. Comme nous l’avons déjà précisé, le spectateur qu’est le point aveugle de la vie transcendantale ne participe pas lui-même à la constitution mais est simplement là présent dans cette constitution. Fink souligne souvent l’« altérité » de ce spectateur à l’égard de la subjectivité transcendantale. Le spectateur et la subjectivité