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Le film didactique

Dans le document Le récit et le savoir (Page 113-116)

2.4 Récit fictionnel et récit factuel

2.4.2 Le récit filmique

2.4.2.2 Le film didactique

Le film didactique présente cette particularité que l'intention didactique est inscrite dans la structure du film. Jacquinot (1977) a relevé les structures formelles de ce genre. Le film didactique fait référence à trois «mondes» :

1. le monde de la classe, celui des élèves qui se manifeste par la présence du professeur qui s'adresse à eux;

2. le monde du spécialiste que représentent les graphiques, cartes et écrits qui viennent interrompre le discours et ont une fonction illustrative;

3. le monde de la réalité que l'on retrouve également dans le film de fiction. Ces trois mondes s'organisent autour de la parole du professeur qui structure le discours. Faisant sienne la constatation d'Egly selon laquelle le film didactique se présente comme «le type même de film... n'admettant en général qu'une seule interprétation», Jacquinot fait ressortir l'importance quantitative et qualitative du commentaire qui, d'une part, ancre ces trois mondes de référence dans l'intention et le propos didactiques en assurant un contrôle parfait de l'image et, d'autre part, incorpore un message implicatif qui objective le fait qu'il s'adresse directement à l'élève. Ce rôle dévolu au commentaire est redoublé par l'utilisation de la musique et du bruitage qui sont utilisés comme substituts analogiques du monde. Ceci a des conséquences au niveau de la consécution des plans qui s'organise non plus comme dans le film de fiction autour de la notion de temps mais est régie par celle d'articulation logique. En effet, dans le film didactique, l'agencement des séquences vise à montrer et à démontrer. Et Jacquinot a relevé les principaux types de syntagmes qu'utilise le film didactique : le syntagme monstratif, le syntagme allusif, le syntagme démonstratif, le syntagme catégoriel, le syntagme comparatif et le syntagme inclusif.

Cependant, le travail de Jacquinot ne fait que repérer différents types de syntagmes que l'on retrouve dans la plupart des films didactiques tout comme Metz (1968) avait décrit les différents types de syntagmes du film de fiction. Cette

approche est descriptive et ne renseigne en rien sur la structure d'apprentissage que met en œuvre tout récit didactique dans le but de provoquer des modifications cognitives, affectives ou comportementales chez le destinataire. En effet, dire que l'agencement des séquences, dans le film didactique, propose un certain nombre d'opérations d'intellection, c'est là énoncer un truisme car tout film propose des opérations d'intellection qui caractérisent le fait de saisir le sens du passage d'un plan à l'autre, d'une séquence à l'autre. Les deux traits distinctifs des structures du film à intention didactique semblent être l'extériorité du narrateur et la fonction conative du discours. Mais il partage le premier avec tout film documentaire et le second avec tout message publicitaire. Quant à l'instance triréférentielle, cette instance didactique que constituent les trois «mondes» représentés dans le film didactique, elle est une constante dans un certain type de production de films éducatifs qui miment l'univers de la classe traditionnelle plus qu'elle ne constitue une structure narrative d'apprentissage. Et l'ennui, pour ne pas dire l'échec que tous les observateurs et spécialistes s'accordent à reconnaître, qui se dégage de ce type de production réside justement dans le fait que cette instance didactique ne s'insère pas dans une structure narrative lorsqu'elle est importée de la situation de la classe standard pour être prise en charge par un médium éminemment et essentiellement narratif. Vouloir conceptualiser par l'image filmique, opération qui n'est possible jusqu'à preuve du contraire que par le langage, comme le souligne à juste titre Jacquinot, aboutit d'une part, à ces ruptures diégétiques repérées, tant il est vrai que diégèse et histoire sont inséparables et, d'autre part à l'élaboration des différents types de syntagmes relevés par Jacquinot, syntagmes qui miment la conceptualisation par le langage. Mais cette imitation n'est qu'un leurre puisque la parole du locuteur comble les vides, cimente les ruptures, efface les manques, masque les blancs. Dans le film didactique, le travail de conceptualisation s'effectue tout simplement par la parole. Les ruptures diégétiques repérées par Jacquinot sont aplanies par la parole du commentateur qui est l'instance qui assure le lien entre les séquences. Cependant, l'instance

triréférentielle peut s'insérer dans un récit comme l'illustre bien le film Le parc Jurassique (1991) de Steven Spielberg. Lorsque le paléontologue découvre dans le sous-sol du Montana le squelette d'un vélociraptore à l'aide d'une sonde qui reproduit son image sur l'écran de l'ordinateur, il explique à l'enfant qui s'était moqué de cette découverte en comparant l'animal à une grosse dinde, les qualités physiques, la puissance et l'intelligence du dinosaure dans une séquence qui reproduit cette instance triréférentielle analysée par Jacquinot. Le discours du paléontologue, celui qui sait, et l'enfant et sa moquerie, celui qui ne sait pas, représentent le monde de la classe; l'image du squelette du dinosaure sur l'écran de l'ordinateur représente le monde du spécialiste; et le récit qui englobe cette leçon représente le monde de tout le monde. Il n'y a pas de rupture diégétique puisque les deux mondes qui, dans le film didactique, le rompent sont, ici, intégrés à la diégèse. On peut dire qu'en fait, il n'y a pas, dans le film didactique, la constitution d'une diégèse. Jacquinot assimile de façon abusive ce terme à l'un des mondes de l'instance triréférentielle, le monde de tout le monde. Or, nous le verrons plus loin, la diégèse suppose la constitution d'un personnage qui n'existe pas dans les films à caractère didactique analysés par Jacquinot. Ce qui caractérise donc la structure du film didactique telle qu'analysée par Jacquinot reste et demeure la présence insistante et omniprésente au premier plan du discours, d'un locuteur qui explique et complète ce que montre la bande image, en un mot un narrateur qui narre tout comme dans le film documentaire puisque, dans un cas comme dans l'autre, le récit n'est pas clôturé, il ne prend pas en charge sa propre narration. Là encore, la bande image constitue un objet d'énonciation pour un sujet- locuteur. Les propos véhiculés par la bande image sont mis en relation avec le sujet qui énonce. La différence avec le documentaire, est que dans le film didactique le sujet d'énonciation est toujours un sujet d'énonciation théorique. Mais tous deux, le film documentaire et le film didactique sont des énoncés de réalité. En outre, si le film didactique possède cette caractéristique de s'adresser explicitement à l'élève, c'est-à-dire au spectateur, il est vrai également que tout film, y compris le film de

fiction, est également construit en visant un destinataire même s'il ne le manifeste pas explicitement. Cette présence du narrateur a longtemps été l'obstacle qu'a dû surmonter le cinéma pour constituer un récit qui prend en charge sa propre narration. C'est pour cela que, note Noël Burch (1991), le bon conférencier, le bonimenteur du cinéma «primitif» muet, évitait toute allusion aux images afin de ne pas détruire l’illusion référentielle.

Dans le document Le récit et le savoir (Page 113-116)