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Les trois discours

Dans le document Le récit et le savoir (Page 178-181)

3.1 La diégétisation

3.5.1 Les trois discours

L'analyse en tant que discours sur le film est une activité commune à tout spectateur. Mais il existe d'autres discours spécialisés. Metz (1968, p. 92-93) propose une typologie en cinq points de la réflexion sur le cinéma. À la suite de Cohen-Séat (1959, p. 79), on peut les distribuer en deux catégories : les discours issus du milieu du cinéma : la critique, l'histoire et la théorie du cinéma; et les discours externes au milieu : la filmologie et la sémiologie. Les discours sur le récit audiovisuel sont multiples et il n'existe pas de méthode universelle d'analyse. Chaque analyste doit construire ses propres outils en fonction de ses hypothèses de recherche et de l'objectif qu'il s'est fixé. Néanmoins, l'analyse du récit audiovisuel a une histoire. Casetti (1993) a résumé les différentes approches de l'audiovisuel dans le tableau suivant : Systématique Analyser Savoir prospectif Consistance (heuristique) Métaphysique Essence du cinéma Définir le cinéma Savoir global Vérité Phénoménique Problématique Explorer Savoir transversal Prégnance Axe de pertinence Théories ontologiques Théories méthodologiques Théories du champ Source: Casetti (1993), p. 21 Objet Opération Savoir Critère d’évaluation Composante

Cette classification indique le sens fléché de l'histoire de l'analyse du récit audiovisuel. Cependant si l'on va des théories ontologiques aux théories du champ, toutes les approches coexistent car elles correspondent à une distribution des rôles.

Les théories ontologiques sont essentiellement des discours internes au milieu du cinéma ou de l'audiovisuel et elles sont présentes dès les débuts du septième art. Des cinéastes comme Eisenstein, Vertov et plus tard Pasolini, ont toujours parlé de leurs oeuvres et défendu théoriquement leurs films. Les écrits de Sadoul (1976) et de Epstein (1974) datent des débuts du cinématographe. Et plus prosaïquement, les réalisateurs, producteurs et exploitants de salles et autres cinéphiles, ont toujours parlé des films soit pour les défendre, soit pour les commercialiser. Ce sont des discours de praticiens, d'amoureux du septième art effectués dans une visée promotionnelle qui mobilisent toutes les disciplines susceptibles de défendre cet art. Les textes d'Eisenstein ont pour référence l'histoire de l'art et de la littérature. Ceux de Sadoul se réfèrent à l'histoire, mais celle qu'ils constituent n'en est pas une d'historien, mais d'amateur fervent et passionné. Toutes ces oeuvres qui mêlent histoire et théorie ont un caractère totalisant. Elles cherchent à dégager l'essence du cinéma. Symptomatique en ce sens est, en effet, le titre de l'oeuvre majeure de Bazin (1962): «Qu'est-ce que le cinéma ?». Trois grandes questions sous-tendent ces théories : a) celle des rapports entre cinéma et réalité. Bazin voit dans le cinéma un instrument d'exploration de la vérité du réel. L'image cinématographique reproduit et fait émerger la vérité du réel; c'est l'illusion de la transparence. Tandis que chez Kracauer le cinéma restitue la réalité des faits; il est document sur son époque et sur le cinéma de son époque.

b) celle des relations entre cinéma et imaginaire. Morin (1956) étudie l'image animée comme plaque tournante entre le réel et l'imaginaire au sein d'un art technologique qui renvoie à la fois au modernisme de notre siècle - le vingtième - et à l'archaïsme de notre esprit.

c) celle des relations entre cinéma et langage. Martin (1962) édicte des préceptes, établit des règles de bon usage de l'écriture cinématographique. Il s'agit de constituer une grammaire du cinéma. Quant à Laffay et Eisenstein, ils s'interrogent sur les capacités discursives du cinéma.

Les théories méthodologiques sont des discours produits par des universitaires qui construisent un objet en fonction d'un axe de pertinence et abordent le récit audiovisuel en référence à une discipline scientifique. La première approche dite «méthodologique» est la filmologie. Elle est née en 1946 et fut éphémère puisque ces recherches cessèrent dès 1956, soit à peine dix ans plus tard. Elle considère le cinéma non plus comme un art que l'on doit défendre mais comme un objet qu'il faut étudier. Elle a recours à des disciplines scientifiques : biologie, psychologie, physiologie, sociologie, etc. Elle étudie les problèmes de la perception de l'image cinéma- tographique, du souvenir des films, de la construction de l'espace et du temps, etc. Avec la filmologie, le cinéma se constitue en un champ spécifique. Il s'isole de la littérature et de l'art. La théorie du cinéma se sépare de la critique également. Elle devient une institution autonome, également distincte de la réalisation. Elle travaille sur le fait filmique et interroge le cinéma de l'extérieur de l'institution cinématographique. La filmologie est une préannonce de la rupture qu'opérera la sémiologie. Celle-ci est dans la ligne de celle-là puisqu'il s'agit d'utiliser les outils d'une discipline constituée des sciences humaines, la linguistique en l'occurrence, pour comprendre le cinéma. La notion de langage recouvre deux entités : la langue (naturelle) et les langages (musique, cinéma, photo, etc.). Le cinéma en tant que langage est un objet d'étude qui peut être questionné avec les outils de la linguistique qui n'est, pour de Saussure et Peirce, qu'une branche de la sémiologie, science générale des signes. D'un objet esthétique ou idéologique, la sémiologie a fait du cinéma un objet de recherche scientifique. En définissant un axe de pertinence, les travaux de la sémiologie ont arraché la théorie du cinéma à l'impressionnisme qui caractérisait les discours du paradigme ontologique. Il ne s'agit plus de dire que le cinéma existe, qu'il est un art, mais de décrire et de construire un objet d'étude en fonction duquel le chercheur va poser des questions dans le but de comprendre cet

objet.

Les théories du champ approchent le récit audiovisuel avec l'aide d'outils provenant de champs disciplinaires différents afin d'éclairer une problématique. Cette approche est souvent le fait soit d'universitaires, soit d'intervenants professionnels conscients et convaincus de la fonction sociale de l'audiovisuel. Cette approche n'est pas moins rigoureuse ni moins «scientifique» que les théories méthodologiques. Elle s'en distingue uniquement par l'objectif visé qui en escompte des retombées concrètes. C'est le cas, par exemple, des recherches menées par Alain Marty sur l'analyse de film et des travaux théoriques menées par ce que l'on a appelé le «mouvement de la déconstruction» qui visent à faire saillir et à stigmatiser la fonction idéologique des films commerciaux destinés au grand public, fonction qui reposerait sur l'illusion de la transparence, dans le but de promouvoir un autre cinéma qui détruirait la référence réaliste, un cinéma matérialiste5. Mais plus fondamentalement,

les théories du champ sont nées de la rupture opérée par certains chercheurs avec le courant sémiologique. Celui-ci n'est pour ceux-là que «la description logifiée de l'ensemble des codes spécifiquement cinématographiques» (Bellour, 1972, p. 209) alors qu'eux, cherchaient à saisir le mouvement du texte dans l'ensemble de ses codes sans qu'aucun de ceux-ci ne constitue leur objet propre. Il s'agit plutôt de saisir la combinaison singulière de ces derniers dans un système textuel. Cet objectif réclame une approche composite et éclectique car elle vise à rendre compte de l'articulation et de l'action signifiante des codes, et donc des dimensions sémantiques à l'oeuvre dans un récit audiovisuel.

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