FERNAND . Où donc ? à la course ? ... Elle est finie .
D'AUGEROLLES . Finie ?
FERNAND . Et bien tristement ?
D'AUGEROLLES . Que veux - tu dire ?
FERNAND .
A la première haie, Titan s'est abattu . D’AUGEROLLES .
Titan ! Qui donc a osé prendre ma place ?
• D’Augerolles, Fernand , malame d'Augerolles .
FERNAND .
Mais tu le sais bien ... M. de Laverdac . MADAME D'AUGEROLLES . Lui !
FERNAND .
On t'attendait . On commençait même à s'étonner de ton absence , lorsque Laverdac est entré dans l'enceinte et a dit aux commissaires des courses que tu ne vien drais pas ; que , malade, tu l'avais prié de te remplacer .
D’AUGEROLLES . Moi ?
FERNAND .
D'abord ,on ne voulait pas consentir au changement, mais il a tellement insisté , et le public montrait tant d'impatience qu'il l'a emporté .
D'AUGEROLLES . Le malheureux !
FERNAND .
Oui , car il n'a pu maîtriser le cheval ,qui s'est élancé furieux et a été donner tête baissée contre le premier obstacle .
MADAME D'AUGEROLLES . Ah ! mon Dieu .
D’AUGEROLLES . Et Laverdac ?
FERNAND . J'ai fermé les yeux .
DAUGEROLLES . Ses blessures sont - elles graves ?
FERNAND , après un silence . On craint pour sa vie .
D'AUGEROLLES , s'élancant vers la porte.
Ab ! on ne peut pas m'accuser d'avoir été cause de ce
malheur . ( Il sort . )
SCÈNE XIII
FERNAND , MADAME D'AUGEROLLES , puis MADAME DE BARSANNE . MADAME D'AUGEROLLES , d'une vois étouffée . Oui ... il a raison ... ce n'est pas lui qu'on doit accuser .
FERNAND .
J'ai le coeur brisé . Pauvre ami ! Nous avions cause avant l'accident .
MADAME D'AUGEROLLES . Que disait - il ?
FERNAND .
Il paraissait gai ... d'abord ... mais , je ne sais pourquoi, son rire me faisait mal . A ceux qui essayaient de le dis suader de courir , il répondait que la comédie de la vie l'ennuyait à périr , qu'il avait besoin d'émotions vio lentes et qu'il n'aurait qu'un regret s'il devait lui ar river malheur , ce serait de ne pas gagner la course .
MADAME D’AUGEROLLES . Mais à toi , en particulier ? ...
FERNAND .
Des phrases bizarres ... Oh ! il se passait en lui quel chose d'extraordinaire , c'est sûr , « Fernand , me disait - il , quand vous aimerez , faites en sorte de n'être jamais importun ; c'est un écueil qu'il faut savoir évi ter . » Puis , le pied dans l'étrier , il a ajouté : « Saluez
ACTE II
madame d'Augerolles de ma part ; ne l'oubliez pas, je vous en prie . »
MADAME D'AUGEROLLES , à part.
Mon Dieu ! ... mon Dieu ! ... ( Apercevant madame de Bar sanne qui entre . ) Ah ! vous savez tout , n'est - ce pas * ?
MADAME DE BARSANNE . Oui . On vient de m'apprendre ...
MADAME D’AUGEROLLES .
Fernand , mon ami , informe - toi du blessé , et quoi que tu apprennes , viens me le dire à l'instant.
FERNAND .
Oui , petite socur . ( 11 sort.)
SCÈNE XIV
MADAME DE BARSANNE , MADAME D’AUGEROLLES .
MADAME D’AUGEROLLES , sanglotant.
C'est moi , moi qui suis cause de ce malheur ! MADAME DE BARSANNE . Pourquoi penser cela ?
MADAME D'AUGEROLLES .
Il a répété à Fernand les phrases du billet que je lui ai écrit devant vous ... et s'il meurt , ce sera ma faute !
MADAME DE BARSANNE .
On exagère peut - être la gravité de ses blessures . Fernand , madame de Barsaune, madame d'Augcrolles.
MADAME D'AUGEROLLES .
Dieu vous entende ! Oh ! j'ai la tête perdue . Vous ne savez pas ... Si , vous le saviez sans vouloir me le dire ...
J'ai tout appris ... C'était pour obéir à sa maîtresse que M. d'Augerolles allait monter ce cheval.
MADAME DE BARSANNE . Calmez -vous, je vous en supplie .
MADAME D'AUGEROLLES .
Et c'est pour cet ingrat que j'ai repoussé un cæur gé néreux , dévoué jusqu'à la mort .
MADAME DE BARSANNE . Marie !
MADAME D’AUGEROLLES .
Je ne peux pas laisser mourir sans un mot d'adieu l'homme qui a voulu se tuer pour moi !
MADAME DE BARSANNE . Que dites - vous ?
MADAME D'AUGEROLLES . J'irai chez monsieur de Laverdac .
MADAME DE BARSANNE . Sivous faites cela , vous vous perdez !
MADAME D'AUGEROLLES . Qu'importe , si je le sauve !
MADAME DE BARSANNE , avec autorité . Vous n'irez pas chez cet homme .
MADAME D’AUGEROLLES . Qui donc m'en empêcherait ?
MADAME DE BARSANNE . Marie !
ACTE II
MADAME D'AUGEROLLES , avec violence .
J'irai , vous dis - je, mon parti est pris ! et si je fais mal, que Dieu me jugei ( Elle sort à gauche , dans le plus grand trouble .)
MADAME DE BARSANNE .
Marie ! ... Elle aussi ... coupable ! ... Je ne veux pas qu'elle le devienne !
FIN DU DEUXIÈME ACTE
Bayerische Staatsbibliothek
München
6
UN PETIT SALON ÉLÉGANT CHEZ M. DE LAVERDAC
Divans . Une petite table pour écrire , à droite . Portes au fond et à droite . · A gauche , une porte sous tenture .
SCÈNE PREMIÈRE JEAN , puis HONORÉ .
JEAN , assis , regardant une liste .
En est -il venu de ces visites aujourd'hui! C'est agréa blede se jeter par terre quand on est vicomte ; on vous aide à vous relever au moins .
HONORÉ , passant sa tête dans l'ouverture de la porte . Peut - on entrer ?
JEAN , sans se retourner . Non , ma porte est défendue .
HONORÉ * . C'est moi , Honorė .
JEAN .
Tiens , qu'est - ce que tu viens faire par ici ? HONORÉ .
M'informer de ta santé et de celle de M. de Laverdac . Honoré , Jean .
93 JEAN .
Je suis assez content de la mienne , les eaux m'ont fait du bien .
HONORÉ . Et ton vicomte ?
JEAN .
Peuh ! la course d'hier a mal fini. Les maîtres ne sa vent pas tomber de cheval; ils y mettent de la raideur .
HONORÉ . Et ça nous trouve maladroits !
JEAN , se levant .
Tu es toujours chez mademoiselle Boccarelli ? HONORÉ .
Toujours, et voici une lettre d'elle pour ton maître . Je dois la remettre à lui-même .
JEAN .
Elle est donc bien intéressante , ta lettre ? Qu'est - ce qu'elle dit ?
HONORÉ .
Je n'ai pas pu voir : l'enveloppe est collée d'une façon ridicule ; mais il doit y avoir dedans quelque gentillesse , quelque machination de madame , car ellea reçu beau coup de rapports ces jours -ci .
JEAN . Des rapports ?
HONORÉ .
Oui , quand elle s'intéresse aux gens , elle trouve moyen de placer chez eux un domestique de bas étage , chargé d'espionner à son profit, et celui qu'elle a fourni à M. d'Augerolles est venu ce matin nous en dire long .
JEAN .
Vilain métier . Observer pour son compte, bien ; mais pour les autres , fi donc !
HONORÉ .
J'ai pourtant commencé comme ça . Damel on n'ar rive pas tout de suite aux premières places .
JEAN .
Les carrières sont tellement encombrées aujour d'hui .
HONORÉ .
A propos de places ... la tienne est toujours fièrement bonne ici ?
JEAN * .
Ça baisse . Monsieur est amoureux comme un collé gien . ( Montrant la porte sous tenture .) Il vient moins de monde par là . (Montrant la porte de droite .) Et il en sort moins par là .
HONORÉ . De tous les côtés , alors ?
JEAN .
Oui ; nous ne manquons pas de débouchés. Mais, main tenant , nos dames n’entrent plus chez nous que par la grande porte , comme dans un pensionnat ; encore un peu et il y aurait une sous - maîtresse au parloir .
HONORÉ . C'est triste .
JEAN .
Cependant , si nous ne courons plus après les femmes, les femmes courent toujours après nous , cela diminue mes pertes . J'en tiens une depuis hier , une grande dame , bien curieuse ou bien jalouse , qui me tourmente pour
Jean , Honoré .
ACTE III
savoir si notre grande passion n'est pas venue s'offrir ici comme garde - malade . Elle cherche à me corrompre .
HONORÉ . Tu résistes ?
JEAN .
Quelle idée ! Faire de la peine à une femme ? Sa cu riosité est si naturelle qu'il y aurait cruauté de ma part à ne pas la satisfaire . Certes ! trahir mes devoirs , ça me coûtera beaucoup , mais je me console en pensant que ça lui coûtera davantage .
HONORÉ .
Tu as de la chance ,toi , tu peux vendre ton maître ; chez nous ... madame fait ses affaires elle - même .
JEAN . C'est une femme qui a de l'ordre .
HONORÉ .
Oh ! beaucoup ! Elle voit si bien l'inconvénient de n'en pas avoir . Elle le voit ...
JEAN . Chez les autres .
HONORÉ .
C'est égal, c'est drôle un vicomte qui cache ses bonnes fortunes ; ce n'est pas comme moi .
JEAN . Ni moi .
HONORÉ .
A quoi ça sert - il de faire des conquêtes , si vous êtes tout seul à le savoir ?
JEAN . C'est se retirer la moitié du plaisir .
6 .
-HONORÉ .
C'est évident . Oh ! madame n'est pas comme cela , elle .
( On entend le bruit d'un timbre .)