FAYEL .
Petit sournois ! ... L'esprit lui vient comme aux filles ... Il finira par l'avoir ... sa Gabrielle ... Était - elle assez charmante ? ... Quel éclat ! quelle sève !... C'est une rose de seize ans ... en supposant que les roses de cet åge aient encore beaucoup de fraîcheur .
LAVERDAC . Ah çà ! que machines - tu ?
FAYEL .
Je me défends! Le gouffre du mariage s'ouvre sous mas pas , il demande une victime , j'y jetterai quel qu’un , mais ce ne sera pas moi .
LAVERDAC . C'est charitable .
FAYEL .
Je ne suis pas fait pour jouer les Curtius . Mais est- ce que tu es menacé aussi , toi ? ...Quel air triste ! ...
LAVERDAC . Moi ? ... Non ! ...
FAYEL . Tu viens de voir d'Augerolles.
CHEMIN RETROUVÉ LAVERDAC . Oui .
FAYEL .
Il est toujours décidé à monter ce cheval ? LAVERDAC .
Toujours .
FAYEL . C'est absurde.
LAVERDAC .
Il le faut bien . Titan et lui sont à la Boccarelli , et tous deux doivent aider leur maîtresse à gagner la somme folle qu'elle a engagée contre Marcomir à ma dame Clara d'Orviedo .
FAYEL * . Si madame d'Augerolles apprenait ...
LAVERDAC , amèrement.
Est - ce que cela l'empêcherait d'aimer son mari ? Elle a su la vérité sur ce prétendu voyage au Havre ; qu'en est - il résulté ? Rien .
FAYEL .
Elle ne l'a pas sue tout entière , puisqu'elle ignore la part qu'y a prise mademoiselle Boccarelli.
LAVERDAC .
Elle aime son mari, fatalement, te dis -je, quoi qu'il fasse, quand même , et elle l'aimera toujours ... comme je l'aime , elle ... sans espoir , sans issue possible à cet
amour qui me brûle , qui me déchire le cour . FAYEL .
Aussi tu devrais y renoncer .
* Laverdac, Fayel.
ACTE II LAVERDAC * .
Je l'ai essayé souvent ; c'est au - dessus de mes forces . Ses dédains irritent ma passion , sa froideur m'exalte , je deviens fou !... Il y a des moments où je me sens ca pable de choses qui m'effraient moi -même ... Ah ! mon pauvre Fayel, je suis bien las de la vie , va !
( Ils s'asseyent .) FAYEL .
Veux - tu bien te taire ... Tiens , à ta place ...
LAVERDAC . A ma place tu ferais comme moi .
FAYEL .
C'est probable ; mais comme je n'y suis pas , je vais te donner un conseil qui vaut son pesant d'or .
LAVERDAC . Pour me faire aimer d'elle ?
FAYEL . Non ; pour arriver à l'oublier .
LAVERDAC .
Garde - le , alors , je n'en veux pas . Je préfère ma dou leur à l'oubli .
FAYEL .
C'est insensé ! On ne dit ces choses - là que dans les romances .
LAVERDAC . Ah ! tu ne comprends rien à l'amour .
FAYEL .
Si tu crois que je le regrette en te voyant... Enfin , que prétends - tu faire ?
* Fayel, Laverdae .
A.
LAVERDAC .
Est - ce que je le sais ! Je ne prends même plus la peine de former un projet . Il n'y a qu'une chose que je veuille : la revoir , lui parler ; mais cela , je le veux ab solument, et il faudra bien qu'elle me reçoive .
( Ils ze levent.) FAYEL * . Si elle refuse ?
LAVERDAC , sombre . Si elle refuse ...
FAYEL , Oui.
LAVERDAC . Nous verrons , alors .
FAYEL . Quoi ?
LAVERDAC . Ce que l'avenir me garde .
FAYEL .
Je vais te le dire , moi . Tu prendras un train quel conque et tu iras un peu partout demander l'oubli aux jolies femmes que tu rencontreras sur ta route . Tu
verras qu'elles ne te le refuseront pas . LAVERDAC .
Oui , je ferai cela ... ou autre chose . ( Faisant un pas vers la porte .) Viens- tu ? Tu me tiendras compagnie , tu m'ai deras à tuer le temps .
FAYEL .
Ces premiers rôles , comme ils abusent des confi dents ! Il ne leur viendrait jamais à l'idée de dire : - Mon bon Pylade , viens , je te tiendrai compagnie ; non , c'est toujours : Tu me tiendras ... Soit ... « Passez
ACTE II
devant, seigneur , votre esclave vous suit . » ( Regardant dehors . ) Madame de Barsanne ! Ah ! diable ! je ne suis plus , je demeure . ( A Laverdac .) < Retirez - vous , Pylade , et gardez qu'on nous trouble * ! »
LAVERDAC . Je ne parie pas pour toi , tu sais .
FAYEL . Mais moi , je tiens tout.
SCÈNE VI
LES PRÉCÉDENTS, MADAME DE BARSANNE** .
MADAME DE BARSANNE .
Monsieur de Laverdac ( A part. ), ici ! (Haut.) Est- ce que madame d'Augerolles n'est pas chez elle ?
LAVERDAC .
Oh ! madame , elle y sera certainement pour vous . ( 11 salue et sort *** . )
FAYEL , à part.
Un tête - à -tête ! Oh ! Vénus ! sois - moi propice , et je te sacrifie deux colombes ! ( IIaut.) Madame d'Augerolles va venir dans un instant. Si vous le permettez , j'aurai l'honneur de vous tenir compagnie. ( A part. ) Soyons brillant
( Ils s'asseyent . )
* Fayel , Laverdac .
Fayel, Laverdac , madame de Barsanne .
*** Madame de Barsanne, Fayel . Fayel, madame de Barsanne.
MADAME DE BARSANNE .
Je craignais de ne pas trouver madame d'Augerolles . FAYEL .
Elle y est . Mais vous , madame , depuis votre retour des bains de mer , on ne vous a vue nulle part .
MADAME DE BARSANNE . Je sors si peu .
FAYEL .
Ah ! quel aveu déplorable ! c'est un meurtre de vous cloîtrer ainsi ; vous appartenez à vos amis ; votre beauté , votre grâce ne sont pas à vous le ... et ... ( A part . ) Ce n'est pas ça que je devrais dire .
MADAME DE BARSANNE , se levant .
Si je croyais que madame d'Augerolles dût tarder , je ...
FAYEL , se levant .
Ah ! madame , ne me privez pas trop tôt du bonheur de vous voir , de vous entendre , de m'enivrer ...
MADAME DE BARSANNE .
Monsieur Fayel, vous m'obligeriez beaucoup en chan . geant de conversation .
FAYEL ,
J'obéis , madame ! j'obéis ! ... je saurai dissimuler , je cacherai ma plaie , et si je meurs de ma blessure , nul ne pourra vous en faire un crime .
MADAME DE BARSANNE , froidement.
Vous vous moquez de moi , monsieur !
1 FAYEL .
Ah ! madame , quelle idée !
1
ACTE II