Essayez au moins .
MADAME D'AUGEROLLES , lui tendant la main . Non ... je préfère oublier .
D'AUGEROLLES , la serrant sur son coeur .
Ah ! chère Marie , ma femme! Je suis indigne de tant de bontés , mais je vous promets d'acquitter la dette de reconnaissance que je contracte aujourd'hui;
et ce n'est pas un billet à longue date que je souscris - là ! MADAME D'AUGEROLLES , souriant.
Gare l'échéance !
D'AUGEROLLES , embrassant sa femme à chaque réplique.
Ahl que les hommes sont fous ! MADAME D'AUGEROLLES . Oui .
D'AUGEROLLES . Impies !
MADAME D'AUGEROLLES . Oui .
D'AUGEROLLES . Abominables !
MADAME D'AUGEROLLES . Oui .
D'AUGEROLLES * .
Et encore en disant cela , nous les flattons. Insensés que nous sommes , nous avons le bonheur , là , sous la main , et nous le laissons pour le plaisir , et quel plaisir , mon Dieu ! Mais ce n'est pas tout , si vous saviez ! ...
MADAME D'AUGEROLLES . Quoi donc ?
adame d'Augerolles , d'Augerolles.
D'AUGEROLLES .
Oui , il faut que je vous confesse un nouveau tort . Oui , je dois m'humilier , et vous devez vous moquer de moi .
MADAME D’AUGEROLLES . Ne me le dites pas , cela vaudra mieux .
D'AUGEROLLES .
C'est une pénitence que je m'inflige. Figurez - vous qu'hier, sur la foi d'un billet anonyme , infame ! j'ai couru comme un furieux ... chez qui ? ... Vous ne le de vineriez jamais ... Chez Monsieur de Laverdac .
MADAME D’AUGEROLLES . Monsieur de Laverdac !
D'AUGEROLLES .
Avec la crainte horrible de vous y trouver . MADAME D’AUGEROLLES . Moi ?
D'AUGEROLLES.
Oui, vous , un ange de pureté ; vous , la vertu , l'hon neur ; j'ai été assez aveugle , assez ingrat , pour vous croire capable d'une faute ... Vous vous indignez ? ...
Ah ! vous avez raison ! Mais j'ai tellement souffert de cet odieux soupçon que vous pouvez encore me pardon ner ... car , jusqu'ici , j'avais ignoré le supplice de la ja lousie , ses fureurs aveugles , et l'idée de vous trouver là me faisait tout comprendre : je sentais en moi des transports d'une violence telle , que je suis effrayé en y pensant.
MADAME D'AUGEROLLES .
Rien de fâcheux ne doit résulter de ... de cette dér marche ?
D'AUGEROLLES .
Rien . Je me suis excusé . Laverdac m'aura cru fou voilà tout.
MADAME D’AUGEROLLES . Tout cela est bien triste , mon ami !
D'AUGEROLLES ..
Vous avez raison ; mais le remords de cette faute me pesait , et j'ai voulu en débarrasser ma conscience . C'est fini maintenant , et ne prenez pas la peine de m'en vou loir , je me charge de ce soin .
MADAME D’AUGEROLLES , souriant tristement . De l'indulgence pour vous - même .
D'AUGEROLLES .
Je n'en veux point avoir , ce serait de la faiblesse.
Non , je n'en veux plus , ni pour moi ni pour les autres . MADAME D'AUGEROLLES.
Les autres ? ... De qui parlez - vous ? D’AUGEROLLES .
Vous le dire serait vous attrister , et le sourire vous va si bien !
MADAME D’AUGEROLLES . Vous m'inquiétez ... Je vous en prie ... parlez .
D'AUGEROLLES .
Eh bien ! hier , j'ai donné légèrement un conseil sur lequel je dois revenir . Il ne faut pas que l'hypocrisie ait le bénéfice du repentir ... et je vais ... oui, je dois sur 2 - champ défaire ce que j'ai fait . ( Passant à la table . Je
bus demande un instant .
MADAME D’AUGEROLLES , à part.
Pourquoi suis - je inquiète ?
' Augerolles est à table et écrit , madame de Barsanne entre précipitamment.)
9
MADAME DE BARSANNE , hors d'elle - même , sans voir d'Augerolles .
Ah ! Marie ! ... Si vous saviezi ... (D’Augerolles se lève et écoute . )
MADAME D’AUGEROLLES * , Vous ? ... Qu'est - ce donc ?
MADAME DE BARSANNE .
Monsieur de Barsanne s'est laissé toucher ... il me rend ma fille ... J'ai sa lettre ... Un de ses amis lui a conseillé de tenir compte de mon repentir , et cet homme généreux ... à qui je dois cette joie immense ...
D’AUGEROLLES , s’approchant.
C'est moi , madame .
MADAME DE BARSANNE . Vous !
MADAME D'AUGEROLLES . Ah !
D'AUGEROLLES , très- froid .
Voulez - vous être assez bonne , Marie , pour nous lais ser quelques instants ?
MADAME D'AUGEROLLES .
Pourquoi ? Ne puis- je prendre ma part d'un bonheur qui vient de vous ?
D’AUGEROLLES .
J'ai quelques mots à dire à madame , revenez dans un instant .
MADAME D'AUGEROLLES .
Soit ! ... (En sortant par la droite .) Que veut - il donc lui dire ?
• Madame d'Augerolles , madame de Barsinne , d’Augerolles.
SCÈNE VII
MADAME DE BARSANNE , D'AUGEROLLES.
MADAME DE BÀRSANNE , très - émue .
Je voudrais , monsieur ... pouvoir vous exprimer toute ma reconnaissance ...
D'AUGEROLLES .
Non , madame , non , neºme remerciez pas ... La tâche que j'ai à remplir en deviendrait plus difficile ...
MADAME DE BARSANNE . Pourtant ...
D'AUGEROLLES .
Vous devez comprendre que , depuis hier , l'opinion que j'exprimais à Monsieur de Barsanne s'est modifiée .
MADAME DE BARSANNE . Monsieur ...
D'AUGEROLLES .
Je ne vous juge pas , seulement je constate les faits . MADAME DE BARSANNE .
Monsieur , vous vous trompez . D'AUGEROLLES . Ah ! madame ! ...
MADAME DE BARSANNE .
Je vous jure ,monsieur , que je suis innocente . D'AUGEROLLES , souriant tristement.
Et c'est à moi que vous dites cela ? MADAME DE BARSANNE . Parce que c'est la vérité !
D'AUGEROLLES . La vérité ! ...
MADAME DE BARSANNE .
Monsieur , sur la tête de mon enfant, vous m'enten dez , j'affirme mon innocence sur la tête de ma fille !
D’AUGEROLLES , indigné .
Ah ! vous ne craiguez pas de lui porter malheur ! MADAME DE BARSANNE .
Mais que faut - il vous dire pour vous convaincre ? D'AUGEROLLES .
Il faut me prouver que ce n'est pas vous que j'ài vue hier chez Monsienr de Laverdac .
MADAME DE BARSANNE .
Mais savez - vous pourquoi j'y suis allée ... si j'ai voulu empêcher ...
D'AUGEROLLES . Quoi ?
MADAME DE BARSANNE , avec un cri . Ah ! c'est horrible !
D’AUGEROLLES .
Vous vous taisez ... je le regrette ; car moi , moi qui , croyant à un retour que tout de monde se plaisait à constater , ai donné à Monsieur de Barsanne un conseil selon ma conscience , selon ma conscience encore , je dois aujourd'hui retirer ce conseil , en déclarant formel lement que je m'étais trompé .
MADAME DE BARSANNE . Vous feriez cela ?
D'AUGEROLLES .
C'est un devoir , madame , c'est à mon honneur que votre mari a fait appel !
AÇTE IV
MADAME DE BARSANNE , désespérée .
Mais alors ... ma fille ... il ne me rendra plus ma fille ! D'AUGEROLLES .
Conséquence douloureuse d'une conduite ...
MADAME DE BARSANNE .
Ma conduite ... ( Avec indignation . ) C'est lui qui l'incri mine ... Sachez- le , monsieur , d'un mot ... oui , d'un mot ...
je puis vous faire rougir de votre cruauté ...
D'AUGEROLLES,
Mais dites-le donc , je serais si heureux de l'en tendre .
MADAME DE BARSANNE . Ah ! ne me tentez pas ... je succomberais .
D’AUGEROLLES . J'attends ce mot , madame .
MADAME DE BARSANNE , hors d'elle - même * . Et pourquoi ne le dirai - je pas ? Est- ce de moi seule ment qu'il s'agit ?... il y a ma fille aussi ... tout doit céder devant elle , c'est sacré cela ... et puisque vous accusez sa mère , quoi qu'il puisse arriver , je dirai ..
D'AUGEROLLES . Quoi ?
MADAME DE BARSANNE , se cachant la figure dans ses mains et tombant sur le canapé .
Ah ! c'est affreux ! ... ( A part .) Ce serait lâche ! ... Si j'hésitais , je serais indigne d'embrasser ma fille ! ...
D’AUGEROLLES . Eh bien ! madame , que dois -je faire ?
D’Augerolles , madame de Barsanne .
MADAME DE BARSANNE , se calmant .
Monsieur , à chacun son devoir ; faites le vôtre , je fais le mien , je me tais . Une grâce , seulement .
D'AUGEROLLES . Laquelle ?
MADAME DE BARSANNE , se levant .
Promettez - moi de ne dire qu'à Monsieur de Bar sanne , à lui seul , ce que vous avez vu hier ?
D'AUGEROLLES . Je vous le promets , madame .
MADAME DE BARSANNE . Merci !
SCÈNE VIII
LES MÊMES, MADAME D'AUGEROLLES . MADAME D'AUGEROLLES, sur le seuil de la porte . Puis -je entrer , maintenant ?
D’AUGEROLLES . Oui ... oui , ma chère .
MADAME D'AUGEROLLES , allant à madame de Barsanne * . Comment ! vos yeux sont pleins de larmes .
MADAME DE BARSANNE . C'est vrai, j'ai pleuré .
MADAME D'AUGEROLLES , vivement.
Pourquoi ?
Madame de Barsanne, madame d'Augerolles , d’Augerolles .
MADAME DE BARSANNE .
Pourquoi ? ( Elle la regarde un moment sans parler .) Ah ! tenez , j'ai besoin de force . (Convulsivement.) Embrassez moi , Marie ... Adieu ! adieu !... ( Elle sort précipitamment .)
SCÈNE IX
MADAMED'AUGEROLLES , D'AUGEROLLES . MADAME D’AUGEROLLES , étonnée . Adieu l ... Que s'est - il donc passé entre vous ?
D'AUGEROLLES , assis sur le canapé .
Elle craint que M. de Barsanne ne revienne sur la promesse qu'il lui a faite .
MADAME D'AUGEROLLES .
Ce n'est pas vous qui allez le détourner de cet acte ' de réparation ?
D'AUGEROLLES.
Si , c'est moi . Je m'étais trop hâté ! MADAME D’AUGEROLLES , vivement* .
Non , car madame de Barsanne vaut mieux que toutes les femmes que je connais .
D'AUGEROLLES . Ne dites pas cela , Marie .
MADAME D’AUGEROLLES , avec fermeté.
Je le pense et je le dis partout . Mon unique désir est de faire de madame de Barsanne ma meilleure amie .
D'AUGEROLLES .
Et moi je vous prie de ne plus la recevoir .
* D’Augerolles , madame d'Agerolles .
1 MADAME D'AUGEROLLES .
Expliquez - moi cette contradiction alors :vous avez donné à un père le conseil le plus grave , celui de rendre à sa femme l'enfant qu'il lui avait repris pour cause d'indignité , et cette femme, hier réhabilitée par vous, vous voulez maintenant m'empêcher de la voir ? ... Je vous en prie , mettez d'accord cette conduite avec vos paroles .
D’AUGEROLLES , se levant.
Je ne puis m'expliquer davantage . MADAME D’AUGEROLLES .
Alors, ce n'est qu'un caprice ... je verrai madame de Barsanne .
D'AUGEROLLES .
Je vous assure , Marie , que vous ne la verrez pas . MADAME D'AUGEROLLES .
Donnez -moi de bonnes raisons , autrement je la verrai;
qui m'en empêchera ?
D'AUGEROLLES .
Vous , oui , vous - même ; car vous me forcez à vous dire ... Certes , c'est à regret que je vais manquer à une promesse donnée ...
MADAME D’AUGEROLLES . Quelle promesse ?
D'AUGEROLLES .
Celle de ne parler de toute cette affaire qu'à Monsieur de Barsanne , à lui seul ; mais votre résolution de voir sa femme quand même , me contraint à m'ouvrir à vous . A chacun son devoir , a - t - elle dit tout à l'heure , elle avait raison ; le mien est de vous éclairer sur la conduite de cette amie si chère que vous mettez au -dessus de toutes les femmes. Sachez donc qu'hier , chez Monsieur de Laverdac , en proie à la douleur horrible que vous con
naissez , et sur le point de me livrer aux actes les plus violents , de pénétrer dans la chambre où j'avais la folie de vous croire enfermée ...
MADAME D’AUGEROLLES , Eh bien ?
D'AUGEROLLES .
Eh bien , la maîtresse de Laverdac a été forcée de se montrer à moi pour m'arrêter ...
MADAME D’AUGEROLLES , effarée .
Vous dites ? Mon Dieu ! Cette maîtresse ... c'était ? ...
D’AUGEROLLES . C'était madame de Barsanne .
MADAME D’AUGEROLLES , avec un cri . Ah ! ... je comprends tout .
D'AUGEROLLES , froidement.
Eh bien , me donnez - vous tort maintenant ? (Il s'assied .) MADAME D’AUGEROLLES .
Et elle a poussé la générosité jusqu'à vous demander de ne parler de cela à personne ?
D’AUGEROLLES, souriant . Générosité douteuse !
MADAME D'AUGEROLLES . Vous croyez ?
D'AUGEROLLES . C'est assez clair .
MADAME D’AUGEROLLES .
En effet , vous la jugez bien . Mais vous ne devinez donc pas que cette femme est la noblesse même , que son abnégation est sublime et que , martyre du dévouement , elle ne consent à se perdre que pour sauver une amie .
9 .
D'AUGEROLLES . Une amie ? ... Et qui donc ?
MADAME D'AUGEROLLES . Moi !
D'AUGEROLLES . Qu'osez - vous dire ?
MADAME D’AUGEROLLES .
La vérité . En apprenant que Monsieur de Laverdac , dédaigné , repoussé par moi , avait voulu se tuer , croyant vous punir , j'ai voulu le voir , donner une marque d'in térêt suprême à un mourant .
D'AUGEROLLES . Vous !
MADAME D’AUGEROLLES .
J'avais tort , je le sais ; mais à qui la faute ? A vous , à vous qui m'aviez poussée à bout par une trahison , que j'ai promis d'oublier , mais sur laquelle vous me forcez à revenir . On m'avait trompée . Monsieur de Laverdac n'était pas blessé ; mais quand je le croyais en danger , c'est madame de Barsanne qui a voulu me retenir , me faire comprendre mon imprudence , mon crime ; c'est elle ensuite qui s'est sacrifiée pour moi , pour moi à qui elle voulait même cacher l'étendue de son sacrifice : et voilà la femme que vous me défendez de voir , celle qui vous a rendu votre fille et à qui vous allez arracher son enfant !
D’AUGEROLLES , ironique . M'avez -vous bien tout dit , madame , tout ?
MADAME D'AUGEROLLES .
Regardez -moi ... mes yeux se baissent - ils sous les vôtres ? ... Mon front rougit - il ? Ai -je l'air d'une femme qui trompe ? Et d'ailleurs , vous me connaissez , est - ce que je sais mentir , moi !
D'AUGEROLLES , avec colère .
Avez - vous pensé , madame , aux conséquences de cette révélation ?