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Favoriser un changement des rôles et des pratiques

Pour aller plus loin, « Et pourquoi, sugge re Yazid Oulab, l'artiste n'offrirait pas une

œuvre à la cité ? Mais pas n'importe quelle œuvre, elle serait choisie par les habitants ». En leur

confe rant ainsi un pouvoir de se lection, il s'agirait de mettre, pour un temps, les habitants en position de force. Un moyen encore de reconnaî tre a l'habitant un statut d'acteur dans l'e volution de la cite , libre d'exprimer son opinion, voire de choisir ce qui pourrait ou ne pourrait pas y exister. Ici, la de marche est envisage e selon des principes ascendants et novateurs pouvant redessiner l'offre culturelle. D'une part, en bousculant ses cadres traditionnels (proposition/ acceptation), d'autre part, en favorisant une de marche d'appropriation, au de triment d'une de marche de consommation.

Créer des conditions pour réduire les écarts et rendre les habitants acteurs

Interroger la possibilite laisse e aux habitants de s'approprier le projet et l'action conduit a se poser les questions suivantes :

De quels moyens disposent les habitants pour faire un retour sur les œuvres existantes ? Il s'agit de savoir comment les habitants peuvent interagir avec les porteurs du

projet. La possibilite de faire un retour est e galement une manie re d'instaurer un dialogue avec les habitants, tout en le gitimant leur statut d'acteurs critiques.

Quelle animation perdure autour d'elles ? Une animation des œuvres peut

favoriser leur visibilite tout en assurant la continuite de l'action. Cela permet e galement de cre er un dialogue, d'e veiller la curiosite des habitants, de susciter un inte re t.

Comment les œuvres sont-elles discutées ? On peut, en effet, conside rer que la

possibilite de discuter une œuvre, voire de la critiquer, peut encourager a s'inte resser a la de marche. De la me me façon, un accompagnement dans la discussion des œuvres existantes pourrait contribuer a de velopper la « compe tence artistique »99 des individus. Dans ce travail

de dialogue et d'animation, pourquoi ne pas utiliser les ressources du quartier ? Le « Parlement » de S.EICHHORN semble tout indique pour se pre ter a la discussion des œuvres

in situ.

Stefan EICHHORN, « Le parlement », la Bricarde, 2015

Plus largement, quant a l'appropriation du projet en lui-me me, un biais observe dans les de marches participatives, rele ve en ge ne ral de la difficulte pour les habitants de se greffer a un projet « en cours de route ». N'ayant pas participe a sa mise en place, ils n'ont, en effet, pas de visibilite sur les raisons de sa cre ation, sur ses objectifs, ses acteurs, ses ressorts, etc. Un frein possible a la dynamique de compre hension et donc d'appropriation du projet.

Pour atte nuer cet e cart, un moyen consiste, par exemple, a permettre aux habitants de participer a la re daction des appels a candidatures, ou a la se lection des artistes. A la Bricarde,

99 « La compétence artistique (…) est la capacité à repérer une œuvre dans l'espace des œuvres actuelles et possibles, à partir de ses « traits stylistiques distinctifs » (P.BOURDIEU, 1968). Il est même assez probable, […] qu'elle inclue la capacité à produire à propos d'une œuvre un discours sensible ». S. COAVOUX, « Compe tence

une initiative allait effectivement en ce sens, en invitant les habitants a inte grer le jury de se lection des artistes. Or, depuis 2009, une personne seulement y a participe .

La participation a ce jury est bien su r fonction du succe s ge ne ral de la de marche, et sera donc la conse quence d'un long travail de communication et de sensibilisation, tel qu'e voque plus haut. Mais plus encore, l'enjeu est bien, dans le me me temps, de construire les le gitimite s permettant aux habitants d'inte grer ce type d'instances, en anticipant et en levant des freins bien connus dans la proble matique de l'accessibilite de l'art contemporain et que l'offre de participation peut reproduire malgre elle.

Karim Messidi livre son analyse de cette tentative d'introduction des habitants au jury : « La

première fois, ça n'a pas marché, car le locataire, sorti de son contexte, se sentirait-il légitime face à des gens qui ont 25 ans de boîte ? Moi je tire ma légitimité de ma fonction de gestionnaire de site. (…) Peut-être faut-il que la porte soit ouverte et que si quelqu'un se présente on l'accueille bien. Mais s'ils ne veulent pas, on va pas aller les chercher manu militari ». Inte grer

les habitants a ce type d'instances ne cessite donc de parer aux freins symboliques, en termes de de se quilibre des statuts existants, comme aux freins pratiques (tels que l'absence de mobilite ) pouvant limiter leur fre quentation. Il s'agira alors d'interroger le lieu ou elles se de roulent, en jaugeant leur accessibilite physique comme symbolique : l'instance se de roule- t-elle sur le terrain ? Au sie ge de l'entreprise ? Dans un lieu culturel peu fre quente par les habitants pre caires ?

Le rôle de l'artiste

La proposition de redistribution des ro les, faite par Yazid Oulab, semble particulie rement en ade quation avec le ro le que celui-ci s'est donne dans la de marche. Interroge sur sa position d'artiste dans le processus de cre ation particulier que constituent les Ateliers de la Cite , celui- ci explique : « On ne peut pas parler de création. Ce n'était pas mon atelier, pas mon monde où

j'accepte que les gens viennent parler, échanger. Là, j'ai discuté avec eux [les habitants], mais je n'ai fait que réaliser, je n'étais pas un artiste, mais un artisan. Je ne voulais pas mettre mes œuvres, sinon j'aurais mis des clous, des fils barbelés… Ils auraient dit : « Qu'est-ce qu'il vient faire encore avec ça ? ».

Une telle approche e claire le ro le d'intervenant et rappelle la figure militante de l' « artisan

de la participation » de crite par M. Carrel, qui vise a activer les potentiels des individus, a les

re ve ler. L'artiste, ici se place en effet au second plan, il met son art au service des autres, et devient une caisse de re sonance avant de mettre en forme des ide es et des histoires.

Selon Yazid Oulab, le choix d'une telle posture a sans doute favorise l'acceptation de l’œuvre. Il explique notamment pourquoi elle n'a pas e te de grade e : « ça a été réfléchi, dit-il. C'est

quelque chose qui naît chez eux, pas importé, pas exporté. Même s'ils ne comprennent pas, c'est pas le problème, c'est eux, c'est leur fierté ».

Le lien entre le travail de Yazid Oulab et les habitants est donc e vident. Pour reprendre les termes de Martine Lahondes, celui-ci a de montre rapidement une « volonté d'être en écho avec

eux » et son travail est assez e vocateur pour en te moigner. Ce n'est pas le cas de toutes les

me me imme diatete de lecture, pour autant l'ide e e tait bien de « faire un cadeau aux habitants,

avec ce mouvement d'espoir, très apprécié », pour citer de nouveau Martine Lahondes.

Ces deux cas de figure ame nent a penser que plus que le mode de production, ce qui peut- e tre de terminant dans la re ception de l’œuvre voir de la de marche tout entie re reste : les interactions entre les artistes et les habitants ; les interactions entre les œuvres et les habitants ; et peut-e tre me me l'intention de la de marche. Yazid Oulab conclut en effet : “Mon

souhait est réalisé. Que les œuvres restent et que les gamins grandissent avec les œuvres, là, à côté. Même s’ils ne sont que 10, même si ce n’est pas eux, mais leurs enfants, qui vont grandir et vont apporter autre chose à leurs enfants. C’est un travail de long terme. Il faut semer la graine, et l’arroser et l’entretenir. Grand ou petit le projet, c’est l’intention qui le porte. Si elle est bonne et va dans le bon sens, ça marche. Si l’intention est mauvaise, ça sert à rien. Même si le projet vaut un milliard ou deux”.

Yazid OULAB, « Socles hauts pour le rêve », 2008-2009, la Bricarde