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translanguaging sur la surcharge cognitive

2.3. Dispositifs de lecture : Favoriser l’équilibre cognitif et affectif

2.3.4. De la prise en compte de l’acte de lecture dans le dispositif

2.3.4.2. Favoriser l’appropriation du texte Le rôle des approches collaboratives dans l’acte de lecture

Comme dans les pratiques réelles, la lecture littéraire peut faire appel à des activités reposant sur l’oral et la discussion de manière spontanée (Canvat, 2002) ou de manière plus structurée avec notamment les cercles de lecture (Hébert, 2004). M. Hébert souligne que les cercles littéraires, par leur approche collaborative, permettent « aux élèves de générer, de comparer et de confronter leurs propres opinions et questions, [favorisant] la compréhension, l’interprétation et l’appréciation des textes littéraires en classe » (2004, pp. 605). En effet, le travail collaboratif joue un rôle important dans l’apprentissage notamment en raison du partage de la responsabilité ce qui engage chaque acteur dans son apprentissage (Mattar et Blondin, 2006, pp. 234). Dans le cadre de la lecture, la lecture collaborative, qu’elle soit médiée par ordinateur ou pas, a montré son efficacité. S. Nes (2003), dans son travail sur le « paired reading » (lecture en binôme) entre un « bon » lecteur et un lecteur ayant des problèmes, a montré que le lecteur avec des problèmes de lecture a gagné en fluidité à travers cette approche. S. Nes souligne l’impact positif de l’approche personnalisée permettant à l’élève avec des problèmes de lecture d’être pleinement engagé dans l’activité. Ces résultats rejoignent ceux de Ph. Murphy (2010) dans le cadre d’une étude sur la lecture collaborative en ligne. Son expérience met en évidence que le recours à des feedbacks élaborés a un impact plus positif sur l’attitude des étudiants et leur compréhension que des feedbacks directs sous forme de correct/faux ou donnant une réponse automatique. Il souligne également le fait que les feedbacks ne sont pas exclusivement émis par l’ordinateur mais que les étudiants commentent les réponses des uns et des autres et sont régulièrement appelés à clarifier leurs idées. Comme dans l’étude de S. Nes (2003), ce qui ressort est la nécessité pour l’étudiant d’être engagé dans le processus de lecture. C’est ce que souligne E. Momtaz et M. Garner (2010) dans leur étude sur la lecture collaborative en s’appuyant sur les théories de L. Vygotsky :

Collaborative reading created natural, interactive contexts in which students were engaged in interactive processes such as brainstorming,

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listening to one another, asking questions, eliciting self-disclosure, making reflexive comments, eliciting confirmation, asking for explanation, clarifying issues, collective summarizing of paragraphs, and collective paraphrasing of the utterances. Such frequent interaction among students increased the amount of student talk and student participation in the classroom, which, in turn, played a role in developing the students’ encyclopedic and linguistic knowledge.19

Relevons trois points intéressants dans ce passage. D’abord, le recours à la paraphrase comme un moyen légitime pour travailler un texte montre donc des effets positifs sur les indices de compréhension relevés dans cette étude. Ensuite, il est intéressant de noter qu’au-delà d’une compréhension du texte, cette approche a permis d’effectuer également un travail sur le socle de connaissances engagé dans l’acte de lecture. Enfin, l’emphase mise par les auteurs sur l’aspect « naturel » du contexte de lecture créé pour l’expérience met en lumière la nécessité d’ancrer toute situation d’enseignement-apprentissage dans sa dimension sociale pour qu’elle ait un sens et permette aux acteurs de s’engager et d’y trouver une place.

Le rôle des approches collaboratives dans la sensibilisation aux lectures

« transculturelles »

La section précédente présente des études mettant en lumière des approches qui, prenant en compte l’acte de lecture comme situation sociale et contextualisée, permettent de jouer sur l’action des étudiants-lecteurs et ainsi sur les différents processus en jeu. Le travail ne se limitant pas à un déchiffrage mais faisant appel à différents processus de façon intégrée la compréhension des textes se fait mieux. Notre contexte d’étude se plaçant dans un cursus universitaire, il est nécessaire d’aller au-delà de la lecture et de travailler également la dimension analytique, plus institutionnelle, de la lecture. Dans ce contexte, l’écrit représente également un outil pertinent.

19 Notre traduction : « La lecture collaborative a créé des contextes naturels et interactifs dans lesquels les étudiants étaient engagés dans des processus interactifs tels que le remue-méninges, l’écoute mutuelle, la formulation de questions, la formulation de commentaires réflexifs, la demande de confirmation et d’explication, la clarification de problèmes, le résumé collectif de paragraphes et la paraphrase collective des énoncés. Une telle fréquence des interactions parmi les étudiants a augmenté la prise de parole et la participation de chaque étudiant dans la classe, qui, par conséquent, a joué un rôle dans le développement des connaissances encyclopédiques et linguistiques des étudiants. »

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Écriture créative et appropriation de la dimension artistique

L’écrit peut prendre la forme d’écrits créatifs notamment à travers des ateliers d’écriture (Woerly et Lumbroso dans Godard, 2015). Ces derniers sont un moyen de penser sa propre écriture comme tremplin vers un regard plus curieux et réflexif sur l’écriture de l’autre, sur les effets que l’on a perçus chez l’autre et ceux que l’on souhaiterait à notre tour mettre en place. L’écriture créative dans le cadre d’un dispositif permet de travailler à la fois le littéraire et la langue en manipulant des outils pour produire un écrit personnel. Ces effets peuvent être produits par des procédés, une organisation particulière du texte mais aussi par des points grammaticaux plus précis pour inclure des nuances, du rythme, des relations particulières, etc. Les ateliers d’écriture créative sont par ailleurs des espaces où tout objet culturel peut trouver sa place comme source d’inspiration, d’observation ou comme références intégrables. Ainsi, d’autres activités culturelles comme trace de réflexion, d’interprétation peuvent être intégrées, en prenant appui par exemple sur les travaux d’O. Lumbroso (2007) sur le dessin dans l’activité scripturale comme sensibilisation à la génétique des œuvres. Il s’agit donc d’un type de dispositif qu’il est possible de penser à travers une approche transculturelle de façon presque innée.

Écriture réflexive et travaux académiques

Les écrits réflexifs sont aussi un moyen de prendre progressivement de la distance avec le texte pour mieux le questionner. F. Demougin (2008, pp. 417) prend l’exemple des biographies langagières, qui se trouve entre écrit personnel-créatif et écrit réflexif :

Établir une biographie langagière (seul ou dans son groupe de pairs), c’est par conséquent mettre en valeur ce qui, pour l’apprenant, dans l’histoire de sa vie et dans ces contextes, a contribué à son apprentissage des langues. L’activité biographique, à la fois réflexive et projective, parie sur la capacité de l’apprenant de langue à construire du sens à partir des composantes disparates de sa propre identité linguistique et culturelle et de son contact avec celle des autres, à construire la signification à la fois cognitive, symbolique, socio-historique de son déplacement vers l’autre. Par le biais de la subjectivation, il s’agit en somme de conscientiser les éléments constitutifs de son expérience, dans les domaines linguistique et culturel.

Cela est également vrai pour les journaux de bord ou carnets de lecture. Ces écrits ont notamment trouvé leur place dans les approches interculturelles (Barbot, 2010 ; Develotte, 2006) pour leur potentiel à mettre en œuvre une réflexion sur soi et sur l’autre à partir d’observations spontanées qui, par la mise en mot à l’écrit, favorisent la prise de

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recul et la décentration. Ces qualités nécessaires dans l’éducation interculturelle, le sont tout autant pour une approche analytique des objets culturels faisant appel au lectant de M.

Picard si l’on se place dans le jeu de la lecture.

M. Hébert (2004, pp. 620) souligne que les cercles littéraires faits à l’oral en collaboration comme nous l’avons montré dans la section précédente, ont permis aux étudiants d’atteindre un niveau d’élaboration de leurs réponses nettement supérieur aux résultats constatés lors de travaux réalisés seul à l’écrit. Elle propose donc que le travail écrit soit « post-discussion » car selon elle, la verbalisation a permis une meilleure problématisation. Cela rejoint ce que nous avons décrit dans la section 2.3.3. de ce chapitre sur le potentiel de tremplin que représentent la paraphrase, le racontage et les questions sur les processus de compréhension. En effet, ces derniers peuvent se placer dans la spontanéité d’un oral en classe mais ils peuvent aussi – a priori ou a posteriori - être mis à l’écrit. Un travail analytique est alors réalisable à travers une réflexion sur nos critères (conscients et inconscients) de repérage et de sélection dans notre compréhension personnelle du texte.

Ces pratiques, moins conventionnelles, ont le mérite de susciter un questionnement personnel tendant néanmoins vers une objectivation soit par l’intermédiaire de partage avec des pairs soit par un travail réparti dans le temps, notamment avec les écrits réflexifs qui permettent de faire évoluer une réflexion au fur et à mesure qu’elle s’enrichit de nouveaux éléments. La trace écrite permet alors de revenir sur ce qui a été écrit, pensé préalablement pour le retravailler, le nuancer, le compléter. Ces écrits, autant que les lectures collaboratives comme les cercles littéraires à l’oral, peuvent aussi s’effectuer collaborativement pour gagner en qualité à travers la confrontation à divers feedbacks (Murphy, 2010) qui sont un élément essentiel pour l’efficacité d’un dispositif d’apprentissage (Bozhinova, Narcy-Combes et Zaouali, 2016 ; Narcy-Combes M-F., Narcy-Combes J-P. et Miras, 2015).

Par ailleurs, ces différentes approches et conceptions de la lecture littéraire donnent la possibilité de se réapproprier des textes qui, si étudiés uniquement sous l’angle de l’histoire littéraire, ne nous auraient pas forcément touchés. C’est dans ce sens qu’Anne Godard voit l’approche par compétences en littérature comme un moyen de rouvrir l’accès à la littérature :

Il importe de ne pas concevoir et opposer les corpus comme blocs, mais d’adopter des approches croisées, qui sortent les œuvres des catégories où l’histoire littéraire les enferme. (…) En détachant les enseignements

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littéraires des seuls savoirs sur la littérature, l’approche par compétences permet de défendre cette forme d’anachronisme assumé qui arrache la littérature « ancienne » au passé pour lui rendre la capacité de nous toucher, au présent, comme peuvent aussi nous toucher les littératures d’ailleurs, que ce soit un ailleurs européen ou mondial. (Godard, 2015, pp. 77)

Conclusion du chapitre

Nous avons mis en évidence les obstacles majeurs venant entraver la lecture en langue étrangère au niveau des processus et des pratiques d’enseignement. Nous avons ainsi vu que la lecture en L2 était rendue difficile par une sur-centration sur les processus de bas niveau notamment à cause de problèmes pour reconnaître les mots et les déchiffrer d’une part et, d’autre part, par un manque de connaissances au niveau des référents présents dans les textes, souvent culturellement ancrés et donc étrangers au même titre que la langue pour l’étudiant de L2. Les pratiques d’enseignement en milieu institutionnel, visant une évaluation, ont souvent recours à des activités permettant de gérer les productions en termes de bonne ou mauvaise réponse mais ne répondent pas aux problèmes spécifiques liés à la lecture en L2, ni à ceux de la lecture littéraire dans sa dimension dynamique.

Nous nous sommes alors intéressée aux travaux portant sur l’appropriation de la langue et des connaissances. Ces travaux révèlent l’impact positif que peuvent avoir les approches favorisant l’individualisation de l’apprentissage, la responsabilisation des étudiants et la prise en compte de leur profil apprenant de L2 notamment en privilégiant des approches collaboratives, réflexives et acceptant le plurilinguisme plutôt que des approches transmissives, collectives et monolingues. Ces approches apparaissent également compatibles avec le double paradigme des cultures et lectures littéraires vu dans le chapitre précédent.

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