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translanguaging sur la surcharge cognitive

2.3. Dispositifs de lecture : Favoriser l’équilibre cognitif et affectif

2.3.2. Des limites dans l’enseignement de la lecture

L’exposition des nuances dans la terminologie ayant permis de mettre en lumière les différentes connaissances utilisées pour chacune des activités, il est maintenant possible de voir en quoi cela peut poser un problème dans le cadre de l’enseignement de la lecture en L1 mais également en L2.

2.3.2.1. Sur-centration sur le code

J. Fijalkow (1995), qui travaille principalement sur la lecture en L1, souligne que la lecture est un acte faisant appel principalement aux connaissances procédurales. Or, son enseignement passe par une entrée en matière centrée sur un mode déclaratif avec une approche centrée sur le code et le déchiffrage comme si le sens venait systématiquement une fois le code « décodé ». J. Fijalkow, dans cet article, souligne ce point pour montrer les limites de l’enseignement actuel de la lecture en L1, cependant, la même remarque peut se faire en L2. L’accent est mis, encore plus, sur le déchiffrage et peu sur les moyens de passer du déchiffrage à l’identification. Ainsi, J. Fijalkow (1995, pp. 130) voit l’obstacle majeur dans cette « procéduralisation », transformation – attendue presque automatiquement – de savoirs déclaratifs en savoirs procéduraux. Il ajoute donc un autre type de savoirs, les savoirs contextuels qui rejoignent les travaux d’autres didacticiens en littérature (Chabanne et Dufays, 2011 ; Demougin, 2008 ; Tauveron, 2002).

2.3.2.2. Au-delà du code : la lecture comme acte contextualisé

Les savoirs contextuels dont parle J. Fijalkow permettent de redéfinir la lecture, non plus comme un acte technique mais davantage comme une situation globale constituée de différentes dimensions comme nous l’avions déjà vu (2.1.3) à travers le « modèle

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contemporain de compréhension de lecture14 » proposé par J. Giasson (2007, pp. 7) Il s’agit d’une phase préparatoire, qui existe et est totalement admise dans l’enseignement des langues mais beaucoup moins systématique en littérature. Il s’agit de « susciter une capacité à « s’intéresser à » » (Demougin, 2008, pp. 413), et particulièrement dans le contexte d’une lecture littéraire, à travers des questionnements préalables, une introduction au travail sur le texte où l’interrogativité, la problématisation n’est pas faite directement par l’enseignant ou le manuel (Tauveron, 2002, pp. 16) car, au lieu de faciliter l’entrée dans le texte, cette approche rend la lecture peu attrayante car sans jeu ni défi. Or, comme nous l’avons vu dans la partie sur la lecture littéraire (1.2.), cette dernière est souvent comparée au jeu et il n’y a jeu que s’il y a des partenaires en « tension » dans une certaine forme d’incertitude/d’indétermination avec une stratégie à construire pour atteindre un but et non pas d’avoir la solution immédiatement. Il s’agit donc de replacer la lecture dans sa pratique sociale ordinaire et non pas d’imposer le texte comme objet fini détaché de tout : le texte prend sens au milieu de nombreux facteurs – les goûts personnels, l’attirance pour l’auteur, le sujet, une critique lue/entendue, le titre, la couverture, disposition personnelle, l’anticipation, l’horizon d’attente, etc. Ainsi, P. Demougin (2007, pp. 410) montre qu’il n’y a pas de raison que la dimension technique domine, que l’enseignement de la littérature s’ancre dans un ensemble complexe, singulier qui demande à être constamment (ré)adapté pour ne pas être instrumentalisé :

- le choix des textes, qui implique le goût, la sensibilité autant que la distance critique, doit être pleinement assumé par l’enseignant lui-même

;

- la capacité à les commenter, qui suppose une posture engagée du professeur et l’acceptation de sa responsabilité de passeur, mérite d’être abordée en termes de savoir-être et d’attitude, autant que dans sa dimension technique ;

- l’adaptation des stratégies en fonction des valeurs produites, qui suppose de ne pas instrumentaliser par des dispositifs figés la lecture des textes littéraires et de leur conserver, dans les situations variées où ils sont abordés, toute leur singulière capacité à se dire et à se lire autrement, constitue un dernier point sensible.

14 Le schéma du modèle est reproduit dans la section 2.1.3 de ce chapitre.

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2.3.2.3. Lire de la littérature : approches et limites

La littérature comme objet social donne alors la possibilité d’entrer dans sa lecture par sa dimension anthropologique plutôt que formaliste comme le propose P. Demougin (2007, pp. 401) en prenant l’anthropologie « non comme discipline constituée, mais comme champ de questionnement qui englobe le sujet et la culture dans leurs manifestations singulières et collectives ». Nous avons également vu dans la section 1.3.3.2, d’après les analyses de manuels de FLE réalisées par E. Riquois (2010), que ce déplacement du texte littéraire pour la langue vers la culture s’est déjà produit, cependant comme le souligne P.

Demougin (2007, pp. 408), on assiste souvent à une nouvelle instrumentalisation du texte littéraire. En effet, face à des concepts délicats, comme « la » culture et l’altérité dans un monde globalisé mais divisé, le risque d’instrumentalisation des objets culturels pour promouvoir (hiérarchiser) de façon consciente ou non des valeurs et donc le risque d’essentialiser les cultures sont grands. Notons par exemple, les travaux de L. Collès et J-L.

Dufays, qui partant d’une perspective intéressante pour l’entrée en littérature à travers une approche interculturelle, semblent, néanmoins tomber dans le piège de l’essentialisation, de la réduction des cultures à des ensembles fermés caractérisés par un critère spécifique. L.

Collès (2010, pp. 79) dans son ouvrage Islam-Occident : pour un dialogue interculturel à travers des littératures francophones oppose « l’occidental » à « le maghrébin ». L’emploi de l’article défini ici essentialise ces groupes. On remarque le piège dès le titre de l’ouvrage avec l’opposition d’une religion uniquement à une zone géographique/géopolitique englobant de nombreux paramètres. Cette réduction se retrouve également dans l’article

« Le pluriel des réceptions effectives » de J-L. Dufays (2007, pp. 80) lorsqu’il montre qu’un texte, selon le lecteur, peut être lu de manière très différente :

Un même texte littéraire peut voir son sens général diverger fortement selon qu’on le soumet à une lecture musulmane, juive ou occidentale.

Si nous sommes d’accord que les lectures d’un même texte sont multiples, que le lecteur est celui qui va donner/construire ces différents sens en fonction du choix de sa posture, de sa biographie, de ses expériences, etc., nous percevons une catégorisation réductrice dans la caractérisation uniquement religieuse des réceptions d’un côté (musulmane et juive), opposée de l’autre côté à une caractérisation beaucoup plus vaste.

« L’occident » peut être pris comme zone géographique recouvrant différentes religions,

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différentes perspectives politiques, culturelles, sociales. Nous voyons donc ici une lecture limitée, voire stéréotypée d’une part, opposée à une ère culturelle qui se positionne comme plus vaste, plus diverse d’autre part qui rappelle dans une certaine mesure le piège des représentations décrit par E. Said (2005) dans L’Orientalisme. C. Mazauric, dans sa thèse, remarque le même schéma réducteur sur un autre ouvrage de L. Collès :

Dans le contexte similaire de la Belgique francophone, c’est notamment de cette ambivalence fondatrice que souffre l’ouvrage de Luc Collès, Littérature comparée et reconnaissance interculturelle, sur la quatrième de couverture duquel on lit par exemple que le travail « [prend] pour cadre des classes belgomaghrébines », et où, dans le corps de l’ouvrage,

« élèves belges » et « enfants de migrants » sont sans cesse distingués, fût-ce pour pratiquer une « (re)connaissance interculturelle ». Assez vite d’ailleurs, l’auteur doit reconnaître que « qui veut déceler des identités culturelles française et belge s’expose à pas mal d’écueils, surtout s’il cherche à distinguer les littératures qui en sont une des expressions.

Ces discours sont donc, à notre avis, le signe des limites des approches dites interculturelles car comme le souligne C. Mazauric en s’appuyant sur l’ouvrage de L.

Collès, l’inter sous-entend la co-existance de deux ensembles distincts :

Aussi la volonté de « contribuer à un véritable dialogue interculturel»

met-elle dans l’obligation quelque peu paradoxale d’avoir à construire des entités distinctes, afin que celles-ci puissent dialoguer, comme le montre l’expression « cerner les contours des cultures en présence ».

2.3.3. Des activités de lecture en littérature :