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discipline en rupture ou en continuité avec le programme général ?

5.3. Les corpus

5.3.3. Le corpus et sa structure

La description des corpus à travers leur organisation permet, au-delà de la catégorisation spatio-temporelle, de faire ressortir les traits saillants des approches choisies : chronologique, thématique, générique.

Le cours FREN321 présente son programme dans le descriptif de cours comme suit :

Auteur Titre du texte proposé Thématique

Senghor Spleen Introduction

Senghor Femme noire

L’identité Césaire Cahier d’un retour au pays natal

Ben Jelloun L’enfant de sable Baudelaire L’étranger

Maïssa Bey C’est quoi un arabe ? Voltaire Candide ou l’optimisme

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Ce corpus est exclusivement organisé en termes de thématiques sans chronologie spécifique apparente. Les textes apparaissent comme pouvant être traités à travers un groupement pour une mise en réseau autour d’un thème ou d’un concept en l’étudiant dans des contextes distincts. Aimé Césaire, Léopold Sedar Senghor et Maïssa Bey apparaissent à deux reprises. La répétition de Césaire et Senghor dès le début du programme laisse voir la mise en place d’une assise autour de la Négritude comme illustration d’une vision de la littérature engagée, ce qui semble se confirmer avec les autres textes et particulièrement l’extrait choisi de Qu’est-ce que la littérature de Jean-Paul Sartre. Par ailleurs, on remarque

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que le genre narratif domine largement le corpus, bien que l’introduction du cours, soit les premiers textes, appartienne à la poésie.

Le tableau suivant, présentant le corpus du cours FREN423, montre une organisation différente.

Auteur Titre du texte proposé Objectifs travaillés

(comme présentés dans le

Émile Zola Germinal - Comparer texte descriptif

et narratif Joachim du Bellay « Heureux qui comme Ulysse »

Les Regrets - Les figures de style

Baudelaire « chant d’automne » Les Fleurs du mal

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Ronsard Sonnet 13

Sonnets pour Hélène Senghor « Nuit de Sine »

Chants d’ombre

- La versification et la progression du poème La Fontaine Le chêne et le roseau

Molière L’école des femmes

Beckett En attendant Godot

Corneille Le Cid

Gaudé Dans la nuit Mozambique - Écrire un commentaire

composé TABLEAUN°10:DETAIL DU CORPUS DU COURS FREN423

Les textes de ce corpus ont été choisis en fonction des composantes à étudier et donc par genre : d’abord le récit, puis la poésie et enfin le théâtre. Le récit, de nouveau, domine le corpus que ce soit en nombre d’extraits proposés (10 textes sur 18) qu’en objectifs mentionnés. En effet, la poésie a quelques objectifs mais pour le théâtre, seuls quelques auteurs et textes sont donnés sans préciser les objectifs. Les objectifs portent majoritairement sur des caractéristiques propres à chaque genre. Le travail sur le commentaire composé se base, cependant, sur la construction d’un plan thématique. Or, l’approche thématique n’apparaît à aucun moment dans l’organisation du corpus ni dans la présentation du cours. Ce corpus se présente donc comme un ensemble varié de textes exposant l’étudiant à différentes époques, différents contextes et différents genres mais dans une structure relativement segmentée au sein de l’étude de chaque genre. Cette organisation laisse penser que chaque texte est traité séparément ou parfois une composante est proposée pour deux textes, ce qui montre que les éléments techniques sont peut-être parfois comparés dans l’écriture de deux écrivains. Il y a donc rupture avec le cours précédent, qui fondait sa progression sur l’histoire et les thèmes connexes à ces périodes.

Le cours FREN425 s’organise autour d’un concept, ici l’altérité, à étudier de manière transversale durant tout le semestre, comme nous l’avons vu dans le descriptif de cours.

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Auteur Titre du texte proposé Région

Darwich Le dernier discours de l’homme rouge Découverte du concept La Hontan Dialogues curieux entre l’auteur et un

Sauvage de bon sens qui a voyagé Découverte de l’Autre Le Nouveau Monde Césaire Cahier du retour au pays natal

Chamoiseau Écrire en pays dominé

Le corpus de ce cours, articulé autour d’un concept, s’organise selon deux modes : d’abord selon une approche thématique puis selon une approche chronologique dans chaque thème. On peut percevoir ici le point où les éléments des cours précédents se rejoignent : importance des contextes, de l’histoire, des thèmes mais avec une étude qui, d’après le descriptif du cours, fait appel aux éléments techniques abordés dans le cours FREN423. L’approche qui se dessine ici permet de croiser histoire, thématiques et genres même si une fois de plus le genre narratif domine largement et que le théâtre est presque absent.

Notons, cependant, que l’approche chronologique ne se met pas en place dès les premiers textes. En effet, le cours s’ouvre sur un texte contemporain du poète palestinien

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Mahmoud Darwich suivi d’un texte du 17ème siècle (La Hontan) pour ensuite suivre un ordre chronologique allant du 16ème au 20ème siècle. Cet écart du début s’explique probablement par la volonté d’introduire la notion d’altérité à partir d’un écrivain très connu des étudiants et, le texte de La Hontan reprenant les autochtones d’Amérique du Nord, ce dernier se place ici par rapport à une logique thématique, bien que postérieur au 16ème siècle. Notons ici que l’intégration du texte en français de Mahmoud Darwich, originalement écrit en arabe, pourrait être qualifié de recours à une forme de « bilinguisme de circonstance » (ou dans notre cas de « biculturalisme de circonstance ») pour reprendre cette notion développée par O. Lumbroso (2015b) dans un autre contexte45 qu’il décrit ainsi :

le bilinguisme de circonstance participe de l’intelligibilité des évènements et de la corrélation des faits entre eux. C’est un bilinguisme lectural à fonction essentiellement cognitive, à savoir comparatif et interprétatif ; c’est aussi une ruse, un détour, pour construire un regard pondéré et raisonné.

Ce cours, aboutissement de la formation littéraire offerte au département, met en place, à travers ce corpus et sa structure, une mise en réseau complexe. En effet, une architecture problématisée semble se dessiner permettant la création de liens entre auteurs, contextes et procédés d’écriture.

Les corpus des trois cours apparaissent donc différents les uns des autres. Le corpus du cours FREN321 se différentie notamment des deux autres par l’importance donnée au 20ème siècle et aux littératures « non-hexagonales ». Le corpus du cours FREN423 diffère des deux autres dans le sens où l’approche thématique n’apparaît pas. Le corpus et son organisation se présente davantage comme une série de support pour pratiquer des exercices. Cependant, le cours FREN425 partage des points communs avec les deux autres cours car il se présente comme un assemblage des deux dans une approche plus problématisée. Concernant le choix des auteurs et des thématiques associées, les corpus révèlent une vision engagée de la littérature particulièrement tournée vers les pays dits « du sud », en termes de production pour les textes du corpus du cours FREN321 et en termes de contenu des œuvres pour celui du cours FREN425.

45 Notion développée par O. Lumbroso (2015b) pour parler du rapport à l’anglais entretenu par Zola durant son exil lors de l’affaire Dreyfus dans « Emile Zola, écrivain bilingue ? », Continents manuscrits [En ligne], 4 | 2015, mis en ligne le 15 mars 2015, consulté le 01 septembre 2015. URL : http://coma.revues.org/512

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On remarque aussi la prédominance du genre narratif. Il est peut-être possible de dégager un lien entre genre et siècle. En effet, le genre narratif a des auteurs et des œuvres reconnus à travers les époques et ce encore au 21ème siècle alors que le théâtre et la poésie sont souvent présentés à travers des productions plus « classiques » au sens que J-P.

Charpentrat et J-M. Fournier (1999, pp. 88) donnent à ce terme dans leur étude sur les corpus littéraires au collège, à savoir les productions antérieures au 20ème siècle. Cela peut être interprété comme un signe de la démocratisation moindre du théâtre et de la poésie par rapport au genre narratif. Cependant, cette absence du théâtre est, dans une certaine mesure, surprenante car il s’agit d’un support souvent utilisé et présent dans les manuels de FLE car il permet une mise en voix plus naturelle qu’un autre genre puisqu’il a été conçu pour être dit et joué. Ces corpus mettent donc en avant une tentative de représenter les différents genres littéraires mais le déséquilibre entre ces trois genres laissent néanmoins voir une forme d’obligation de le faire plutôt qu’un choix convaincu.

Conclusion du chapitre

Ce chapitre a décrit le cadre dans lequel l’enseignement se place à partir des documents officiels. L’étude de ces documents amorce les choix en termes d’approche et de conception de la culture littéraire à enseigner dans ce département. Le curriculum présente le programme de littérature comme un enseignement visant d’abord l’acquisition de connaissances encyclopédiques. À travers le curriculum et les descriptifs de cours, on voit apparaître deux approches en fonction des corpus : les classiques français sont destinés à être analysés de façon plus technique alors que les productions non métropolitaines semblent servir davantage comme support culturel (notamment avec l’emphase sur les contextes de productions pour le cours FREN321). Les pratiques littéraires semblent se placer sur un continuum d’abord axées sur une approche thématique, puis stylistique, puis finalement croisées. Par ailleurs, le choix des thèmes et des textes révèle une certaine importance donnée à la littérature engagée. Cette dimension peut être perçue comme un écho avec le contexte politique et l’influence de ce dernier sur les productions et réceptions d’œuvres comme nous l’avons vu dans le chapitre 3.

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