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1.3. Du choix des textes : pour une lecture et une culture littéraire

1.3.2. Constituer un socle de connaissances

1.3.2.1. La littérature comme équilibre à maintenir

Dans leur ouvrage Pour une lecture littéraire, J-L. Dufays, L. Gemenne et D. Ledur soulignent à plusieurs reprises l’aspect de « tension » existant à la base de la littérature en insistant sur le fait que la lecture ne repose pas sur le décodage d’un sens pré-existant dans le texte à découvrir mais davantage d’un « processus dialectique où la liberté et la contrainte se mêlent de manière indissociable » (Dufays, Gemenne et Ledur, 2009, pp. 72 ; Randall, 2009). Cette tension se retrouve, de ce fait, dans l’enseignement de la littérature entre le souci de faire acquérir des outils, des savoir-faire en termes d’analyse par exemple mais aussi des connaissances pour avoir de la matière à manipuler avec les savoir-faire.

1.3.2.2. D’un patrimoine national à un patrimoine humain

La question des savoirs, et donc des corpus à choisir, centrale dans l’enseignement de la littérature en langue maternelle, mais aussi en L2, est une question délicate.

Dans l’enseignement du FLM en France, une des finalités de l’enseignement littéraire est la construction d’un socle commun de connaissances que C. Tauveron (2001, pp. 11) présente en ces termes : « réseaux autour des genres et de leurs variantes, autour des symboles particulièrement vivaces dans notre imaginaire collectif, des mythes et légendes… ». Cette constitution d’un socle commun, faisant référence à une culture, à une

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histoire et des valeurs communes peut s’entendre dans un système éducatif national dans la langue du pays. Cette conception est néanmoins remise en question avec la mondialisation et l’ouverture du national à l’européen par exemple. A.Godard (2015, pp. 73) montre, qu’en Europe, les politiques éducatives poussent vers l’ouverture des corpus nationaux vers des corpus incluant les littératures européennes. Puis traitant de la langue française, la question de la francophonie s’impose. En effet, la classification semble continuer à opposer littérature française et littérature francophone, comme si la littérature française n’était pas une sous-partie des littératures francophones mais plutôt comme un ensemble se plaçant au-dessus. Or, A. Godard (2015, pp. 75‑76) souligne qu’accepter de considérer la littérature française comme partie de la littérature francophone permettrait de « prendre acte d’une identité culturelle qui n’est plus rabattable sur la nation, et donc, d’élargir la notion même de patrimoine commun ». Cette idée rejoint la conclusion d’E. Fraisse dans son article

« Enseignement de la littérature : aspects français d’une crise mondiale » (2014, pp. 218) qui, mettant les études littéraires sous le terme d’Humanités, met l’accent sur « ces connaissances profanes qui permettent de mieux connaître l’homme et nous rendent plus humains » et cela par-delà les limites nationales. En effet, l’idée d’un élargissement du patrimoine commun, pertinent dans tous les contextes dans notre époque mondialisée, est particulièrement pertinente pour l’enseignement de la littérature en langue étrangère en dehors d’une région francophone. Ce contexte spécifique ne s’ancre plus dans une sphère culturelle précise, il s’ancre dans une sphère linguistique qui dépasse les frontières géographiques, d’où l’importance voire la nécessité de se pencher sur différents « points de départ » pour reprendre H. K. Bhabha (2007, pp. 11) :

Pour rester dans l’esprit du « droit à raconter » comme moyen d’atteindre notre propre identité nationale ou de communauté dans un monde global, il nous faut réviser notre sens de la citoyenneté symbolique, nos mythes d’appartenance, en nous identifiants aux « points de départ » d’autres histoires et d’autres géographies nationales et internationales.

De plus, il apparaît clairement que le clivage entre littérature française et « les autres » littératures d’expression française est de plus en plus remis en cause. Le manifeste

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« Pour une littérature monde en français »8 à l’initiative de Rouaud, Le Bris et Mabanckou signé par quarante-quatre auteurs en faveur d’une littérature-monde en français plutôt qu’une littérature francophone, suivi de la publication d’un ouvrage sur la question et de nombreux articles venant critiquer ou nuancer cette initiative en sont un signe. La critique, qui nous semble assez juste, est le fait de décrier un centre colonial dominateur à travers l’appellation « francophone » et vouloir considérer toutes les productions sans avoir nécessairement la France comme centre d’une part, mais légitimer une hégémonie linguistique d’autre part. C’est ce que J-P. Cavallé (cité dans Combe, 2010) dénonce en soulignant que, selon lui, « la révolution copernicienne, la véritable, n’aura lieu que lorsqu’il sera devenu évident que l’idée même de constituer des collectifs littéraires monolingues pour célébrer la littérature-monde est une aberration et une contradiction dans les termes, lorsqu’il apparaîtra que la littérature du monde se dit dans toutes les langues et doit être promue dans son multilinguisme ». Cette conception d’une littérature dite monde mais limitée linguistiquement pose problème dans les corpus disponibles et la lecture qu’il en est fait. En effet, il y a une tendance à déterminer certaines œuvres, certains auteurs en fonction d’une sélection qui s’effectue sur le temps. C’est ce que Edward Said nomme « l’attitude textuelle » :

Il n’est pas facile d’écarter un texte qui prétend contenir des connaissances sur quelque chose de réel. On lui attribue valeur d’expertise. L’autorité des savants, d’institutions et de gouvernements peut s’y ajouter, l’auréolant d’un prestige plus grand encore que sa garantie de succès pratique. Ce qui est plus grave, ce genre de textes peut créer, non seulement du savoir, mais aussi la réalité même qu’il paraît décrier. Avec le temps, ce savoir et cette réalité donnent une tradition, ou ce que Michel Foucault appelle un discours ; la présence matérielle ou le poids de cette tradition, et non l’originalité d’un auteur donné, est réellement responsable des textes qui sont produits à partir d’elle. (Said, 2005, pp. 113)

Cette attitude textuelle mène donc parfois à un conditionnement de l’écriture de certains auteurs, car être lu demande de répondre à un certain horizon d’attente que l’institution et le contexte social créent.

On peut alors se demander si, dans le contexte d’enseignement de la littérature dans un cursus universitaire de français, les choix se font par rapport à un horizon d’attente

8 Manifeste publié dans Le Monde le 15 mars 2007 :

http://www.lemonde.fr/livres/article/2007/03/15/des-ecrivains-plaident-pour-un-roman-en-francais-ouvert-sur-le-monde_883572_3260.html. Consulté le 19 mai 2016.

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particulier, à une chronologie, par rapport à des thèmes, par rapport aux noms les plus célèbres ou par d’autres critères.

1.3.3. De la notion de choix : d’un désir objectif