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translanguaging sur la surcharge cognitive

2.3. Dispositifs de lecture : Favoriser l’équilibre cognitif et affectif

2.3.3. Des activités de lecture en littérature : entre légitimité et limitations

Ce chapitre, jusqu’à maintenant, a montré à travers une vision aérienne les processus en jeu dans la lecture en général, les spécificités en L2 et les traitements possibles / observés pour la lecture de textes littéraires en situation d’enseignement-apprentissage. Nous avons donc vu que le texte littéraire est tantôt utilisé comme un instrument (pour faire de la langue), tantôt comme un document (un support pour ce qu’il est) ou encore comme un monument (patrimoine). (Petitjean, 2014). Ce chapitre a également mis en lumière les limites des différents traitements des textes littéraires liées à l’instrumentalisation de ses derniers dans une perspective langagière ou culturelle.

L’équilibre semble donc difficile à trouver. Cela nous amène, maintenant, à penser l’enseignement-apprentissage de la littérature à travers le concept de dispositif que nous

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avons décrit dans la section 2.3.1.1., en replaçant notre propos dans un mouvement de zoom, vers ce qui se fait dans les pratiques de l’enseignement dit de littérature.

2.3.3.1. Survol des activités proposées en littérature : entre savoirs déclaratifs et procéduraux

S. Aeby Daghé (2010) a relevé les différentes activités de littérature demandées à des apprenants. Elle en recense douze qui peuvent être associées à une centration plus ou moins forte sur un type de connaissance. Comme déjà mentionné, toute activité de lecture et de compréhension fait appel dans une certaine mesure aux deux types de savoirs, déclaratifs et procéduraux, cependant certaines activités feront davantage appel à un type plutôt qu’à un autre. C’est ce que nous essayons de mettre en évidence dans le tableau ci-dessous15 :

L’explication de texte savoirs déclaratifs savoirs procéduraux

Le débat interprétatif savoirs procéduraux

La discussion thématique savoirs procéduraux L’étude de dimensions de grammaire textuelle savoirs déclaratifs La formulation d’avis personnels sur le texte savoirs procéduraux

La mise en réseau savoirs procéduraux mais avec une nécessité d’une bonne base de savoirs déclaratifs en amont La présentation de texte savoirs déclaratifs

Le travail sur la compréhension savoirs déclaratifs (si compréhension littérale)

Le résumé savoirs déclaratifs

La lecture à voix haute savoirs déclaratifs

La production de texte savoirs déclaratifs s’il s’agit d’activité du type

« écrire à la manière de… » La lecture à domicile

TABLEAU N°1 :ACTIVITE ET TYPE DE SAVOIRS

Le tableau fait ressortir sept activités qui mobiliseraient davantage les savoirs déclaratifs contre cinq pour les savoirs procéduraux. Notons néanmoins que certains de ces intitulés peuvent recouvrir différentes finalités. Par exemple, l’explication de texte se rapproche-t-elle du commentaire ou est-ce une explication essentiellement centrée sur la reformulation.

15 Ce classement est général et a une valeur introductive ici car ces items restent peu précis.

Par exemple « le travail sur la compréhension » ne définit pas ce que compréhension recouvre – littérale ou interprétative par exemple.

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2.3.3.2. Compréhension et questionnaires

Dans la littérature sur le sujet, les activités les plus répandues en littérature semblent être, dans l’ordre du plus guidé au plus ouvert, le questionnaire avec le résumé, le commentaire ou explication de texte et la dissertation. Ces activités, perçues comme légitimes et fiables pour de nombreux praticiens, posent toutefois un certain nombre de questions. Les activités proposées en classe de littérature ont en général deux objectifs principaux : évaluer la lecture et/ou guider la lecture en attirant l’attention sur certains points. Cependant, concernant l’évaluation, comme le souligne F. Pichette, L. de Serres et M. Lafontaine (2013)

il est impossible de mesurer la compréhension de façon explicite. Seule la production langagière procure des éléments tangibles, lesquels donnent lieu à une mesure directe de ce processus.

On fait donc appel à ces activités dans lesquelles on tente de relever des traces des effets produits par la compréhension mais pas la compréhension elle-même.

Concernant le second point, des problèmes apparaissent également quand il s’agit d’un support pour aider/guider la compréhension et notamment en littérature. En effet, le questionnaire avec des questions plus ou moins fermées fait essentiellement appel à une compréhension « factuelle » du texte (Hébert, 2004, pp. 607 ; Tauveron, 2002, pp. 14) donnant l’impression d’une lecture unique possible avec des éléments de réponse univoques. La question du résumé pose le même problème car il s’agit souvent de

« coller » au texte pour sélectionner ce qui paraît objectivable. C. Tauveron cite l’exemple d’exercice où l’élève doit choisir « le » bon résumé parmi trois, ce qui donne l’idée qu’une seule lecture du texte est exacte. Or, lire un texte littérairement c’est savoir lui donner de l’ « épaisseur », pour reprendre le terme de C. Tauveron (2002) et R. Baroni (2008), c’est savoir jouer avec sa polysémie, qui fait partie des traits caractéristiques du texte littéraire par rapport à un autre type de texte comme nous l’avons vu dans le premier chapitre. Que ce soit de l’intention de l’auteur, du texte lui-même ou des expériences du lecteur selon qu’on se positionne dans une approche ou une autre, le texte littéraire est un terrain qui appelle l’interrogation et ne peut donc se limiter à des réponses factuelles toutes faites, sinon les dimensions lectorale et contextuelle sont effacées du processus de lecture. Ces réponses factuelles peuvent, cependant, constituer un socle pour l’acquisition de connaissances déclaratives que nous avons vue nécessaire, mais pas comme une véritable compréhension du texte en soi. É. Falardeau (2003a) souligne d’ailleurs que

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« compréhension rime trop souvent avec questions », questions qui « laissent entendre aux élèves que le but de la lecture est de répondre aux questions et non de poursuivre un objectif personnel » (Giasson, 2007, pp. 224).

Cela met en évidence les limites des questionnaires tels qu’ils sont le plus souvent construits. Ce type de questionnaire répond néanmoins à des besoins institutionnels d’évaluation en termes d’éléments mesurables objectivement. Or, par rapport à ce que nous avons montré jusqu’à maintenant, on remarque que ce type de questionnaire n’évalue en réalité que le déchiffrage et la compréhension littérale mettant de nouveau l’importance sur les processus de bas niveau au détriment des processus de haut niveau, pourtant essentiels dans l’acte de lecture (littéraire) mais aussi d’une manière plus générale dans l’acte d’apprendre comme l’ont montré B. Aumont et P-M. Mesnier (2006) : La construction du savoir (et donc par analogie la construction d’un sens d’un texte littéraire) se produit par tâtonnement sur l’objet d’apprentissage, par manipulation pour pouvoir construire l’objet cognitivement et finalement se l’approprier sous forme de nouveau savoir. Ils comparent d’ailleurs cette situation aux actions de « chercher » et « entreprendre ». Dans les questionnaires dont nous avons parlé, les étudiants sont au mieux appelés à « chercher » des éléments dans un texte mais pas à « entreprendre » la lecture. Il nous semble, d’après ce que nous avons vu, que les questionnaires, pour avoir une portée en adéquation avec les postures de lecture que nous avons décrites dans le premier chapitre, ne peuvent être à sens unique soit du questionnaire vers le texte. Leur place semble se trouver au cœur de la lecture comme médiateur aidant le lecteur à problématiser le texte en le lisant et en retour, la lecture du texte (et les questions) problématisent le lecteur dans une relation qui se crée dans l’acte de lecture. Les catégorisations des questions de lecture effectuées par Raphael et Durkin (citées dans Giasson, 2007, pp. 230‑234) apparaissent comme des pistes intéressantes. La catégorisation de Raphael propose, d’après les travaux de Pearson et Johnson (1978), de différencier (et de le faire remarquer aux élèves) les réponses se trouvant « dans le texte » soit « juste là » ou sous la forme « pense et cherche » des réponses se trouvant « dans ta tête » soit entre « l’auteur et toi » ou « toi seulement ». Cela permet de mettre en évidence les processus d’inférence, les repérages et assemblages effectués pour (re)construire le sens. La catégorisation de Durkin, quant à elle, propose de donner plus d’importance à l’explicitation des processus en jeu en demandant au lecteur de réfléchir à la manière dont il est arrivé à une réponse ou une autre. Ces types de questions permettent au moins de prendre un certain recul par rapport au texte pour se questionner

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soi-même sur la manière dont on construit le sens. Dans cette approche, des confusions peuvent apparaître et ouvrir le texte vers d’autres constructions possibles.

2.3.3.3. Compréhension et explication

Un autre type de travail effectué autour de la lecture est l’explication de texte. Cette notion peut faire référence au commentaire de texte ou à la dissertation comme nous le verrons, mais peut-être aussi à des explications d’un autre genre qui pendant longtemps n’ont eu aucune légitimité et sont encore parfois critiquées aujourd’hui : les explications par rappel ou reformulation comme la paraphrase ou le racontage. Au sujet de la paraphrase, B. Daunay (2002, pp. 30, 36) en décrit la situation paradoxale ainsi :

Répéter, redire le texte, est de la paraphrase, sauf quand il s’agit d’en reformuler un sens obscur, auquel cas il s’agit d’éclaircissement, d’explication. C’est assez limpide : on nomme reformulation la répétition légitime et on nomme paraphrase la répétition illégitime.

(…)

Ce qui se profile en effet ici, c’est l’existence d’une forme de métatexte nécessaire mais inavouable, dont la légitimité ne doit pas apparaître, sous peine de mettre en danger la croyance proclamée de la littérature comme mode de discours intouchable, non reformulable, non traduisible.

Croyance qui est à la source d’une sacralité du texte littéraire et de la culture en général, posée comme n’étant pas accessible à n’importe quel discours, surtout quand celui-ci est trop « scolaire ».

Ce paradoxe révèle la nécessité d’une telle démarche, particulièrement si la compréhension est difficile, ce qui est souvent le cas pour les lecteurs de L2 comme nous l’avons vu en raison de la surcharge cognitive qui se produit en raison du manque d’automatisation dans les processus en jeu.

La paraphrase et le racontage apparaissent donc comme des activités liées à la narration de la lecture. Ces activités constituent donc des formes d’explication qui peuvent servir de tremplin grâce à la prise de recul :

Paraphrase may have no critical status, may be utterly ludicrous as an account of what the poem is and does, but it can still be the step that initiates a sophisticated response to language. In this, as in so many fields of study, absurdity is often the mother of insight. (W. Nash dans Brumfit et Carter, 1986, pp. 74)

La paraphrase et le racontage sont donc, dans une certaine mesure, des

« manifestations de la compréhension des textes » (Ministère de l’éducation nationale,

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2015). S. Martin (2014), qui travaille beaucoup sur le racontage, à travers une critique du

« monolinguisme en littérature », souligne que les travaux traditionnels (schéma narratif, champs lexicaux…) dans l’enseignement de la littérature « tuent les modes de ré-énonciation » car il s’agit d’éléments figés qui ne permettent pas « d’entendre les œuvres ».

Il souligne donc le rôle de levier que le racontage pourrait jouer en articulant la didactique des langues et celle de la littérature qui ouvrirait un espace légitime pour « la dimension expérientielle des œuvres ». Cela rejoint les travaux de B. Nicholas, M. Rossiter et M.

Abbott (2011) en didactique des langues sur l’impact positif du « story telling » dans l’apprentissage des langues qui montrent que « 40% des conversations ordinaires repose sur la narration »16. Ces activités, en plus de la prise de recul permettent d’ancrer la lecture dans une pratique ordinaire et créer un lien social. Par ailleurs, que ce soit dans la paraphrase comme reformulation ou le racontage comme rappel du récit, il s’agit d’une mise en mots (orale ou écrite) qui représente une forme de matérialisation de la lecture à travers un acte de sélection entre ce qui est mentionné et ce qui ne l’est pas. On retrouve également cette idée dans les travaux de C. Fabre-Cols (2004) sur l’analyse des brouillons d’élèves. Ces productions, comme traces de compréhension, peuvent alors agir comme des supports réflexifs personnels dans la même lignée que les questionnaires proposés par Raphael et Durkin que nous avons mentionnés dans la section précédente. En effet, à partir de ces productions, les apprenants, seuls ou en échange avec d’autres, peuvent questionner cette trace – pourquoi tels éléments sont présents ou absents, pourquoi un étudiant a relevé, développé tel aspect et pas d’autres, etc. De même, ce qui est omis peut être la trace de zones d’obscurité ou de jugement du lecteur qui, dans la posture choisie, ne trouve pas certains éléments pertinents qui peuvent pourtant l’être pour d’autres. Pour des lecteurs non experts, ces productions peuvent représenter une phase intermédiaire importante comme une méta-narration de l’acte de lecture qui vient de se produire. Ces productions jouent dans le même temps le rôle de trace de la compréhension et outil-tremplin pour prolonger et développer la compréhension.

L’explication de texte de manière institutionnelle fait le plus souvent référence au commentaire ou à la dissertation. Ces activités donnent l’impression d’échapper à l’écueil de la fermeture ou de la réduction du texte que l’on trouve dans les questionnaires et d’aller plus loin que la paraphrase ou le racontage. Si cela est vrai en ce qui concerne l’objectif à

16 Notre traduction de « 40% of casual conversation consists of story telling »

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atteindre avec de telles productions censées mettre en lumière une réflexion laissant apparaître un cheminement logique dans la construction d’un sens « final » ; dans les faits, ces « exercices scolaires nobles » – très difficiles – se limitent souvent à une succession d’informations apprises en cours (Le Goff, 2009, pp. 112). Faute de temps ou d’outils adéquats, ces deux travaux présentent deux risques selon J-L. Dufays (2007, pp. 75‑77) : l’attente de la « bonne lecture » à travers une « didactique de la norme » ou au contraire la production personnelle où tout est permis et acceptable. Si ces deux extrêmes dominent, c’est aussi qu’il est difficile d’évaluer un travail en littérature. Cependant, F. Le Goff souligne bien que si, en effet, un texte littéraire ne se limite pas à une seule lecture possible, chaque lecture doit pouvoir s’appuyer sur des faits littéraires objectivables. Cet aspect du travail fait écho aux questionnaires décrits par Raphael et Durkin dans la section précédente, où le lecteur se questionne sur l’origine de sa réponse pour la valider.

Cependant, ce que F. Le Goff souligne pour la lecture de littérature en L1, et qui se trouve d’autant plus dans le contexte de la lecture en L2, est le manque de connaissances générales sur lesquelles les apprenants pourraient / devraient pouvoir s’appuyer pour construire une explication de texte.

Le problème qui englobe ce type de travail, souligné par L. Collès et J-L. Dufays (2007) et C. Tauveron (2002, pp. 14) est une vision portant sur l’exercice ou la tâche (le questionnaire, le commentaire ou la dissertation) comme finalité en soi détachée de tout et oubliant l’importance du travail sur l’acte de lecture lui-même. En effet, comme le souligne P. Demougin (2007, pp. 404), à travers ces activités présentées comme fin en soi, on donne l’impression que l’on lit pour faire un exercice dans une pratique exclusivement scolaire. Il apparaît donc nécessaire d’ancrer une démarche de lecture dans un dispositif comme décrit par J-F. Bourdet et P. Leroux (2009), avec une dimension d’organisation d’un apprentissage mais qui demeure flexible pour être réapproprié par l’utilisateur qui lui donne du sens et prendre en compte l’acte de lecture dans sa complexité.

2.3.4. De la prise en compte de l’acte de lecture